Livv
Décisions

CA Rouen, 2e ch., 26 mai 2005, n° 04-04404

ROUEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Atelier de Construction Mécanique Elbeuvienne (SARL)

Défendeur :

MGI Coutier (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bignon

Conseillers :

M. Lottin, Mme Vinot

Avoués :

SCP Colin-Voinchet-Radiguet-Enault, SCP Gallière-Lejeune-Marchand-Gray

Avocats :

Mes Dubos, Bernon

T. com. Elbeuf, du 5 oct. 2004

5 octobre 2004

Exposé du litige

Depuis 1994, la société ACME, qui exerce une activité de découpage, d'emboutissage et d'assemblage de pièces destinées à l'industrie automobile, réalise pour le compte de la société MGI Coutier, qui exerce une activité d'équipementier pour l'industrie automobile, et avec les outils spécifiques appartenant à cette dernière, diverses pièces appelées " références ".

Au mois de juin 2002, la société MGI a notamment confié à la société ACME la fabrication de boîtiers " X 84 " avec couvercles, destinés à être insérés dans les portières pour permettre l'installation des arrêts des portes des automobiles " Mégane " Renault.

Ces couvercles et boîtiers, fabriqués par la société ACME avec de la matière première fournie par la société MGI et au moyen d'un moule appartenant à celle-ci, étaient ensuite confiés à la société Galvamétal aux fins de galvanisation avant d'être livrés à la société MGI.

Courant 2003, la fabrication des couvercles a été modifiée, la nouvelle fabrication intégrant des picots.

Par fax du 15 septembre 2003, la société MGI a informé la société ACME de sa décision de rapatrier la fabrication des couvercles X 84 dans son usine de Conde à partir du 1er décembre 2003.

Le 6 janvier 2004, la société MGI a notamment demandé à la société ACME de faire un nouvel état de son bilan et de ses comptes en tenant compte d'un éventuel arrêt des boîtiers X 84.

Par fax du 29 janvier 2004, la société MGI a demandé à la société ACME de faire des offres de prix concernant six nouvelles références.

Par lettre du 8 mars 2004, la société MGI a confirmé à la société ACME que les offres de prix qu'elle avait formulées ne permettaient pas de lui attribuer les marchés, de sa décision de lui retirer la fabrication des boîtiers et de son souhait de la rencontrer pour décider ensemble des modalités du transfert de la fabrication.

Par lettre du 16 avril 2004, invoquant l'expiration d'un délai de préavis d'un mois, la société MGI a informé la société ACME de sa décision de procéder au retrait des outils le 29 avril suivant.

Soutenant que la réalisation de ces boîtiers constituait l'essentiel de sa production, que la société MGI avait brutalement rompu une relation commerciale établie, la société ACME a assigné la société MGI, par acte d'huissier en date du 26 avril 2004 pour l'audience du Tribunal de commerce d'Elbeuf du 7 mai 2004, pour obtenir, sur le fondement de l'article L. 442-6-I, 5°, du Code de commerce, paiement de la somme de 1 584 000 euro à titre de dommages-intérêts.

Le 30 avril 2004, la société MGI a adressé un planning de livraison allant jusqu'au mois de juillet 2004 à la société ACME et, par lettre du 4 mai 2004, a précisé à cette dernière que la lettre de résiliation du 8 mars résultait d'une "erreur technique en interne".

La société ACME a effectué des livraisons à la société MGI les 30 avril, 4 et 7 mai 2004.

Après le 7 mai 2004, la société ACME n'a plus effectué les livraisons prévues au planning.

La société MGI s'est adressée à la société Galvamétal, laquelle l'a informée que la société ACME lui avait fait interdiction, par fax des 6, 10 et 12 mai 2004, d'effectuer des livraisons.

