CA Amiens, ch. solennelle, 19 janvier 2004, n° 99-03685
AMIENS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Prodim (SNC), Copadis (Sté), Logidis (Sté)
Défendeur :
Decroix (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chapuis de Montaunet
Conseillers :
Mmes Delon, Corbel, MM. Levy, Florentin
Avoués :
SCP Selosse Bouvet, André, SCP Millon-Plateau-Crepin
Avocats :
Mes Bednarski, Tack
Décision
Statuant sur appel régulièrement interjeté par les sociétés Prodim, Logidis et Copadis, d'un jugement rendu le 15 juin 1995 par le Tribunal de commerce de Lille qui a :
Dit entaché de dol le contrat de franchise du 27 juin 1992 et en conséquence en a prononcé la nullité,
Condamné les époux Michel Decroix à payer à la SNC Prodim une somme de 15 650,50 F majorée d'intérêts à taux légal à compter du jugement,
Ordonné aux époux Decroix la main levée de la saisie-conservatoire du 15 juillet 1993,
Ordonné à la SNC Prodim de faire enlever dans les quinze jours du jugement le stock d'articles publicitaires encore détenus par les époux Decroix et ce, sous astreinte provisoire de 200 F par jour de retard, dont la liquidation définitive est expressément réservée à ce tribunal,
Condamné la SNC Prodim à payer aux époux Decroix une somme de 15 000 F à titre de dommages et intérêts,
Ordonné la compensation entre les sommes dues par chacune des parties à l'autre,
Débouté les parties du surplus de leurs demandes,
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
Fait masse des frais et dépens, mis par moitié à charge des deux parties. La Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a, par arrêt n° 1556 D du 19 octobre 1999, rectifié sur requête en erreur matérielle (ensuite d'un arrêt de la présente cour, désignée comme cour de renvoi, du 21 janvier 2002) par arrêt n° 473 FS-D du 11 mars 2003, cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt (confirmatif rendu le 30 janvier 1997 (lire, avec l'accord des parties lors de l'audience : le 13 février 1997) par la Cour d'appel de Douai.
Selon la Cour de cassation :
"Vu l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989, ensemble l'article 116 du Code civil (lire : l'article 1116...)
"... pour annuler le contrat de franchisage, la cour d'appel se borne à énoncer qu'aucun des documents prévus par la loi du 31 décembre 1989 et son décret d'application n'a été fourni par la société Prodim aux époux Decroix, vingt jours avant la signature du contrat,
"... en se déterminant ainsi, sans rechercher si le défaut d'information dans le délai prévu par la loi du 31 décembre 1989, avait eu pour effet de vicier le consentement des franchisés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision."
Vu les conclusions des appelantes, reçues au secrétariat-greffe le 30 janvier 2001.
Celles-ci demandent à la cour :
Vu les faits exposés et les pièces produites,
Vu les dispositions de la loi Doubin du 31 décembre 1989 et de son décret d'application du 4 avril 1991,
Vu les dispositions des articles 1116, 1134, 1152 et 1184 du Code civil,
De :
- réformer en toutes ses dispositions le jugement et en conséquence,
- débouter les époux Michel Decroix de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
- dire et juger le contrat de franchise conclu entre les parties parfaitement valable et en conséquence,
- condamner les époux Decroix conjointement et solidairement à payer :
- à la société Prodim, la somme de 40 990,51 F au titre de marchandises livrées et demeurées impayées,
- à la société Copadis la somme de 5 217,47 F au titre de marchandises livrées et demeurées impayées,
- à la société Logidis la somme de 10 416,20 F au titre de marchandises livrées et demeurées impayées.
