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Décisions

CJCE, 2e ch., 11 juillet 1985, n° 87-77

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Salerno (Epoux) ; Yvette Ane (Veuve Prachazal) ; Francois Bettendorf ; Gabrielle Boissin ; Margaret Boland ; Jan Bos ; Walter Buekenhoudt ; Elza De Coster ; Eliane De Ruette ; Marcel Devolder ; Liliane Dussaussois (Epouse Aigret) ; Myfanwy Ellis ; Luigi Ferri ; Lino Francescon ; Armande Gillard ; Lambert Haeldermans ; Denise Lewkowitch (Epouse Panzani) ; Gilbert Lhemon ; Marcel Louis ; Henri Mehlen ; Myriam Mercier ; Ingeborg Nijpels (Epouse Vattuone) ; Derek Pullinger ; Hanna Schinkel ; Philippe Schiphorst ; Ingrid Simons (Epouse Cuypers) ; Tatiana Socoloff (Epouse Baran) ; Elisabeth Vanderlande ; Vina Verryck ; tous anciens agents en fonction au siège de l'Association européenne pour la coopération

Défendeur :

Commission des Communautés européennes et Conseil des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Slusny, Gregoire, Lebrun.

CJCE n° 87-77

11 juillet 1985

LA COUR,

1. Par requêtes déposées au greffe de la Cour respectivement le 7 juillet 1977 et le 27 octobre suivant, M. Vittorio Salerno, agent en fonctions au siège de l'Association européenne pour la coopération (ci-après AEC) et 28 autres agents au siège de la même association ont introduit un recours visant, d'une part, à l'annulation de la décision du Conseil d'administration de l'AEC, du 4 novembre 1976, concernant "les modifications apportées au régime de rémunération des agents sous contrat CS et du siège de l'AEC" et, d'autre part, à la constatation que les agents en fonctions au siège de l'AEC sont des fonctionnaires communautaires à partir de la date de leur engagement par l'AEC (affaires n° 87-77 et 130-77).

2. Par requête déposée au greffe de la Cour le 11 février 1983, dix des 28 requérants dans l'affaire n° 130-77 susmentionnée ont introduit un recours visant à l'annulation du règlement n° 3332-82 du Conseil, du 3 décembre 1982, instituant des mesures particulières et transitoires pour le recrutement de 56 agents du siège de l'Association européenne pour la coopération en tant que fonctionnaires des Communautés européennes (JO n° L 352, p. 5) pour autant que ce règlement ne prévoit pas la nomination des agents du siège avec effet à la date de leur engagement par l'AEC (affaire n° 22-83).

3. Par deux requêtes déposées au greffe de la Cour le 9 janvier 1984, M. Vittorio Salerno et les dix requérants dans l'affaire n° 22-83 susmentionnée ont introduit respectivement deux recours visant à l'inapplicabilité du règlement n° 3332-82 précité pour autant qu'il ne prévoit pas la nomination des agents du siège avec effet à la date de leur engagement par l'AEC (affaires n° 9 et 10-84).

A - Sur les antécédents du litige

I - Le cadre juridique de l'AEC

4. Tous les requérants ont été des agents en fonctions au siège de l'AEC, une association internationale de droit belge sans but lucratif ayant reçu la personnalité civile par arrêté royal du 15 septembre 1964 (Moniteur belge du 3.10.1964, p. 10536). L'article 1er des statuts de l'AEC dispose que l'AEC est créée "pour la coopération entre les Communautés européennes et les pays en voie de développement ainsi que les territoires et départements d'outre-mer associés à ces communautés...". L'article 3, alinéa 2, des mêmes statuts prévoit que l'AEC "assure, dans le cadre de ses statuts et des conventions conclues entre elle et la Commission des Communautés européennes, le recrutement, la mise en place et l'administration de personnes destinées à assumer des tâches de coopération et de contrôle scientifique et technique, ainsi que la gestion des bourses accordées par la communauté". Tandis que les membres du Conseil d'administration de l'AEC étaient tous des fonctionnaires de la Commission, le directeur et le directeur adjoint de l'AEC ne pouvaient pas être en position d'activité auprès d'une institution des Communautés européennes (article 25 des statuts).

