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Décisions

CA Paris, 9e ch. A, 14 avril 1999, n° 98-05246

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Tondi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rognon

Conseillers :

M. Morel, Mme Filippini

Avocats :

Mes Zanelli, Fouche

TGI Créteil, 11e ch., du 9 févr. 1998

9 février 1998

Rappel de la procédure :

La prévention :

U Alain est prévenu :

- d'avoir, à Nogent sur Marne, Esbly et en tout cas sur le territoire national entre septembre 1993 et décembre 1996, fait usage du titre de "mandataire judiciaire" sans être inscrit sur une liste régionale des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises ;

Infraction prévue par l'article 29 al. 1, al. 2 de la loi 85-99 du 25/01/1985 et réprimée par l'article 29 al. 2 de la loi 85-99 du 25/01/1985, l'article 433-17 du Code pénal,

Ou fait usage d'une dénomination présentant une ressemblance de nature à causer une méprise dans l'esprit du public avec ce titre ;

Infraction prévue par l'article 29 al. 3, al. 1, al. 2 de la loi 85-99 du 25/01/1985 et réprimée par l'article 29 al. 3, al. 2 de la loi 85-99 du 25/01/1985, l'article 433-17 du Code pénal,

- d'avoir, à Nogent sur Marne, Esbly et en tout cas sur le territoire national entre septembre 1993 et juillet 1996, effectué un travail clandestin, en l'espèce en exerçant l'activité de conseil, mandataire, sans procéder aux déclarations fiscales et sociales obligatoires ;

Infraction prévue par les articles L. 362-3, L. 324-9, L. 324-10, L. 324-11, L. 320, L. 143-3 du Code du travail et réprimée par les articles L. 362-3, L. 362-4, L. 362-5 du Code du travail,

- d'avoir, à Nogent sur Marne, Esbly et en tout cas sur le territoire national entre septembre 1993 et décembre 1996, sans être inscrit régulièrement au barreau, assisté ou représenté des parties, postulé ou plaidé devant des juridictions ou organismes juridictionnels, en l'espèce en intervenant et concluant pour le compte d'autrui dans des instances juridictionnelles;

Infraction prévue par les articles 4 et 72 de la loi 71-1130 du 31/12/1971 et réprimée par l'article 72 de la loi 71-1130 du 31/12/1971

Le jugement :

Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré U Alain non coupable et l'a relaxé des fins de la poursuite des faits qui lui sont reprochés;

Sur l'action civile :

Le tribunal a reçu en la forme la constitution de partie civile de Monsieur le Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau du Val-de-Marne;

A rejeté quant au fond la constitution de partie civile de M. le Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau du Val-de-Marne en raison de la relaxe du prévenu;

A laissé les dépens à la charge de la partie civile;

Les appels :

Appel a été interjeté par :

M. le Procureur de la République, le 16 février 1998 contre Monsieur U Alain,

Monsieur Tondi Maxime, le 17 février 1998 contre Monsieur U Alain

Décision :

LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi,

En la forme,

Considérant qu'interjetés dans les formes et délais légaux, les appels sont recevables ;

Au fond,

Sur les faits et la procédure antérieure :

Considérant que Alain U est titulaire de la licence en sciences juridiques et politiques - option droit - qui lui a été conférée le 1er octobre 1984 par l'Université de Paris 8;

Qu'il dit avoir travaillé dans deux cabinets d'avocats avant d'exercer à titre indépendant, sans jamais avoir été inscrit sur une liste de conseils juridiques, en qualité de "mandataire près le tribunal de commerce", jusqu'en 1991 ;

Que par lettre adressée le 5 décembre 1991 à l'URSSAF, Alain U demandait sa radiation motif pris de ce qu'en "raison de la réforme portant fusion des professions judiciaires et juridiques il était dans l'obligation de cesser cette activité de mandataire à compter du 1er janvier 1992 faute d'avoir pu obtenir son inscription sur la liste des Conseils juridiques" ;

Qu'en réalité, il a continué l'exercice à titre habituel de cette activité de mandataire sous couvert de structures sociales dont l'objet déclaré - et les mentions de l'immatriculation au RCS s'imposent à ceux qui s'en prévalent - démontre la nature exacte des activités déployées ;

Qu'il n'est pas sans intérêt d'observer que les sociétés considérées ont eu leur siège social hors du ressort du Tribunal de commerce de Paris où U prétend avoir une case et dans lequel il est domicilié ;

