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Décisions

CJCE, 21 septembre 1983, n° 205-82

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Deutsche Milchkontor GmbH ; Kampffmeyer ; Schwarzwaldmilch GmbH ; Inntaler Mischfutter GmbH & Co. KG ; Helmut Becker GmbH & Co. KG ; Plange Kraftfutterwerke GmbH & Co. KG ; Josera-Werk ; Frischli-Milchwerke Holtorf & Schakel KG ; Hemo Mohr KG ; Denkavit Futtermittel GmbH ; DMV Lagerei-Und Verwaltungsgesellschaft MbH ;

Défendeur :

République fédérale d'Allemagne

CJCE n° 205-82

21 septembre 1983

LA COUR,

1. Par onze ordonnances du 3 juin 1982 parvenues à la Cour le 11 août 1982, le Verwaltungsgericht Frankfurt a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une série de questions préjudicielles relatives à l'interprétation de différentes dispositions du règlement n° 986-68 du Conseil, du 15 juillet 1968, établissant les règles générales relatives à l'octroi des aides pour le lait écrémé et le lait écrémé en poudre destinés à l'alimentation des animaux (JO L 169, p. 4), du règlement n° 990-72 de la Commission, du 15 mai 1972, relatif aux modalités d'octroi des aides au lait écrémé transformé en aliment composé et au lait écrémé en poudre destiné à l'alimentation des animaux (JO L 115, p. 1) et du règlement n° 729-70 du Conseil, du 21 avril 1970, relatif au financement de la politique agricole commune (JO L 94, p. 13) ainsi qu'aux principes du droit communautaire en matière de répétition d'aides indûment versées.

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre de litiges pendant devant le Verwaltungsgericht Frankfurt, et opposant le Bundesamt fur Ernahrung und Forstwirtschaft, office compétent en République fédérale d'Allemagne pour le paiement d'aides pour la transformation de lait écrémé en poudre, à des entreprises de fabrication d'aliments composés pour animaux et du commerce de produits laitiers. Dans le cadre de ces litiges, les entreprises requérantes au principal demandent l'annulation des décisions du Bundesamt fur Ernahrung und Forstwirtschaft, par lesquelles celui-ci a réclamé à ces entreprises la restitution de sommes qu'il leur avait versées au titre d'aides pour le lait écrémé en poudre, en application de l'article 10, paragraphe 1, du règlement n° 804-68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 148, p. 13) ainsi que des règlements n° 986-68 du Conseil et n° 990-72 de la Commission, précités, et du règlement n° 1624-76 de la Commission, du 2 juillet 1976, relatif à des dispositions particulières concernant le paiement de l'aide pour le lait écrémé en poudre dénaturé ou transformé en aliment composé pour animaux sur le territoire d'un autre Etat membre (JO L 180, p. 9).

3. Les requérantes au principal ont perçu ces aides pour le lait écrémé en poudre, sur la base des dispositions précitées, soit au titre de la transformation en aliments composés pour animaux, soit au titre de l'exportation vers l'Italie aux fins d'une telle transformation. Dans le cadre des procédures au principal, le Bundesamt fur Ernahrung und Forstwirtschaft fait valoir que le lait écrémé en poudre pour lequel les requérantes ont perçu ces aides, ne remplissait pas les conditions prescrites par la règlementation communautaire, pour autant qu'il provenait de la production de l'entreprise Milchwerke Auetal-Beyer KG (ci-après dénommée "Auetal").

4. L'entreprise Auetal avait, au cours des années 1978 et 1979, utilisé pour la fabrication de lait écrémé en poudre, outre du lait écrémé, des quantités importantes d'un produit composé à 56 % de lactosérum en poudre, à 31 % de caséinate de sodium et à 13 % de lactose. La composition, en albumines, hydrates de carbone etc., de la poudre ainsi fabriquée était identique à celle de lait écrémé en poudre fabriqué à partir de lait écrémé frais. Dans le cadre de la procédure au principal, il est contesté, selon les cas, si et dans quelle mesure les requérantes au principal ont reçu et utilisé, pour les opérations de transformation ou d'exportation en cause, du lait écrémé en poudre normal provenant de l'entreprise Auetal ou d'un autre fournisseur ou, au contraire, de la poudre fabriquée selon la méthode particulière susmentionnée par l'entreprise Auetal, que celle-ci avait mise sur le marché en tant que lait écrémé en poudre.