Outre les intérêts au taux de base bancaire de la Société Générale majoré de deux points à compter du 12 août 1992 et jusqu'à parfait paiement,
- condamner les époux Decroix conjointement et solidairement à payer à la société Prodim la somme de 18 449,80 F au titre de cotisations de franchise des mois de mai, juin et juillet 1992, outre les intérêts au taux légal à compter du 18 septembre 1992, date de mise en demeure et jusqu'à parfait paiement,
- prononcer la rupture du contrat de franchise aux torts et griefs exclusifs des époux Decroix et en conséquence, les condamner au paiement d'une somme de 484 678,05 F à titre de dommages et intérêts au titre du manque à gagner au niveau des cotisations de franchise subi par la société Prodim du chef de la rupture avant terme dudit contrat,
- prononcer la résiliation du contrat d'approvisionnement aux torts exclusifs des époux Decroix et en conséquence, les condamner conjointement et solidairement à payer à la société Prodim une somme de 973 105,40 F à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte de bénéfices bruts subie par elle du chef de la rupture avant terme du contrat d'approvisionnement,
- les condamner conjointement et solidairement à payer à la société Prodim une somme de 50 000 F au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Selosse-Bouvet, avoué aux offres de droit.
Vu les conclusions des intimés, enregistrées au secrétariat-greffe le 17 mai 2001.
Ceux-ci prient la cour de :
Dire nul et de nul effet et au besoin annuler le contrat de franchise du 27 juin 1992 pour violation de la loi Doubin,
Subsidiairement, en prononcer la résiliation aux torts et griefs de la société Prodim,
Confirmer le jugement en ce qu'il a :
- dit entaché de dol le contrat de franchise du 27 juin 1992 et prononcé sa nullité,
- ordonné la main-levée de la saisie-conservatoire du 15 juillet 1993,
- ordonné à Prodim d'enlever dans les quinze jours du jugement le stock d'articles publicitaires encore détenus par eux et ce sous astreinte provisoire de 200 F par jour de retard, dont la liquidation définitive est expressément réservée à ce tribunal,
Y ajoutant,
Débouter les appelantes de leurs demandes, fins et conclusions,
Dire leurs demandes complémentaires irrecevables comme nouvelles,
Dire et juger que les sommes suivantes doivent venir s'imputer sur le principal de 57 154,18 F réclamé par Prodim
- publicité janvier 1992, 894,48 F
- réglette, 239,81 F
- facture n° 0126, 586,12 F
- facture n° 0269, 965,64 F
- facture n° 0268, 894,48 F
- facture n° 0216, 894,48 F
- facture n° 0223, 894,48 F
- facture pub. avril 1992, 894,42 F
- facture n° 0173, 894,48 F
- avoir n° 0045, 530 F
- avoir n° 0114, 263,75 F
- stock Wallace, 17 221,72 F
- enveloppe d'ouverture, 10 000 F
TOTAL : 35 173,86 F
- cotisations de franchise indues, 17 003,68 F
- frais de publicité, 15 271 F
Soit un total de 67 448,54 F
Condamner en conséquence les appelantes au paiement de la somme de 10 294,36 F (57 154,18 F - 67 448,54 F),
Les condamner au paiement des sommes de :
10 000 F de dommages et intérêts au titre du préjudice né de la saisie-conservatoire pratique et de l'indisponibilité des fonds saisis,
50 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et matériel subi par les époux Decroix,
30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Les condamner en tous les frais et dépens de première instance, d'appel et de pourvoi, dont droit de recouvrement direct au profit de la SCP Millon Plateau Crepin, avoué, selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Sur quoi, LA COUR
Attendu que les appelantes rappellent notamment que :
- par acte sous signatures privées du 27 janvier 1992, les époux Michel Decroix signaient avec la société Prodim un contrat de franchise pour l'exploitation d'un magasin sis à Hardinghem, sous l'enseigne 8 à Huit, résultant des courriers échangés entre les parties que la signature de ce contrat faisait suite à négociation depuis le mois de mai 1991 et le principe de conclusion du contrat étant acquis dès le mois de novembre 1991, date à laquelle les époux Decroix effectuaient un stage de 3 semaines chez le frère de Monsieur Michel Decroix, Monsieur Marcel Decroix, exploitant lui-même un magasin 8 à Huit à Loos,
- ainsi qu'ils l'ont reconnu, les époux recevaient par ailleurs dans le courant du mois de janvier 1992, et préalablement à la signature du contrat, un dossier complet de présentation du projet comprenant un état de la concurrence, les résultats précédemment réalisés par le magasin, l'état des dépenses et investissements qu'ils auraient à engager ainsi qu'un compte d'exploitation prévisionnel,
