CA Bordeaux, 3e ch., 19 octobre 2004, n° 03-324
BORDEAUX
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bougon
Conseillers :
MM. Minvielle, Louiset
Avocat :
Me Gonthier
Rappel de la procédure
Par acte en date du 17 janvier 2003 reçu au secrétariat greffe du Tribunal de grande instance d'Angoulême, le Ministère public a relevé appel d'un jugement contradictoire rendu le 15 janvier 2003 par ledit tribunal à l'encontre de X Annie poursuivie comme prévenue d'avoir à Ambleville entre janvier 2000 et fin mars 2000:
* effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur la nature et les qualité substantielles d'une marchandise vendue, en l'espèce du cognac, en portant sur les documents commerciaux et publicitaires des indications d'âge ou de durée de vieillissement qui ne pouvaient être justifiées.
Faits prévus et réprimés par les articles L. 121-1, L. 121-6, L. 213-1 du Code de la consommation, art. 7/2d du règlement CEE n° 1576-89 du 29.05.1989.
* par quelque moyen que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, étant partie ou non au contrat, trompé ou tenté de tromper les co-contractants sur les qualités substantielles d'une marchandise vendue, en l'espèce du cognac, en commercialisant des produits qui ne correspondaient pas aux indications d'âge ou de durée de vieillissement portées sur les documents commerciaux et publicitaires.
Faits prévus et réprimés par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation, art. 7/2d du règlement CEE n° 1576-89 du 29.05.1989.
Le tribunal
A renvoyé la prévenue des fins de la poursuite sans peine ni dépens.
Attendu que l'appel interjeté le 17 janvier 2003 par le Ministère public est recevable pour l'avoir été dans les formes et délais de la loi,
Attendu que le Ministère public requiert la réformation de la décision déférée et le prononcé d'une peine d'amende de 8 000 à 10 000 euro, outre la publication de la décision en soutenant qu'une durée de vieillissement ne peut être indiquée au regard de l'article 7 du règlement CEE du 29 mai 1989 que lorsqu'elle concerne le plus jeune des constituants alcooliques et a condition que le produit ait été vieilli sous contrôle fiscal ou sous contrôle présentant des garanties équivalentes
Que le vieillissement sous contrôle fiscal n'existe pas pour les cognacs au delà du compte neuf et qu'en l'absence de justification d'une traçabilité, les délits visés aux poursuites sont constitués.
Attendu que la prévenue Annie X comparaît assistée de son avocat et sollicite la confirmation de la décision entreprise en soutenant que les déclarations du maître de chai recueillies par les enquêteurs n'ont pas été infirmées par les résultats des analyses des échantillons prélevés ;
Qu'en outre elle a fait procéder à une expertise par des courtiers assermentés devant la Cour d'appel de Bordeaux d'échantillons de même nature que ceux saisis qui ont révélé pour la bouteille n° 35 échantillon n° 1 qu'elle goûtait au moins 50 ans d'âge ; pour la bouteille n° 10 échantillon n° 2 qu'elle goûtait au moins 10 ans d'âge ; pour la bouteille n° 20 échantillon n° 3 qu'elle goûtait au moins 30 à 35 ans d'âge ;
Qu'enfin les fûts portent les dates de distillation ;
Qu'ainsi il n'y a ni publicité mensongère, ni tromperie.
Attendu qu'il résulte de la procédure que le 23 février 2000 les services de la DGCCRF ont effectué des contrôles au siège de la SA Y négociant en eau de vie dont Madame Annie X est le PDG, lesquels faisaient suite à la diffusion d'une publicité présentée sous un intitulé "Fiche Dégustation", document comportant les indications suivant : "VSOP n° 10 ... cette eau-de-vie goûte 10 ans... ; Réserve spéciale n° 20 ... cette eau-de-vie goûte 20 ans...; n° 35 ..., cette eau-de-vie goûte 35 ans... ; XO... ce cognac goûte 25 ans... ; A ... 45 ans de vie en fûts... ; B... eau-de-vie du début du siècle... ; C... association subtile de 90 % d'eau-de-vie du début du siècle et 10 % d'eau-de-vie d'avant la crise phylloxérique (avant 1870)."
Attendu que Madame X remettait aux enquêteurs un exemplaire d'un document publicitaire comportant une présentation de la société, le tarif de vente et la Fiche Dégustation, comportant les indications citées au paragraphe précédent, et précisait que "la fiche de dégustation, portant des indications relatives à une durée de vieillissements, avait été élaborée il y a 12 ou 13 ans. Elle remettait également des cahiers de recensement annuel des eaux-de-vie détenues par [les sociétés] Z - Z' - Z"- Z"', les âges des eaux-de-vie n'étant pas reportés sur ces documents". Les cognacs de ces sociétés sont commercialisés par la SA Y.
