Livv
Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 22 juin 2005, n° 04-05724

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Menault (ès qual.) ; Guérin (ès qual.)

Défendeur :

Auchan France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

M. Roche, Mme Kermina

Avoués :

SCP Verdun-Seveno, SCP Roblin-Chaix de la Varene

Avocats :

Mes De Brisis, Mathis

T. com. Paris, du 24 nov. 2003

24 novembre 2003

La SA Humuland, spécialisée dans la fabrication de matières fertilisantes et de supports de culture, a conclu avec la SA Paridoc, alors qu'elle était une centrale de référencement du groupe Docks de France regroupant, par le biais de ses actionnaires, des hypermarchés et des supermarchés répartis sous différentes enseignes :

- le 22 mai 1995, un cahier des charges ayant pour objet la fourniture par la société Humuland à la société Paridoc des produits destinés à être distribués sous la marque Jardisev, prévoyant la possibilité pour la société Paridoc de mettre fin unilatéralement à la collaboration moyennant un délai de préavis de trois mois notifié par lettre recommandée.

- le 24 mai 1995 un accord de référencement régissant les commandes de produits relevant du rayon jardinage, prévoyant la possibilité pour la société Paridoc de mettre fin à la collaboration commerciale avec le fournisseur défaillant en cas de non-conformités graves et répétées.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 14 novembre 1997, la société Paridoc a notifié à la société Humuland la rupture de leurs "relations d'affaires" à effet au 14 février 1998.

La société Paridoc été l'objet d'une fusion-absorption par la SA Auchan France (ci-après la société Auchan) à compter du 31 décembre 1999.

Par acte d'huissier de justice du 28 décembre 2000, la société Humuland a assigné la société Auchan devant le Tribunal de commerce de Paris afin de la voir condamner au paiement de 2 500 000 F (381 122,54 euro) pour brusque rupture des relations commerciales.

La société Humuland a été l'objet d'un plan de cession arrêté le 20 septembre 2002, M. Guérin étant désigné comme commissaire à l'exécution du plan et M. Menaut en qualité de liquidateur statutaire.

Par jugement du 24 novembre 2003, le tribunal de commerce saisi devant lequel sont volontairement intervenus M. Guérin et M. Menaut a débouté ceux-ci de leurs demandes.

Appelant, M. Menaut, auquel s'est joint le 2 avril 2004 M. Guérin, demandent à la cour par conclusions signifiées le 19 mai 2004 de condamner la société Auchan à leur payer 381 122,54 euro à titre de dommages et intérêts, outre 7 622, 45 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Intimée, la société Auchan conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de M. Menaut et de M. Guérin au paiement de 5 000 euro chacun.

Sur ce,

Considérant qu'il résulte de l'article L. 442-6, I, du Code de commerce invoqué par M. Menaut et M. Guérin, dans sa rédaction applicable au litige, qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou artisan :

4°) De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords interprofessionnels. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou de force majeure." ;

Considérant que la lettre de rupture du 14 novembre 1997, bien qu'assortie d'un préavis de trois mois, est fondée sur différents manquements reprochés à la société Humuland :

- contrôles de qualité effectués de 1992 à 1996 indiquant "de nombreuses non-conformités concernant le PH, la résistivité, le volume, le taux de matières sèches et le taux de matières organiques",

- inexistence d'indicateurs de suivi des paramètres et de contrôles des produits finis,

- absence de "garanties suffisantes en terme d'assurance-qualité afin de fabriquer des produits à marque Jardinal sélection qualité Auchan".

- analyses non conformes par rapport aux normes d'étiquetage de quatre produits Jardisev, effectuées le 3 novembre 1997;

Considérant qu'il convient, préalablement, quelque soit la durée de préavis retenue par la société Paridoc de déterminer si les fautes invoquées présentent un caractère grave et répété justifiant la rupture unilatérale du contrat de référencement, telle que cette convention la prévoit ;

Considérant que le grief relatif aux produits Jardinal, qui sont étrangers aux relations contractuelles entre les parties sera écarté ;

Considérant que les griefs relatifs à l'insuffisance des résultats de contrôle entre 1992 et 1996 et à l'absence d'indicateurs de suivis reprennent, en des termes identiques, les énonciations d'une lettre du 27 juin 1997 adressée par une responsable du service "qualité bazar" de la société Auchan au groupe Humuland ; que le tableau de relevés de mesures, auquel se réfère la responsable, est un document technique ne permettant pas à la cour d'apprécier en quoi et dans quelles proportions les indices des produits de jardinage ne sont pas "conformes" et dès lors en quoi les manquements constatés sont graves ; qu'en outre, la société Paridoc ne justifie pas avoir mis en demeure la société Humuland de procéder à la suite des contrôles des années antérieures, à la mise en place de procédures de suivis et n'établit pas davantage que les " actions correctives " entreprises par la société Humuland (voir lettres de la société Humuland des 14 mars et 6 septembre 1996) aient appelé des remarques de sa part ; que la preuve du caractère grave et répété de ces manquements n'est donc pas rapportée ;

Considérant enfin que le cahier des charges relatif à la fourniture des produits Jardisev prévoit en son article 3-1 que " le fournisseur assure en permanence que l'étiquetage est conforme au produit défini en annexe A et répond en tous points aux dispositions communautaires ainsi qu'aux lois et règlements nationaux et normes en vigueur " ;