5. Selon les constatations de la juridiction nationale, ni les entreprises du secteur considéré ni des laboratoires publics n'étaient en mesure, à l'époque des faits, de constater, au moyen des méthodes d'analyses chimiques qui étaient alors habituellement pratiquées, une différence entre le lait écrémé en poudre fabriqué à partir de lait écrémé frais et la poudre fabriquée par l'entreprise Auetal selon la méthode particulière en question. Les requérantes au principal font donc valoir qu'elles ne pouvaient pas s'apercevoir de ce qu'elles recevaient et utilisaient, le cas échéant, un autre produit que du lait écrémé en poudre fabriqué à partir de lait écrémé frais.

6. L'utilisation de cette méthode particulière de fabrication par l'entreprise Auetal a été découverte par les autorités compétentes allemandes en mai 1979. Dans le cadre de la procédure au principal, les parties sont en désaccord sur la question de savoir si cette découverte aurait pu et dû avoir lieu plus tôt, étant donné que certains éléments indiquant des procédés de fabrication inhabituels avaient déjà été constatés antérieurement. A la suite de cette découverte, le Bundesamt fur Ernahrung und Forstwirtschaft a décidé de retirer les avis d'octroi d'aides et de réclamer la répétition des sommes versées indûment, selon lui, en vertu de ces avis, en faisant valoir que les conditions de l'octroi des aides, à savoir l'utilisation, au moins à la quantité prescrite, de lait écrémé en poudre, n'étaient pas réunies, dès lors que les entreprises requérantes avaient employé, au moins en partie, de la poudre fabriquée par l'entreprise Auetal.

7. Devant le Verwaltungsgericht Frankfurt, les requérantes au principal s'opposent à ces décisions du Bundesamt fur Ernahrung und Forstwirtschaft, en faisant valoir que ne sont pas réunies en l'espèce les conditions dont l'article 48 de la Verwaltungsverfahrensgesetz (loi sur la procédure administrative non contentieuse) du 25 mai 1976 (Bundesgesetzblatt I, p. 1253) fait dépendre le retrait d'un acte administratif accordant un avantage pécuniaire et la répétition des sommes versées en vertu d'un tel acte.

8. Le Verwaltungsgericht Frankfurt a estimé que ces litiges soulèvent un certain nombre de questions d'interprétation du droit communautaire. Il a donc soumis à la Cour, à titre préjudiciel, les questions suivantes :

1. Un produit constitué d'un mélange séché par atomisation de lait écrémé et d'un produit laitier en poudre correspond-il à la notion de lait écrémé en poudre de l'article 1, lettre c), du règlement n° 986-68 du Conseil, du 15 juillet 1968, dès lors que ce produit final présente la même composition (albumine, hydrates de carbone etc.) que le lait écrémé en poudre fabriqué directement à partir du produit de la traite de la vache ?

2. L'article 10 du règlement n° 990-72 de la Commission, du 15 mai 1972, impose-t-il aux autorités des Etats membres une obligation de contrôler la fabrication du lait écrémé en poudre dans l'entreprise productrice ?

3. L'article 10 du règlement n° 990-72 de la Commission, du 15 mai 1972, a-t-il un effet en faveur des bénéficiaires de l'aide ; en d'autres termes, ceux-ci peuvent-ils se prévaloir dans ce cadre d'omissions du chef des autorités compétentes, avec la conséquence que toute action en répétition est exclue ?

4. Pour répondre à la question de savoir si, dans un cas particulier, les aides pour le lait écrémé et le lait écrémé en poudre destinés à l'alimentation des animaux ont été accordées à tort selon les dispositions du règlement n° 986-68 du Conseil et des règlements d'application de la Commission adoptés à cet égard, le droit communautaire, en particulier l'article 8, paragraphe 1, du règlement n° 729-70 du Conseil, du 21 avril 1970, contient-il des règles déterminant la charge de la preuve, ou celle-ci est-elle soumise au droit national ? Si le droit communautaire contient des règles relatives à la charge de la preuve, de quelles règles s'agit-il ?

5. L'article 8, paragraphe 1, du règlement n° 729-70 du Conseil, du 21 avril 1970, constitue-t-il une habilitation directe des autorités nationales compétentes à exiger la répétition d'aides accordées à tort, de sorte que les conditions de fond du droit à répétition figurent de façon exhaustive dans cette disposition ?