5. Les conventions conclues les 13 juillet 1965 et 4 juin 1974 entre l'AEC et la Commission, dont mention est faite à l'article 3 des statuts de l'AEC, confient à l'AEC, entre autres, "la tâche de pourvoir au recrutement et à l'administration de délégués de la Commission et d'agents contractuels... pour l'exécution des interventions financées par le Fonds européen de développement ou par le budget de la Commission" (article 1er de la convention du 13 juillet 1965). L'AEC a été autorisée par la Commission "à engager, à son siège social, les agents nécessaires à son fonctionnement administratif" et à opérer la sélection et à fixer les conditions d'engagement du personnel (articles 2 et 3 de la même convention). Il résulte, en outre, de ces conventions que l'AEC opérait principalement sur les instructions et sous le contrôle de la Commission.

6. Quant à la gestion des recettes et dépenses de l'AEC, le protocole financier de l'AEC relatif à la gestion des recettes et dépenses de l'AEC, arrêté le 10 décembre 1965, par le Conseil d'administration de celle-ci, prévoit que les dépenses effectuées par l'AEC s'imputent sur les crédits du Fonds européen de développement (ci-après Fed). L'état prévisionnel de dépenses est approuvé chaque année par la Commission.

7. Quant au régime administratif, le protocole administratif relatif à l'organisation et au fonctionnement de l'AEC, arrêté également par le Conseil d'administration, dispose dans son article 2 que "le recrutement du personnel du siège et le montant des rémunérations sont approuvés par le Conseil d'administration ou par l'administrateur délégué". L'article 15 du même protocole prévoit que, "afin d'harmoniser au mieux le fonctionnement de l'association avec la marche des services de la Commission pour le compte desquels elle accomplit ses tâches de recrutement et de gestion, les dispositions régissant les jours fériés, les heures de travail et la durée des congés seront en principe les mêmes que celles qui sont applicables aux services de la Commission". Toutefois, conformément à l'article 20 dudit protocole, "les régimes de rémunération, indemnités et accessoires... du personnel du siège sont déterminés par leur contrat dans le cadre des dispositions légales et des décisions du Conseil d'administration ou de l'administrateur délégué". Enfin, un règlement interne de l'AEC relatif au régime administratif et financier en date du 14 décembre 1971 dispose que le régime administratif applicable au personnel est défini par la législation belge, les statuts de l'AEC, le protocole administratif..., ainsi que par des décisions générales et les dispositions du contrat individuel.

8. C'est en fonction de ces textes et de leur contrat de travail respectif que tous les requérants ont été engagés par l'AEC et ont exercé leurs fonctions.

II- Les actes faisant l'objet des litiges

9. Le 4 novembre 1976, le Conseil d'administration de l'AEC a arrêté la décision susmentionnée relative aux modifications apportées au régime de rémunération des agents du siège de l'AEC. Par cette décision, l'AEC a rapproché les régimes de rémunération des agents du siège, notamment en ce qui concerne les allocations familiales et scolaires ainsi que les indemnités et les conditions de congé, de ceux des fonctionnaires de la Commission. Toutefois, ladite décision ne fait pas application du statut des fonctionnaires des Communautés européennes aux agents du siège. Par conséquent, des différences existaient entre les régimes d'allocation de foyer et de pension des agents de l'AEC et des fonctionnaires communautaires.

10. L'entrée en vigueur de la convention de Lomé (JO 1976, n° L 25, p. 1), le 1er avril 1976, a élargi considérablement le champ géographique et le volume des aides et a apporté une diversification et un perfectionnement de la coopération. C'est la raison pour laquelle la Commission a, le 9 mars 1978, proposé un règlement du Conseil relatif à la création d'une agence européenne de coopération (ci-après agence). Suivant cette proposition, le Parlement européen entendu, le Conseil a arrêté le règlement n° 3245-81 du Conseil, du 26 octobre 1981, portant création d'une agence européenne de coopération (JO n° L 328, p. 1).