Qu'il s'agit d'abord de la SARL Cabinet U immatriculée au RCS de Bobigny le 17 septembre 1990, ayant son siège social au Blanc-Mesnil et qui exploitait à l'enseigne "Candice Prestige" une affaire de "recouvrement de créances tant en demande qu'en défense et tous les autres contentieux; représentation devant les tribunaux ; rédaction d'actes"; que le siège social ayant été transféré à Nogent sur Marne, Iles des Loups, elle a été immatriculée au RCS de Créteil le 5 février 1991 sous le numéro B.379.3024.058;

Que la dénomination sociale France Recouvrement "cabinet FR" qui résulterait des délibérations d'une AGE du 15 novembre 1995 est bien celle mentionnée dès l'origine avec la raison commerciale "Candice Prestige", démonstration qu'Alain U est maître dans l'art de la confusion;

Qu'ainsi, la SARL Mazars - Cabinet U est constituée le 11 janvier 1996 et immatriculée au RCS de Créteil, à la même adresse, sous le n° B.40.3414570, pour l'exploitation d'un fonds créé de "recouvrement de créances, représentation devant les tribunaux, rédaction d'actes, gestion de patrimoines .

Que la SARL France Recouvrement est déclarée en liquidation judiciaire le 12 mars 1997;

Que cependant, on retrouve son identification RCS et SIREN sur les documents et actes concernant la société Mazars - Cabinet U ";

Que Alain U, son épouse Lidy Kadoche et la société holding Plak, qu'ils avaient constituée, étaient associés pour des activités de négoce de vêtements, dans les sociétés La Romaine et Allicand;

Que dans le cadre de procédures commerciales, Alain U représentait l'une ou l'autre comme leurs adversaires ;

Qu'ainsi, il n'hésitait pas à représenter la SARL Complice alors même qu'il élevait une contestation sur le rôle de celle-ci dans la société La Romaine dans laquelle elle avait été associée et à laquelle elle baillait un fonds de commerce ;

Qu'en tout cas, des administrateurs et liquidateurs judiciaires ont dénoncé au Parquet le rôle tenu par Alain U dans les procédures concernant les sociétés Complice, Odyssée Communication, Rovico, Corovi et les instances concernant leurs dirigeants pour lesquels il déposait des conclusions, communiquait des pièces, usant de papier à en-tête et timbres humides faisant état de la qualité de mandataire, ou mandataire près le tribunal de commerce, établi selon les cas à Nogent-Sur-Marne, Esbly (77) ou rue du faubourg Saint-Martin à Paris...

Que cette activité est corroborée par l'ouverture d'un compte séquestre à la CD.C. n° 048868 sous l'intitulé "U mandataire" ; l'enseigne du Siren : "Cabinet juridique" ; les relevés de Centragest -libéral, centre de gestion agréé auprès duquel U était inscrit;

Considérant que les investigations diligentées auprès des administrations sociale (URSSAF) et fiscale ont permis d'établir :

1°) que Alain U n'était plus inscrit ni à titre indépendant ni en qualité de salarié depuis le 1er janvier 1992

2°) qu'il n'a souscrit aucune déclaration de chiffre d'affaires en 1993 et était inconnu des services fiscaux de Seine et Marne alors qu'il établissait son domicile professionnel 23, rue d'Espinoux à Esbly;

Considérant qu'il est ainsi fait grief à Alain U d'avoir fait usage du titre de mandataire judiciaire sans être inscrit sur la liste régionale des mandataires judiciaires ; usé d'une dénomination trompeuse ; exercé clandestinement une activité de conseil ; exercé illégalement la profession d'avocat ;

Que, pour le relaxer, les premiers juges ont retenu que l'article 853 du Code de procédure civile permettait à Alain U d'assister ou représenter les parties devant le tribunal de commerce ;

Qu'il pouvait donner des consultations juridiques et rédiger des actes par application de l'article 54 de la loi du 31 décembre 1990 ;

Qu'il n'avait usurpé la dénomination d'avocat;

Que celle de mandataire voire mandataire près le tribunal de commerce n'est pas réglementée et répond à une activité reconnue des professionnels de droit ;

Qu'il avait exercé sous couvert de sociétés connues du fisc et de l'URSSAF ;

Considérant que le parquet appelant poursuit la réformation du jugement en appelant meilleure qualification des délits prévus par la loi du 31 décembre 1971 ;

Considérant que l'Ordre des avocats du Val-de-Marne, partie civile appelante, fait valoir que l'article 55 de la loi du 31 décembre 1971 soumet la faculté accordée par l'article 54 à la souscription d'une assurance de responsabilité professionnelle et à la justification d'une garantie financière affectée au remboursement des fonds, effets ou valeurs reçus à ces occasions et demande à la cour de retenir, s'il échet, le délit prévu et puni par les articles 54, 55 et 66-2 de cette loi ;