6. En cas de réponse affirmative à la question 5 :

Cette disposition, éventuellement complétée par des principes de droit non écrit du droit communautaire, inclut-elle la protection de la confiance légitime du bénéficiaire de l'aide et, dans l'affirmative, dans quelles conditions et dans quelle mesure ? En particulier, le bénéficiaire de l'aide peut-il se prévaloir de la disparition de l'enrichissement et une telle disparition de l'enrichissement existe-t-elle déjà, par exemple, lorsque le bénéficiaire de l'aide a répercuté celle-ci dans le prix ? La répétition est-elle exclue lorsque l'autorité compétente savait qu'elle accordait l'aide à tort, ou l'ignorait par suite d'une négligence grave de sa part ?

7. En cas de réponse négative à la question 5 :

Est-il compatible avec le droit communautaire que le droit national exclue la répétition d'aides indûment accordées

- lorsque le bénéficiaire s'est fié à la force juridique de l'avis d'octroi et que, compte tenu de l'intérêt général au retrait de l'acte, sa confiance reste digne de protection (article 48, paragraphe 2, points 1 à 3, de la Verwaltungsverfahrensgesetz allemande, du 25 mai 1976),

-lorsque le bénéficiaire peut se prévaloir de la disparition de l'enrichissement, à moins qu'il ait connu les circonstances qui ont été à l'origine de l'irrégularité de l'avis d'octroi de l'aide, ou les ait ignorées par suite d'une négligence grave de sa part,

-lorsque le délai d'un an, qui commence à courir au moment où l'autorité compétente prend connaissance des faits qui justifient le retrait de l'avis d'octroi de l'aide, indépendamment du point de savoir si l'intéressé connaissait l'état d'information de l'autorité compétente (article 48, paragraphe 4, de la Verwaltungverfahrensgesetz), est écoulé,

-lorsque l'autorité compétente savait qu'elle octroyait l'aide à tort, ou qu'elle l'ignorait par suite d'une négligence grave de sa part (dispositions combinées de l'article 48, paragraphe 2, 6e phrase, de la Verwaltungsverfahrensgesetz et de l'article 814 du Burgerliches Gesetzbuch) ?

9. Alors que la première de ces questions concerne les conditions de l'octroi des aides, les deuxième à septième questions visent différents aspects de la répétition de ces aides par les autorités nationales lorsque les aides ont été versées sans que les conditions de leur octroi ne fussent réunies. Afin de pouvoir développer plus aisément les principes applicables en la matière qui devront permettre à la juridiction nationale de statuer sur les litiges dont elle est saisie, il convient de regrouper les questions posées et de les aborder dans l'ordre suivant :

- les conditions de l'octroi des aides (première question) ;

- le champ d'application du droit communautaire et du droit national au problème de la répétition d'aides indûment versées (cinquième et sixième questions) ;

- la protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique lors de la répétition d'aides indûment versées (septième question) ;

- la charge de la preuve en cas de répétition d'aides indûment versées (quatrième question) ;

- l'obligation de contrôler la fabrication du lait écrémé en poudre dans l'entreprise productrice (deuxième et troisième questions).

Sur les conditions d'octroi des aides

10. Par sa première question, le Verwaltungsgericht Frankfurt demande à connaître l'interprétation du terme "lait écrémé en poudre" au sens de la règlementation communautaire sur les aides pour le lait écrémé en poudre, et plus particulièrement de l'article 1 du règlement n° 986-68 du Conseil, afin d'être mis en mesure d'apprécier si une poudre comme celle fabriquée par l'entreprise Auetal répond ou non aux conditions de l'octroi des aides.

11. La requérante Frischli-Milchwerke Holtorf & Schakel KG a estimé, dans ses observations devant la Cour, que c'est la composition matérielle et non le procédé de fabrication qui est déterminant pour la notion de "lait écrémé en poudre", d'autant plus que la reconstitution de produits laitiers à partir de leurs composants préalablement séparés serait une pratique habituelle et admise dans les laiteries de la communauté.

