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Décisions

CJCE, 5 octobre 2000, n° C-434/98 P

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Conseil de l'Union européenne ; Royaume d'Espagne

Défendeur :

Silvio Busacca e.a. ; Cour des comptes des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Moitinho de Almeida, Edward, Sevón, Schintgen

Avocat général :

M. Alber

Juges :

MM. Gulmann, La Pergola, Puissochet, Ragnemalm, Wathelet, Skouris

Avocats :

Mes Vandersanden, Levi

CJCE n° C-434/98 P

5 octobre 2000

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 1er décembre 1998, le Conseil de l'Union européenne a, en vertu de l'article 49 du statut CE et des dispositions correspondantes des statuts CECA et CEEA de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 30 septembre 1998, Busacca e.a./Cour des comptes (T-164-97, RecFP p. I-A-565 et II-1699, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel le Tribunal a annulé les décisions de la Cour des comptes du 16 septembre 1996 portant rejet de la demande de certains agents l'invitant à inscrire leur nom sur la liste des personnes ayant manifesté leur intérêt pour faire l'objet d'une mesure de cessation définitive des fonctions telle que prévue par le règlement (CE, Euratom, CECA) n° 2688-95 du Conseil, du 17 novembre 1995, instituant, à l'occasion de l'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède, des mesures particulières de cessation définitive des fonctions de fonctionnaires des Communautés européennes (JO L 280, p. 1).

Les faits à l'origine du litige

2. À l'occasion de l'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède, la Commission, après avoir obtenu le 21 juin 1995 l'avis favorable du comité du statut, a présenté, le 7 juillet 1995, une proposition de règlement instituant des mesures particulières de cessation définitive des fonctions de fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après la "proposition initiale"). Cette proposition, qui fixait le nombre des fonctionnaires susceptibles de faire l'objet d'une mesure de "dégagement des cadres" au Parlement, au Conseil, à la Commission, à la Cour de justice, à la Cour des comptes et au Comité économique et social, a été soumise pour avis aux institutions concernées et a reçu un avis favorable du Parlement, de la Cour de justice et de la Cour des comptes.

3. La Commission ayant scindé sa proposition initiale, le Conseil a adopté, le 17 novembre 1995, le règlement n° 2688-95 autorisant le Parlement, jusqu'au 30 juin 2000, à prendre à l'égard de ses fonctionnaires ayant atteint l'âge de 55 ans, à l'exception de ceux classés dans les grades A 1 et A 2, des mesures de cessation définitive des fonctions.

4. M. Busacca e.a., fonctionnaires de la Cour des comptes, ont demandé séparément, par lettres adressées entre le 22 août et le 2 septembre 1996 au secrétaire général de la Cour des comptes en sa qualité d'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'"AIPN"), que leur nom figure sur la liste des personnes ayant manifesté leur intérêt pour une mesure de cessation définitive des fonctions à l'occasion de l'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède.

5. Le secrétaire général de la Cour des comptes leur a répondu, par des lettres en date du 16 septembre 1996, qu'il ne pouvait pas donner une suite favorable à leur demande, les mesures de cessation définitive des fonctions étant, en vertu du règlement n° 2688-95, réservées aux seuls fonctionnaires du Parlement et aucune base juridique ne permettant de prendre ces demandes en considération.

6. M. Busacca e.a. ont introduit séparément, entre le 21 octobre et le 13 décembre 1996, des réclamations contre les décisions contenues, selon eux, dans les réponses de l'AIPN. Ces réclamations ont été rejetées par le secrétaire général de la Cour des comptes comme irrecevables, au motif que les demandes d'inscription sur la liste des personnes ayant manifesté leur intérêt pour une mesure de cessation définitive des fonctions tendaient à l'adoption d'un acte préparatoire et que, partant, le rejet de ces demandes n'était lui-même qu'un acte préparatoire insusceptible de faire l'objet d'une réclamation. Il a ajouté que, si les demandes devaient être interprétées comme tendant à obtenir le bénéfice de mesures de cessation définitive des fonctions, elles devraient être rejetées comme non fondées, à défaut de base légale.

7. À la suite de ces rejets, notifiés le 28 février 1997, M. Busacca e.a. ont, par requête déposée au greffe du Tribunal le 26 mai 1997, formé un recours en vue de l'annulation des décisions de l'AIPN rejetant leurs demandes.

