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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 4 avril 2005, n° 03-02437

REIMS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Saint-Loup Confection (SARL)

Défendeur :

Synertex (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ruffier

Conseillers :

M. Perrot, Mme Breton

Avoués :

SCP Delvincourt-Jacquemet, SCP Genet-Braibant

Avocats :

SCP Lorette, Associés, Me Ravet

T. com. Chalons-en-Champagne, du 18 sept…

18 septembre 2003

Vu le jugement rendu le 18 septembre 2003 par le Tribunal de commerce de Chalons-en-Champagne, ayant :

- débouté en partie la société Saint-Loup Confection de ses demandes ;

- condamné la société Synertex à lui verser la somme de 399,11 euro HT, avec intérêts de 1,4 % par mois de retard à compter du 15 novembre 2001, pour solde de facture, ainsi que la somme de 5 000 euro pour rupture abusive de contrat ;

- condamné la société Saint Loup Confection à verser à la société Synertex la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour défaillance à son contrat et celle de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- condamné la société Saint Loup Confection aux entiers dépens ;

- débouté ces deux sociétés de toute autre revendication ;

- dit que du tout il sera dressé compensation ;

- prononcé l'exécution provisoire ;

Vu l'appel régulièrement interjeté contre cette décision le 21 octobre 2003 par la SARL Saint Loup Confection ;

Vu la constitution d'avoué de la SA Synertex en date du 26 novembre 2003 ;

Vu les conclusions déposées par l'appelante le 19 février 2004, puis par l'intimée, le 12 mai 2004 ;

Vu les conclusions de reprise et en réponse régularisées par la SARL Saint-Loup Confection le 22 juin 2004, puis celles, responsives et récapitulatives n° 2, de la SA Synertex, du 16 septembre 2004 ;

Vu les conclusions de reprise et en réponse n° 2 de l'appelante, du 4 octobre 2004, puis celles, responsives et récapitulatives n° 3 de l'intimée, du 5 octobre 2004 ;

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 6 octobre 2004, fixant l'affaire pour plaidoirie à l'audience du même jour ;

Attendu que la SA Synertex (la SA), exerçant l'activité de façonnier pour des marques de vêtements haut de gamme, et étant à ce titre en charge de la fabrication complète du vêtement, sans toutefois pouvoir assumer seule l'exécution de l'ensemble des tâches lui incombant, à savoir la fabrication du tissu, la découpe des pièces, leur assemblage, puis l'emballage du vêtement en vue de sa revente en magasin, et recourant donc notamment, depuis déjà plusieurs années, aux services, en sous-traitance, de la SARL Saint-Loup Confection (la SARL), établissait avec celle-ci un contrat sous seing privé non daté mais censément conclu en date du 4 mai 2000 et prenant en tout cas effet au 1er mai 2000 aux termes duquel elle lui assurait 10 000 heures par an de travail à façon, que celle-ci s'obligeait à réaliser en priorité, tout en s'engageant à prévenir la SARL deux semaines à l'avance de ses intentions concernant le démarrage ou l'arrêt du programme de travail à façon, à tenir un compte des heures de travail ainsi confiées à la SARL, et à procéder, en cas de déficit d'heures de travail, au lancement de série de déstockage pour atteindre le quota de 10 000 heures, tandis que la SARL s'engageait pour sa part à faire son possible pour honorer les commandes en cours, ladite convention étant enfin conclue pour une durée d'un an, renouvelable par tacite reconduction, sauf dénonciation avec préavis de trois mois avant l'échéance, soit le 30 avril de chaque année ;

Attendu qu'après renouvellement du contrat, et au cours de la deuxième année de son exécution, la SARL mettait la SA en demeure par lettre recommandée avec avis de réception du 5 octobre 2001, de lui régler ses factures en date des 31 juillet et 30 septembre 2001, respectivement émises pour 155 969,16 F TTC (23 777,35 euro) et 150 405,37 F TTC (22 929,15 euro) ;

Attendu que la SA lui opposait alors, suivant courrier en la même forme du 9 octobre 2001, un refus de paiement, motivé par son insatisfaction ensuite des mauvaises conditions d'exécution de ses prestations, en lui imputant en effet d'avoir failli, pour la saison 2001-2002, à son obligation principale de traiter en priorité ses besoins en sous-traitance, ce qui l'avait elle-même placée dans la situation de ne pouvoir honorer ses commandes, en la contraignant à recourir à d'autres sociétés pour obtenir, moyennant un surcoût, la réalisation des travaux requis, et avait néanmoins conduit ses donneurs d'ordre, dont notamment Christian Dior, à prendre "à condition" les pièces livrées pour la saison automne 2001, et à annuler les pièces non livrées pour la saison hiver 2001, de même que Hervé Léger et Balenciaga, ayant pareillement procédé ;

