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Décisions

CJCE, 25 février 1988, n° 194-85

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République hellénique

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Avocat général :

M. Da Cruz Vilaca.

Juges :

MM. Koopmans, Bahlmann, Kakouris, Joliet, O' Higgins, Schockweiler

CJCE n° 194-85

25 février 1988

LA COUR,

1. Par requêtes déposées au greffe de la Cour les 21 juin et 5 août 1985, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, deux recours ayant pour objet de faire constater, le premier, que, en soumettant à l'octroi d'une licence d'importation les bananes originaires d'autres Etats membres ou qui s'y trouvent en libre pratique et en refusant de délivrer une telle licence, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l'article 30 du traité CEE et, le second, que, en interdisant l'importation de bananes originaires des Etats ACP, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la deuxième convention ACP-CEE, signée à Lomé le 31 octobre 1979 (JO 1980, L 347, p. 1) (ci-après "convention de Lomé").

2. En vertu d'un arrêté du ministre du Commerce daté du 24 décembre 1980, renouvelé périodiquement, les importations de bananes en Grèce sont subordonnées, depuis le 1er janvier 1981, à l'octroi d'une licence. Il est constant que les demandes de licence portant sur l'importation de bananes originaires d'autres Etats membres ou qui s'y trouvent en libre pratique sont systématiquement rejetées. Il n'est pas non plus contesté qu'il existe en Grèce une interdiction totale d'importer des bananes originaires des Etats ACP.

3. La Commission a considéré que l'exigence d'une licence d'importation et le refus de délivrer une telle licence constituaient des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation. Après avoir, par lettre du 14 juillet 1983, mis le Gouvernement hellénique en mesure de présenter ses observations, la Commission a émis, le 14 mai 1984, un avis motivé selon lequel la République hellénique, en adoptant les mesures en cause à l'égard des bananes originaires des autres Etats membres ou qui s'y trouvent en libre pratique, a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l'article 30 du traité CEE.

4. Le Gouvernement hellénique a fait état, dans sa réponse à l'avis motivé, de l'existence d'une organisation nationale du marché des bananes et a fait valoir que, par conséquent, les dispositions de l'article 65, paragraphe 2, de l'acte relatif aux conditions d'adhésion et aux adaptations des traités, annexé au traité du 28 mai 1979 relatif à l'adhésion à la Communauté économique européenne et à la Communauté européenne de l'énergie atomique de la République hellénique (ci-après "acte d'adhésion"), lui permettaient de prendre les mesures litigieuses. La Commission a alors émis, le 13 mars 1985, un avis motivé complémentaire. La Commission y a soutenu que, même dans l'éventualité de l'existence d'une telle organisation nationale, l'interdiction générale frappant l'importation de bananes ne saurait être conforme au droit communautaire, puisqu'aux termes de l'article 65, paragraphe 2, de l'acte d'adhésion les restrictions quantitatives et mesures d'effet équivalent ne sont admises que dans la mesure strictement nécessaire pour assurer le maintien de l'organisation nationale. Le Gouvernement hellénique n'ayant pas obtempéré, la Commission a introduit le recours dans l'affaire n° 194-85.

5. Par lettre du 13 décembre 1984 adressée au Gouvernement hellénique, la Commission a constaté que l'importation en Grèce des bananes originaires ou en provenance d'Etats ACP est interdite. La Commission a signifié au Gouvernement hellénique que cette interdiction contrevient notamment à l'article 3, paragraphe 1, de la convention de Lomé. Les arguments présentés par le Gouvernement hellénique en réponse à cette lettre n'ayant pas été de nature à modifier l'opinion de la Commission, celle-ci a, le 6 juin 1985, émis un avis motivé. Le Gouvernement hellénique ne s'étant pas conformé audit avis motivé, la Commission a introduit le recours dans l'affaire n° 241-85.

6. Pour un plus ample exposé de la législation nationale en cause, de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Affaire n° 194-85

7. La Commission fonde son recours sur la thèse selon laquelle l'exigence même purement formelle de licences d'importation constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, prohibée par les articles 30 et suivants du traité CEE. A plus forte raison, le refus systématique de délivrer une licence d'importation dans les échanges intracommunautaires constituerait-il une infraction auxdites dispositions.

