CA Paris, 21e ch. B, 26 septembre 2002, n° 00-36169
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Delgado
Défendeur :
Papeteries Navarre (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Marc
Conseillers :
M. Léo, Mme Virotte Ducharme
Avocats :
Mes Devauchelle, Maupile
LA COUR statue sur l'appel régulièrement interjeté par M. José Delgado d'un jugement du Conseil de prud'hommes d'Evry en date du 14 juin 2000 qui a condamné la société Papeteries Navarre à lui payer les sommes de 72 987,16 F au titre de contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence et de 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile mais l'a débouté du surplus de ses demandes.
Il convient pour un exposé des faits de la cause de se reporter au jugement déféré. Il suffit de rappeler ce qui suit : M. José Delgado a été engagé le 18 août 1997 en qualité de chef de secteur par la société Papeteries Navarre et affecté à l'agence Rhône-Alpes pour animer une équipe de vendeurs. Le 21 octobre 1998 le Comité d'entreprise a été consulté sur un projet de fermeture du site d'Aix-en-Provence dont une des conséquences était le rattachement du responsable Provence-Côte d'Azur au Directeur Régional Rhône-Alpes. M. José Delgado a protesté contre ce projet. L'employeur a confirmé ses intentions par lettre en date du 5 novembre 1998 en lui annonçant qu'une proposition de reclassement lui serait éventuellement faite par une société Jourdan. M. José Delgado a été en définitive licencié le 7 janvier 1999 par une lettre ainsi rédigée : " Comme suite à votre entretien du mercredi 30 décembre 1998 avec M. Daniel Valentin, nous avons le regret de vous informer de notre décision de vous licencier pour motif économique. Nous vous rappelons brièvement les motifs à l'origine de cette mesure. La dégradation continue des marges depuis quatre ans et qui s'est aggravée depuis le début 1998, a conduit la société à rechercher, pour ses équipes commerciales, des organisations plus performantes, afin de sauvegarder sa compétitivité. Les résultats nets négatifs du centre de profit Navarre-Provence-Côte d'Azur atteignent une importance telle qu'il était devenu insupportable de continuer une exploitation dans ces conditions. Le rattachement de cette agence à Navarre Rhône-Alpes munie de structures beaucoup plus importantes doit amener une organisation commerciale plus rationnelle et plus performante. Cette réorganisation comportant la création d'une direction des ventes "Entreprise" entraîne malheureusement la suppression de votre poste de chef de secteur. Afin d'éviter votre licenciement, nous avons recherché la possibilité de vous reclasser en vous proposant une mutation auprès d'une filiale de notre groupe, la société Jourdan devenue depuis le 1er janvier 1999 Oridis, située à Grenoble à proximité de votre domicile. Cette proposition a fait l'objet de nombreux courriers de notre part datés des 5 novembre, 23 novembre et 11 décembre. Vous nous avez répondu par la négative par vos courriers des 9 novembre, 29 novembre, 18 décembre et 26 décembre 1998. Compte tenu de votre refus d'accepter cette proposition, nous ne pouvons éviter votre licenciement pour motif économique. ".
Par lettre en date du 27 janvier 1999, la société Papeteries Navarre libérait M. José Delgado de son obligation de non-concurrence.
Appelant M. José Delgado demande à la cour de réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de ses prétentions. Il prétend qu'il a été licencié une première fois le 5 novembre 1998, que le 1er et le second licenciement ne seraient pas valablement motivés, que l'employeur n'aurait pas exécuté son obligation de reclassement ni justifié de l'application des critères de licenciement. Il conclut en définitive à la condamnation de son ex-employeur au paiement des sommes suivantes : 3 124,87 euro au titre d'indemnité pour licenciement sans respect des formes légales, 38 112,25 euro au titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 762,25 euro au titre d'indemnité pour inobservation de l'article L. 321-1-1 du Code du travail, 457,35 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en sus des sommes allouées par les premiers juges.
Intimée et appelante incidente, la société Papeteries Navarre conclut à l'entier débouté de M. José Delgado. Elle prétend en effet que celui-ci n'aurait plus droit à la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence à date du 23 août 1999, date à laquelle il a retrouvé du travail dans une société concurrente.
Pour un énoncé plus complet des demandes et moyens des parties il est fait référence aux conclusions visées le 21 juin 2002.