Attendu, la SA ayant par ailleurs dénoncé le contrat liant les parties, suivant courrier distinct du 9 octobre 2001, et chiffré dès le lendemain son préjudice à 91 797 F, soit 13 994,36 euro, que le conseil de la SARL la mettait en demeure, par recommandé du 23 octobre 2001, d'acquitter ses factures, tout en lui rappelant que la résiliation du contrat ne pouvait intervenir que pour sa date anniversaire et moyennant un préavis de trois mois, et qu'il lui incombait donc, d'ici le 30 avril 2002, de lui fournir le nombre d'heures convenu ;

Attendu que la SA réglait alors la facture du 31 juillet 2001, mais laissait en revanche impayée celle du 30 septembre 2001, avant d'informer la SARL, par télécopie du 19 novembre 2001, du chiffrage définitif de son préjudice à hauteur de 2 618 F HT, somme dès lors retenue sur cette dernière facture, finalement acquittée pour le surplus ;

Attendu que le conseil de la SARL adressait à la SA une nouvelle mise en demeure, le 23 novembre 2001, en contestant le blocage du règlement de la facture du 30 septembre 2001 au motif de cet hypothétique préjudice de quelque 2 618 F, soit 399,11 euro HT, en faisant valoir que la SARL ne pouvait être tenue pour responsable des manquements de la SA envers ses propres clients, et en lui signifiant de nouveau que la résiliation du contrat ne prendrait effet que le 30 avril 2002 ;

Attendu que, par exploit du 30 avril 2002, la SARL faisait alors attraire la SA devant le Tribunal de commerce de Chalons-en-Champagne, aux fins de voir essentiellement constater son manquement à ses obligations contractuelles, pour ne lui avoir fourni que 8 000 heures de travail à façon en 2000-2001, et 3 550 heures en 2001-2002, l'entendre par suite condamner à lui payer, outre la somme de 399,11 euro HT pour solde de sa facture du 30 septembre 2001, avec intérêts au taux conventionnel de 1,4 % par mois à compter du 15 novembre 2001, date de son échéance, celles de 156 260,24 euro à titre de dommages-intérêts, à raison de l'inexécution de son obligation de fourniture de travail, et de 135 000 euro HT à titre de dommages-intérêts, en réparation de son préjudice autrement né de la rupture abusive et brutale du contrat, avec exécution provisoire et sans préjudice de l'allocation d'une indemnité de 2 000 euro du chef de ses frais irrépétibles ;

Attendu que la SA répliquait avoir rompu le contrat en raison des manquements de sa partenaire à ses propres obligations, faute pour elle d'avoir réservé aux travaux confiés le traitement prioritaire convenu, en prétendant à l'indemnisation de son propre préjudice commercial à hauteur de 150 000 euro, et à l'indemnisation de ses frais irrépétibles pour 3 000 euro ;

Attendu que, dans les termes susvisés de la décision déférée, les premiers juges devaient essentiellement débouter en partie la SARL de ses demandes, condamner la SA à lui verser la somme de 399,11 euro, outre intérêts de 1,4 % par mois depuis le 15 novembre 2001, pour solde de facture, ainsi que 5 000 euro pour rupture abusive du contrat, condamner la SARL à payer à la SA 10 000 euro à titre de dommages-intérêts pour défaillance dans l'exécution du contrat, et 1 500 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, débouter les parties de toute autre revendication, dire que du tout il sera dressé compensation, et prononcer l'exécution provisoire ;

Attendu qu'il est tout d'abord incontestable que le jugement entrepris mérite confirmation du chef de la condamnation de la SA à payer à la SARL la somme de 399,11 HT, pour solde de sa facture du 30 septembre 2001, avec intérêts au taux conventionnel de 1,4 % par mois depuis le 15 novembre 2001, date de son échéance, et jusqu'à parfait règlement, ladite condamnation étant toutefois à présent expressément prononcée en deniers ou quittances valables, pour tenir compte de tout éventuel règlement de ses causes intervenu depuis lors ;

