CA Amiens, ch. économique, 24 mars 2005, n° 04-03328
AMIENS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Mexel (SA)
Défendeur :
Vanlaer Traitement des Eaux (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnet
Conseillers :
M. Bougon, Mme Rohart-Messager
Avoués :
SCP Millon-Plateau, SCP Le Roy
Avocats :
Me Debruyne, Deramaut
La cour statue sur l'appel interjeté par la société Mexel d'un jugement du Tribunal de commerce de Senlis du 16 juillet 2004 qui l'a condamnée à :
- payer à la société Vanlaer Traitement des Eaux (société Vanlaer) la somme de 67 000 euro avec intérêts au taux légal à compter de la signification,
- payer à la société Vanlaer la somme de 14 991,35 euro au titre des produits des listes A, B, C et D,
- reprendre les stocks de produits des listes A, B, C et D,
- payer à la société Vanlaer une somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
et qui a rejeté ses demandes reconventionnelles, a ordonné l'exécution provisoire et l'a condamnée aux dépens.
Vu les conclusions de l'appelante du 15 novembre 2004 par lesquelles elle prie la cour de :
- dire et juger que la rupture après la notification d'un préavis du contrat de sous-traitance conclu avec la société Vanlaer est justifiée par l'inexécution des obligations d'autocontrôle prévues par la loi et par les livraisons défectueuses en application des dispositions du 5e alinéa de l'article L. 442-6 du Code de commerce,
- rejeter toutes les demandes de la société Vanlaer sur une obligation d'approvisionnement exclusif inexistante et infondée,
- constater que sa baisse de chiffre d'affaires, de marges et la perte de sa clientèle sont l'inévitable conséquence de l'inexécution des obligations d'autocontrôle avant expédition et des livraisons défectueuses de la société Vanlaer illustrée par des réclamations de la clientèle et par un constat d'huissier dressé à la Centrale Electrique EDF du Havre,
- constater que la nature particulière de son procédé à partir d'une composition de produits chimiques destinés au traitement des circuits de refroidissement, et notamment des centrales électriques, exige des livraisons rigoureusement conformes des produits techniques respectant strictement les règles de conformité et de sécurité,
- constater que l'absence d'autocontrôle avant expédition et la non conformité des produits livrés par le sous-traitant Vanlaer à sa clientèle ont entraîné de nombreuses réclamations, une perte de confiance dans le procédé Mexel, une perte de clientèle et une perte de tonnages,
- dire et juger que les livraisons défectueuses ont mis en péril son activité,
- constater, dans ces conditions, que la rupture avec un préavis de plus de trois mois est largement justifiée par l'inexécution des obligations contractuelles de la société Vanlaer prévue par l'article L. 442-6 du Code de commerce,
- constater que la société Vanlaer n'a pas respecté ses obligations d'autocontrôle avant expédition et livraisons mais a préféré engager une procédure judiciaire pour concurrence déloyale, qui l'a contrainte à exposer des frais importants pour sa défense,
- condamner en conséquence la société Vanlaer à lui rembourser les frais d'expertise technique d'un montant de 14 695,75 euro en laissant à sa charge les frais de l'expertise comptable qu'elle a obtenue à sa demande,
- condamner la société Vanlaer à lui payer une somme de 320 000 euro correspondant à la marge perdue évaluée par le rapport d'expertise comptable du Cabinet ACEA en raison de l'inexécution de ses obligations,
- dire et juger qu'il ne lui appartenait pas de rechercher les raisons pour lesquelles les livraisons de la société Vanlaer étaient défectueuses puisque cette exigence ne figure pas dans les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce,
- dire et juger en application des dispositions de l'article L. 112-6 alinéa 2 du Code de la consommation, que les produits fabriqués par la société Vanlaer n'étaient pas des produits à marque de distributeur, contrairement à ce qui a été jugé par le Tribunal de commerce de Senlis,
- dire et juger que le rapport d'expertise judiciaire comptable du Cabinet ACEA s'est limité à calculer un préjudice purement éventuel selon différentes hypothèses et le contrat applicable,
- dire et juger qu'en fabriquant un stock tampon un mois après la notification du préavis, la société Vanlaer a agi de sa propre initiative et anticipé, rien dans les accords ne l'obligeait à disposer d'un stock tampon,
- condamner en conséquence la société Vanlaer à rembourser la somme de 14 991,35 euro à la société qui a été contrainte d'exécuter le jugement du Tribunal de commerce de Senlis,
- condamner la société Vanlaer à lui payer une somme de 10 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- condamner la société Vanlaer aux entiers dépens et aux frais des expertises judiciaires comptable et technique dont distraction au profit de la SCP Millon Plateau, en application des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Vu les conclusions de la société Vanlaer du 19 janvier 2005 par lesquelles elle prie la cour de :
- confirmer le jugement,
- y ajoutant, condamner la société Mexel à lui payer la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- le condamner aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise de M. Chounavelle, avec pour les dépens d'appel droit de recouvrement direct au profit de la SCP Le Roy, avoué.