Il résultait des investigations des enquêteurs que les documents remis par la prévenue étaient les inventaires des cognacs fin décembre 1998 et fin décembre 1999 et desquels on pouvait déduire les volumes d'alcool sortis. Mais ces documents ne comportent que des indications partielles : soit un numéro de lot et un degré, soit parfois une année et un degré. La plus ancienne des années inventoriées est 1972 (pour un petit volume) et la plupart des volumes inventoriés sous une référence de date sont les années 1990-98.
Lors de la visite d'un certain nombre de chais les enquêteurs constataient que des années étaient effectivement indiquées sur des fûts, Madame X précisant qu'il s'agit des années de production et ajoutait, toujours dans le procès-verbal de déclaration, "qu'il n'y a pas de registre particulier pour la coupe et les assemblages des eaux-de-vie en vue des embouteillages futurs".
Attendu que divers prélèvements étaient effectués :
* prélèvement SA n° 15 : sur un lot de 182 unités de vente du cognac n° 35. Le maître de chais précisant sur le procès-verbal de prélèvement, qu'il s'agit d'un "assemblage d'eaux-de-vie de 1962 et 1964 mais je ne me souviens pas de la proportion des eaux-de-vie mise en œuvre. Ces eaux-de-vie sont stockées dans le chais de Z" et sont identifiées par l'indication de l'année sur les fûts".
* prélèvement SA n° 16 : sur un lot de 177 unités de vente du cognac n° 20. Le maître de chais précisant sur le procès-verbal de prélèvement, qu'il s'agit d'un "assemblage d'eaux-de-vie de 1987 (pour les 3/4) et de 1975 (pour 1/4). Ces eaux-de-vie proviennent de Z' et de la SARL Z"' et sont identifiées par l'indication de l'année sur les fûts".
* prélèvement SA n° 17 : sur un lot de 221 unités de vente du cognac n° 10. Le maître de chais précisait sur le procès-verbal de prélèvement, qu'il s'agit d'un "assemblage d'eaux-de-vie de 1988 et de 1989 mais dans une proportion dont je ne me souviens pas".
Attendu que ces prélèvements ont été transmis au laboratoire interrégional de la DGCCRF à Bordeaux-Talence. Les résultats d'analyses édités le 24 août 2000 sont les suivants :
* prélèvement SA n° 15: "En l'absence d'assemblage d'eaux-de-vie de millésimes différents, le taux de radioactivité mesuré correspond aux années 1968-69 ou 1962-63; le millésime indiqué doit être confirmé par l'analyse comptable.
* prélèvement SA n° 16 : "... En l'absence d'assemblage d'eaux-de-vie de millésimes différents, le taux de radioactivité mesuré correspond aux années 1979-81 ou 1961-62 ; le millésime indiqué doit être confirmé par l'analyse comptable.
* prélèvement SA n° 17 : "En l'absence d'assemblage d'eaux-de-vie de millésimes différents, le taux de radioactivité mesuré correspond aux années 1958-60 ou 1987-88 ; le millésime indiqué doit être confirmé par l'analyse comptable.
Attendu que le suivi et le contrôle des comptes d'âge des cognacs sont prévus par l'arrêté du 20.02.1946 homologuant le règlement établi par le BNIC. Ce texte prévoit à l'article 3 que "le contrôle de l'âge des eaux-de-vie.., sera assuré par le BNIC". A l'article 6, 4 comptes d'âges sont crées : le compte 0 pour les eaux-de-vie provenant de la récolte de l'année en cours ; le 1 pour les eaux-de-vie ayant plus d'un an d'âge à compter du 1er octobre de l'année de récolte ; le 2 pour les eaux-de-vie de plus de 2 ans et le 3 pour les eaux de vie de plus de 3 ans. Il est précisé qu'au 1er octobre de chaque année les restes de comptes 0, 1, 2 sont intégrés au compte immédiatement supérieur ;
Que par décision du Commissaire du Gouvernement près le BNIC du 20.09.1967 la date de changement des comptes de vieillissement a été reportée à l'issue de la campagne de distillation suivante soit le 1er avril ;
Que par décision du Commissaire du Gouvernement près le BNIC du 15.09.1977 un compte de vieillissement n° 6 a été ouvert dans les comptes du BNIC et par décision du Commissaire du Gouvernement près le BNIC du 23.08.1983 ces eaux-de-vie peuvent être commercialisées sous différentes désignations correspondant à des comptes d'âge différents ;
Qu'à la suite d'une décision du 30 juin 1999 les comptes tenus et contrôlés par le BNIC vont jusqu'au compte 9 depuis le 1er avril 2000 ;
Que par conséquent, des eaux-de-vie de cognac du compte 8 ont au moins 8 ans et peuvent être plus anciennes sans qu'il soit possible de le prouver par cette comptabilité.