Le 13 mai 2004, autorisée par ordonnance du Président du Tribunal de commerce d'Elbeuf, la société MGI a, notamment, fait constater par huissier que la société ACME détenait un stock de 24 tonnes de matières premières et de 12 000 boîtiers fabriqués et le démontage de l'une des matrices composant le moule. L'huissier a également constaté que des matières premières avaient été livrées le 4 mai 2004 et que la presse avait fonctionné le 7 mai.

Saisi par la société MGI, le juge des référés du Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a, par ordonnance du 13 mai 2004, renvoyé l'examen de l'affaire au 14 mai 2004 à 16 heures.

Par ordonnance du 17 mai 2004, le juge des référés du Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a, notamment, rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société ACME et ordonné aux sociétés ACME et Galvamétal, sous astreinte, de terminer les livraisons des pièces fabriquées et à la société ACME de restituer, sans délai et sous astreinte, le moule appartenant à la société MGI.

Cette ordonnance a été signifiée le même jour à la société ACME qui a interjeté appel de cette décision. Cette instance est actuellement en cours devant la Cour d'appel de Lyon.

Par ordonnance du 17 mai 2004, revêtue de la formule exécutoire le 18 mai 2004, le président du Tribunal de commerce d'Elbeuf a autorisé la société ACME à faire procéder à la saisie-conservatoire du moule et des 94 000 boîtiers se trouvant entre les mains de la société Galvamétal appartenant à la société MGI en garantie de sa créance de dommages intérêts évaluée à 300 000 euro.

Le 18 mai 2004, à 14 heures, invoquant la saisie-conservatoire qui n'avait pas été signifiée à la société MGI, la société ACME a refusé de restituer le moule à l'huissier de justice chargé d'exécuter l'ordonnance de référé. L'huissier a obtenu la restitution des pièces fabriquées mais a constaté que l'outil ne se trouvait plus dans l'entreprise.

Le 18 mai 2004, la société Galvamétal a livré 24 000 pièces à la société MGI.

Le même jour, à 17 heures 30, la société ACME a signifié l'ordonnance autorisant la saisie-conservatoire à la société Galvamétal.

La société MGI a porté plainte et le dirigeant de la société ACME, interpellé par les services de police le 19 mai 2004, a indiqué que le moule se trouvait dans un camion et, invoquant la saisie-conservatoire, qu'il refusait de le restituer.

Par jugement du 24 mai 2004, signifié le même jour à la société ACME, le juge de l'exécution de Bourg-en-Bresse a, notamment, rejeté les exceptions d'incompétence et de nullité de l'assignation invoquées par la société ACME et annulé l'ordonnance du Président du Tribunal de commerce d'Elbeuf du 17 mai 2004. La société ACME a interjeté appel de cette décision et l'instance est actuellement en cours devant la Cour d'appel de Lyon.

Le même jour, la société Galvamétal a livré 88 000 pièces à la société MGI.

Le 25 mai 2004, la société MGI a fait exécuter l'ordonnance de référé du 17 mai 2004 et a sollicité le concours de la force publique.

Le 26 mai 2004 le dirigeant de la société ACME s'est présenté aux services de police et a indiqué que le moule se trouvait dans une camionnette stationnée dans l'entreprise de son frère, la société AMS, et qu'il refusait de le restituer.

Le 27 mai 2004, les services de police, accompagnés d'huissiers, se sont rendus dans les locaux des sociétés ACME et AMS et ont retrouvé le moule dans les locaux de cette dernière. Le moule a été restitué à la société MGI.

Par jugement rendu le 5 octobre 2004, le Tribunal de commerce d'Elbeuf a :

- rejeté l'exception de nullité de l'assignation,

- rejeté l'exception d'incompétence,

- prononcé la résiliation judiciaire des relations contractuelles ayant existé entre les sociétés ACME et MGI aux torts partagés ;

- rejeté les autres demandes,

- partagé les dépens par moitié entre chacune des parties.

La société ACME a interjeté appel de cette décision.

Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions signifiées le 2 mars 2005 par la société ACME et le 4 mars 2005 par la société MGI.

