CA Aix-en-Provence, 2e ch., 31 mai 2005, n° 2005-414
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Breitling France (SARL)
Défendeur :
Idéal (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Thiolet
Conseillers :
MM. Blin, Fohlen
Avoués :
SCP de Saint Ferreol-Touboul, Me Jauffres
Avocats :
Mes Meyer, Culioli
I) Objet du litige,
Par jugement en date du 14 janvier 2002, le Tribunal de commerce de Nice a partiellement fait droit aux demandes formulées par la SARL Idéal contre la SARL Breitling France, en condamnant cette dernière à lui payer, d'une part, avec exécution provisoire, la somme de 83 938,32 euro à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, en réparation du préjudice qu'elle aurait subi du fait " de l'inégalité de traitement et de l'attitude dilatoire" de la société Breitling France à son égard dans la procédure d'agrément qu'elle avait mis en place, (la société Breitling France ayant volontairement tardé à répondre à la demande d'agrément pour la revente des montres Breitling à la SARL Idéal) alors qu'elle avait déjà accordé cet agrément à un bijoutier voisin des locaux de la SARL Idéal, et d'autre part la somme de 1 524,49 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du NCPC.
Ce jugement a par ailleurs débouté la SARL Breitling France de ses demandes reconventionnelles pour concurrence déloyale et contrefaçon de marque et débouté la SARL Idéal de sa demande en dommages-intérêts de ces chefs.
Par déclaration déposée au greffe de la cour, le 28 janvier 2002, la SARL Breitling France a relevé appel de ce jugement.
Assurant que la distribution des montres Breitling ne pouvait être soumise qu'à un système de distribution sélective et que dans ce cadre elle ne pouvait accepter comme revendeur que des commerçants qui obéissaient au protocole qu'elle avait rédigé, elle estime que la SARL Idéal ne remplissait pas les critères requis.
C'est ainsi que la SARL Idéal ne commercialisait pas, lors de sa candidature, deux des autres marques de standing exigées par le protocole et notamment des montres Girard Peregaux.
D'autre part son fonds de commerce ne donnait pas une image de prestige en adéquation avec l'image de marque des montres Breitling, puisque les articles qui y sont exposés sont usagés ou d'occasion.
Enfin la société n'offrait pas à la vente des articles neufs de haut de gamme en provenance de fournisseurs.
Elle estime que la SARL Idéal a été parfaitement informée sur les conditions posées pour pouvoir être agréée, notamment par son attaché commercial et affirme que cette société n'a pas répondu aux questions qui lui ont été posées sur notamment les raisons de sa déclaration sur les montres Girard Peregaux qu'elle disait vendre alors que cela ne s'est pas avéré exact.
Elle soutient que c'est par suite de ce refus d'explication que le dossier la concernant est resté en suspens et que la poursuite de la procédure d'agrément qui dépendait en fait de sa seule volonté n'a pu progresser.
Reprochant également aux premiers juges d'avoir à tort considéré que le point de vente de la SARL Idéal était luxueux, alors qu'il ne dégage pas les critères de luxe définis par le protocole de distribution sélective, de n'avoir pas relevé que les produits, que cette société vendait, étaient des articles d'occasion acquis auprès de particuliers sans l'agrément des marques, que les produits vendus n'étaient exposés à la vente qu'en faibles quantités, que cette société n'assurait pas un véritable service après-vente en se contentant d'adresser à des horlogers les montres à réparer, de lui avoir imputé une attitude dilatoire alors que la société Idéal ne réagissait pas à ses demandes et d'avoir considéré que la société Idéal avait subi un préjudice alors qu'aucune preuve de ce préjudice n'était rapportée, la SARL Breitling France demande à la cour de :
- Réformer le jugement querellé,
- Débouter la SARL Idéal de toutes ses demandes;
Considérant par ailleurs que la SARL Idéal avait fait un usage abusif de la marque Breitling et de son logo, en éditant à plusieurs centaines d'exemplaires un catalogue mis à la disposition du public sur les lieux de vente grâce à un procédé de montage par photocopie, sans son autorisation, la SARL Breitling France qui estime que ces faits sont constitutifs de contrefaçon, soutient en outre, " eu égard à la confusion qu'ils ont créée dans l'esprit du public en laissant penser au consommateur que la SARL Idéal était un revendeur agréé de sa marque ", que les actes de cette société sont également constitutifs de concurrence déloyale.