12. A cet égard, il y a lieu d'observer que l'article 1 du règlement n° 986-68 du Conseil définit, dans son alinéa d, le lait écrémé en poudre comme du "lait... sous forme de poudre", en précisant par ailleurs la teneur en matière grasse et en eau. Le lait, quant à lui, est défini dans l'alinéa a de ce même article comme "le produit de la traite d'une ou de plusieurs vaches, auquel rien n'a été ajouté et qui n'a tout au plus subi qu'un écrémage partiel". Il ressort de ces définitions qu'un produit pour la fabrication duquel d'autres matières que le produit de la traite d'une ou de plusieurs vaches ont été utilisées, ne peut faire l'objet d'aides au titre du mécanisme d'intervention susmentionné, quelle que soit par ailleurs la composition chimique du produit final ainsi obtenu.

13. Cette interprétation littérale est confirmée par la finalité du système des aides en question, qui, dans le cadre du régime d'interventions établi par le règlement n° 804-68 du Conseil, doivent contribuer à permettre l'écoulement du lait au prix fixé dans le cadre de l'organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers. Il serait contraire à cet objectif que des aides pour le lait écrémé en poudre soient dues pour un produit fabriqué à partir de matières qui ne se trouvent plus sur le marché laitier ou qui ont déjà bénéficié d'aides similaires lors de leur fabrication, tel que c'est le cas lors de la transformation de lait écrémé en caséine et en caséinate, conformément à l'article 11 du règlement n° 804-68 du Conseil.

14. Il y a donc lieu de répondre à la première question qu'un produit constitué d'un mélange séché par atomisation de lait écrémé et d'une poudre composée de lactosérum, de caséinates de sodium et de lactose, n'est pas du lait écrémé en poudre au sens de la règlementation communautaire sur les aides pour le lait écrémé en poudre et plus particulièrement de l'article 1 du règlement n° 986-68 du Conseil, du 15 juillet 1968, même si sa composition est la même que celle du lait écrémé en poudre fabriqué à partir de la traite de la vache.

Sur le champ d'application du droit communautaire et du droit national au problème de la répétition d'aides indûment versées

15. Selon les explications données par le Verwaltungsgericht Frankfurt, la cinquième question vise, en substance, à savoir si le droit communautaire et plus particulièrement l'article 8, paragraphe 1, du règlement n° 729-70 du Conseil, du 21 avril 1970, fournit aux autorités nationales compétentes une habilitation directe pour exiger la répétition d'aides indûment versées, de sorte que les conditions de fond du droit à répétition figurent d'une façon exhaustive dans cette disposition, ou si une telle répétition se fait selon les règles et modalités prévues par la législation nationale, et quelles sont, le cas échéant, les limites à une telle application du droit national.

16. Afin de répondre à cette question, il convient d'abord de rappeler les règles et principes généraux du droit communautaire en la matière, développés par la jurisprudence de la Cour.

17. Conformément aux principes généraux qui sont à la base du système institutionnel de la communauté et qui régissent les relations entre la communauté et les Etats membres, il appartient aux Etats membres, en vertu de l'article 5 du traité, d'assurer sur leurs territoires l'exécution des règlementations communautaires, notamment dans le cadre de la politique agricole commune. Pour autant que le droit communautaire, y compris les principes généraux de celui-ci, ne comporte pas de règles communes à cet effet, les autorités nationales procèdent, lors de cette exécution des règlementations communautaires, en suivant les règles de forme et de fond de leur droit national, étant entendu, comme la Cour l'a déjà dit dans son arrêt du 6 juin 1972 (Schluter, n° 9471, Rec. p. 307), que cette règle doit se concilier avec la nécessité d'une application uniforme du droit communautaire, nécessaire pour éviter un traitement inégal des opérateurs économiques.

18. C'est dans ce contexte que l'article 8, paragraphe 1, du règlement n° 729-70 du Conseil, dispose que les Etats membres prennent, "conformément aux dispositions législatives, règlementaires et administratives nationales", les mesures nécessaires pour prévenir et poursuivre les irrégularités qui affecteraient les opérations du Feoga et pour récupérer les sommes perdues à la suite d'irrégularités ou de négligences. En conséquence, il incombe aux autorités nationales compétentes d'exercer toutes les fonctions de contrôle nécessaires en vue d'assurer que les aides ne soient accordées que dans les conditions de la règlementation communautaire et que soit sanctionnée de manière appropriée toute violation des règles du droit communautaire. Dans son état d'évolution actuel, le droit communautaire ne comporte pas de dispositions spécifiques relatives à l'exercice de cette fonction par les administrations nationales compétentes.