Qu'il réclame la somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts et la publication de l'arrêt dans un quotidien régional;

Considérant que Alain U conclut à la confirmation du jugement déféré;

Qu'il argue de ce qu'il a toujours disposé d'un pouvoir spécial pour intervenir devant les juridictions consulaires et qu'au contraire, il n'a jamais usé du titre d'avocat ;

Qu'il sollicite la condamnation de l'Ordre à lui payer une indemnité de 20 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Ceci exposé :

Sur l'exercice clandestin d'une activité de conseil

Considérant qu'il est constant et même admis que Alain U a exercé à titre habituel, en toute indépendance, sans lien de subordination, moyennant des honoraires, une activité de rédacteur d'actes juridiques, de conseils, de représentation en justice, essentiellement devant les tribunaux de commerce ;

Qu'à partir du 1er janvier 1992, il l'a fait sous couvert des deux sociétés précitées SARL France Recouvrement Cabinet U à l'enseigne Candice Prestige et SARL Mazars Cabinet U qui ne l'ont jamais déclaré en qualité de salarié ;

Qu'il s'ensuit qu'il n'avait souscrit pour cette activité aucune des déclarations fiscales et sociales obligatoires ;

Que l'intention délictueuse ressort suffisamment de la confusion entretenue entre les sociétés, les adresses d'exercice et même les numéros d'appel téléphoniques (cote D16);

Sur la dénomination "mandataire près le tribunal de commerce" :

Considérant que la loi 85-99 du 25 janvier 1985, en son article 29, réglemente et protège le titre de " mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises auprès des tribunaux de la cour d'appel de... "

Qu'elle interdit (alinéa 3 de l'article précité) l'usage d'une dénomination présentant une ressemblance de nature à causer une méprise avec ce titre dans l'esprit du public;

Que les procédures de liquidation judiciaire ressortant essentiellement de la compétence des tribunaux de commerce, l'appellation "mandataire près le tribunal de commerce" est de nature à induire une confusion et à provoquer une méprise dans l'esprit d'un public normalement vigilant et attentif; que le prévenu ne peut se prévaloir de l'existence de listes professionnelles "officieuses" dénuées de valeur légale ou réglementaire ;

Sur l'exercice de la profession d'avocat :

Considérant qu'il n'est pas contesté et qu'il est même revendiqué par Alain U que celui-ci exerce habituellement et à titre libéral une activité de représentation devant les tribunaux de commerce du ressort de la Cour d'appel de Paris;

Qu'or, il résulte de la combinaison des articles 853 du Code de procédure civile, qui doit être strictement interprété, et 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, que nul ne peut, à titre de profession habituelle et en toute indépendance, assister et/ou représenter des parties devant la juridiction commerciale s'il n'est avocat ;

Que l'exigence d'un pouvoir spécial implique le caractère occasionnel de l'assistance et/ou de la représentation par un prestataire ne répondant pas aux conditions de capacité, d'aptitude et de garanties exigées des avocats ;

Considérant que l'exercice illégal de la profession autorise l'Ordre, garant de ces conditions, à se constituer partie civile ;

Que son préjudice sera justement réparé par l'indemnité et la publication sollicitées ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, Déclare les appels recevables, Réforme le jugement déféré, Statuant à nouveau, Déclare Alain U coupable d'avoir de septembre 1993 à décembre 1996, 1°) fait usage de la dénomination "mandataire près le tribunal de commerce", présentant une ressemblance de nature à causer une méprise dans l'esprit du public avec le titre de " mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises auprès des tribunaux de la cour d'appel de... " ; 2°) Exercé la profession d'avocat sans être inscrit régulièrement à un Barreau ; 3°) exercé clandestinement une activité de conseil et mandataire en justice, sans avoir procédé aux déclarations sociales et fiscales afférentes ; Le relaxe de tout autre chef des poursuites ; En répression le condamne aux peines de 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 100 000 F d'amende ; Constate que l'avertissement prescrit par l'article 132-29 du Code pénal a été notifié ; Reçoit l'Ordre des avocats au barreau du Val-de-Marne en sa constitution de partie civile ; Y faisant droit, condamne Alain U à lui payer la somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts ; Ordonne, à titre de réparation civile, la publication de l'arrêt par extraits dans le quotidien Le Parisien, éditions de Paris et du Val-de-Marne, sans que le coût des insertions puisse excéder la somme de 50 000 F.