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Décisions

CJCE, gr. ch., 10 janvier 2006, n° C-302/04

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ynos kft

Défendeur :

János Varga

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Skouris

Présidents de chambre :

MM. Jann, Rosas, Schiemann, Makarczyk

Juges :

MM. Gulmann, La Pergola, Lenaerts, Kuris, Juhász, Arestis, Ilešic, Ó Caoimh

Avocat général :

M. Tizzano

CJCE n° C-302/04

10 janvier 2006

LA COUR (grande chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 6, paragraphe 1, de la directive 93-13-CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la "directive").

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant la société Ynos kft (ci-après "Ynos"), qui exerce l'activité d'agent immobilier, à M. Varga au sujet de l'exécution d'un contrat d'entremise pour la vente d'un bien immobilier.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

L'adhésion de la République de Hongrie à l'Union européenne

3 L'accord européen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d'une part, et la République de Hongrie, d'autre part (JO 1993, L 347, p. 2, ci-après l'"accord d'association"), a été signé le 16 décembre 1991 et est entré en vigueur le 1er février 1994.

4 L'article 67 de cet accord précise:

"Les parties contractantes reconnaissent que l'intégration économique de la Hongrie dans la Communauté est essentiellement subordonnée au rapprochement de la législation existante et future de ce pays avec celle de la Communauté. La Hongrie veille à ce que sa législation future soit compatible dans toute la mesure du possible avec la législation communautaire".

5 L'article 68 du même accord dispose:

"Le rapprochement des législations s'étend en particulier aux domaines suivants: [...] protection des consommateurs, [...]"

6 L'article 2, figurant dans la première partie, intitulée "Les principes", de l'acte relatif aux conditions d'adhésion à l'Union européenne de la République tchèque, de la République d'Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l'Union européenne (JO 2003, L 236, p. 33, ci-après l'"acte d'adhésion") prévoit:

"Dès l'adhésion, les dispositions des traités originaires et les actes pris, avant l'adhésion, par les institutions [...] lient les nouveaux États membres et sont applicables dans ces États dans les conditions prévues par ces traités et par le présent acte".

7 La cinquième partie de l'acte d'adhésion, intitulée "Les dispositions relatives à la mise en œuvre du présent acte", comporte un titre II, "Applicabilité des actes des institutions", qui réunit les articles 53 à 59.

8 L'article 53 de cet acte dispose:

"Dès l'adhésion, les nouveaux États membres sont considérés comme étant destinataires des directives et des décisions, au sens de l'article 249 du traité CE et de l'article 161 du traité CEEA, pour autant que ces directives et décisions aient été adressées à tous les États membres actuels. [...] Les nouveaux États membres sont considérés comme ayant reçu notification de ces directives et décisions au moment de l'adhésion".

9 L'article 54 dudit acte prévoit:

"Les nouveaux États membres mettent en vigueur les mesures qui leur sont nécessaires pour se conformer, dès l'adhésion, aux dispositions des directives [...] au sens de l'article 249 du traité CE [...] à moins qu'un autre délai ne soit prévu dans les annexes visées à l'article 24, ou dans d'autres dispositions du présent acte ou de ses annexes".

La directive

10 L'article 1er, paragraphe 1, de la directive énonce:

"La présente directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur."

11 L'article 6, paragraphe 1, de la directive est libellé comme suit:

"Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s'il peut subsister sans les clauses abusives."

La réglementation nationale

12 En vertu de l'article 3, paragraphe 1, de la loi sur la ratification de l'accord d'association (a Magyar Köztársaság és az Európai Közösségek és azok tagállamai között társulás létesítésérol szóló, Brüsszelben, 1991. december 16-án aláírt Európai Megállapodás kihirdetésérol szóló 1994. évi I. törvény), du 4 janvier 1994, (Magyar Közlöny 1994/1), en vigueur depuis le 1er février 1994, il convient de veiller à ce que la préparation et la conclusion des conventions internationales de la République de Hongrie ainsi que l'élaboration et l'adoption de droit interne soient compatibles avec ledit accord d'association.

13 Le paragraphe 2 du même article prévoit que, pour l'élaboration et l'adoption des règles de droit, il faut se conformer aux obligations définies à l'article 67 du même accord.

14 Les dispositions de droit national pertinentes en matière de clauses contractuelles abusives figurent notamment aux articles 209 et 239 du Code civil hongrois, dans leur version résultant de la loi n° CXLIX/97 sur les modifications du Code civil de la République de Hongrie n° IV/1959 (a Magyar Köztársaság Polgári Törvénykönyvérol szóló 1959. évi IV. törvény módósításáról szóló 1997. évi CXLIX. törvény), du 19 décembre 1997, (Magyar Közlöny 1997-115, ci-après le "Code civil"), entrée en vigueur le 1er mars 1998.