Au cours du délibéré, il a été demandé aux parties de présenter leurs observations sur la nature délictuelle de l'action exercée sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce et l'inopposabilité consécutive à la société ACME de la clause attributive de juridiction contenue dans les conditions générales d'achat de la société MGI.

Les observations que les parties ont contradictoirement formulées sont annexées au dossier de la procédure.

Sur ce, LA COUR,

Sur la compétence

Attendu que, pour conclure à l'infirmation du jugement, la société MGI invoque la clause attributive de juridiction figurant dans ses conditions générales d'achats attribuant compétence au Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse ;

Attendu, cependant, que la société ACME, dont le siège social se trouve à Elbeuf, invoque la rupture brutale de relations commerciales établies, fait qui engage la responsabilité civile de son auteur sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce ; que la société MGI ne peut valablement lui opposer la clause attributive de juridiction figurant dans ses conditions générales d'achats ;

Que le dommage ayant été subi dans le ressort du Tribunal de commerce d'Elbeuf où la société ACME a son siège social, les dispositions du jugement ayant décidé que cette juridiction était compétente pour connaître du litige seront confirmées ;

Sur la rupture des relations commerciales établies :

Attendu que, pour conclure à la condamnation de la société MGI à réparer son préjudice, la société ACME invoque les dispositions de l'article L. 442-6-I, 5°, du Code de commerce et son état de dépendance économique, faisant valoir que, depuis 1994, le chiffre d'affaires qu'elle a réalisé avec la société MGI a évolué entre 84,08 % et 91,67 % de son chiffre d'affaires global ;

Qu'elle soutient que, compte tenu de l'importance de la fabrication de la référence X 84 dans son chiffre d'affaires, la rupture des relations commerciales s'analyse en une rupture totale et que cette rupture est intervenue en deux temps ;

Que, dans un premier temps, le 15 septembre 2003, la société MGI lui a retiré la fabrication des couvercles à compter du 1er décembre 2003 et que, dans un second temps, par lettre du 16 avril 2004, la société MGI lui a retiré la fabrication des boîtiers à compter du 29 avril suivant ;

Que, soutenant que le préavis doit être écrit et tenir compte de la durée de la relation commerciale, l'appelante prétend qu'en considération de la durée de 22 ans des relations commerciales, un préavis de deux ans devait être respecté ;

Attendu que, de son côté, pour conclure au rejet des demandes de la société ACME, la société MGI soutient essentiellement que la rupture de la relation commerciale est relative et partielle, l'appelante fabriquant encore pour elle les références X06 pour la Renault Twingo, qu'elle a été contrainte de prendre cette décision en raison des difficultés rencontrées par la société ACME pour exécuter ses obligations ; qu'elle prétend qu'un préavis conforme tant aux stipulations contractuelles qu'aux spécificités du marché de l'équipement automobile a été respecté et qu'elle a informé la société ACME de la rupture plusieurs mois à l'avance, qu'elle lui a vainement proposé de nouvelles fabrications et qu'elle s'est préoccupée de son état alarmant de dépendance économique, l'encourageant à se diversifier ; qu'enfin, elle fait valoir qu'en définitive, elle a souhaité poursuivre avec la société ACME la production de la pièce litigieuse et que c'est cette dernière qui en a refusé la poursuite en adoptant une attitude déloyale et frauduleuse ;

Attendu, ceci étant exposé, qu'il résulte de l'article L. 442-6-I, 5°, du Code de commerce, que, hors le cas de force majeure ou d'inexécution de ses obligations par son cocontractant, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de celle-ci, et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ou, à défaut, par des arrêtés interministériels ;

Attendu que le litige n'a pas pour objet de rechercher si la société MGI a ou non exploité abusivement l'état de dépendance économique dans laquelle se serait trouvée la société ACME à son égard, mais de déterminer si la société MGI a rompu brutalement la relation commerciale qu'elle avait avec la société ACME ;