Sur ce
Considérant que la lettre du 5 novembre 1998 a pour objet, répondant à une demande de M. José Delgado, d'expliquer les motifs de la réorganisation sur laquelle le Comité d'Entreprise a été consulté ;
Que si cette lettre fait état de la suppression du poste M. José Delgado elle ne prononce nullement le licenciement de l'intéressé ;
Que la suppression du poste n'est pas nécessairement synonyme de licenciement ;
Que dès lors M. José Delgado est mal-fondé à prétendre que la lettre du 5 novembre 1998 était une lettre de licenciement.
Considérant que la lettre ultérieure de licenciement est fondée non sur des difficultés économiques mais sur la nécessité de procéder à une réorganisation de l'entreprise pour assurer sa compétitivité ;
Que les résultats négatifs du centre Provence-Côte d'Azur sont établis par les documents comptables soumis au Comité d'Entreprise ;
Que ces résultats négatifs pendant trois années consécutives justifient le recours à une réorganisation.
Considérant cependant, qu'un licenciement ne peut être valablement prononce que si l'employeur a effectué une étude exhaustive des possibilités de reclassement ;
Qu'en l'espèce la société Papeteries Navarre établit qu'elle a tenté de reclasser M. José Delgado dans le groupe auquel elle appartient en lui proposant notamment un poste analogue au sien de la société Jourdan qu'il a refusé parce qu'il ne croyait pas à l'avenir de ladite société.
Considérant par contre que la société Papeteries Navarre n'explique pas valablement pourquoi elle n'a pas proposé les postes de commerciaux promus en décembre 1998 et janvier 1999 ;
Que le fait que ces postes étaient de niveau inférieur à celui occupé par M. José Delgado est inopérant ;
Que la société ne saurait expliquer le défaut d'offre de ces postes par le refus du reclassement.
Considérant que l'insuffisance de l'étude des possibilités de reclassement prive le licenciement litigieux de cause réelle et sérieuse.
Considérant qu'au moment de son licenciement M. José Delgado avait moins de deux ans d'ancienneté.
Considérant eu égard notamment à la durée du chômage de M. José Delgado, la Cour dispose d'éléments suffisants d'appréciation pour évaluer à 15 000 euro le montant des dommages et intérêts pour rupture abusive qu'il convient de lui allouer.
Sur l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement.
Considérant que l'entretien préalable a eu lieu le 30 décembre 1998
Qu'il s'ensuit que la lettre de licenciement du 7 janvier 1999 a été envoyée avant que ne soit expiré le délai de quinzaine prévu par l'article L. 122-14-1 troisième alinéa du Code du travail dont les dispositions sont applicables en l'espèce ;
Que ce non-respect de la procédure a nécessairement causé préjudice à M. José Delgado ;
Que ce préjudice sera suffisamment réparé par l'allocation d'une indemnité de 100 euro.
Considérant que la demande nouvelle d'indemnité pour inobservation de l'ordre des licenciements ne saurait prospérer M. José Delgado étant le seul chef de secteur concerné par la restructuration;
Qu'au demeurant la demande de ce chef ne pouvait avoir qu'une incidence subsidiaire.
Sur la demande de contrepartie financière de la clause non-concurrence.
Considérant que cette contrepartie est due, la dispense d'exécution faite par l'employeur ayant été notifiée plus de huit jours après la réception de la lettre de licenciement contrairement aux dispositions de l'article 30 la Convention Collective de la Distribution et du Commerce de Gros des Papiers Cartons ;
Que cette notification tardive ne saurait cependant faire revivre la clause non-concurrence ;
Qu'il s'ensuit qu'on ne saurait reprocher à M. José Delgado d'avoir accepté un emploi chez un concurrent ;
Qu'à juste titre les premiers juges ont alloué à M. José Delgado l'intégralité de la contrepartie financière.
Considérant que la société Papeteries Navarre qui succombe pour l'essentiel sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Que l'équité commande que sur ce même fondement elle paye M. José Delgado une somme complémentaire de 750 euro pour frais irrépétibles en cause d'appel.
Par ces motifs ; Infirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages et intérêts pour rupture abusive et d'indemnité pour inobservation de la procédure de licenciement, et, statuant à nouveau de ces chefs, condamne la société Papeteries Navarre à payer à M. José Delgado, au titre de dommages et intérêts pour rupture abusive, la somme de 15 000 euro (quinze mille euro) et au titre d'indemnité pour inobservation de la procédure de licenciement celle de 100 euro (cent euro), Confirme le jugement déféré pour le surplus, Déboute M. José Delgado de sa demande pour inobservation de l'ordre des licenciements, Condamne la société Papeteries Navarre aux dépens et la déboute de sa demande au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, La condamne sur ce même fondement à payer à M. José Delgado une somme complémentaire de 750 euro (sept cent cinquante euro) pour frais irrépétibles en cause d'appel.