Sur ce, La Cour
Attendu que M. Antoine Vanlaer, salarié de la société Vanlaer, créait en 1990 la société Mexel qui avait pour objet l'étude et le commerce de produits chimiques pour le conditionnement et eaux de refroidissement de circuits industriels et notamment ceux faisant l'objet d'une concession passée avec la société Vanlaer ;
Que dès 1990 des relations commerciales s'établissaient entre la société Mexel dirigée par M. Antoine Vanlaer et la société Vanlaer, dirigée par sa soeur Anita Vanlaer ;
Que le 16 novembre 1994 une convention était signée entre les parties pour une durée d'un an, renouvelable par tacite reconduction et interdisant toute concurrence par les parties ;
Qu'un accord de sous-traitance était signé entre les parties le 31 décembre 1997 qui annulait tous précédents accords de sous-traitance de fabrication des produits Mexel par la société Vanlaer ;
Que la société Mexel effectuait des recherches et déposait plusieurs brevets d'invention pour les produits Mexel qu'elle faisait réaliser par la société Vanlaer conformément à cet accord de sous-traitance de 1997 ;
Que courant 2000 et 2001 de nombreux clients de la société Mexel se plaignaient du défaut de conformité du produit et que certains indiquaient qu'à l'avenir, ils cesseraient toutes commandes ;
Que c'est ainsi que le 19 mars 2001 la société Mexel écrivait à la société Vanlaer que les produits livrés n'étaient pas conformes dans des proportions importantes et l'informait de la rupture des relations commerciales à compter du 22 juin 2001 pour inexécution contractuelle des obligations ;
Qu'elle décidait alors de créer une usine à Verberie pour y créer de nouveaux produits ;
Que par acte du 22 mars 2001, la société Vanlaer assignait la société Mexel en paiement d'une provision au motif que depuis début janvier 2001 la société Mexel avait cessé de s'approvisionner chez elle, en demandant sa condamnation, sous astreinte, à cesser toute activité concurrentielle, et en désignation d'expert afin de déterminer le préjudice résultant de la création d'un nouveau site de production par la société Mexel à Verberie ;
Que M. Chounavelle de la société ACEA, désigné expert afin de calculer le préjudice éventuel de la société Vanlaer du fait de la cessation des approvisionnements par la société Mexel et de la création d'un nouveau site créant des produits dont la société Vanlaer indiquait qu'ils étaient concurrents, déposait son rapport le 23 janvier 2003 ;
Que parallèlement la société Mexel assignait en référé la société Vanlaer aux fins de nomination d'expert et que par ordonnance du 9 avril 2002 M. Hidden était désigné en qualité d'expert avec pour mission de prendre connaissance du dépôt de la demande de brevet de la société Mexel, d'indiquer si le nouveau process de la société Mexel était réellement innovant, justifiant la création d'un nouveau site de production ;
Que M. Vanlaer déposait son rapport le 10 juin 2003 dans lequel il concluait que les process sont différents et que le procédé de publication retenu par la société Mexel permet de réaliser des lots de produits en quantité nettement supérieure au procédé de la société Vanlaer ;
Que par acte du 30 septembre 2003 la société Vanlaer assignait la société Mexel devant le Tribunal de commerce de Senlis en paiement de :
- la somme de 60 791,61 euro avec intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2001 correspondant au préjudice subi du fait de la rupture des relations commerciales,
- la somme complémentaire de 14 991,35 euro correspondant à la valeur des produits fabriqués par la société Vanlaer pour la société Mexel ainsi que des emballages spécifiques pour la production Mexel qu'elle demandait également l'enlèvement par la société Mexel de l'ensemble des produits et emballages visés aux listes A B C D ou à défaut la condamnation de la société Mexel au paiement de la somme de 7 833,98 euro correspondant à la destruction de ces produits ;
Que c'est dans ces circonstances qu'était rendu le jugement déféré.