Que la société ACME n'étant pas contractuellement liée à titre exclusif à la société MGI, il n'appartenait qu'à son dirigeant d'user de sa liberté pour assurer la diversification de ses activités et rechercher de nouveaux clients ; qu'à cet égard, il ne peut qu'être constaté que, par lettre du 9 janvier 2004, le dirigeant de la société ACME a revendiqué le droit d'assumer le risque de dépendre de l'activité de production des pièces litigieuses fournies par la société MGI ;

Qu'en outre, il doit être noté que le chiffre d'affaires réalisé par la société ACME avec la société MGI avait constamment diminué entre 1998 et le 31 mars 2002, ce chiffre représentant une proportion de son chiffre d'affaires global passant de 92,83 % à 62,25 % l'exercice suivant, pour atteindre 59,82 % au bilan arrêté au 31 mars 2002 ; qu'il apparaît que la nouvelle progression du chiffre d'affaires réalisé avec la société MGI résulte de l'obtention du marché relatif à la fabrication des pièces litigieuses ;

Attendu qu'il n'est pas établi que la rupture de la relation commerciale est consécutive à l'incapacité de la société ACME d'exécuter ses obligations ;

Attendu que, par fax du 15 septembre 2003, la société MGI a décidé de "rapatrier" la fabrication des couvercles X 84, non en raison de l'incapacité de la société ACME à faire face à la fabrication des couvercles avec picots, mais, selon les termes de sa correspondance, " dans le cadre de (sa) stratégie " ;

Que, dans son compte-rendu de la réunion du 4 février 2004, la société MGI s'est notamment inquiétée de sa dépendance d'approvisionnement à l'égard de la société ACME, notant à cet égard que " le taux de dépendance de MGI Coutier est passé de 70 à plus de 95 % sur 2003 suite à l'affectation d'ACME sur les couvercles et boîtiers X 84 " ;

Que, dans ce compte rendu, la société MGI évoque aussi la trop grande importance du chiffre d'affaires réalisé avec elle par la société ACME ;

Que, rappelant les propos tenus au cours de la réunion du 4 février 2004, la société MGI a, dans sa lettre du 8 mars 2004, évoqué " la nécessité économique " pour elle de récupérer la fabrication des boîtiers X 84 ;

Qu'il résulte de ce qui précède qu'en réalité, la société MGI a estimé qu'il était de son intérêt économique et stratégique de réduire tant sa dépendance d'approvisionnement à l'égard de la société ACME pour la fabrication des pièces litigieuses que sa part dans le chiffre d'affaires global réalisé par sa sous-traitante ;

Attendu que la société MGI ne peut davantage soutenir que, dans le courant de l'année 2003, la société ACME, dépassée techniquement, a refusé de mettre en œuvre la modification des couvercles demandée par le constructeur consistant à ajouter des picots ;

Que, certes, par fax du 7 mars 2003, la société ACME lui a confirmé qu'elle arrêtait la fabrication des couvercles avec picots X 84 et attendait ses instructions pour continuer la fabrication des couvercles sans picot ;

Que, toutefois, les termes de ce fax doivent être rapprochés du couriel que la société MGI a adressé à la société ACME le 10 mars 2003, aux termes duquel " l'outil des picots " devait être expédié chez l'outilleur pour modification de la forme des picots ;

Qu'ainsi, l'arrêt de la fabrication, d'ailleurs momentané, des couvercles avec picots résulte d'un problème technique, et non du refus de la société ACME d'en poursuivre la fabrication ;

Que, de surcroît, et en dépit du retrait de la fabrication des couvercles annoncé pour le mois de décembre 2003, la société MGI en a commandé d'importantes quantités au mois de janvier 2004 ;

Attendu que la société MGI ne peut davantage prétendre que les difficultés rencontrées par la société ACME pour son approvisionnement en matières premières sont la cause de l'arrêt des commandes des boîtiers ;

Que la société MGI ne peut invoquer sa demande de formulation d'offre de prix du 18 janvier 2002 selon laquelle la société ACME devait considérer qu'elle gérait les pièces en totalité, y compris la matière première, pour soutenir que l'appelante n'est jamais parvenue à accomplir l'obligation qui était la sienne de se fournir en matières premières et qu'il a dû pallier sa carence ;