Elle demande ainsi à la cour de condamner la SARL Idéal à lui payer la somme de 31 000 euro en réparation du préjudice qu'elle aurait subi du fait de ces actes de contrefaçon et de concurrence déloyale et la somme de 7 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du NCPC.
De son coté la SARL Idéal a conclu à entendre la cour:
- Juger que la SARL Breitling France a commis une faute en s'abstenant de motiver son refus d'agrément,
- Juger que cette faute a été génératrice d'un important préjudice pour elle,
- Condamner la SARL Breitling France à lui payer en réparation de ce préjudice la somme de 455 900 euro avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- Débouter cette société de sa demande au titre de la contrefaçon et de la concurrence déloyale,
- Condamner la société Breitling France à lui payer la somme de 10 000 euro pour le caractère abusif et vexatoire de ses demandes reconventionnelles et la somme de 7500 euro au titre des dispositions de l'article 700 du NCPC.
Elle rappelle:
- qu'elle a distribué des montres Breitling par suite d'un agrément que lui avait concédé la société Niarquin, qui était promoteur de réseau de la société Breitling,
- que toutefois dans le cadre de la réorganisation de la distribution des produits Breitling, la SARL Breitling France s'est vu confier par la SA Breitling, le soin de mettre en place un système de distribution sélective,
- que dans le cadre de cette mise en place, elle a par courrier en date du 1er juillet 1999 fait part à la SARL Breitling France de son intention de conserver la distribution des montres Breitling,
- que la société appelante lui a adressé un questionnaire sans l'informer des critères de sélection tout en lui laissant penser lors des échanges de correspondance ultérieures qu'elle concourrait effectivement à la sélection, alors
- que dès le 12 juillet 1999 elle avait déjà agréé en qualité de distributeur une bijouterie voisine de la sienne, sans lui avoir notifié les motifs de son refus d'agrément.
- que ce refus d'agrément ne lui a été notifié que le 24 mars 2000 sans aucun motif concret, alors que les jeux étaient faits depuis longtemps.
Considérant que son préjudice imputable à la faute de la SARL Breitling doit être calculé à partir des investissements qu'elle avait réalisés auprès de la société Breitling et à partir de la perte de chiffre d'affaires qu'elle a enregistré sur les ventes de montres au cours de l'année 2000, et comprendre l'atteinte à son image de marque, elle évalue son préjudice, toutes causes confondues, à la somme de 455 900 euro.
Sur les demandes de la SARL Breitling au titre de la contrefaçon et de la concurrence déloyale, elle expose que l'impression des dépliants publicitaires prétendus contrefaits, était intervenue en 1998, ainsi que le révèle la facture qu'elle produit, soit à une période où elle était en droit de vendre les montres Breitling que lui revendait la société Niarquin qui était alors et jusqu'au mois d'avril 1999, date de la création de la SARL Breitling, le distributeur exclusif de la SA Breitling.
Que mise en demeure de détruire ces dépliants par des lettres en date des 7 et 24 novembre 2000, elle s'est conformée à cette demande en détruisant ces dépliants ainsi que cela résulte du constat d'huissier dressé le 28 novembre 2000.
L'ordonnance de clôture était rendue le 29 mars 2005, tandis que par conclusions déposées le 22 avril 2005 la SARL Idéal demandait à la cour de rejeter comme tardives les pièces communiquées par la SARL Breitling France les 8 mars, 22 mars et 14 avril 2005 ainsi que les conclusions déposées par cette société et signifiées le 10 mars 2005.
La SARL Breitling France s'est opposée à cette demande.
II) Motifs
1) Sur la recevabilité de l'appel
Les parties ne discutant pas de la recevabilité de l'appel et la cour ne relevant aucun élément susceptible de lui permettre de soulever une fin de non-recevoir d'office, il convient de déclarer l'appel recevable.
2) Sur la demande de rejet des conclusions déposées le 10 mars 2005 par la SARL Breitling France et des pièces déposées par cette société les 8, 22 mars et 14 avril 2005.