8. Le Gouvernement hellénique pour sa part soutient que les dispositions de l'article 65, paragraphe 2, de l'acte d'adhésion lui permettent de déroger aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité.

9. Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, en dehors des exceptions prévues par le droit communautaire lui-même, l'article 30 du traité fait obstacle à l'application, dans les rapports intracommunautaires, d'une législation nationale qui maintiendrait l'exigence, même purement formelle, de licences d'importation ou d'exportation ou tout autre procédé similaire (arrêts du 15 décembre 1971, International Fruit Company NV E.A./Produktschap Voor Groenten En Fruit, n° 51 à 54-71, Rec. p. 1107, et du 15 décembre 1976, Donckerwolcke/procureur de la République, n° 41-76, Rec. p. 1921).

10. Aux termes de l'article 35, figurant au titre II de l'acte d'adhésion, "les restrictions quantitatives à l'importation et à l'exportation ainsi que toute mesure d'effet équivalent existant entre la communauté dans sa composition actuelle et la Grèce sont supprimées dès l'adhésion".

11. Toutefois, l'acte d'adhésion a prévu certaines dérogations aux dispositions de l'article 35, telle celle visée à l'article 65, paragraphe 2, invoquée par le Gouvernement hellénique.

12. La question se pose dès lors de savoir si l'article 65, paragraphe 2, de l'acte d'adhésion s'applique en l'espèce et permet une dérogation aux dispositions de l'article 30 du traité.

13. L'article 65, paragraphe 2, de l'acte d'adhésion prévoit :

"Pour les produits qui ne sont pas soumis, lors de l'adhésion, à l'organisation commune des marchés, les dispositions du titre II concernant la suppression progressive des taxes d'effet équivalant à des droits de douane, et des restrictions quantitatives et mesures d'effet équivalent ne s'appliquent pas à ces taxes, restrictions et mesures lorsqu'elles font partie d'une organisation nationale de marchés à la date de l'adhésion.

Cette disposition n'est applicable que jusqu'à la mise en application de l'organisation commune des marchés pour ces produits et au plus tard jusqu'au 31 décembre 1985, et dans la mesure strictement nécessaire pour assurer le maintien de l'organisation nationale."

14. La Commission fait valoir en premier lieu que les mesures nationales en cause ne peuvent pas être justifiées en vertu de l'article 65, paragraphe 2, de l'acte d'adhésion, étant donné que la production et la commercialisation des bananes en Grèce ne feraient pas l'objet d'une organisation nationale de marché, telle qu'elle a été définie par la Cour dans son arrêt du 10 décembre 1974 (Charmasson/ministre de l'Economie et des Finances, n° 48-74, Rec. p. 1383). La Commission ne conteste pas que diverses mesures aient été prises en vue d'assurer la protection de la production nationale. Toutefois, elle insiste sur le fait que ces mesures ne suffisent pas à conférer à l'ensemble de ce système de protection le caractère d'une organisation nationale de marché.

15. Il y a lieu de rappeler, ainsi que la Cour l'a dit pour droit dans son arrêt du 10 décembre 1974, précité, que l'organisation nationale se définit comme un ensemble de moyens de droit plaçant sous le contrôle de l'autorité publique la régulation du marché des produits concernés, en vue d'assurer, par l'accroissement de la productivité et par un emploi optimal des facteurs de production, notamment de la main-d'œuvre, un niveau de vie équitable aux producteurs, la stabilisation des marchés, la sécurité des approvisionnements et des prix raisonnables aux consommateurs.