Qu'en effet, il résulte des pièces produites qu'avant la passation des commandes, plusieurs offres de prix ont été formulées, avec ou sans fourniture de la matière première ; que les circonstances dans lesquelles la société MGI a décidé, en définitive, de fournir la matière première ne sont pas établies ;

Qu'il résulte de sa correspondance du 6 janvier 2004 que c'est la société MGI qui a émis le souhait d'arrêter la mise à disposition de la matière première ; que, dès lors, l'assistance apportée par la société MGI à la société ACME pour résoudre les difficultés posées par sa nouvelle demande ne constitue que l'exécution d'un devoir normal de collaboration avec sa sous-traitante ;

Qu'il s'ensuit que la société MGI, qui ne rapporte pas la preuve de l'inexécution de ses obligations par la société ACME, ne pouvait pas rompre sa relation commerciale sans préavis écrit et d'une durée suffisante ;

Attendu que la circonstance que les conditions générales d'achat de la société MGI prévoient un préavis d'une durée d'un mois n'empêche pas la juridiction saisie de rechercher si ce préavis est suffisant ou raisonnable au regard de l'article L. 442-6-I, 5°, du Code de commerce ;

Attendu qu'aucune des parties n'invoque l'existence d'un accord interprofessionnel ou d'un arrêté ministériel auquel se réfère le texte précité ;

Que, par suite, la durée du préavis et le caractère brutal de la rupture doivent être appréciés au regard de la durée de la relation commerciale ;

Attendu que, si la société ACME fabrique diverses "références" pour le compte de la société MGI depuis 22 ans, elle ne fabriquait les boîtiers et couvercles X 84 que depuis le mois de juin 2002 ; qu'au cours de la période considérée, elle a fabriqué dix autres "références" pour le compte de la société MGI, même si la fabrication des pièces litigieuses a représenté l'essentiel de son activité au cours de l'exercice 2003-2004; qu'actuellement, elle fabrique les pièces X 06 pour la Renault Twingo ;

Que c'est au regard de la relation commerciale établie pour la fabrication des pièces X 84 que doivent être appréciés la durée du préavis et le caractère ou non brutal de la rupture ; que la relation commerciale a duré environ 18 mois, étant observé que la rupture totale a été précédée d'une rupture partielle au mois de septembre 2003, la société MGI ayant fait connaître à la société ACME sa décision de lui retirer la fabrication des couvercles à compter du mois de décembre, alors qu'il n'est pas contesté que cette activité représentait une part importante de son marché ;

Attendu, en outre, que sans être démentie sur ce point, la société MGI expose que les équipements automobiles évoluent rapidement et que peu de références ont une durée de vie supérieure à 3 ans ;

Attendu qu'en considération de la durée de moins de deux ans de la relation commerciale en cause, si un délai de préavis d'une durée de trois mois, correspondant à la période de temps envisagée par un planning d'approvisionnement, ne permettait pas à la société ACME de se réorganiser, un délai de préavis de six mois apparaît d'une durée raisonnable et suffisante ;

Attendu que c'est par fax du 15 septembre 2003 que la société MGI a informé la société ACME du retrait de la fabrication des couvercles à compter du 1er décembre 2003 ; qu'il n'est pas contesté que cette fabrication représentait une part importante du chiffre d'affaires réalisé par la société ACME dans la fabrication de la "référence X 84" ;

Attendu qu'il résulte des pièces produites que la société ACME a été informée par lettre du 6 janvier 2004 de l'éventualité d'une décision de la société MGI de ne pas poursuivre la relation contractuelle concernant les boîtiers X 84 ; que la lettre en réponse du 9 janvier 2004 démontre que le dirigeant de la société ACME ne s'est nullement mépris sur l'intention de sa co-contractante de lui retirer cette fabrication ;