15 L'article 209, paragraphe 1, du Code civil prévoit que, si un contrat contient une clause générale abusive, la partie lésée peut attaquer cette clause.

16 L'article 209/B, paragraphe 1, dudit Code dispose qu'une clause contractuelle générale ou une clause d'un contrat conclu entre un consommateur et une entreprise est abusive lorsque, en violation des exigences de bonne foi, elle détermine unilatéralement et sans justification, au détriment d'une des parties, les droits et les obligations des parties découlant du contrat.

17 Selon l'article 239 du Code civil, en cas d'invalidité partielle d'un contrat, et sauf disposition légale contraire, ce contrat n'est pas intégralement considéré comme invalide, à moins qu'il soit constaté que les parties ne l'auraient pas conclu en l'absence de la partie invalide.

18 L'article 11, paragraphe 5, de la loi n° CXLIX/97 et l'article 3, paragraphe 2, de l'arrêté gouvernemental n° 18-1999 (II.5.), concernant les clauses considérées comme abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (a fogyasztóval kötött szerzodésben tisztességtelennek minosülo feltételekrol szóló kormányrendelet), du 5 février 1999 (Magyar Közlöny 1999/8, ci-après l'"arrêté gouvernemental"), énoncent qu'ils contiennent des dispositions qui sont compatibles avec la directive.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

19 Le 10 janvier 2002, Ynos a conclu avec M. Varga un contrat d'entremise (ci-après le "contrat") pour la vente d'un bien immobilier. Le prix brut que M. Varga avait déclaré vouloir obtenir était de 70 187 500 HUF.

20 Le contrat contenait, pour l'essentiel, des clauses reprenant les conditions générales d'un contrat type.

21 Aux termes du point 5 du contrat, les parties convenaient qu'elles considéreraient que l'entremise avait été fructueuse et que la transaction avait été réalisée si, dans le cadre de cette transaction, un contrat avait été conclu avec l'un des clients de l'intermédiaire. Il était également stipulé, à la seconde phrase du même point, que "le mandant accepte que l'intermédiaire a également droit à la commission si un client trouvé par l'intermédiaire fait une proposition d'achat ou de location relative à l'immeuble dont la propriété appartient au mandant avec un prix au moins égal à celui fixé par le mandant et l'intermédiaire dans le contrat en satisfaisant les critères formels qui s'appliquent à la transaction en question, même si le mandant refuse cette proposition".

22 En cas d'entremise fructueuse, Ynos avait droit, selon le contrat, à une commission égale à 2 % du prix convenu, majoré de la taxe sur la valeur ajoutée. La commission était due au moment de la signature du contrat de vente ou du précontrat correspondant. Si elle n'était pas versée, l'intermédiaire avait le droit de percevoir la commission, majorée d'une pénalité de retard de 30 %.

23 Le 11 mars 2002, les gérants d'Ynos, M. Varga, le fils de M. Varga en tant que vendeur de l'immeuble ainsi que MM. Ragasits et Kovács en tant qu'acheteurs ont signé un accord de principe pour la conclusion du contrat (ci-après l'"accord de principe"), dans lequel ils ont fixé le prix de vente de l'immeuble et ont convenu que le contrat, ou le précontrat de vente, serait conclu pour le 15 mars 2002 au plus tard. À cette date, cependant, ni le contrat ni le précontrat de vente n'ont été conclus.

24 L'immeuble a finalement été vendu, en 2003, à une personne autre que MM. Ragasits et Kovács.

25 Ynos a introduit un recours devant le Szombathelyi Városi Bíróság en faisant valoir que l'entremise avait été fructueuse, au sens du contrat, dans la mesure où les parties avaient conclu l'accord de principe. Elle a demandé que M. Varga soit condamné à lui verser la commission prévue au contrat, majorée des intérêts et des dépens.

26 M. Varga a conclu au rejet de cette demande. Il a fait valoir que la deuxième phrase du point 5 du contrat constitue une clause abusive. Il a ajouté que le contrat de vente de l'immeuble avait été conclu sans l'entremise d'Ynos.

27 Ynos fait valoir que ladite deuxième phrase ne constitue pas une clause abusive au sens de l'article 209/B du Code civil.

28 La juridiction du renvoi estime que dans la mesure où il est possible de constater qu'il y a clause abusive, selon le point de vue de défendeur, il faudra résoudre le litige à la lumière de la directive.

29 C'est dans ces conditions que le Szombathelyi Városi Bíróság a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) L'article 6, paragraphe 1, de la directive [...], qui dispose que les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs dans les conditions fixées par leur droit national, peut-il être interprété en ce sens qu'il peut constituer le fondement d'une disposition nationale telle que celle de l'article 209, paragraphe 1, de la loi nº IV de 1959, relative au Code civil, applicable dans le cas où le caractère abusif d'une condition contractuelle générale est établi, selon laquelle les clauses abusives ne lient pas le consommateur ipso jure, mais seulement si celui-ci fait une déclaration expresse à cet égard, c'est-à-dire s'il conteste le contrat avec succès?

