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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 30 novembre 2004, n° 03-04222

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

BFI (SA), Besnard (Epoux), Odyssée (SARL)

Défendeur :

Auchan France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Guillanton

Conseillers :

MM. Patte, Christien

Avoués :

SCP Bazille-Genicon, SCP Castres Colleu Perot & Le Couls-Bouvet

Avocats :

Me Six, SCP Saigne & Associés

T. com. Brest, du 11 avr. 2003

11 avril 2003

Exposé du litige

Par arrêt du 15 mars 2001, la Cour d'appel de Douai a condamné, par des dispositions propres ou confirmatives, la société anonyme Auchan à réparer le préjudice subi par la société anonyme Philippe Besnard Consultant (PBC), ayant pour activité la télésurveillance et l'installation de systèmes de sécurité, en raison de la rupture brutale des relations d'affaires établies entre les parties.

Arguant avoir subi par ricochet du fait de cette rupture brutale un préjudice personnel, la société anonyme BFI, société mère de la société PBC, les époux Besnard, actionnaires et salariés de la société PBC, et la société Odyssée, filiale de la société PBC à laquelle la maintenance du système de sécurité installé dans les hypermarchés du groupe Auchan avait été sous-traitée, ont, par acte du 22 mai 2002, fait assigner la société Auchan devant le Tribunal de commerce de Brest, lequel a, par jugement du 11 avril 2003, statué en ces termes :

"Déboute les demandeurs, Monsieur Philippe Besnard, Madame Nelly Jezequel épouse Besnard, Monsieur et Madame Besnard, la société BFI la société Odyssée de toutes leurs demandes à titre de dommages et intérêts ;

Déboute chacune des parties de sa demande formée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Condamne solidairement les demandeurs aux dépens".

Reprochant aux premiers juges d'avoir considéré qu'ils ne justifiaient pas d'un préjudice distinct de celui de la société PBC déjà réparé en exécution de l'arrêt de la Cour d'appel de Douai, les sociétés BFI et Odyssée et les époux Besnard ont relevé appel de cette décision en demandant à la cour de :

"Vu les articles 1382 du Code civil et L. 442-6 du Code de commerce,

Dire et juger la société Auchan responsable du préjudice subi par Monsieur Philippe Besnard, Madame Nelly Besnard née Jezequel, la société BFI et la société Odyssée;

En conséquence, condamner la société Auchan à payer à :

* la société BFI 500 000 euro

* la société Odyssée 300 000 euro

* Monsieur Besnard 1 500 000 euro

* Madame Besnard 100 000 euro

* Monsieur et Madame Besnard 1 000 000 euro

à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis par chacun ;

Condamner la société Auchan à payer à chacun des demandeurs à l'instance la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile " ;

La société Auchan conclut quant à elle à la confirmation du jugement déféré et réclame en outre l'allocation d'une indemnité de 7 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour les sociétés BFI et Odyssée et les époux Besnard le 5 août 2003, et pour la société Auchan le 14 novembre 2003.

Exposé des motifs

La société Auchan demande liminairement à la cour de refuser aux appelants toute audience tant que ceux-ci n'auront pas produit les comptes de la société PBC et ceux de deux sociétés civiles immobilières appartenant au même groupe.

Les appelants n'ont toutefois jamais fait état de ces pièces ou de leur teneur dans leurs écritures, en sorte qu'ils ne peuvent être contraints de les communiquer en application de l'article 133 du nouveau Code de procédure civile.

Il leur appartient par ailleurs de démontrer l'existence des préjudices allégués ainsi que leur lien causal avec la faute reprochée à l'intimée et de déterminer en conséquence eux-mêmes quelles pièces seraient de nature à faire cette preuve.

La société Auchan, qui n'a pas à suppléer la carence des parties adverses dans l'administration de la preuve, n'a donc pas à exiger la production des comptes de l'ensemble des sociétés du groupe PBC en vertu de l'article 142 du nouveau Code de procédure civile et ne peut que se borner à tirer toutes conséquences du refus de les communiquer si elle estime que seuls ces documents étaient de nature à établir la réalité des préjudices invoqués.

La société Auchan ne peut davantage soutenir que l'action des appelants serait irrecevable faute d'intérêt pour agir, alors que, prétendant avoir subi un préjudice personnel distinct de celui subi par la société PBC, les actionnaires, salariés et sous-traitant de la société victime de la rupture des relations contractuelles établies par cette dernière disposent, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, d'un recours contre le tiers auquel il est fait grief d'avoir brutalement rompu ces relations.