Les conclusions et pièces déposées avant l'ordonnance de clôture peuvent effectivement être déclarées irrecevables lorsque leur dépôt tardif a pour effet de placer la partie adverse dans l'impossibilité de les analyser et de pouvoir y répondre utilement et à temps avant que ne soit intervenue l'ordonnance de clôture.
La violation du contradictoire, qui peut résulter d'une communication tardive, quoique antérieure à l'ordonnance de clôture, de pièces ou de conclusions, doit être prouvée par la partie qui s'en prétend victime.
En revanche lorsque la clôture de la procédure est intervenue, les pièces et conclusions déposées et communiquées après cette clôture doivent être, au besoin d'office, déclarées irrecevables, sauf rabat de l'ordonnance de clôture pour cause grave.
En l'espèce la pièce communiquée et déposée le 14 avril 2005 par la SARL Breitling France, soit postérieurement à l'ordonnance de clôture sera rejetée puisque cette société n'a ni demandé le rabat de l'ordonnance de clôture ni justifié de la cause grave susceptible de permettre le rabat de cette ordonnance.
En revanche les pièces et conclusions communiquées et déposées respectivement les 8 et 10 mars 2005, soit 19 jours avant la clôture de la procédure seront reçues, car le délai séparant cette communication et ce dépôt de l'ordonnance de clôture était suffisamment important pour permettre à la SARL Idéal et à son conseil, qui n'invoquent d'ailleurs aucun empêchement précis d'y répondre à temps.
Il en sera de même pour les pièces communiquées le 22 mars 2005, dont la communication bien que relativement proche de l'ordonnance de clôture permettait tout de même à la société Idéal qui connaissait la plupart de ces pièces et à son conseil de pouvoir y répondre également à temps.
3) Au fond:
Il résulte de l'examen des pièces qui ont été régulièrement communiquées:
- que la SARL Idéal qui vendait des montres de marque Breitling du temps où la société Niarquin était distributeur de la SA Breitling, a demandé à la SARL Breitling France constituée en avril 1999, par courrier en date du 1er juillet 1999 de conserver la possibilité de continuer à vendre des montres de cette marque,
- que par courrier en réponse en date du même jour, la SARL Breitling France qui avait décidé de mettre en place une distribution sélective des montres Breitling lui a transmis un questionnaire en lui demandant de le lui retourner dûment rempli,
- Qu'à une date qui n'est pas précisée, la SARL Idéal a renvoyé le questionnaire rempli à la SARL Breitling France,
- Que cette réalité résulte de la lettre en date du 27 septembre 1999 adressée à la SARL Idéal par la SARL Breitling France, dans laquelle cette société reconnaît avoir reçu le questionnaire sus visé,
- Que dans cette lettre, après la phrase "avant de prendre une décision définitive vous concernant ..." (relativement à l'agrément de la SARL Idéal) il était demandé à cette dernière des explications sur la constatation faite par le commercial de la SARL Breitling France de l'absence à la vente dans les locaux de la SARL Idéal de montres de marque Perregaux qu'elle avait prétendu offrir à la vente de ses clients,
- Que pourtant et alors que la SARL Breitling France laissait encore croire en septembre 1999, à la SARL Idéal qu'elle n'avait pas encore pris position sur le commerçant qu'elle agréerait pour la vente des montres de marque Breitling dans le secteur considéré de la ville de Nice, cette société avait déjà fait son choix, en ayant agréé le commerçant à l'enseigne Lepage, dont le magasin était situé dans la même avenue et tout près de celui de la SARL Idéal,
- Que cette réalité découle d'une part de l'encart publicitaire paru dans le journal Nice Matin du 12 juillet 1999, dans lequel sous le titre Breitling et sous la photographie d'une montre Breitling apparaît le nom de Lepage avec l'adresse, soit 7 avenue Jean Médecin alors que l'adresse de la SARL Idéal est située au numéro 9 de la même avenue et de l'absence volontaire de toute explication sur ce sujet par la SARL Breitling France,
- Qu'aucune réponse claire n'a enfin de compte était donnée par la SARL Breitling France à la candidature à l'agrément qu'avait présentée la SARL Idéal avant l'année 2000.