Attendu, cependant, que cette lettre, n'évoquant que l'éventualité de l'arrêt de la fabrication, n'indique aucune durée de préavis ; que la lettre du 8 mars 2004 ne fait pas davantage état d'un préavis ; que celle du 16 avril 2004 mentionne un préavis d'un mois venu à expiration et précise que la société MGI procédera à l'enlèvement des outils le 29 avril suivant ;

Attendu que chacune des deux ruptures aurait dû faire l'objet d'un préavis distinct d'une durée de six mois ;

Qu'il est donc manifeste que la société MGI, qui n'a pas respecté les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, a engagé sa responsabilité et qu'elle doit réparer le préjudice ainsi causé à la société ACME ;

Attendu que la circonstance que la société MGI ait décidé le 30 avril 2004, postérieurement à la délivrance de l'assignation, d'adresser à la société ACME un planning de livraison allant jusqu'au mois de juillet est sans incidence sur l'appréciation du caractère brutal ou non de la rupture et de la faute qu'elle a commise ; que cet élément n'est pas de nature à l'exonérer de la responsabilité encourue et qu'il peut seulement être pris en considération pour apprécier le préjudice subi ;

Que la circonstance qu'au mois de janvier 2004, la société MGI ait proposé à la société ACME de fabriquer des références de substitution est également sans incidence sur l'appréciation du caractère brutal de la relation commerciale établie pour la fabrication des pièces X 84 alors qu'il n'est pas établi que cette proposition aurait entièrement compensé la perte de ce marché ;

Sur le préjudice

Attendu que la société ACME ne pouvait, ni ne devait, escompter la perpétuation de sa relation commerciale avec la société MGI et aurait dû concevoir des solutions de remplacement ; qu'à cet égard, ayant été avertie depuis 2002 par la société MGI de la nécessité de trouver d'autres clients, de la trop grande importance du chiffre d'affaires que son entreprise réalisait avec elle, de l'arrêt éventuel de la fabrication des boîtiers, le dirigeant de la société ACME, qui a déclaré par lettre du 9 janvier 2004 que les risques étaient pour lui et ne concernaient que lui, a démontré qu'il était parfaitement conscient des risques encourus du fait de la dépendance économique alléguée ;

Qu'en outre, le chiffre d'affaires de l'exercice 2004 démontre que la société ACME a trouvé un intérêt à cette dépendance accrue ;

Que l'appelante, qui ne démontre aucune impossibilité de trouver d'autres débouchés, a accepté d'accroître sa situation de dépendance sans chercher à diversifier ses activités ; qu'elle a accepté un risque qui sera pris en considération pour l'évaluation de son préjudice ;

Attendu, en outre, qu'il résulte des pièces produites que la société ACME a refusé 6 propositions de marchés compensatoires que la société MGI a émises courant janvier 2004 ;

Qu'en effet, alors qu'aucun élément du dossier n'établit la réalité des allégations de l'appelante selon lesquelles la proposition de fabrication des six nouvelles références n'aurait constitué qu'un artifice, les pièces produites démontrent la volonté délibérée de la société ACME de faire obstacle à toute mesure de substitution à la fabrication des pièces X 84 ;

Qu'après avoir refusé deux des six références qu'elle a déclaré ne pas être en mesure de fabriquer, la société ACME a délibérément proposé pour les quatre autres références des prix exorbitants, supérieurs de 50 % à 200 % au prix normal, en ne pouvant ignorer que ces offres extravagantes seraient refusées par la société MGI ;

Qu'il sera donc également tenu compte de l'intransigeance de la société ACME et de son refus de toute proposition ;

Attendu, enfin, que le 30 avril 2004, la société MGI a adressé à la société ACME un planning de livraison couvrant une période de trois mois ; qu'il est établi que non seulement la société ACME a fabriqué des pièces jusqu'au 7 mai 2004, mais qu'avant de les interrompre, elle a effectué des livraisons prévues au planning, les 30 avril, 4 et 7 mai 2004, acceptant ainsi une offre dont l'exécution complète aurait été de nature à modérer le préjudice subi ; qu'il sera aussi tenu compte de cet élément ;