Complémentairement à l'accord de franchise, les époux signaient trois lettres manuscrites y annexées par lesquelles ils sollicitaient de la société Prodim divers services tels que prévus à l'article 28 du contrat,
C'est ainsi qu'ils lui confieront notamment le paiement de leurs différentes factures "après les avoir acceptées" concernant aussi bien les achats de marchandises d'où qu'elles viennent que des services (y compris publics) et les différents impôts, confiant par là même une délégation de signature sur leur compte bancaire à la société Prodim,
- suivant acte sous signatures privées du 27 janvier 1992, était également signé entre la SNC Prodim et les époux un contrat d'approvisionnement pour la fourniture de leur magasin par ses entrepôts et les entrepôts du Groupe Promodes,
- dans le cadre de ses obligations de franchiseur et notamment son obligation d'assistance en matière publicitaire, la société Prodim faisait participer les époux Decroix dès le mois de février 1992 à une opération "fidélité 8 à Huit" qu'elle avait mise en place pour tous ses franchisés,
- c'est après avoir généré un certain nombre d'impayés au titre des marchandises livrées par la société Prodim et ses entrepôts - suivant décompte arrêté à la 3e décade de juin 1992, les époux sont en effet débiteurs à ce titre d'une somme de 107 154,18 F - que ceux-ci prétendront contester pour les besoins de la cause le respect par la société Prodim de ses obligations contractuelles
Suivant courrier du 19 juin 1992, ils sollicitent et obtiennent immédiatement de la société Prodim qu'elle leur restitue le chéquier commercial remis simultanément à la délégation de signature signée par eux, laquelle était par là-même révoquée,
Suivant courrier en réponse du 7 juillet 1992, la société Prodim ne pourra par conséquent que leur rappeler les délais de règlement qui leur sont accordés en précisant :
"Nous nous réservons également le droit d'arrêter toutes livraisons en cas de non-respect des échéances ou de non-paiement des intérêts dus en cas de retard de règlement ".
Suivant courrier du 9 juillet 1992, Monsieur Michel Decroix réplique qu'il faudrait de toute façon déduire de ses impayés - qu'il reconnaît donc - l'enveloppe d'ouverture qui lui aurait été promise à hauteur de 10 000 F, les stages de 3 semaines qu'il aurait effectués, lui et son épouse chez son frère, Monsieur Marcel Decroix et chez Monsieur Fonseca, ainsi que le montant du reliquat de marchandises de l'opération publicitaire précitée et dénommée "Wallace" qui se serait révélée "pratiquement" négative.
Suivant courrier en lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 5 août 1992, et pour la première fois, Monsieur Michel Decroix prétendra écrire à la société Prodim :
"... mon chiffre d'affaires mensuel n'est pas assez important pour qu'il puisse me permettre de vous payer une cotisation de franchise mensuelle aussi élevée.
Concernant ce contrat, il me faut la preuve écrite que votre service et la société Prodim ont agi et appliqué avec exactitude la loi Doubin.
En conséquence, si dans un délai de 10 jours après réception de la présente, je ne reçois pas de réponse de vos services, je serai dans l'obligation de considérer que vous n'avez pas respecté les clauses exactes de cette loi.
Je prendrai alors acte de la nullité de ce contrat de franchise".
La société Prodim ne pourra que répondre à ce courrier suivant LRAR du 7 août suivant :
"L'ensemble de vos dires et demandes est totalement incohérent compte tenu des contrats que nous avons signés et du déroulement de votre dossier depuis mai 1991.
Si votre souhait est de quitter l'enseigne, cela vous est toujours possible dans la mesure où vous respectez les termes de l'article 6 de votre accord de franchise.
A toutes fins utiles, nous constatons que vous ne respectez plus les articles 3.1.2. et 3.1.3.".
La société Prodim se voyait par conséquent contrainte de mettre en demeure les époux Decroix de respecter lesdites conditions sous peine de résiliation du contrat de franchise.
Suivant courrier LRAR du 12 août 1992, et compte tenu de leurs nombreux impayés elle les mettait également en demeure de régler une somme de 107 154,18 F par retour du courrier, soit au plus tard le 17 août 1992.