Attendu en revanche que, s'il est établi, car au demeurant incontesté par la SA, que celle-ci n'a pas fourni à la SARL le nombre d'heures de travail à façon convenu à hauteur de 10 000 heures par an, il n'en demeure pas moins toutefois que, faute pour la SARL de démontrer en quoi cette inexécution par sa cocontractante de ses obligations eût été fautive et lui eût surtout été dommageable, alors qu'il est amplement établi par les productions qu'elle ne pouvait déjà satisfaire à la charge de travail, pourtant moindre, lui ayant été confiée, celle-ci ne saurait prétendre à l'indemnisation du préjudice qu'elle en aurait prétendument subi mais qui est en réalité inexistant et dont elle ne peut donc utilement se prévaloir ;

Attendu qu'il sera au surplus observé que la SARL ne justifie ni même n'allègue en rien s'être jamais plainte auprès de sa partenaire du déficit d'heures lui ayant été fournies par celle-ci, et ce dès la première année d'exécution du contrat, - à raison de 8 000 heures au lieu des 10 000 prévues -, non plus, avant l'introduction de l'instance, qu'au cours de sa seconde année, - où 5 500 heures étaient fournies au lieu de 10 000 -, ce dont elle n'aurait pourtant pas autrement manqué de s'émouvoir si elle avait été à même de satisfaire à une charge de travail accrue, sur le nombre d'heures contractuellement convenu, tant cette situation eût alors tôt fait de lui être préjudiciable, si, du moins, elle avait pris toutes dispositions utiles pour pourvoir à une telle demande, ce qui n'était manifestement pas le cas ;

Attendu qu'il est en effet constant, au vu notamment des documents versés aux débats par la SA, relatifs aux flux des entrées et sorties des pièces confiées à la SARL, que les stocks n'en faisaient globalement que s'accroître, représentant en moyenne de l'ordre de 400 pièces, et jusqu'à atteindre 897 modèles, au point d'entraîner des retards de livraison, dont l'intimée devait elle-même pâtir dans ses rapports avec ses donneurs d'ordre, tels Christian Dior, Hervé Léger et Balenciaga, n'ayant accepté ses propres livraisons qu'à " condition ", soit sous réserve de leur acceptation et de la revente des articles par leurs propres clients, ou les ayant même autrement refusées ;

Attendu que ces retards de livraison de la SARL sont ainsi notamment attestés par Madame Farida Simon, directrice de production chez Synertex, selon laquelle environ la moitié des heures contractuellement prévues étaient assurées par la SARL, en juin, juillet et septembre 2001, ce qui avait valu à la SA d'encourir des annulations de pièces de la part des clients précités ;

Attendu qu'il résulte encore des productions de la SA, que les pièces dont les livraisons ont été annulées au titre de la saison automne-hiver 2001-2002 ont représenté 330 340 F - sinon toutefois 330 400 F -, (Christian Dior), 71 733,49 F (Hervé Léger), et 285 123,45 F (Balenciaga) ;

Et attendu qu'il est par ailleurs démontré qu'en raison de la carence de la SARL, la SA a été contrainte, pour tenter de satisfaire à ses obligations contractuelles, de faire réaliser le travail à façon par de tierces entreprises, telles Tore spa et Griffitt spa en Italie, respectivement suivant factures des 19 septembre 2001 (3 914,28 euro) et 1er août 2001 (20 898 F, soit 3 185,88 euro) ;

Attendu qu'il est ainsi constant que la SARL, s'étant révélée défaillante à satisfaire à ses engagements, ne saurait prétendre à l'indemnisation de son prétendu préjudice tenant à l'insuffisance d'heures de travail à façon apportées par la SA, au regard des prévisions contractuelles, puisqu'elle ne parvenait déjà pas à pourvoir en temps utile au travail à fournir dans la limite d'un nombre d'heures inférieur, de sorte que la décision déférée doit être confirmée du chef du rejet de sa demande dirigée contre la SA et tendant à l'allocation de 156 260,24 euro de dommages-intérêts de ce chef ;

Et attendu, s'il est vrai que le contrat ne pouvait être résilié que pour sa date anniversaire, et en respectant un préavis de trois mois, qu'il n'en demeure pas moins aussi qu'étant ainsi confrontée à l'inexécution par la SARL du travail fourni et demandé dans les délais impartis et insusceptibles de souffrir aucun retard, compte tenu, dans le secteur d'activité du vêtement considéré, de la rigueur des impératifs de présentation des collections à date fixe et prédéterminée, la SA était néanmoins parfaitement en droit de procéder par voie de rupture anticipée et sans préavis de la convention, étant en effet fondée à invoquer en ses écritures le bénéfice des dispositions de l'article L. 442-6-1-5° in fine du Code de commerce, ménageant précisément au cocontractant une telle faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par son partenaire de ses obligations, ainsi que tel est bien le cas en l'espèce, en l'état de la défaillance consommée de la SARL ;