Sur le contrat applicable
Attendu que s'il existe des relations commerciales établies entre les parties depuis 1990, date de la création de la société Mexel, leur contenu a varié dans le temps et que le dernier accord de sous-traitance du 3 décembre 1997 stipulait expressément qu'il annulait tous les accords précédents ;
Que si la convention précédente du 16 novembre 1994, conclue pour une durée d'un an avec tacite reconduction, prévoyait un délai de prévenance de trois mois pour mettre fin à cette tacite reconduction, aucune durée de préavis n'était prévue dans l'accord du 5 décembre 1997.
Sur la rupture des relations commerciales établies
Attendu qu'il résulte de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce qu'est illicite le fait de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis, en référence aux usages du commerce; qu'il est toutefois ajouté que cette disposition ne fait pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ;
Qu'en l'espèce alors qu'existaient des relations commerciales entre les parties depuis 1990, le 19 mars 2001 la société Mexel décidait de résilier le contrat moyennant un préavis de trois mois (expirant au 22 juin 2001) pour inexécution par la société Vanlaer de ses obligations ;
Que la société MFXEL indique que depuis l'année 2000 les livraisons effectuées par la société Vanlaer sont non conformes comme étant défectueuses, ce que cette dernière conteste ajoutant au surplus qu'en réalité la société Mexel avait brutalement arrêté de s'approvisionner chez elle dès janvier 2001 ;
Attendu que s'il est regrettable que la société Mexel ne fournisse aucune expertise technique des produits Vanlaer, elle verse néanmoins aux débats de nombreux courriers de ses clients indiquant qu'à partir de 2000 les produits Mexel se sont avérés être défectueux ;
Qu'ainsi, la Marine Nationale, au 3e trimestre 2000, se plaignait de nombreuses avaries dues à une pollution organique de traitement des eaux et précisait que les produits Mexel se sont révélés être inefficaces ce qui aurait eu de lourdes conséquences pour les moteurs ;
Que la société CMD distributeur de produits Mexel et sise au Havre, indiquait à la société Mexel que la qualité de sa production s'était dégradée dans le courant de l'année 2000, de sorte que les clients s'en étaient plaints et que certains avaient définitivement cessé de commander le produit Mexel 423-0 ;
Que le débiteur polonais écrivait le 10 décembre 2000 que son principal client refusait de lui commander à nouveau des produits Mexel ;
Que le distributeur de Hong Kong expliquait que, du fait de la mauvaise qualité des produits il avait perdu une importante raffinerie en Chine ;
Que le distributeur belge écrivait le 17 décembre 2003 pour indiquer que du fait de la mauvaise qualité des produits, avant l'ouverture de l'usine de Verberie il avait perdu des clients et estimait ainsi avoir perdu 7 à 8 années de développement à son entreprise ;
Que la société Mexel soutient avoir connu une perte de chiffre d'affaires en 2001 du fait de la défectuosité des produits ; que M. Chounavelle expert a effectivement constaté une chute importante du chiffre d'affaires de la société Mexel en 2001, ce qui a abouti à une perte d' 1 000 000 F ;
Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'en livrant des produits défectueux la société Vanlaer n'a pas correctement exécuté ses obligations contractuelles et qu'en application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la société Mexel était fondée à résilier le contrat sans préavis ; qu'il convient par ailleurs de constater que l'attitude de la société Mexel n'a pas été fautive puisque malgré les défectuosités et les conséquences qu'elle en subissait le contrat ne fut résilié qu'après un préavis de trois mois ; que M. Chounavelle expert a pu constater que la société Mexel avait continué à passer des commandes à la société Vanlaer, même si leur volume avait baissé de façon importante;
Qu'il s'ensuit que compte tenu de la défectuosité des produits livrés par la société Vanlaer était en droit de résilier les relations commerciales établies, de la façon dont elle y a procédé;
Que le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la société Mexel à payer à la société Vanlaer la somme de 67 000 euro pour brusque rupture des relations commerciales et la société Vanlaer déboutée de sa demande.