19. Conformément à ces principes, la Cour a itérativement constaté (arrêts du 5.3.1980, Ferwerda, n° 265-78, Rec. p. 617 ; du 12.6.1980, Lippische Hauptgenossenschaft, n° 119 et n° 126-79, Rec. p. 1863 ; du 6.5.1982, Fromme, n° 54-81, Rec. p. 1449 ; du 6.5.1982, Baywa, n° 146, n° 192 et n° 193-81, Rec. p. 1503) que les litiges relatifs à la récupération de montants indûment versés en vertu du droit communautaire doivent, en l'absence de dispositions communautaires, être tranchés par les juridictions nationales, en application de leur droit national, sous réserve des limites qu'impose le droit communautaire en ce sens que les modalités prévues par le droit national ne peuvent aboutir à rendre pratiquement impossible la mise en œuvre de la règlementation communautaire et que l'application de la législation nationale doit se faire d'une façon non discriminatoire par rapport aux procédures visant à trancher des litiges du même type, mais purement nationaux.

20. Il s'ensuit que l'article 8, paragraphe 1, du règlement n° 729-70, ne règle pas les relations entre les organismes d'intervention et les opérateurs économiques concernés et ne constitue notamment pas une base juridique autorisant les autorités nationales à agir en répétition contre les bénéficiaires d'aides indûment versées, de telles actions étant soumises au droit national.

21. Il est vrai que ce renvoi au droit national peut avoir pour effet que les conditions de répétition d'aides indûment versées diffèrent, dans une certaine mesure, d'un Etat membre à l'autre. La portée de telles différences, inévitables d'ailleurs en l'état d'évolution actuel du droit communautaire, est cependant réduite par les limites auxquelles la Cour a, dans ses arrêts susmentionnés, soumis l'application du droit national.

22. En premier lieu, l'application du droit national ne doit pas porter atteinte à la portée et à l'efficacité du droit communautaire. Tel serait notamment le cas si cette application rendait la récupération de sommes irrégulièrement octroyées pratiquement impossible. En outre, tout exercice d'un pouvoir d'appréciation sur l'opportunité d'exiger ou non la restitution des fonds communautaires indûment ou irrégulièrement octroyés serait incompatible avec l'obligation que l'article 8, paragraphe 1, du règlement n° 729-70 fait aux administrations nationales de récupérer les sommes indûment ou irrégulièrement versées.

23. En second lieu, l'application du droit national doit se faire de façon non discriminatoire par rapport aux procédures visant à trancher des litiges du même type mais purement nationaux. D'une part, les autorités nationales doivent procéder, en la matière, avec la même diligence et selon des modalités ne rendant pas plus difficile la récupération des sommes en question que dans des cas comparables concernant uniquement la mise en œuvre de législations nationales correspondantes. D'autre part, nonobstant l'exclusion ci-dessus évoquée de toute appréciation sur l'opportunité d'exiger ou non la restitution, les obligations imposées par la législation nationale aux entreprises auxquelles des avantages financiers basés sur le droit communautaire ont été octroyés irrégulièrement ne doivent pas être plus strictes que celles imposées aux entreprises qui ont reçu irrégulièrement des avantages similaires basés sur le droit national, à supposer que les deux groupes de bénéficiaires se trouvent dans des situations comparables et que, partant, un traitement différent ne puisse pas être justifié objectivement.

24. S'il s'avérait par ailleurs que des disparités entre les législations nationales sont de nature à compromettre l'égalité de traitement entre les opérateurs économiques des différents Etats membres, à provoquer des distorsions ou à nuire au fonctionnement du Marché commun, il appartiendrait aux institutions communautaires compétentes d'arrêter les dispositions nécessaires pour remédier à de telles disparités.

25. Il y a donc lieu de répondre à la cinquième question du Verwaltungsgericht Frankfurt que la répétition, par les autorités nationales, des sommes indûment versées en tant qu'aides selon la règlementation communautaire se fait, en l'état actuel d'évolution du droit communautaire, selon les règles et modalités prévues par la législation nationale, sous réserve des limites qu'impose le droit communautaire à une telle application du droit national.

26. Compte tenu de cette réponse à la cinquième question, la sixième question posée pour le cas où la répétition d'aides indûment versées serait soumise aux règles et modalités prévues par le droit communautaire, est sans objet.