Ce courrier est demeuré sans effet de même qu'une mise en demeure du 18 septembre 1992 tendant à voir régler le montant de leurs cotisations de franchise pour les mois de mai, juin et juillet 1992.
De sorte que la société Prodim s'est vue contrainte de constater la résiliation du contrat de franchise aux torts et griefs des époux Decroix suivant courrier LRAR du 19 octobre 1992.
- C'est dans ces conditions que la société Prodim s'est vue finalement dans l'obligation d'assigner au fond le 18 mai 1993 devant le Tribunal de commerce de Lille aux fins d'obtenir paiement des sommes sus-visées, ayant par la suite modifié ses demandes et sollicité en outre que soit constatée la rupture du contrat de franchise et du contrat d'approvisionnement aux torts et griefs des époux. Ceux-ci répliqueront alors en sollicitant d'une part la déduction de diverses sommes - notamment celles correspondant à des factures émises par les sociétés Logidis et Copadis qui interviendront volontairement aux débats - et d'autre part la nullité du contrat de franchise et plus subsidiairement sa résolution aux torts et griefs de la SNC Prodim pour violation des dispositions de la loi Doubin du 31 décembre 1989 et pour dol.
C'est dans ces conditions que le jugement entrepris a été rendu.
Attendu qu'en l'espèce, et la Cour de cassation ayant rejeté le moyen unique de pourvoi en ses deux premières branches, il est acquis aux débats que la loi du 31 décembre 1989 - dite loi Doubin - est applicable au litige ;
I - Sur la nullité du contrat de franchise
Attendu que l'article 1 de la loi du 31 décembre 1989, devenu l'article L. 330-3 du Code de commerce, dispose en ses alinéas 1, 2 et 4 que :
"Toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause.
Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités...
Le document prévu au 1er alinéa ainsi que le projet du contrat sont communiqués 20 jours minimum avant la signature du contrat..."
Qu'il est patent, au vu même du rappel précité des faits par les appelantes, que la SNC Prodim n'a en rien respecté les obligations légales, le tribunal relevant ainsi à juste titre que :
"... le document d'information prévu à l'article 1er de la loi Doubin et décrit à l'article 1er du décret d'application du 4 avril 1991 n'a jamais été établi, non plus qu'aucune information économique plus générale n'a été donnée, ce qu'à la barre la SNC Prodim ne conteste pas.
"... aucune des pièces versées au dossier par les parties ne permet d'établir que cette absence d'information ait été couverte entre le 27 janvier 1992, date de la signature du contrat et le 5 août 1992, date de la lettre recommandée avec accusé de réception par laquelle les époux Decroix mettent en demeure la SNC Prodim de leur fournir l'information prévue par la loi..."
Qu'alors le tribunal - retenant en outre une obstruction à la liberté d'agir, aujourd'hui abandonnée sur ce chapitre - a considéré que cette rétention d'information constituait de la part de Prodim une manœuvre dolosive au sens de l'article 1116 du Code civil, justifiant le prononcé de la nullité absolue du contrat de franchise ;
Attendu que, ce faisant, le tribunal s'est cependant abstenu de rechercher si le défaut d'information dans le délai prévu par la loi avait eu pour effet de vicier le consentement des franchisés ;
Que les intimés développent alors que :
- la loi Doubin et son décret d'application, qui définissent l'information minimale nécessaire à garantir l'intégrité du consentement du franchisé, ont été violés et qu'en l'espèce, Prodim n'a communiqué :
- ni le projet de contrat de franchise,
- ni le document précisant l'ancienneté et l'expérience du franchiseur,
- ni l'état et les perspectives de développement du marché,
- ni l'importance du réseau,
- ni la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation, de cession du contrat,
- ni le champ des exclusivités,
- ni la liste des entreprises du réseau,
- ni l'adresse des 50 entreprises les plus proches, avec date de conclusion et de renouvellement des contrats,
- ni le nombre d'entreprises ayant quitté le réseau au cours de l'année précédente, et le motif,
- ni la présence d'établissement dans la zone,
- ni la nature et l'importance des dépenses d'investissements obligatoires,
- la sanction de cette violation et du vice du consentement en est l'annulation du contrat.