16. A cet égard, il ressort du dossier que l'Etat hellénique octroie des aides financières à la culture de la banane, ainsi que des aides de soutien à la production, y compris la réalisation d'études technico-économiques et de recherches expérimentales, l'élaboration de recensements et de recueils statistiques. L'état fixe également les critères de qualité et autres auxquels les bananes doivent satisfaire pour pouvoir être mises sur le marché. Selon le Gouvernement hellénique, les circuits de commercialisation et la distribution ont été améliorés par l'octroi de licences pour la vente de bananes aux petits commerçants. En outre, on aurait procédé à la fixation de prix de vente au détail, qui tiendrait compte des coûts de production et de transport, de la garantie d'une marge bénéficiaire équitable pour les commerçants et d'un niveau de prix raisonnable pour les consommateurs. Dans ces conditions, il y a lieu de reconnaître l'existence d'une organisation nationale du marché des bananes en Grèce.

17. La Commission allègue en second lieu que n'est pas remplie la condition visée à l'alinéa 2 de l'article 65, paragraphe 2, de l'acte d'adhésion, qui prévoit que la dérogation aux règles de la libre circulation introduite par cette disposition n'est applicable que dans la mesure strictement nécessaire pour assurer le maintien de l'organisation nationale. Plus précisément, la Commission soutient que l'exigence d'une licence d'importation pour les bananes originaires des autres Etats membres ou qui s'y trouvent en libre pratique et le refus systématique de délivrer une telle licence ne peuvent pas être considérés comme des mesures strictement nécessaires pour assurer le maintien de l'organisation nationale du marché des bananes en Grèce.

18. Le Gouvernement hellénique soutient que des restrictions quantitatives à l'importation et des mesures d'effet équivalent sont strictement nécessaires en vue d'assurer le maintien de l'organisation nationale. Si l'importation de bananes était permise pendant la période transitoire prévue par l'article 65 de l'acte d'adhésion, cela entraînerait la ruine financière des producteurs de bananes ainsi que l'abandon des programmes financiers et des investissements de l'état. En conséquence, la limitation des importations que la République hellénique applique serait conforme à l'esprit de la disposition de l'article 65, paragraphe 2, de l'acte d'adhésion.

19. Il y a lieu d'observer que, en vue de permettre l'intégration de la République hellénique dans la communauté, l'article 9 de l'acte d'adhésion stipule, dans son paragraphe 1, que "l'application des traités originaires et des actes pris par les institutions fait l'objet, à titre transitoire, des dispositions dérogatoires prévues par le présent acte". L'acte d'adhésion n'a donc prévu que des délais et conditions bien spécifiés pour faciliter l'adaptation de la République hellénique aux règles en vigueur au sein de la communauté.

20. Il s'ensuit que les dispositions de l'acte d'adhésion doivent être interprétées en tenant compte des fondements de la communauté, tels qu'ils ont été fixés par le traité, et que les dérogations permises par l'acte d'adhésion aux règles prévues par le traité doivent être interprétées en vue d'une réalisation plus facile des objectifs du traité et d'une application intégrale de ses règles.

21. Plus précisément, en ce qui concerne l'élimination des restrictions quantitatives et mesures d'effet équivalent, les dispositions de l'acte d'adhésion dans ce domaine ne sauraient être interprétées en faisant abstraction des dispositions du traité Y relatives.

22. L'article 65 de l'acte d'adhésion, qui concerne les produits agricoles, doit en outre être interprété à la lumière des objectifs de la politique agricole commune, dans la mise en œuvre de laquelle il s'insère.

23. Ainsi que la Cour l'a observé dans son arrêt du 10 décembre 1974, précité, au cours d'une période de transition, l'organisation nationale doit s'adapter, dans toute la mesure du possible, aux impératifs du Marché commun, en vue de faciliter l'établissement de la politique agricole commune.

24. La dérogation visée par l'article 65, paragraphe 2, au cours de la période de transition Y prévue, ne peut s'appliquer qu'aux mesures strictement nécessaires pour faciliter l'adaptation de la République hellénique aux impératifs du Marché commun au regard d'une organisation nationale de marché des produits agricoles.

25. En l'espèce, les mesures adoptées par la République hellénique, à savoir l'institution d'un régime de licences d'importation pour les bananes originaires d'autres Etats membres ou qui s'y trouvent en libre pratique combinée avec une pratique de refus systématique de telles licences, constituent une interdiction quasi totale d'importation. La question se pose donc de savoir si une telle interdiction quasi totale était strictement nécessaire au sens de l'article 65, paragraphe 2, de l'acte d'adhésion.