Attendu en outre que le règlement CEE n° 1576-89 du 29.05.1989 établissant les règles générales relatives à la définition, à la désignation et à la présentation des boissons spiritueuses s'applique également au Cognac (article 5 § 33 annexe Il). Qu'il prévoit à l'article 7 que l'étiquetage, la présentation et la publicité doivent être conformes aux paragraphe 2 et 3. Que le point 2d prévoit que "sauf exception, une durée de vieillissement ne peut être indiquée (sur l'étiquetage et la présentation) que lorsqu'elle concerne le plus jeune des constituants alcooliques et à la condition que le produit aient été vieilli sous contrôle fiscal ou sous contrôle présentant des garanties équivalentes". Que ce texte est considéré comme une mesure d'exécution prévue à l'article L. 214-1 du Code de la consommation par le décret du 11.03.1993.
Attendu qu'il n'existe pas pour le Cognac de vieillissement sous contrôle fiscal ou présentant des garanties équivalentes au-delà du compte 9. Qu'en conséquence il n'est pas possible d'indiquer des durées de vieillissement sur les étiquetages, la présentation et les publicités relatives au Cognac au-delà de ce compte 9 actuellement.
Attendu que les expertises effectuées par le laboratoire ont indiqué plusieurs résultats alternatifs qui auraient dû pouvoir être confirmés par l'analyse comptable.
Attendu qu'en l'espèce et en l'absence de document et de registre permettant de recenser et d'individualiser les coupes et assemblages ainsi que cela résulte des constations des enquêteurs et de la propre déclaration de Madame X, il n'est pas possible d'établir les durées de vieillissement indiquées dans la plaquette publicitaire.
Attendu qu'il résulte de la déclaration de Madame Annie X, le 26.02.2001, que le chiffre d'affaire de l'entreprise clos au 31.12.2000 "est d'environ 700 000 F, les qualités n° 10 - n° 20 - n° 35 représentant environ 50 % du chiffre d'affaire".
Qu'en considérant que la diffusion des plaquettes publicitaires litigieuses a cessé le 31.03.2000, le chiffre d'affaire illégalement réalisé au cours de l'année 2000 a été chiffré par l'Administration à 712 500 F (50 % du chiffre d'affaire sur 1/4 de l'année).
Attendu qu'il s'évince des éléments précités qu'en diffusant des documents commerciaux et publicitaires comportant des indications d'âge alors que l'entreprise ne pouvait en justifier la prévenue a bien commis le délit de publicité de nature à induire en erreur le consommateur sur une qualité substantielle en l'espèce l'âge d'un cognac.
Que de même Annie X doit-être retenue dans les liens de la prévention du chef de tromperie sur une qualité substantielle de la marchandise vendue, en l'espèce l'âge du cognac, étant précisé que la formulation " goûte " suivie d'une durée accrédite faussement la conviction chez le consommateur qu'il achète un cognac présentant cette ancienneté de vieillissement, alors qu'il s'agit en fait de coupages d'années différentes et qu'il importe peu à cet égard que les experts choisis par la prévenue aient pu indiquer que les cognacs dégustés aient goûté au moins l'âge indiqué sur la publicité.
Attendu enfin que la prévenue ne saurait invoquer l'absence d'intention frauduleuse alors que sa mauvaise foi a consisté à s'être soustraite aux exigences requises par la réglementation qui avaient été rappelées aux négociants par le Bureau National Interprofessionnel du Cognac au moyen d'une lettre du 9 mars 1999.
Attendu en conséquence qu'il sied d'infirmer la décision déférée, de déclarer Annie X coupable des faits visés à la prévention et de la condamner à la peine de 7 000 euro d'amende.
Par ces motifs, LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ; Déclare les appels recevables, Infirmant la décision déférée, Déclare Annie X coupable des faits visés à la prévention. La condamne à la peine de 7 000 euro d'amende. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 120 euro dont est redevable chaque condamné en application de l'article 1018 A du CGI.