Attendu qu'il suit nécessairement de là que celle-ci ne peut davantage prétendre être indemnisée d'un quelconque préjudice inhérent à la rupture prétendument abusive et brutale du contrat, n'en constituant en réalité que la résiliation parfaitement fondée, eu égard aux motifs qui précédent, ce qui justifiera, après infirmation du jugement, qu'elle soit déboutée de sa demande tendant à voir condamner la SA à lui payer à ce titre une somme de 135 000 euro HT ;

Attendu ensuite, sur la réparation du préjudice subi par la SA en raison des manquements de la SARL à ses obligations contractuelles, que ceux-ci se sont traduits, outre par les refus de pièces lui ayant été opposés par ses donneurs d'ordre, par la nécessité de recourir à d'autres sous-traitants, tout en devant assumer elle-même un surcroît de travail ;

Attendu que son préjudice inhérent aux refus des pièces lui ayant été opposés par ses donneurs d'ordre s'établit d'abord aux sommes de 50 360,01 euro, - sinon toutefois 50 368,16 euro -, (Christian Dior), 10 935,70 euro (Hervé Léger), et 43 466,79 euro (Balenciaga), représentant globalement une perte financière de 104 762,50 euro, - au lieu de 104 771,64 euro -, à laquelle s'ajoute le surcoût précédemment évoqué, induit par le recours en urgence à d'autres sous-traitants, outre l'obligation de pourvoir par elle-même à l'exécution d'un surcroît de travail, expliquant notamment la perte enregistrée sur les articles Balenciaga, même si la SARL n'a pas travaillé pour ce couturier, ainsi, inévitablement, qu'une atteinte à son image commerciale auprès de ses clients, tout particulièrement exigeants, comme intervenant dans le secteur du luxe, où la clientèle elle-même ne l'est pas moins, de sorte que le chiffrage de son préjudice, tel qu'allégué par la SA à hauteur de 150 000 euro, est dûment justifié ;

Attendu que le jugement sera donc encore infirmé sur ce point, pour condamner la SARL à payer à la SA ladite somme de 150 000 euro, en réparation de ses entiers chefs de préjudice, avec intérêts de plein droit au taux légal à compter du présent arrêt et jusqu'à parfait règlement ;

Attendu que la décision entreprise sera en revanche confirmée du chef du règlement des frais irrépétibles et dépens de première instance, sauf à y ajouter pour condamner à présent la SARL, étant par ailleurs déboutée de toutes ses demandes, fins ou prétentions plus amples ou contraires, à payer à la SA, au visa de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, une indemnité de 3 000 euro, en déduction des nouveaux frais irrépétibles par elle légitimement exposés à hauteur d'appel et non-compris dans les dépens y afférents, dont la succombance de l'appelante lui vaudra enfin d'être enfin intégralement tenue, moyennant distraction au profit de la SCP Genet et Braibant, avoués à la cour ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, en la forme, Déclare la SARL Saint-Loup Confection, Recevable en son appel ; au fond, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SA Synertex à payer à la SARL Saint-Loup Confection la somme de 399,11 euro HT, avec intérêts au taux conventionnel de 1,4 % par mois de retard à compter du 15 novembre 2001, pour solde de facture, sauf à dire cette condamnation expressément prononcée en deniers ou quittances valables, pour tenir compte de tout éventuel règlement de ses causes intervenu depuis lors ; débouté la SARL Saint-Loup Confection de sa demande tendant à la condamnation de la SA Synertex en 156 260,24 euro à titre de dommages-intérêts à raison de l'inexécution de son obligation de fourniture de travail ; Infirmant la décision déférée dans la mesure utile, et Statuant à nouveau : Juge que la SARL Saint-Loup Confection a failli à ses obligations contractuelles envers la SA Synertex ; Dit en conséquence la SA Synertex fondée à résilier le contrat liant les parties sans préavis ; Condamne la SARL Saint-Loup Confection à payer à la SA Synertex la somme de 150 000 euro, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice par elle subi ensuite de ses manquements, avec intérêts de plein droit au taux légal à compter du présent arrêt et jusqu'à parfait règlement ; Confirme par ailleurs le jugement déféré du chef du règlement des frais irrépétibles et dépens de première instance ; Et, Y ajoutant, Condamne la SARL Saint-Loup Confection à payer à la SA Synertex, en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, une indemnité de 3 000 euro, en déduction de ses frais irrépétibles d'appel ; Condamne enfin la SARL Saint-Loup Confection aux entiers dépens d'appel, moyennant distraction au profit de la SCP Genet et Braibant, avoués à la cour.