Qu'ils invoquent le dol et qu'alors, selon eux, les manœuvres dolosives, ensemble d'actes combinés en vue d'une tromperie, résultent notamment dans le fait de profiter de l'état d'infériorité (inexpérience ou dépendance financière) du co-contractant, étant assimilé au dol (réticence dolosive constituant inexécution intentionnelle de l'obligation pré-contractuelle de renseignement) tout silence ayant déterminé le consentement de l'autre partie, au mépris de l'idée générale de loyauté et du devoir de contracter de bonne foi ;
Que les époux soulignent encore notamment que :
En réalité, Prodim a volontairement retenu les informations afin de lui permettre d'emporter le consentement de candidats inconscients de la portée réelle de leur engagement. Sans avoir reçu aucun document préalable, ils ont été amenés à signer, le 27 janvier 1992, un contrat de franchise se développant sur 17 pages, qui sera la loi entre les parties pendant 7 ans, dont ils ignorent tout, signé le même jour et en même temps que :
- un "cahier des charges des informations financières et de gestion à fournir par les franchisés" de 12 pages,
- un "contrat d'approvisionnement" de 8 pages,
- un "dépôt de garantie - constitution de nantissement" de 4 pages... dont ils n'ont pas davantage connaissance de la teneur, outre les 3 lettres manuscrites à recopier par les franchisés sur un modèle fourni par Prodim qui seront annexées au contrat de franchise et marqueront la limite de la liberté des franchisés dans l'exercice de leur activité ;
Comment pouvaient-ils analyser en quelques heures les 17 pages du contrat (là où la loi accorde 20 jours), et réaliser qu'ils s'engageaient dans les liens d'un contrat ne posant des obligations qu'à la charge du franchisé, ne prévoyant d'indemnité de rupture du contrat qu'au profit du franchiseur, n'envisageant aucune formation sérieuse et aucune transmission pratique d'un savoir-faire réel.
Et attendu, ces points étant incontestables et d'ailleurs non contestés, que, compte tenu du nombre et de l'importance des documents que Prodim devait fournir pour respecter les obligations légales, que cette société n'explique pas comment les époux Decroix pouvaient s'engager en connaissance de cause en n'ayant reçu aucun de ces documents - qui viennent d'être énumérés - et en voyant pour la première fois le jour même de la signature le contrat dont ils eussent dû légalement recevoir, entre autres pièces, un exemplaire au moins 20 jours avant et ce, sans qu'ils aient pu recevoir d'autres informations de la part du franchiseur que, courant janvier 1992, un dossier intitulé "présentation du projet" qui, excepté l'estimation de l'investissement, ne répondait en rien aux exigences légales et n'était nullement requis par les textes applicables ;
Que la négociation alléguée, dont les appelantes font remonter les prémices au mois de mai 1991, ne saurait pallier l'absence de remise aux franchisés des documents prévus ;
Qu'au demeurant est ignorée la teneur même de cette négociation entre, d'une part un franchiseur rompu aux affaires et, d'autre part, un militaire de la gendarmerie et sa femme, successivement secrétaire, caissière puis chef caissière au sein du groupe Intermarché, ce qui ne parait guère le gage d'une expérience commerciale particulière et n'augurait pas obligatoirement des aptitudes professionnelles immédiates des franchisés ;
Qu'il n'appartenait pas aux intimés de réclamer les documents qui leur étaient dus préalablement à leur engagement et en l'absence desquels celui-ci, donné sans être éclairé, était entaché d'un vice du consentement découlant de l'absence d'informations initiales sciemment scellées par Prodim sur les futures relations commerciales ;
Que ces informations, et notamment le contrat, élément primordial, bien que Prodim prétende le ramener à des généralités, visé par le 6° du décret, devaient permettre aux époux, bénéficiaires du délai de réflexion de 20 jours, de s'entourer de tous conseils utiles ;
Que le comportement de Prodim leur a interdit de s'engager en connaissance de cause puisqu'ils ignoraient les conditions réelles dans lesquelles ils étaient amenés à contracter et que ces manquements du franchiseur à la loyauté et à l'obligation de contracter de bonne foi sont d'autant plus reprochables qu'il s'agissait de postulants franchisés sans expérience sérieuse ;
