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Décisions

CA Lyon, 3e ch. civ., 12 janvier 2006, n° 05-04061

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

CNH France (SA), Orenstein & Koppel AG (Sté)

Défendeur :

Noiraix-Pey (ès qual.), Matexpo (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Robert

Conseillers :

M. Santelli, Mme Miret

Avocats :

SCP Vogel & Vogel, SCP Lamy, Associés

T. com. Villefranche-Tarare, du 26 mai 2…

26 mai 2005

Faits, procédure et prétentions des parties

La société O&K Orenstein & Koppel AG, société de droit allemand appartenant au groupe Krupp, est fabricant et exportateur de machines de travaux publics (pelles, chargeuses, niveleuses). La société Matexpo, créée le 31 juillet 1998, exerçait une activité de négoce et de location d'engins de travaux publics, principalement pour du matériel d'occasion. Elle distribuait également des produits O&K. La distribution des matériels O&K était assurée en France par la société O&K France, devenue CNH France, importateur exclusif. Localement, elle était assurée par un réseau d'agents non exclusifs, dont faisait partie la société Matexpo.

En novembre 1998, la société O&K a été rachetée par la société Case New Holland, filiale du groupe Fiat, la dénomination étant conservée comme enseigne. A partir de juillet 2000, la société O&K a recentré ses ressources humaines puis elle a ensuite modifié son organisation commerciale : le réseau d'agents dépendants de la société O&K France s'est transformé en un réseau de concessionnaires dépendants de la société O&K Berlin. La société Matexpo est devenue concessionnaire exclusif par contrat signé le 20 février 2001, continuant cependant à avoir des relations étroites avec la société CNH France.

Après dix mois d'exécution du contrat, la société Matexpo était débitrice d'une somme de 1 750 000 euro, correspondant pour l'essentiel au prix d'achat de onze machines neuves non revendues. La société CNH France lui proposait alors un plan d'apurement en contrepartie de la remise d'une chaîne de traites à échéance des 28 février et 30 avril 2002, devant être restituées à la société Matexpo au fur et à mesure de la commercialisation du stock de machines d'occasion. La société Matexpo a payé le matériel dû jusqu'au 31 décembre 2001, mais elle n'a pas pu régler l'intégralité des sommes dues au 28 février 2002. L'interlocuteur de la société Matexpo chez CNH France ayant changé, son successeur a remis à l'encaissement les traites restantes (six au 28 février 2002 pour un montant de 204 208, 50 euro et cinq au 30 avril 2002). Ces traites ont été rejetées par la banque de la société Matexpo, sans conséquence immédiate.

Par lettre du 5 septembre 2002, la société Matexpo a été mise en demeure de payer à la société CNH France une somme de 444 221, 91 euro correspondant à son encours dans les livres de la société O&K. Devant l'impossibilité de parvenir à un accord, la société Matexpo a déclaré son état de cessation des paiements. Par jugement du 21 novembre 2002 la société Matexpo a été mise en redressement judiciaire. Maître Bauland, ès qualité d'administrateur judiciaire, a notifié à la société CNH France son souhait de poursuivre le contrat de concession en cours d'exécution. Une livraison a été possible par l'effet d'une procédure de référé. Devant les délais de livraison imposés et la mésentente des parties, la société Matexpo a renoncé à sa commande et décidé de se fournir chez un concurrent. Aucun repreneur ne se présentant, la société Matexpo a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 17 juillet 2003. La vérification des créances a fait apparaître un passif de 1 335 127, 89 euro sous réserve des opérations en cours.

Par exploit du 24 mars 2004, Maître Noiraix-Pey, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Matexpo, a assigné les sociétés CNH France et O&K devant le Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare en dommages et intérêts pour un montant de 1 335 127,89 euro.

Les défenderesses, avant toute défense au fond, ont soulevé l'incompétence territoriale du tribunal.

Par jugement du 26 mai 2005, le Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare s'est déclaré compétent et a ordonné aux sociétés CNH France et O&K de conclure au fond pour le 7 juillet 2005.

Par requête en date du 8 juin 2005, la société CNH France et la société O&K ont formé contredit à l'encontre du jugement.

Elles font valoir que :

- le contrat de concession comporte une clause relative à la loi applicable (loi allemande) et à la juridiction compétente (Tribunal de commerce de Berlin);

- cette clause remplit les conditions de l'article 48 du nouveau Code de procédure civile et de l'article 23 du règlement CE 44-2001 du 22 décembre 2000;

- l'action a été engagée sur la base d'un contrat, le juge du contrat est donc compétent (juge de Berlin);

- la demande formée au titre de l'information pré-contractuelle relève aussi du juge du contrat;

- la clause est opposable au liquidateur judiciaire;

- la procédure collective est sans incidence sur la compétence;

- les demandes formées à l'encontre de la société CNH France et de la société O&K ne sont pas indivisibles;

- l'affaire concernant la société CNH France peut être renvoyée devant le Tribunal de commerce de Senlis;

Subsidiairement que :