L'arrêt attaqué

8. Le Tribunal a rejeté les moyens d'irrecevabilité de la requête présentés par la Cour des comptes, défenderesse en première instance.

9. Il a en effet considéré que les décisions prises par l'AIPN n'étaient pas des mesures préparatoires et que, en refusant de façon définitive de prendre en considération les demandes présentées par M. Busacca e.a., elles affectaient directement et immédiatement la situation juridique de ces derniers et leur faisaient ainsi grief.

10. Sur le fond, le Tribunal, saisi par voie d'exception de l'illégalité du règlement n° 2688-95, après avoir considéré que ce règlement constituait la base juridique des décisions de l'AIPN, a retenu deux motifs d'illégalité dudit règlement.

11. Il a, en premier lieu, considéré, dans l'exercice d'un contrôle limité à l'erreur manifeste et au détournement de pouvoir, que le règlement n° 2688-95, en tant qu'il limitait au seul Parlement le droit de recourir à des mesures de "dégagement", instituait une différenciation arbitraire, ou manifestement inadéquate par rapport à l'objectif poursuivi, entre des situations tout à fait similaires et était en tant que tel contraire au principe d'égalité, principe fondamental du droit communautaire. En effet, la situation de la Cour des comptes n'était pas différente de celle du Parlement au regard de la nécessité de réaménager la composition du corps des fonctionnaires à leur service à l'occasion de l'adhésion de nouveaux États membres.

12. Le Tribunal a, en second lieu, jugé que le règlement n° 2688-95 était entaché d'une violation des formes substantielles pour ne pas avoir été précédé d'une nouvelle consultation du Parlement et du comité du statut à l'occasion de la modification par la Commission de sa proposition initiale.

13. Il a en effet considéré que la modification apportée à la proposition initiale présentait un caractère substantiel, puisqu'elle en réduisait considérablement la portée, et aurait dû, de ce fait, être soumise, d'une part, au Parlement, en vertu de l'article 24 du traité instituant un Conseil unique et une Commission unique des Communautés européennes, et, d'autre part, au comité du statut, en vertu de l'article 10, deuxième alinéa, deuxième phrase, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes. Or tel n'a pas été le cas.

14. Par ces motifs, le Tribunal a annulé les décisions de la Cour des comptes adressées à M. Busacca e.a. et refusant d'inscrire leur nom sur la liste des personnes ayant manifesté leur intérêt pour une mesure de cessation définitive des fonctions telle que prévue par le règlement n° 2688-95.

Le pourvoi

15. Le Conseil conclut qu'il plaise à la Cour annuler l'arrêt attaqué. À l'appui de son pourvoi, il articule quatre moyens, dont l'un est relatif à la recevabilité du recours formé devant le Tribunal et les autres portent sur le fond.

16. M. Busacca e.a. demandent à la Cour de déclarer le pourvoi irrecevable et de condamner le Conseil aux dépens.

17. Par ordonnance du président de la Cour du 19 avril 1999, le Royaume d'Espagne a été admis à intervenir à l'appui des conclusions du Conseil. Il demande à la Cour d'annuler l'arrêt attaqué.

Sur la recevabilité du pourvoi

18. M. Busacca e.a. soutiennent que l'affaire est relative à un litige opposant la Communauté à ses agents et que, dès lors, la faculté de se pourvoir, offerte par l'article 49, troisième alinéa, du statut CE de la Cour de justice aux États membres et aux institutions qui ne sont pas intervenus devant le Tribunal, ne trouve pas, aux termes mêmes de cette disposition, à s'appliquer. Le Conseil n'étant pas intervenu en première instance dans l'affaire T-164-97, il ne saurait saisir la Cour d'un pourvoi recevable.

19. Le Conseil, soutenu par le Royaume d'Espagne, fait valoir, au contraire, que, par l'expression "litiges opposant la Communauté à ses agents", l'article 49, troisième alinéa, du statut CE de la Cour de justice ne vise pas les litiges qui mettent en cause la légalité d'un acte de portée générale, a fortiori d'un règlement, mais seulement ceuxqui portent sur des questions de nature individuelle, pour lesquelles il n'a pas paru justifié d'ouvrir le droit de saisir la Cour à des institutions ou des États membres qui ne sont pas intervenus devant le Tribunal.