2) Résulte-t-il de la disposition de la directive, selon laquelle le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes s'il peut subsister sans les clauses abusives, que, si les clauses abusives établies par le professionnel ne lient pas le consommateur dans les conditions de son droit national mais si, en l'absence de ces clauses faisant partie du contrat, le professionnel n'aurait pas conclu le contrat avec le consommateur, le contrat n'est pas intégralement invalide s'il peut subsister sans les clauses abusives?

3) Du point de vue de l'application du droit communautaire, le fait que le litige a surgi avant l'adhésion de la République de Hongrie à l'Union européenne, mais après l'adaptation du droit national à la directive, a-t-il une quelconque pertinence?"

Sur la compétence de la Cour

30 Par sa troisième question, à laquelle il convient de répondre en premier lieu, la juridiction de renvoi demande en substance si la Cour est compétente pour répondre aux première et deuxième questions posées. En effet, les faits du litige au principal sont antérieurs à l'adhésion de la République de Hongrie à l'Union européenne, mais postérieurs au rapprochement de l'ordre juridique de cet État avec la directive.

Observations soumises à la Cour

31 Le Gouvernement hongrois et la Commission des Communautés européennes font valoir que la directive n'est pas applicable au litige au principal, dont les faits sont antérieurs à l'adhésion de la République de Hongrie à l'Union européenne. Ils soutiennent que ce litige doit être tranché par application des normes juridiques nationales en vigueur au moment de la conclusion du contrat en cause et de la naissance dudit litige.

32 Selon le Gouvernement tchèque la circonstance que la procédure devant la juridiction nationale a débuté avant l'adhésion de la République de Hongrie n'est pas déterminante en soi. Ce qui importe, c'est que la relation juridique au principal a pris fin avant cette adhésion.

33 Les gouvernements espagnol, letton et autrichien soutiennent en revanche que, à compter de l'adhésion à l'Union européenne, le juge national du nouvel État membre est obligé, dans un cas comme celui du litige au principal, d'interpréter les dispositions du droit national qui visent au rapprochement de ces dernières avec la directive au regard de celle-ci. Dès lors qu'une question préjudicielle émane d'une juridiction nationale au sens de l'article 234 CE, la Cour serait en principe tenue d'y répondre. En outre, le gouvernement letton rappelle que, selon une jurisprudence constante, la Cour se reconnaît compétente pour statuer sur des demandes préjudicielles portant sur des dispositions communautaires dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situent en dehors du champ d'application du droit communautaire, mais dans lesquelles lesdites dispositions de ce droit ont été rendues applicables par le droit national (arrêts du 18 octobre 1990, Dzodzi, C-297-88 et C-197-89, Rec. p. I-3763, point 36, et du 17 juillet 1997, Giloy, C-130-95, Rec. p. I-4291, point 23). Ce gouvernement précise, à cet égard, que si une disposition de la législation nationale est identique au contenu d'une disposition du droit communautaire, ces deux dispositions doivent recevoir une interprétation uniforme, indépendamment de la question de savoir si l'adhésion d'un État membre à l'Union européenne est intervenue avant ou après le rapprochement de la législation nationale de cet État avec le droit communautaire.

Appréciation de la Cour

34 Il ressort de la décision de renvoi que le Szombathelyi Városi Bíróság sollicite par ses première et deuxième questions, l'interprétation par la Cour de l'article 6, paragraphe 1, de la directive aux fins d'apprécier la portée de règles de droit national.

35 Toutefois, il convient de rappeler que selon la décision de renvoi les faits du litige au principal sont antérieurs à l'adhésion de la République de Hongrie à l'Union européenne.

36 Or, la Cour est compétente pour interpréter la directive uniquement pour ce qui concerne l'application de celle-ci dans un nouvel État membre à partir de la date d'adhésion de ce dernier à l'Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 1999, Andersson et Wåkerås-Andersson, C-321-97, Rec. p. I-3551, point 31).

37 Comme, en l'occurrence, les faits du litige au principal sont antérieurs à l'adhésion de la République de Hongrie à l'Union européenne, la Cour n'est pas compétente pour interpréter la directive.

38 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la troisième question préjudicielle que dans des circonstances telles que celles du litige au principal, dont les faits sont antérieurs à l'adhésion d'un État à l'Union européenne, la Cour n'est pas compétente pour répondre aux première et deuxième questions.

Sur les dépens

39 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs,

LA COUR (grande chambre)

dit pour droit :

Dans des circonstances telles que celles du litige au principal, dont les faits sont antérieurs à l'adhésion d'un État à l'Union européenne, la Cour de justice n'est pas compétente pour répondre aux première et deuxième questions.