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Décisions

CJCE, 30 juin 1988, n° 226-87

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République hellénique

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mackenzie Stuart

Présidents de chambre :

MM. Bosco, Moitinho De Almeida, Rodriguez Iglesias

Juges :

MM. Koopmans, Everling, Galmot, Kakouris, Schockweiler

Avocat général :

M. Mancini

CJCE n° 226-87

30 juin 1988

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 20 juillet 1987, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que, en omettant d'adopter, dans le délai imparti, les mesures nécessaires pour se conformer à la décision n° 85-276(CEE) de la Commission, du 24 avril 1985, relative à l'assurance en Grèce des biens publics et des crédits accordés par les banques publiques helléniques (JO L 152, p. 25), la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE.

2. L'article 13 de la loi hellénique n° 1256-82, des 28-31 mai 1982, prévoit, d'une part, que tous les biens publics, y compris ceux des entreprises publiques, doivent être assurés exclusivement par des compagnies d'assurances helléniques du secteur public et impose, d'autre part, au personnel des banques publiques helléniques de recommander à leurs clients de s'assurer auprès de compagnies d'assurances dépendant du secteur bancaire public et contrôlées par celui-ci.

3. Par décision du 24 avril 1985, prise sur le fondement de l'article 90, paragraphe 3, du traité, la Commission a déclaré ces dispositions législatives incompatibles avec celles de l'article 90, paragraphe 1, du traité, en liaison avec celles des articles 52, 53, 5, alinéa 2, et 3, sous f), dudit traité. Cette décision, notifiée au gouvernement hellénique par lettre du 30 mai 1985, prévoyait en son article 2 que ce gouvernement était tenu d'informer la Commission, dans un délai de deux mois à compter de cette notification, des mesures qu'il avait prises pour s'y conformer.

4. Aucune information n'étant parvenue à la Commission dans le délai imparti, celle-ci adressa un rappel au Gouvernement hellénique qui lui fit connaître, par lettre du 29 octobre 1985, que l'article 13 de la loi n° 1256-82 allait être modifié dans un avenir immédiat.

5. Cette modification législative n'étant pas intervenue, la Commission engagea, le 8 avril 1986, la procédure prévue par l'article 169 du traité, en mettant la République hellénique en demeure de présenter ses observations.

6. Il s'ensuivit un échange de correspondances au cours duquel les autorités helléniques se bornèrent à annoncer le dépôt imminent devant le Parlement d'un projet de loi destiné à adapter la législation existante à la décision de la Commission du 24 avril 1985.

7. Finalement, après avoir adressé au Gouvernement hellénique, le 17 février 1987, un avis motivé resté sans réponse, la Commission a introduit le présent recours.

8. Pour un plus ample exposé de la législation nationale, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

9. A l'appui de son recours, la Commission soutient que la République hellénique était tenue de se conformer à sa décision du 24 avril 1985 et ne saurait exciper de son illégalité dans le cadre de la présente procédure en manquement.

10. Le gouvernement défendeur fait valoir, pour sa part, que, en réalité, la décision précitée de la Commission devrait être regardée comme un simple avis. La circonstance qu'il n'aurait pas utilisé à son encontre les voies de recours prévues par l'article 173 ne saurait être considérée comme la reconnaissance de son caractère obligatoire et de son bien-fondé. Il serait donc en droit de contester la légalité de cette prétendue décision à l'occasion du présent recours. Il soutient que, contrairement aux énonciations de cette décision, l'article 13 de la loi hellénique n° 1256-82 n'est pas contraire au traité.

11. Il convient de relever que, aux termes de l'article 90, paragraphe 3, du traité CEE : "la Commission veille à l'application des dispositions du présent article et adresse, en tant que de besoin, les directives ou décisions appropriées aux Etats membres." Il résulte de l'arrêt de la Cour du 6 juillet 1982 (République française, République italienne et Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord/Commission, affaires jointes n° 188 à 190-80, Rec. p. 2545) que, si la compétence ainsi conférée à la Commission s'exerce dans un champ d'application spécifique et dans des conditions définies en fonction de l'objet propre de cet article, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que les "directives" et "décisions" visées par cette disposition du traité appartiennent à la catégorie générale des directives et décisions prévues à l'article 189.

12. Dans ces conditions, la décision de la Commission, du 24 avril 1985, était, en vertu des dispositions de l'article 189, alinéa 4, du traité, "obligatoire en tous ses éléments" pour la République hellénique à qui elle était adressée. Cette dernière était donc tenue d'en respecter les dispositions jusqu'à ce qu'elle ait éventuellement obtenu de la Cour de justice soit le sursis à exécution, soit l'annulation de la décision en cause. Il est constant qu'en l'espèce le Gouvernement hellénique n'a ni demandé à la Cour ni par suite obtenu d'elle de telles mesures.

13. Pour contester le manquement qui lui est reproché, la République hellénique ne saurait, en tout état de cause, exciper de l'illégalité de la décision du 24 avril 1985.

14. En effet, le système des voies de recours établi par le traité distingue les recours visés aux articles 169 et 170, qui tendent à faire constater qu'un Etat membre a manqué aux obligations qui lui incombent, et les recours visés aux articles 173 et 175, qui tendent à faire contrôler la légalité des actes ou des abstentions des institutions communautaires. Ces voies de recours poursuivent des objectifs distincts et sont soumises à des modalités différentes. Un Etat membre ne saurait donc utilement, en l'absence d'une disposition du traité l'y autorisant expressément, invoquer l'illégalité d'une décision dont il est destinataire comme moyen de défense à l'encontre d'un recours en manquement fondé sur l'inexécution de cette décision.

15. La République hellénique a objecté à l'audience que, dans le cas d'espèce et pour répondre à une exigence fondamentale de l'ordre juridique communautaire, la Cour devrait néanmoins exercer son contrôle, par voie d'exception, sur la décision du 24 avril 1985. En effet, celle-ci méconnaîtrait le principe fondamental de la répartition des compétences entre la communauté et les Etats membres et manquerait ainsi de toute base juridique dans l'ordre communautaire.

16. Cette objection ne pourrait être accueillie que si l'acte en cause était affecté de vices particulièrement graves et évidents, au point de pouvoir être qualifié d'acte inexistant (arrêt du 26 février 1987, Consorzio Cooperative d'Abruzzo, n° 15-85, Rec. p. 1005). Or, l'argumentation avancée par la République hellénique ne contient aucun élément précis de nature à conférer une telle qualification à la décision de la Commission. Elle a d'ailleurs elle-même considéré que la décision du 24 avril 1985 n'était pas inexistante lorsqu'elle a annoncé tout au long de la procédure précontentieuse son intention de s'y conformer.

17. Il résulte de tout ce qui précède que le recours de la Commission doit être accueilli, sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur la légalité de la décision litigieuse.

Sur les dépens

18. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La République hellénique ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête :

1) En omettant d'adopter, dans le délai imparti, les mesures nécessaires pour se conformer à la décision n° 85-276 (CEE) de la Commission, du 24 avril 1985, relative à l'assurance en Grèce des biens publics et des crédits accordés par les banques publiques helléniques (JO L 152, p. 25), la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE.

2) La République hellénique est condamnée aux dépens.