Attendu que seul le préjudice réel résultant du caractère brutal de la rupture de la relation commerciale doit être indemnisé et non celui entraîné par la rupture elle-même dès lors que les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce ne font pas obstacle à la rupture d'une relation commerciale ; que le préjudice subi par la société ACME résulte de la perte des bénéfices qu'elle pouvait escompter tirer du maintien de ses relations avec la société MGI pendant la durée du préavis ;

Que ce préjudice résulte non de la perte du chiffre d'affaires mais de celle des bénéfices que la société ACME pouvait escompter pendant ce préavis ;

Attendu que la société ACME ne produit ni ses bilans, ni même ses résultats d'exploitation ;

Attendu que la société ACME produit des attestations de son expert comptable dont l'une, datée du 20 avril 2004, est constituée d'un tableau récapitulant son chiffre d'affaires global et celui réalisé avec la société MGI de 1994 jusqu'au 31 mars 2004 ;

Que, pour l'exercice arrêté au 31 mars 2003, le chiffre d'affaires global s'est élevé à 688 527 euro, tandis que celui réalisé avec la société MGI s'est élevé à 527 936 euro ; qu'au 31 mars 2004, le chiffre d'affaires global s'est élevé à 1 294 689 euro, tandis que celui réalisé avec la société MGI s'est élevé à 1 186 862 euro que, toutefois, l'expert comptable précise que les chiffres indiqués pour l'exercice 2004 n'ont pas été "audités" ;

Que la société ACME produit aussi un document récent, intitulé "évolution du chiffre d'affaires", sur lequel le cabinet d'expertise comptable a apposé son cachet, comportant l'indication d'un chiffre d'affaires de 1 351 Keuro pour l'exercice arrêté au 31 mars 2004 et de 578 Keuro pour un exercice de onze mois arrêté au 28 février 2005 ; que l'on ignore s'il s'agit des chiffres d'affaires globaux ou des chiffres d'affaires réalisés avec la société MGI ;

Attendu, toutefois, que, selon le compte-rendu de la réunion du 4 février 2004 établi par la société MGI le 16 février 2004, l'examen des comptes de la société ACME révélait alors un chiffre d'affaires d'environ 1 100 Keuro, chiffre voisin de celui indiqué par l'expert comptable dans les attestations des 20 et 23 avril 2004 ;

Attendu que, dans l'attestation du 23 avril 2004, l'expert comptable précise des éléments économiques à partir du chiffre d'affaires réalisé au 31 mars 2004 ; qu'il indique qu'au cours de l'exercice, environ 92 % du chiffre d'affaires était constitué par les commandes de la société MGI, que le marché de la réalisation des boîtiers et couvercles X 84 représentait 70 % du chiffre d'affaires global réalisé avec la société MGI et que la suppression de ce marché a entraîné une perte de marge brute d'environ 587 000 euro ; qu'il précise que cette marge brute, qui comprend les bénéfices, couvre aussi les frais de personnel et les frais généraux ;

Attendu que la société ACME peut prétendre être indemnisée sur la base de cette marge brute qu'elle aurait réalisée et qui lui aurait permis de couvrir ses frais généraux et de payer son personnel pendant la durée des préavis ;

Attendu qu'aucune pièce objective n'établit le coût de la réorganisation de l'atelier (obtention de la norme ISO 9001), l'achat de nouveaux outils et le licenciement d'une partie du personnel consécutif à la brusque rupture ; que l'attestation établie le 23 avril 2004 par l'expert comptable est fondée sur des prévisions qu'aucun document objectif récent ne corrobore ; que le document intitulé "état des effectifs", qui ne comporte aucun cachet du cabinet d'expertise comptable, apparaît comme émanant de la société ACME et n'est pas de nature à établir la réalité du licenciement allégué ;