Sur la protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique lors de la répétition d'aides indûment versées

27. La septième question posée par le Verwaltungsgericht Frankfurt vise, en substance, à savoir si les limites que le droit communautaire pose à une application du droit national s'opposent, le cas échéant, à la prise en considération de la protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique lors de la répétition d'aides indûment versées.

28. Il ressort des ordonnances de renvoi que le Verwaltungsgericht Frankfurt pose cette question afin d'être mis en mesure d'apprécier si l'application de l'article 48 de la Verwaltungsverfahrensgesetz allemande à un cas comme celui de l'espèce est conforme aux principes ci-dessus énoncés du droit communautaire. Cet article dispose, aux fins de la prise en considération de la protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique, notamment

- qu'un acte administratif irrégulier ayant accordé une prestation pécuniaire ne peut pas être retiré lorsque le destinataire s'est fié à la force juridique de l'acte administratif et que, compte tenu de l'intérêt général au retrait de l'acte, sa confiance est digne de protection ;

- que le bénéficiaire d'une telle prestation peut se prévaloir de la disparition de l'enrichissement, conformément aux règles du droit civil à cet égard, à moins qu'il ait connu les circonstances qui ont été à l'origine d'irrégularité de l'octroi ou qu'il les ait ignorées par suite d'une négligence grave de sa part ;

- que le retrait d'un acte administratif irrégulier doit être effectué dans un délai d'un an à partir du moment où l'administration a eu connaissance des circonstances en cause, à moins que l'acte administratif ait été obtenu par dol, contrainte ou corruption de la part du bénéficiaire ;

- que la répétition de l'indu est exclue dès lors que l'administration savait qu'elle octroyait la prestation à tort ou qu'elle l'ignorait par suite d'une négligence grave de sa part.

29. Selon la Commission, l'application au moins de certains des critères prévus par la règle nationale en question aux fins de l'exclusion de la répétition d'aides indûment versées pourrait se heurter au principe que l'application du droit national ne doit pas porter atteinte à la portée et à l'efficacité du droit communautaire. Tel serait notamment le cas lorsque la possibilité de répéter l'indu serait subordonnée au respect d'un délai trop bref ou lorsque la seule connaissance ou négligence de l'autorité nationale suffirait pour exclure la répétition d'aides indûment versées.

30. A cet égard, il y a lieu de souligner d'abord que les principes du respect de la confiance légitime et de la sécurité juridique font partie de l'ordre juridique communautaire. On ne saurait donc considérer comme contraire à ce même ordre juridique qu'une législation nationale assure le respect de la confiance légitime et de la sécurité juridique dans un domaine comme celui de la répétition d'aides communautaires indûment versées. Il résulte par ailleurs d'une étude des droits nationaux des Etats membres en matière de retrait d'actes administratifs et de répétition de prestations financières indûment versées par l'administration publique que le souci d'assurer, sous des formes différentes, un équilibre entre, d'une part, le principe de la légalité et, d'autre part, le principe de sécurité juridique et de la confiance légitime est commun aux droits des Etats membres.

31. Dès lors que les règles et modalités appliquées par les autorités nationales en matière de répétition d'aides communautaires sont les mêmes que celles appliquées par ces autorités dans des cas comparables concernant les prestations financières purement nationales, on ne saurait supposer en principe que ces règles et modalités sont contraires aux obligations des autorités nationales en vertu de l'article 8 du règlement n° 729-70 de récupérer des sommes irrégulièrement octroyées, et portent dès lors atteinte à l'efficacité du droit communautaire. Ceci vaut particulièrement pour des causes d'exclusion de la répétition qui s'attachent à un comportement de l'administration elle-même, et que celle-ci peut dès lors éviter.

32. Il convient d'ajouter toutefois que le principe selon lequel l'application de la législation nationale doit s'effectuer sans discrimination par rapport aux procédures purement nationales du même type exige que l'intérêt de la communauté soit pleinement pris en considération lors de l'application d'une disposition qui, comme celle de l'article 48, alinéa 2, première phrase, de la Verwaltungsverfahrensgesetz, soumet le retrait d'un acte administratif irrégulier à l'appréciation des différents intérêts en cause, à savoir, d'une part, l'intérêt général au retrait de l'acte et, d'autre part, la protection de la confiance de son destinataire.