20. Le Conseil considère en outre que, dans l'hypothèse où le présent pourvoi serait déclaré irrecevable et où seraient déclarés fondés les deux pourvois qu'il a formés contre les arrêts du Tribunal du 30 septembre 1998, Chvatal e.a./Cour de justice (T-154-96, RecFP p. I-A-527 et II-1579), et Losch/Cour de justice (T-13-97, RecFP p. I-A-543 et II-1633), lesquels sont analogues, dans leurs motifs comme dans leur dispositif, à l'arrêt attaqué, la clarté juridique pourrait en souffrir puisque cela aboutirait à ce qu'une solution jugée contraire au droit par la Cour dans deux affaires acquière néanmoins force de chose jugée dans une troisième.

21. Il suffit, à cet égard, de rappeler que, aux termes mêmes de l'article 49, troisième alinéa, du statut CE et des dispositions correspondantes des statuts CECA et CEEA de la Cour de justice, dans le cas de litiges opposant la Communauté à ses agents, le droit de saisir la Cour d'un pourvoi n'est pas ouvert aux États membres et aux institutions qui ne sont pas intervenus devant le Tribunal.

22. La nature d'un litige, de laquelle dépend par conséquent la recevabilité du pourvoi, doit être appréciée au regard de l'objet du recours et n'est pas modifiée par les moyens et arguments que les requérants peuvent développer, en fait et en droit, pour justifier leurs prétentions.

23. En l'espèce, M. Busacca e.a. ont demandé l'annulation du refus de la Cour des comptes de les inscrire sur une liste des personnes ayant manifesté leur intérêt pour une mesure de cessation définitive des fonctions. La circonstance qu'ils se prévalent de l'illégalité du règlement n° 2688-95, qui réserve au Parlement la possibilité d'adopter de telles mesures, ne change pas l'objet de leur demande qui, si elle est satisfaite, ne peut se traduire que par l'annulation des décisions individuelles les concernant, et non par celle du règlement n° 2688-95 lui-même, puisque l'illégalité de ce dernier n'a été soulevée que par voie d'exception.

24. Ainsi, l'exception d'illégalité d'un acte de portée générale ne prive pas une affaire portant sur la détermination des droits et des obligations de fonctionnaires de son caractère de litige opposant la Communauté à ses agents. S'il en allait autrement, la réserve prévue par l'article 49, troisième alinéa, du statut CE et par les dispositions correspondantes des statuts CECA et CEEA de la Cour de justice serait privée d'une large part de sa substance. Une telle interprétation créerait en outre de graves incertitudes juridiques, puisque le régime procédural applicable aux litiges en matière de fonction publique dépendrait, comme le relèvent à juste titre M. Busacca e.a., de l'absence ou de l'existence d'une discussion par les parties de l'interprétation ou de la validité de dispositions réglementaires ou générales susceptibles de s'appliquer au cas de l'espèce.

25. En conséquence, dès lors que, en l'espèce, le Conseil n'est pas intervenu en première instance et que le litige est circonscrit à une opposition entre la Communauté et des fonctionnaires n'ayant pas pour objet l'annulation d'un acte réglementaire ou de portée générale, le présent pourvoi est irrecevable.

26. S'agissant de l'inconvénient qui résulterait, selon le Conseil, du passage en force de chose jugée d'un arrêt pourtant semblable à d'autres qui seraient annulés pour erreur de droit, il y a seulement lieu de rappeler que l'inapplicabilité d'un règlement, constatée par voie incidente, en vertu de l'article 184 du traité CE (devenu article 241 CE), à l'occasion d'un litige mettant en cause ce règlement, n'a d'effet obligatoire qu'entre les parties à ce litige.

27 Le pourvoi formé par le Conseil doit dès lors être rejeté.

Sur les dépens

28 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Aux termes de l'article 69, paragraphe 4, également applicable à la procédure de pourvoi, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

29 M. Busacca e.a. ayant conclu à la condamnation du Conseil aux dépens et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens, à l'exception de ceux exposés par le Royaume d'Espagne, qui supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête:

1) Le pourvoi est rejeté comme irrecevable.

2) Le Royaume d'Espagne supportera ses propres dépens.

3) Le Conseil de l'Union européenne est condamné aux autres dépens.