Ces constatations permettent à la cour, tout comme l'avaient justement relevé les premiers juges, de retenir une faute à l'encontre de la SARL Breitling France qui ne s'est pas comportée de manière loyale à l'égard de la SARL Idéal dans la procédure d'agrément qu'elle avait mise en place, puisque sa décision relative au commerçant par elle agréé dans le secteur considéré est intervenue avant le 12 juillet 1999, alors que dans sa lettre du 27 septembre 1999, elle laissait encore entendre à la SARL Idéal, qu'une telle décision n'avait pas encore été prise, puisqu'elle lui demandait encore des explications, sans lui avoir notifié un refus motivé en lui indiquant que son choix était intervenu.
Cette faute qui a incontestablement entraîné un préjudice moral pour la SARL Idéal, n'a cependant pas entraîné de préjudice matériel pour cette dernière, qui ne justifie pas qu'elle remplissait effectivement tous les critères exigés par la SARL Breitling pour obtenir son agrément, ni que le commerçant Lepage qui a été agréé ne les remplissait pas.
La cour qui a les éléments d'appréciation suffisants fixera à 25 000 euro la juste réparation du préjudice subi par la SARL Idéal du fait de l'attitude déloyale de la SARL Breitling France à son égard dans la procédure d'agrément qu'elle a mise en œuvre pour la distribution sélective des montres Breitling.
De son coté la SARL Breitling France ne justifie nullement que la SARL Idéal ait fait réaliser les dépliants publicitaires sur les produits Breitling postérieurement au mois d'avril 1999, soit postérieurement à sa propre création et postérieurement à son accréditation comme distributeur exclusif pour la France des montres Breitling par la SA Breitling.
Par ailleurs à défaut d'avoir immédiatement fait connaître à la SARL Idéal sa décision, de ne pas l'avoir agréée pour la vente des montres Breitling, la SARL Breitling France est particulièrement mal venue à reprocher à la SARL Idéal de ne pas avoir immédiatement détruit les dépliants publicitaires qu'elle avait fait établir du temps où elle traitait avec l'établissement Niarquin et d'avoir du fait de cette omission commis des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale, d'autant que la SARL Idéal justifie avoir fait détruire ces imprimés très peu de temps après sa mise en demeure.
La SARL Breitling France sera donc déboutée de ses demandes des chefs de contrefaçon et de concurrence déloyale.
En revanche ces demandes bien que non-fondées, n'ont en fait occasionné aucun préjudice à la SARL Idéal, qui sera déboutée de la demande en dommages et intérêts qu'elle a tenté de justifier au titre d'un prétendu caractère abusif et vexatoire des demandes susvisées de la SARL Breitling France.
L'équité commande toutefois en l'espèce de faire application des dispositions de l'article 700 du NCPC au profit de la SARL Idéal dont la cour détermine les frais non répétibles à la somme de 3 000 euro.
La SARL Breitling France qui succombe en toutes ses prétentions sera condamnée aux dépens.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, Reçoit comme régulier l'appel formé contre le jugement rendu le 14 janvier 2002 par le Tribunal de commerce de Nice; Déclare irrecevable la pièce communiquée et déposée le 14 avril 2005 par la SARL Breitling France, soit postérieurement à l'ordonnance de clôture; Au fond; Confirme cette décision en ce qu'elle a : - débouté la SARL Breitling France de toutes ses demandes, - débouté la SARL Idéal de sa demande en dommages et intérêts du chef des demandes en contrefaçon et en concurrence déloyale formulées par la SARL Breitling France, condamné la SARL Breitling France aux dépens de première instance, Réformant cette décision en ses autres dispositions et statuant à nouveau, Dit que la société Breitling France a agi de manière déloyale à l'égard de la SARL Idéal dans la procédure d'agrément qu'elle a mise en place pour la distribution sélective des montres Breitling, Condamne en conséquence la SARL Breitling France à payer à la SARL Idéal la somme de 25 000 euro en réparation du préjudice qu'elle a subi et imputable à cette faute; Condamne la SARL Breitling France à payer à la SARL Idéal la somme de 3 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du NCPC; Condamne la SARL Breitling France aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Jauffres avoué, dans les conditions des dispositions de l'article 699 du NCPC.