33. Il y a dès lors lieu de répondre à la septième question que le droit communautaire ne s'oppose pas à la prise en considération par la législation nationale concernée, pour l'exclusion d'une répétition d'aides indûment versées, de critères tels que la protection de la confiance légitime, la disparition de l'enrichissement sans cause, l'écoulement d'un délai ou la circonstance que l'administration savait qu'elle octroyait à tort les aides en question ou qu'elle l'ignorait, par suite d'une négligence grave de sa part, sous réserve toutefois que les conditions prévues soient les mêmes que pour la récupération des prestations financières purement nationales et que l'intérêt de la communauté soit pleinement pris en considération.

Sur la charge de la preuve en cas de répétition d'aides indûment versées

34. Par sa quatrième question, le Verwaltungsgericht Frankfurt demande à connaître les règles relatives à la charge de la preuve en cas de répétition d'aides indûment versées.

35. A cet égard, il convient de souligner, ainsi que l'a fait la Commission dans ses observations, que la question de la charge de la preuve ne se pose, dans un contexte comme celui de l'espèce, que dans une mesure limitée. Il incombe d'abord aux autorités nationales d'épuiser d'office toutes les possibilités d'établir les faits dont dépend l'application des dispositions communautaires dans un cas d'espèce. Ce n'est qu'en cas d'impossibilité de vérifier ces faits que la question peut se poser de savoir qui supporte la charge d'une telle impossibilité, et si les autorités nationales peuvent néanmoins agir contre l'entreprise concernée.

36. En ce qui concerne le droit applicable à cet effet, il y a lieu d'observer qu'en renvoyant au droit national en ce qui concerne la répétition d'aides indûment versées, l'article 8, paragraphe 1, du règlement n° 729-70 ne fait aucune distinction entre les conditions matérielles d'une telle répétition et les règles de procédure et de forme que celle-ci doit suivre. Les unes comme les autres, y comprise celle de la charge de la preuve, sont donc déterminées par le droit national, sous réserve des limites, ci-dessus rappelées, pouvant découler du droit communautaire à cet égard. Les indications données dans les ordonnances de renvoi sur le contenu des règles du droit national applicable ne permettent pas à la Cour de développer des éléments supplémentaires d'interprétation du droit communautaire à cet égard.

37. Toutefois, les requérantes Deutsche Milchkontor GmbH, E. Kampffmeyer, Schwarzwaldmilch GmbH et Inntaler Mischfutter GmbH & Co. KG ont encore fait valoir que le droit communautaire est applicable dans le cas des exportations de lait écrémé en poudre vers l'Italie selon les dispositions du règlement n° 1624-76 de la Commission, à la preuve de la conformité du produit exporté avec la règlementation communautaire. Selon elles, cette preuve résulterait du fait que les destinataires italiens ont apporté les preuves nécessaires devant les autorités italiennes, afin d'obtenir la libération de la caution prévue par ce règlement.

38. Il convient d'observer à cet égard que la preuve apportée dans l'Etat membre destinataire devant les autorités de celui-ci, en vertu des dispositions du règlement n° 1624-76, a pour objet la dénaturation ou la transformation du lait écrémé en poudre par l'importateur en vue d'obtenir la libération de la caution par les autorités de l'Etat membre destinataire. Cette preuve ne concerne pas la question de savoir si le lait écrémé en poudre exporté aux fins de la dénaturation ou de la transformation répondait aux conditions du règlement n° 986-68 pour pouvoir bénéficier des aides dans l'Etat membre exportateur.

39. Il y a dès lors lieu de répondre à la quatrième question posée par le Verwaltungsgericht Frankfurt que la charge de la preuve, en cas de répétition d'aides indûment versées, est déterminée par le droit national, sous réserve des limites pouvant découler du droit communautaire à cet égard.

Sur l'obligation de contrôler la fabrication du lait écrémé en poudre dans l'entreprise productrice

40. Par ses deuxième et troisième questions, le Verwaltungsgericht Frankfurt demande enfin à savoir si les autorités nationales ont une obligation de contrôler la fabrication du lait écrémé en poudre dans l'entreprise productrice et si, le cas échéant, un manquement à cette obligation peut avoir pour conséquence que la répétition des aides indûment versées est exclue.