- la demanderesse soit renvoyée à mieux se pourvoir (article 96 du nouveau Code de procédure civile; en fait devant le Tribunal de commerce de Berlin) en application de l'article 6-1 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et l'article 42 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile (choix de la juridiction du lieu où demeure l'un des défendeurs);

Plus subsidiairement que :

- l'affaire soit renvoyée devant le Tribunal de commerce de Senlis en application de l'article 42 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions sur contredit, Maître Noiraix-Pey, ès qualité, demande le débouté des sociétés O&K et CNH France et leur condamnation à lui payer la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, aux motifs que les demandes formées contre la société de droit allemand O&K ne reposent pas sur le contrat mais sur des manquements aux dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce, que la clause attributive de compétence n'est donc pas applicable et que les demandes formées contre la société de droit français CNH France ne sont pas soumises à la clause attributive de compétence puisque ladite société n'est pas partie au contrat, que la clause attributive de compétence n'est pas opposable au liquidateur judiciaire qui agit dans l'intérêt des créanciers de la procédure collective, que le tribunal compétent est le Tribunal de commerce de Villefranche puisque le fait dommageable a été commis dans son ressort.

Motifs de la décision

Attendu que l'assignation délivrée par Maître Noiraix-Pey, ès qualité, devant le Tribunal de commerce de Villefranche se fonde sur le non respect par la société O&K de l'article L. 330-3 du Code de commerce et sur le non-respect par la société CNH France de ses obligations contractuelles; qu'elle invoque cependant la notion de faute, et de ses corollaires, lien de causalité et préjudice;

Attendu que le contrat de concession liant la société O&K à la société Matexpo comporte une clause de compétence en faveur du Tribunal de commerce de Berlin, à la fois conforme aux dispositions de l'article 48 du nouveau Code de procédure civile et à l'article 23 du règlement européen n° 44-2001 du 22 décembre 2000; qu'il s'agit en effet d'un litige mettant en présence deux personnes juridiques ayant la qualité de commerçant dans le cadre d'un rapport international; que la clause a été rédigée au profit d'une juridiction d'un Etat membre par les parties à un contrat dont l'une au moins a son domicile sur le territoire de cet Etat ou d'un autre Etat membre;

Attendu que le litige est né du fait de l'existence du contrat de concession; que la période pré-contractuelle, qui fait partie intégrante de la relation des parties, n'a de raison d'être que parce qu'un contrat a été signé ultérieurement et a déterminé des objectifs consécutifs à la démarche pré-contractuelle; que la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle ne se cumulent pas; que si Maître Noiraix-Pey doit choisir l'un des deux fondements, cela nécessite obligatoirement une analyse voire une interprétation du contrat; que les fautes qu'elle reproche à son cocontractant sont nécessairement liées à l'exécution du contrat;

Attendu que Maître Noiraix-Pey invoque l'inopposabilité de la clause au liquidateur judiciaire; que pourtant elle a agi, aux termes de l'assignation, en tant que représentant de la société Matexpo; que les fautes alléguées à l'encontre de la société O&K sont des fautes commises dans le cadre du contrat ou à l'occasion du contrat; que selon l'article L. 622-9 du Code de commerce, les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la période de liquidation judiciaire par le liquidateur; que ces dispositions sont d'ordre public; que c'est bien à ce titre que Maître Noiraix-Pey a agi; que, dès lors, la clause lui est opposable; qu'en tout état de cause, les reproches formulés à l'encontre de la société O&K trouvent leur origine dans la période antérieure à l'ouverture de la procédure collective; que seul l'examen des moyens développés au fond permettra de dire si la procédure collective a un lien avec l'exécution du contrat litigieux;

Attendu que la clause attributive de compétence prévue au contrat, claire et sans ambiguïté, doit dès lors s'appliquer sans qu'il soit nécessaire de se référer à l'article 5 du règlement communautaire précité;

Attendu que le contrat du 1er février 2000 lie la société O&K et la société Matexpo, mais pas la société CNH France, même si l'exécution lui en est, pour partie au moins, imputable; qu'il n'est pas démontré, à ce stade de la procédure, avant toute défense au fond, que la société Matexpo serait entrée en relation avec la société CNH France si le contrat de concession n'avait pas existé; que les deux sociétés ont été assignées ensemble au motif notamment que leurs fautes engageraient solidairement leur responsabilité; que les demandes formées sont globales et non réparties par rapport à chaque société; qu'elles doivent être considérées comme indissociables;

Attendu qu'en conséquence, la demanderesse au contredit sera renvoyée à mieux se pourvoir conformément à l'article 96 du nouveau Code de procédure civile;

Attendu que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Attendu que Maître Noiraix-Pey, ès qualité, qui succombe sera condamnée aux dépens;

Par ces motifs, LA COUR, Fait droit au contredit formé par les sociétés Orenstein & Koppel AG, et CNH France; Dit que le Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare est incompétent; Renvoie Maître Noiraix-Pey, ès qualité, à mieux se pourvoir; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne Maître Noiraix-Pey, ès qualité, aux dépens.