Que l'appartenance du frère de Michel Decroix (et même le stage préalable que le couple a pu effectuer chez lui) au réseau Prodim est sans intérêt, n'incombant pas à Marcel Decroix de porter à la connaissance de son frère des informations qui, en eut il disposé, ce qui n'est pas démontré, relevaient légalement du franchiseur ;
Que les arguments de Prodim visant des faits postérieurs à la signature du contrat, dont la contestation des époux par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 5 août 1992 se plaignant d'abord d'une absence de soutien et du coût de la cotisation mensuelle de franchise au regard de leur chiffre d'affaire, sont parfaitement inopérants alors que c'est avant la formation du contrat qu'il faut se placer pour apprécier la qualité du consentement donné lors de la signature ;
Attendu que, dans ces conditions, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de franchise ;
II - Sur les conséquences de l'annulation du contrat
Attendu que l'annulation du contrat remet les parties dans la situation antérieure à celle de sa passation ;
Qu'il n'y a donc lieu d'examiner les demandes de Prodim découlant du contrat et que, par conséquent, c'est à bon droit que les intimés sollicitent la restitution du montant des cotisations de franchise et des sommes versées au titre des frais de publicité ;
Qu'ils réclament ainsi la condamnation de Prodim au remboursement des cotisations de franchise qu'elle a prélevées, pour les mois de février, mars et avril 1992, soit au total 17 003,68 F et des sommes perçues au titre de la publicité, pour les mois de février, mars et avril 1992 soit au total 15 271,00 F ;
Et attendu que le montant des trois factures de cotisations produites, réglées par les époux, s'élève à 20 324,48 F TTC et qu'il résulte du bordereau des comptes de gestion de février à avril 1992 un règlement de 15 271 F pour publicité ;
Qu'il sera donc fait droit à la demande soit au total la somme de 32 274,68 F (4 920,24 euro) ;
III - Sur la demande en paiement formée par les appelantes au titre des marchandises livrées et demeurées impayées
Attendu, et selon les appelantes, que :
Elles sont recevables et fondées à obtenir condamnation des époux Decroix à leur payer la somme totale de 56 684,18 F au titre de marchandises livrées et demeurées impayées, toutes factures justificatives étant produites aux débats ;
Cette somme se répartit comme suit :
- 40 990,51 F au profit de la société Prodim,
- 5 217,47 F au profit de la société Copadis,
- 10 416,20 F au profit de la société Logidis,
Des sommes réclamées à l'origine au titre de marchandises livrées et demeurées impayées, soit la somme de 107 154,18 F ont d'ores et déjà été déduits un montant de 50 000 F qui avait fait l'objet d'un règlement par les époux Decroix le 19 août 1992 ainsi qu'une somme de 530 F au titre d'un avoir du 10 août 1992 ;
Et attendu que les époux paraissent essentiellement contester la somme réclamée par Prodim - ne serait-ce que par la nature des factures concernées ;
Qu'au vu des pièces produites par les appelantes, il est patent que les deux avoirs, de 530 et 263,75 F ont été déduits des sommes réclamées ;
Qu'en ce qui concerne la demande en paiement de Prodim pour 40 900,51 F, il convient, par référence à la liste de 7 factures de publicité donnée par les intimés dans leurs écritures (page 24) et, ne s'agissant plus ici du contrat d'approvisionnement mais eu égard à la nullité du contrat de franchise, de retenir une somme de 6 024,16 F qui viendra en déduction de la somme précitée ;
Que toujours par référence à la nullité du contrat c'est encore à juste titre que le tribunal a déduit de la réclamation de Prodim la somme de 17 221,72 F, montant du surplus d'articles publicitaires afférent à l'opération de promotion engagée par Prodim avec la société Wallace International France (sous réserve du droit de reprise par Prodim) ;
Que la nullité du contrat de franchise commande encore, indépendamment de toutes autres considérations, de rejeter la prétention des époux à enveloppe d'ouverture du magasin d'un montant de 10 000 F ;