Sur la reprise des stocks
Attendu que les premiers juges ont condamné la société Mexel au paiement de 14 991,35 euro au titre des produits ne pouvant être utilisés que pour la fabrication Mexel; que toutefois, ainsi que l'a indiqué M. Chounavelle dans son rapport, la société Vanlaer n'avait pas l'obligation de constituer un stock important de matières premières susceptibles d'être commandées par la société Mexel ; que celui-ci ajoute qu'en participant ainsi, la société Vanlaer a agi de sa propre initiative et sous sa responsabilité ; qu'au surplus la société Vanlaer étant responsable de la rupture du fait des défectuosités des produits livrés, la société Mexel ne peut avoir à supporter les conséquences de celle-ci ;
Que dès lors le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Mexel au paiement de la somme de 14 991,35 euro ;
Qu'il sera par ailleurs donné acte à la société Mexel qu'elle a repris les produits et emballages des listes A B C et D qu'elle avait été condamnée à reprendre sous astreinte.
Sur les frais d'expertise technique confiée à M. Hidden
Attendu que pour contester les faits de concurrence déloyale avancés par la société Vanlaer la société Mexel a sollicité la nomination d'un expert dont la mission était de comparer les produits fabriqués par la société Mexel et les produits fabriqués par la société Mexel dans son usine de Verberie ;
Que M. Hidden expert a constaté que les procédés de fabrication étaient différents et ne pouvaient être réalisés en même quantité sur le site de la société Vanlaer à Haubourdin ;
Qu'en instance d'appel la société Vanlaer ne forme d'ailleurs aucune demande sur le fondement d'une concurrence déloyale ;
Que cette expertise technique est apparue nécessaire lors de l'expertise comptable confiée à M. Chounavelle et a donc un lien direct avec le présent litige ; que le jugement sera donc infirmé en ce qui concerne la charge des frais de cette expertise et que ceux-ci seront inclus dans les dépens.
Sur la demande de la société Mexel en paiement de la somme de 320 000 euro pour perte de marge
Attendu que la société Mexel soutient avoir subi une perte de marge de 320 000 euro on 2001 du fait de la mauvaise qualité des produits livrés par la société Vanlaer;
Mais attendu que si la défectuosité des livraisons a eu une incidence sur le chiffre d'affaires réalisé par la société Mexel, il convient toutefois de relever qu'en page 11 de son rapport M. Chounavelle précise que si la société Vanlaer était le fournisseur principal voire quasi exclusif de la société Mexel en 1998 et 1999, en 2000 les achats de la société Mexel sont plus diversifiés et représentaient 78,56 % de ses ventes et pour parvenir en 2001 à 64,10 % de ses ventes ;
Que d'autres facteurs peuvent avoir contribué également à sa perte de marge ainsi que l'indique la société Vanlaer ;
Que la société Mexel ne fournit aucun élément probant permettant de chiffrer le préjudice subi et qui serait imputable à la société Vanlaer ; qu'elle en sera donc déboutée et le jugement confirmé sur ce point.
Sur les dépens et l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Attendu compte tenu des succombances respectives des parties, que chacune gardera à sa charge ses propres dépens et que les frais d'expertise confiés à M. Chounavelle et à M.. Hidden seront supportés par moitié par chacune des parties ;
Que l'équité commande, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile de rejeter les demandes d'indemnité pour frais hors dépens.
Par ces motifs, LA COUR Statuant publiquement et contradictoirement ; Reçoit les appels principal et incident jugés réguliers en la forme ; Au fond, confirme le jugement en ce qu'il a débouté la société Mexel de sa demande de dommages-intérêts ; L'infirme pour le surplus ; Statuant à nouveau ; Déboute la société Vanlaer de ses demandes ; Donne acte à la société Mexel de sa reprise des produits et emballages des listes A B C et D ; Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens avec pour ceux d'appel droit de recouvrement direct au profit des avoués ; Dit que les frais des expertises de M. Chounavelle et de M. Hidden seront supportés par moitié par chacune des parties ; Rejette les demandes d'indemnités pour frais hors dépens.