41. Les Gouvernements de la République fédérale d'Allemagne et du Royaume-Uni ont contesté l'existence d'une telle obligation, en faisant valoir que le règlement n° 990-72 de la Commission, à l'article 10 duquel le Verwaltungsgericht Frankfurt a fait référence dans ses questions, n'a pour objet que la dénaturation du lait écrémé en poudre et sa transformation en aliments composés pour animaux, et non sa fabrication.

42. A cet égard, il y a lieu d'observer que les différentes dispositions prévoyant une obligation des autorités nationales d'exercer certains contrôles pour assurer le respect de la règlementation communautaire en la matière, tels que l'article 10 du règlement n° 990-72 de la Commission et l'article 8 du règlement n° 729-70 du Conseil, ne font que confirmer expressément une obligation qui incombe déjà aux Etats membres en vertu du principe de coopération énoncé à l'article 5 du traité.

43. En conséquence, les Etats membres sont tenus de vérifier par des contrôles appropriés la conformité du lait écrémé en poudre avec la règlementation communautaire en la matière, afin d'assurer que les aides communautaires ne soient pas versées pour des produits ne devant pas en bénéficier. Il appartient à la juridiction nationale d'apprécier quels sont, compte tenu notamment des circonstances de l'affaire et des méthodes techniques disponibles à l'époque en question, les contrôles nécessaires à cet effet.

44. En ce qui concerne les conséquences d'un manquement à cette obligation de contrôle pour la répétition de sommes indûment versées, et notamment la question de savoir si les bénéficiaires des aides peuvent s'en prévaloir afin de s'opposer à une action en répétition, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus au sujet du champ d'application du droit communautaire et du droit national au problème de la répétition d'aides indûment versées ainsi que de la protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique, que ces conséquences relèvent, en l'état d'évolution actuel du droit communautaire, du droit national et non du droit communautaire. Il appartient donc également aux juridictions nationales de les apprécier en vertu du droit national applicable.

45. Il y a dès lors lieu de répondre aux deuxième et troisième questions que les autorités nationales sont tenues de contrôler la fabrication du lait écrémé en poudre par des vérifications dans l'entreprise de fabrication si un tel contrôle est nécessaire afin d'assurer le respect de la règlementation communautaire, et qu'il appartient à la juridiction nationale d'apprécier les conséquences d'un manquement éventuel à cette obligation en vertu du droit national applicable.

Sur les dépens

46. Les frais exposés par les Gouvernements de la République fédérale d'Allemagne et du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Verwaltungsgericht Frankfurt, par ordonnances du 3 juin 1982, dit pour droit :

1) Un produit constitué d'un mélange séché par atomisation de lait écrémé et d'une poudre composée de lactosérum, de caséinates de sodium et de lactose, n'est pas du lait écrémé en poudre au sens de la règlementation communautaire sur les aides pour le lait écrémé en poudre et plus particulièrement de l'article 1 du règlement n° 986-68 du Conseil, du 15 juillet 1968, même si sa composition est la même que celle du lait écrémé en poudre fabriqué à partir de la traite de la vache.

2) La répétition, par les autorités nationales, des sommes indûment versées en tant qu'aides selon la règlementation communautaire se fait, en l'état actuel d'évolution du droit communautaire, selon les règles et modalités prévues par la législation nationale, sous réserve des limites qu'impose le droit communautaire à une telle application du droit national.

3) Le droit communautaire ne s'oppose pas à la prise en considération par la législation nationale concernée, pour l'exclusion d'une répétition d'aides indûment versées, de critères tels que la protection de la confiance légitime, de la disparition de l'enrichissement sans cause, de l'écoulement d'un délai ou de la circonstance que l'administration savait qu'elle octroyait à tort les aides en question ou qu'elle l'ignorait par suite d'une négligence grave de sa part, sous réserve toutefois que les conditions prévues soient les mêmes que pour la récupération de prestations financières purement nationales, et que l'intérêt de la communauté soit pleinement pris en considération.

4) La charge de la preuve en cas de répétition d'aides indûment versées est déterminée par le droit national sous réserve des limites pouvant découler du droit communautaire à cet égard.

5) Les autorités nationales sont tenues de contrôler la fabrication du lait écrémé en poudre par des vérifications dans l'entreprise de fabrication, si un tel contrôle est nécessaire afin d'assurer le respect de la règlementation communautaire. Il appartient à la juridiction nationale d'apprécier les conséquences d'un manquement éventuel à cette obligation en vertu du droit national applicable.