26. A cet égard, le gouvernement hellénique a observé que, si les restrictions étaient levées, environ 50 000 tonnes de bananes seraient importées chaque année en Grèce, avec des conséquences graves pour les producteurs nationaux de bananes. Dans ces circonstances, étant donné que les bananes pourraient en tout cas être librement importées après l'expiration de la période de transition, une interdiction quasi totale d'importation n'est pas de nature à faciliter l'adaptation des producteurs nationaux aux conditions du Marché commun. En effet, une telle interdiction, par l'isolation du marché national des bananes, ne prépare pas les producteurs helléniques à la libéralisation inévitable du marché après l'expiration de la période de transition. Il en serait autrement si le Gouvernement hellénique avait permis une libération progressive des importations de bananes, assortie éventuellement, le cas échéant, d'un système de surveillance des importations ou d'un système de contingentement.

27. Il y a donc lieu de constater que les mesures nationales mises en cause n'étaient pas strictement nécessaires pour assurer le maintien de l'organisation nationale au sens de l'article 65, paragraphe 2, de l'acte d'adhésion, et constituaient donc une violation de l'article 30 du traité.

Affaire n° 241-85

28. Dans cette affaire, la Commission soutient que la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l'article 3, paragraphe 1, de la convention de Lomé, dans la mesure où elle interdit les importations des bananes originaires des Etats ACP.

29. Il y a lieu de mentionner que selon ledit article 3, paragraphe 1, "la communauté n'applique pas à l'importation des produits originaires des Etats ACP de restrictions quantitatives ni de mesures d'effet équivalent ".

30. Le Gouvernement hellénique se réclame de l'article 65, paragraphe 2, de l'acte d'adhésion, dans la mesure où cette disposition permet une dérogation à ses obligations découlant de l'article 30 du traité CEE, ainsi que de l'article 6 de la convention de Lomé selon lequel le régime à l'importation des produits originaires des Etats ACP ne peut être plus favorable que le traitement appliqué aux échanges entre les Etats membres. Le gouvernement hellénique soutient que, s'il lui est permis, en application de l'article 65, paragraphe 2, de l'acte d'adhésion, d'imposer des restrictions quantitatives à l'importation des bananes originaires des Etats membres de la communauté ou qui s'y trouvent en libre pratique, il doit par conséquent, en application de l'article 6 de la convention de Lomé, imposer de pareilles restrictions sur les importations des Etats ACP.

31. La Cour a déjà constaté, dans le cadre de l'affaire n° 194-85 ci-dessus, que le Gouvernement hellénique ne peut pas invoquer l'article 65, paragraphe 2, de l'acte d'adhésion, pour justifier les mesures imposées aux importations des autres Etats membres. Il en résulte que l'argument du Gouvernement hellénique tiré de l'article 6 de la convention de Lomé ne peut pas être accueilli.

32. Il y a donc lieu de constater que, en interdisant les importations des bananes originaires des Etats ACP, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 3, paragraphe 1, de la convention de Lomé.

33. Il résulte de ce qui précède que la République hellénique, en instituant un régime de licences d'importation pour les bananes originaires d'autres Etats membres ou qui s'y trouvent en libre pratique et en combinant ce régime avec une pratique de refus systématique de telles licences, a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l'article 30 du traité CEE et, en interdisant l'importation de bananes originaires des Etats ACP, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 3, paragraphe 1, de la convention de Lomé.

Sur les dépens

34. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La République hellénique ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Déclare et arrête :

1) La République hellénique, en instituant un régime de licences d'importation pour les bananes originaires d'autres Etats membres ou qui s'y trouvent en libre pratique et en combinant ce régime avec une pratique de refus systématique de telles licences, a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l'article 30 du traité CEE et, en interdisant l'importation de bananes originaires des Etats ACP, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 3, paragraphe 1, de la convention de Lomé.

2) La République hellénique est condamnée aux dépens.