Attendu que la société ACME ne prouve pas que la rupture a porté atteinte à son image et a provoqué la défiance d'autres industriels à son égard ;

Attendu qu'en considération de l'ensemble des éléments d'appréciation ci-dessus exposés, le préjudice subi par la société ACME consécutif à la rupture partielle intervenue au mois de septembre 2003 et à la rupture totale intervenue au mois d'avril 2004, sans observation de préavis d'une durée suffisante, sera fixé à la somme globale de 200 000 euro ;

Que cette indemnité portera intérêts à compter de la signification de l'arrêt ;

Sur la demande reconventionnelle

Attendu qu'il sera rappelé que la Cour d'appel de Lyon est saisie des appels interjetés par la société ACME à l'encontre d'une part de l'ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce du 17 mai 2005 ayant notamment ordonné à la société ACME de livrer les pièces fabriquées et de restituer le moule à la société MGI et, d'autre part, du jugement rendu le 21 mai 2004 par lequel le juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse a annulé la saisie-conservatoire autorisée par le Président du Tribunal de commerce d'Elbeuf le 17 mai 2004 ; qu'il n'appartient donc pas à la cour d'apprécier la régularité ou le bien-fondé de ces procédures ;

Attendu, ceci étant précisé, qu'il résulte des pièces produites que, le 30 avril 2004, après la délivrance de l'assignation, la société MGI a fait parvenir à la société ACME un planning de livraison couvrant une période de trois mois ;

Attendu que la société ACME a accepté de reprendre la fabrication des boîtiers litigieux ainsi, que le démontre le constat d'huissier établissant qu'elle a fabriqué des pièces le 7 mai 2004 ; que les bons de livraisons établissent qu'elle a fait effectuer plusieurs livraisons conformément à ce planning en livrant des boîtiers à la société MGI les 30 avril, 4 et 7 mai ;

Attendu qu'ensuite, avant même l'obtention de l'ordonnance autorisant la saisie-conservatoire, et alors que le planning prévoyait une livraison de 22 000 pièces le 11 mai et de 24 000 pièces le 14 mai, la société ACME a brutalement arrêté ses livraisons, sans même en informer la société MGI, interdisant en outre à la société Galvamétal d'effectuer les livraisons de pièces galvanisées et finies ;

Attendu qu'un professionnel ne peut qu'avoir conscience du coût engendré par l'arrêt d'une chaîne de fabrication ; que sachant que la société MGI dépendait d'elle pour son approvisionnement en boîtiers destinés aux trois usines de la société Renault fabriquant le véhicule "Mégane" et que les constructeurs automobiles travaillent à flux tendu, la société ACME a eu parfaitement conscience de ce que l'arrêt des livraisons à la société MGI était de nature à entraîner la rupture des chaînes de fabrication au sein des usines du constructeur ;

Que c'est en parfaite conscience du dommage susceptible d'en résulter et dans l'intention de nuire à la société MGI, que la société ACME a interrompu ses livraisons et interdit à la société Galvamétal de livrer les pièces fabriquées à la société MGI ;

Que ce comportement dolosif d'une particulière gravité a causé un préjudice à la société MGI qui sera compensé par l'octroi d'une indemnité de 15 000 euro ;

Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris, sauf en celle de ses dispositions ayant décidé que le Tribunal de commerce d'Elbeuf était compétent pour connaître du litige ; Et statuant à nouveau pour le surplus, Dit que la société MGI Coutier a commis une faute en rompant brutalement sa relation commerciale établie avec la société ACME ; Condamne la société MGI Coutier à payer à la société ACME la somme de 200 000 euro à titre de dommages-intérêts ; Dit que la société ACME a commis une faute en refusant de livrer les pièces fabriquées après le 7 mai 2004 ; Condamne la société ACME à payer à la société MGI Coutier la somme de 15 000 euro ; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette les demandes ; Dit que les dépens de première instance et d'appel seront partagés par moitié entre chacune des parties, avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.