En revanche, les appelants ne démontrent nullement avoir subi le préjudice personnel distinct de celui subi par la société PBC qu'ils allèguent, en sorte que, par de pertinents motifs que la cour adopte, les premiers juges ont exactement décidé que les demandes des sociétés BFI et Odyssée et des époux Besnard n'étaient pas fondées dès lors qu'ils ne justifiaient pas d'un préjudice (et non d'un intérêt) distinct de celui de la société PBC.

En effet, la perte de la valeur des titres de la société PBC invoquée par la société BFI qui détient 98,6 % du capital de sa filiale, de même que la perte des dividendes versés par la société PBC à la société BFI, la perte des apports opérés par Monsieur Besnard dans le capital ou dans les comptes de la société PBC, et enfin la perte des emplois occupés par les époux Besnard au sein de la société PBC ne résultent pas de la brutalité de la rupture des relations contractuelles imputables à la société Auchan, laquelle a été intégralement réparée par l'exécution de l'arrêt de la Cour d'appel de Douai qui, en indemnisant les pertes sociales subies par la société PBC en raison de l'absence de préavis de rupture, a rétabli la valeur patrimoniale et la situation économique qui auraient été la sienne si un préavis de rupture avait été respecté.

Ces chefs de préjudice invoqués par les appelants résultent en réalité de l'incapacité de la société PBC, malgré la réparation du préjudice ayant résulté du défaut de préavis de rupture, à sortir de sa situation de dépendance économique et à renouer de nouvelles relations commerciales avec d'autres partenaires économiques pour remplacer le chiffre d'affaire réalisé jusqu'alors avec la société Auchan à laquelle il ne peut être reproché que la brutalité de la rupture et non la rupture elle-même.

Monsieur Besnard ne saurait davantage faire grief à la société Auchan d'avoir dû procéder les 30 juin et 22 juillet 1999 à des apports personnels de 2 150 000 F et cautionner les emprunts contractés pour pallier les difficultés de trésorerie rencontrées par la société PBC en raison de la rupture brutale des relations contractuelles.

En sa qualité de dirigeant social, Monsieur Besnard ne pouvait en effet ignorer le risque économique que courait la société PBC en demeurant en situation de dépendance à l'égard de la société Auchan avec laquelle elle réalisait une part prépondérante de son chiffre d'affaire.

Or, il n'a pas été estimé utile de réinvestir les revenus dégagés entre 1995 et 1997 pour diversifier l'activité ou la clientèle de la société PBC dont la trésorerie a au contraire été asséchée pendant la période précédant ou accompagnant la rupture par d'importantes distributions de dividendes, parfois supérieures au bénéfice de l'exercice (400 000 F en juin 1995, 3 750 000 F en août 1996 et 2 500 000 F en juin 1997), lesquelles avaient de toute évidence pour but de permettre à la société BFI de payer à Monsieur Besnard le prix de la cession à la société tête de holding des actions qu'il détenait dans le capital de la société PBC.

Il en résulte qu'il est impossible de déterminer si les difficultés de trésorerie alléguées résultent de la politique de gestion du groupe constitué et dirigé par Monsieur Besnard ou du caractère brutal de la rupture imputable à la société Auchan, en sorte que l'appelant n'apporte pas suffisamment la preuve, qui lui incombe, d'un lien de causalité certain entre la faute de l'intimée et les apports ou les cautionnements d'emprunts invoqués.

Enfin, la société Odyssée, qui assurait en sous-traitance la maintenance des systèmes de sécurité installés par la société PBC dans les magasins du groupe Auchan, ne peut prétendre être indemnisée de la perte totale de son chiffre d'affaire, dès lors que celui-ci ne résulte pas de la brutalité de la rupture des relations commerciales liant sa société mère à la société Auchan mais de la rupture elle-même, laquelle ne peut être imputée à faute à l'intimée qui était libre, moyennant le respect d'un préavis, de rechercher d'autres co-contractants.

Le préjudice que la société Odyssée a pu personnellement subir n'aurait à cet égard pu résulter que de la rupture brutale des contrats de maintenance qui lui avaient été sous-traités, mais la société Auchan fait valoir sans être utilement réfutée que ces conventions ont été dénoncées à leurs termes annuels moyennant un préavis contractuel qui a été respecté, la société PBC ayant par courrier du 26 mai 1999 pris elle-même l'initiative de cesser à cette date les opérations de maintenance en raison du faible nombre de contrats encore en cours d'exécution.

Le jugement attaqué mérite donc d'être confirmé en tous points.

Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la charge de la société Auchan l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement rendu le 11 avril 2003 par le Tribunal de commerce de Brest en toutes ses dispositions; Condamne in solidum la société BFI, la société Odyssée et les époux Besnard à payer à la société Auchan une somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ; Condamne in solidum la société BFI, la société Odyssée et les époux Besnard aux dépens d'appel ; Accorde à la société civile professionnelle Castres Colleu et Perot, avoués associés, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.