Qu'il est constant que les produits contrôlés le 3 novembre 1997 n'étaient pas conformes aux normes d'étiquetage ; que M. Menaut et M. Guérin font cependant valoir que la norme applicable en 1997 datait de 1974, était obsolète et a été modifiée en 2002, le groupe Humuland se voyant néanmoins attribuer des certifications de qualité en juillet et en décembre 1997 par la chambre syndicale ; qu'en toute hypothèse, ce manquement ayant été constaté le 3 novembre 1997 et reproché à la société Humuland dès le 14 novembre suivant, celle-ci se trouvait dans l'impossibilité d'y remédier ; que la société Paridoc s'est ainsi privée de la possibilité d'invoquer à l'encontre de son partenaire un manquement répété au sens de l'engagement contractuel ;

Considérant qu'en l'absence de faute de la société Humuland, il convient de déterminer si le préavis de trois mois accordé par la société Paridoc est suffisant pour juger que la rupture des relations commerciales n'a pas été brutale ;

Que la circonstance que la durée de préavis prévue par les parties dans le cahier des charges ait été respectée n'empêche pas le juge de rechercher si la durée de ce préavis est suffisante ou raisonnable au regard de l'article L. 442-6, 1, 5° du Code de commerce;

Considérant que dans un courrier du 4 avril 1997, qui n'a pas été démenti par son destinataire, la société Auchan qui était déjà devenue le partenaire commercial de la société Humuland en raison de ses liens avec la société Paridoc, le dirigeant de la société Humuland faisait état de relations commerciales avec la société Paridoc depuis une dizaine d'années ; qu'il ressort des termes mêmes de la lettre du 14 novembre 1997 et du tableau de synthèse précité, que les contrôles de conformité des produits de la société Humuland référencés par la société Paridoc avaient lieu dès 1992 ; que la société Paridoc verse aux débats un état de son chiffre d'affaires avec la société Humuland entre 1994 et 1995 qui démontre, non seulement, que les relations commerciales entre les parties ont débuté avant la signature des contrats mais, également, qu'elles n'ont pas commencé en 1994 compte tenu de l'importance de ce chiffre d'affaire pour l'année considérée ; que ces éléments sont encore corroborés par les extraits du grand livre général de la société Humuland qui font mention de commandes dès 1992 ; qu'en conséquence, dès 1992, les relations commerciales entre la société Humuland étaient régulières et suffisamment intenses pour justifier des contrôles systématiques de conformité ; qu'elles étaient donc établies depuis cette date au sens de l'article 442-6, I, 4° du Code de commerce ;

Considérant que pour justifier de la brutalité de la rupture, M. Menaut et M. Guérin invoquent, outre l'ancienneté des relations commerciales, l'état de dépendance économique de la société Humuland, le caractère imprévisible de la rupture et le moment du préavis ;

Considérant que l'état de dépendance pris en compte pour le calcul de la durée du préavis qui se distingue des prohibitions visées aux articles L. 420-2, alinéa 2, et L. 442-6, I, 2°, b) du Code de commerce relatifs à l'exploitation abusive d'un état de dépendance économique, est apprécié à partir de la part de chiffre d'affaires que réalise le contractant avec l'auteur de la rupture ; qu'il est constant que la part de la société Paridoc dans le chiffre d'affaires de la société Humuland s'élevait à 25 ou 30 %, le caractère non significatif de ce pourcentage ressortant du fait que le chiffre d'affaires de la société Humuland, qui a renouvelé dès 1997 des contrats de référencement avec de grosses centrales d'achat, a progressé après la rupture avec la société Paridoc ;

Considérant que M. Menaut et M. Guérin soutiennent que le caractère imprévisible de la rupture résulte de la situation de confiance dans laquelle la société Humuland était entretenue par la société Paridoc pour les mois à venir, jusqu'en juin 1998, manifestée par l'envoi, le 12 juin 1997, par la société Paridoc à la société Humuland du plan d'achat jardinage automne 1997, et le 15 septembre 1997, par la société Humuland à la société Paridoc, d'une offre de promotion sur certains produits pour le printemps 1998 ;

Mais considérant que le dirigeant de la société Humuland, qui ne disposait pas d'une exclusivité auprès de la société Paridoc et qui s'interrogeait dès avril 1997 sur l'avenir de ses relations commerciales avec la société Paridoc dans la perspective du rachat du groupe Docks de France par le groupe Auchan (lettre du 4 avril 1997), ne pouvait sérieusement puiser la certitude de la pérennité de ces relations dans les échanges de courriers précités, émanant, pour l'un, du chef de produit "Jardin-animalerie" de la société Paridoc et pour l'autre, de la société Humuland elle-même ; que l'imprévisibilité alléguée n'est pas établie ;

Considérant enfin que le fait que le préavis ait été donné en hiver n'est pas en soi déterminant, M. Menaut et M. Guérin ne démontrant pas que l'entreprise ait été pour cette raison placée dans une situation " extrêmement difficile " et privée de toute possibilité d'expansion ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces constatations que nonobstant cinq années de relations commerciales, la durée du préavis a été suffisante, M. Menaut et M. Guérin ne rapportant pas la preuve du caractère brutal de la rupture ; qu'ils seront déboutés de leur demande en dommages et intérêts, le jugement étant confirmé ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile que les parties seront déboutées de leurs demandes de ce chef ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ; Déboute M. Menaut et M. Guérin ainsi que la SA Auchan France de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.