Qu'en ce qui concerne la facture de 239,81 F pour 30 réglettes, il n'est pas évident que les premiers juges aient inversé la charge de la preuve en relevant que les époux ne démontrent pas que lesdites réglettes aient été conservées par le conseiller de franchise alors qu'il appartenait aux intimés de contester la facture dans le délai de 24 heures prévu aux conditions générales de vente Prodim ce qu'ils n'ont manifestement pas fait ;
Attendu que dans ces conditions, les époux seront condamnés à verser, avec intérêts contractuels au taux de base bancaire de la Société Générale majoré de 2 points à compter du 12 août 1992, au titre de marchandises livrées et demeurées impayées, les sommes de :
- 23 245,88 F soit 3 543,81 euro à Prodim
- 5 217,47 F soit 795,40 euro à Copadis
- 10 416,20 F soit 1 587,94 euro à Logidis
IV - Sur les autres demandes de Prodim
Attendu que les questions afférentes au contrat de franchise ayant été tranchées, Prodim réclame encore la résiliation du contrat d'approvisionnement aux torts et griefs des franchisés et paiement de la clause pénale et d'une indemnité pour rupture anticipée y afférente ;
Que, sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur le caractère nouveau de ces demandes, soulevé par les intimés, il sera relevé que le contrat d'approvisionnement, qui, de par sa nature, ne peut être résolu, s'est trouvé résilié ipso facto lors de la rupture des relations ;
Que cette rupture étant désormais jugée consécutive à la nullité du contrat de franchise dont le contrat d'approvisionnement n'était qu'un accessoire, Prodim ne saurait aujourd'hui rechercher la responsabilité des époux ;
Qu'elle sera donc déboutée de ses demandes
V - Sur la demandes de dommages et intérêts des époux
Attendu que ceux-ci font valoir que :
Le jugement entrepris a ordonné la main-levée de la saisie-conservatoire pratiquée par Prodim le 2 septembre 1993, le tribunal était compétent pour prononcé cette main-levée après avoir "fortement réduit le montant des sommes dues par les époux Decroix à la SARL Prodim" ; or cette main-levée n'a été opérée par Prodim que partiellement le 5 décembre 1995 ; Prodim sera en conséquence condamnée au paiement d'une somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et financier causé par l'indisponibilité des fonds saisis pendant plus de deux ans ;
Et attendu que le jugement n'était pas assorti de l'exécution provisoire et qu'au demeurant les intimés ne fournissent à la cour aucun élément d'appréciation ;
Que cette demande sera rejetée comme le sera celle de 50 000 F en réparation de leur préjudice moral et matériel, nullement caractérisé ;
Attendu enfin que la succombance majeure des appelantes justifie leur condamnation aux dépens postérieurs au jugement et, en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, encore leur condamnation à verser aux intimés la somme nullement exagérée de 30 000 F - soit 4 573,47 euro - qu'ils sollicitent pour frais hors dépens.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, Reçoit les appels, principal et incident, en la forme, Au fond, Confirme le jugement en ses dispositions non contraires à celles du présent arrêt, L'infirmant pour le surplus, Statuant à nouveau, Condamne les époux Michel Decroix à verser, avec intérêts au taux de base bancaire de la Société Générale majoré de 2 points à compter du 12 août 1992 : à la société Prodim : 3 543,81 euro ; à la société Copadis : 795,40 euro ; à la société Logidis : 1 587,94 euro ; Condamne la société Prodim à verser aux époux Decroix la somme de 4 920,24 euro avec, en tant que de besoin à titre de supplément de dommage, intérêts au taux légal à compter du 18 mai 1993, Ordonne la compensation outre les sommes dues par les époux à la société Prodim et celles que leur doit cette dernière, Rejette toutes autres demandes, Condamne les appelantes aux dépens postérieurs au jugement, avec, pour ceux exposés devant la présente cour, droit de recouvrement direct au profit de la SCP Jean-Claude Millon- Patrick Plateau - Sophie Crepin, avoué, ainsi qu'à verser aux intimés la somme de 4 573,47 euro pour frais hors dépens.