11. L'agence a pour mission d'apporter son concours à la Commission en vue du recrutement, de la mise en place et de la gestion des personnels mis à la disposition des délégations de la Commission ou appelés à assumer les tâches d'assistance ou de coopération technique, en vue de la définition des règles de gestion du personnel de service et en vue de participation à l'exécution de programmes de bourses et de stages (article 3 du règlement n° 3245-81).

12. L'article 14 dudit règlement dispose que "les conditions générales de recrutement et d'emploi ainsi que le régime général des rémunérations, indemnités et accessoires... des agents du siège de l'agence sont déterminés par des dispositions spécifiques, arrêtées par la Commission...".

13. L'agence n'est pas encore opérationnelle, elle n'a, dès lors, pas de personnel, les dispositions prévues à l'article 14 ne sont pas encore adoptées. Partant, l'AEC n'a pas encore été dissoute.

14. Considérant que, par le règlement n° 3245-81, il a été procédé à la création de l'agence destinée à reprendre les activités précédemment exercées par l'AEC, le Conseil a, en outre, arrêté le règlement n° 3332-82, du 3 décembre 1982. L'article 1er de ce règlement dispose que "l'agent en fonction au siège de l'association à la date du 1er janvier 1982 et qui le serait encore lors de l'entrée en vigueur du présent règlement peut être nommé fonctionnaire stagiaire de la Commission des Communautés européennes et affecté à l'un des emplois figurant à cet effet au tableau des effectifs de la Commission pour l'exercice 1982". Conformément à l'article 2 du règlement, "la nomination... s'effectue par dérogation à l'article 4, alinéas 2 et 3, à l'article 28, sous d), et à l'article 29 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes". L'article 3 du même règlement prévoit que, "par dérogation aux articles 31 et 32 du statut des fonctionnaires, le fonctionnaire nommé en vertu du présent règlement est classé au grade et à l'échelon déterminés conformément au tableau d'équivalence de l'annexe. L'ancienneté dans le grade est celle du jour de la nomination en qualité de fonctionnaire stagiaire. L'ancienneté d'échelon est celle que ledit fonctionnaire avait acquise auprès de l'association".

15. Tous les requérants, M. Salerno excepté, ont été nommés, le 10 mars 1983, fonctionnaires stagiaires de la Commission avec effet au 1er janvier 1983, conformément aux dispositions du règlement n° 3332-82 susmentionné.

16. Avant leur nomination, tous les agents du siège ont été soumis à un examen médical préalable. En ce qui concerne M. Salerno, la Commission lui a fait savoir qu'elle estimait ne pas pouvoir lui reconnaître les conditions d'aptitude physique requises pour l'exercice des fonctions auprès de la Commission. M. Salerno, à qui la Commission a notifié que son dossier avait été transmis à une Commission médicale, conformément à l'article 33 du statut, est décédé avant que ladite Commission ait eu l'opportunité d'examiner son cas.

17. Les recours sont dirigés contre la décision du Conseil d'administration de l'AEC du 4 novembre 1976, ainsi que contre le règlement n° 3332-82. Cependant, l'objet principal des recours consiste à demander à la Cour de dire pour droit que les requérants en fonctions auprès de l'AEC sont, à titre principal, des fonctionnaires et, à titre subsidiaire, des agents temporaires de la Commission depuis leur engagement au service de l'AEC.

18. Dans leur réclamation du 3 février 1977, introduite auprès de la Commission, les requérants ont demandé, d'une part, l'annulation de la décision du 4 novembre 1976 et, d'autre part, la reconnaissance par la Commission de leur qualité de fonctionnaire ou d'agent temporaire depuis leur engagement par l'AEC. La Commission a rejeté cette réclamation estimant qu'aucun lien hiérarchique direct ou indirect n'existe entre les requérants et la Commission.

19. Les requérants, dans les affaires n° 9 et 10-84, ont introduit le 8 juin 1983 une réclamation à titre conservatoire dont l'objet était de faire valoir la nullité et l'inapplicabilité du règlement n° 3332-82. La Commission a pris acte de cette réclamation.

20. La Cour, par ordonnances des 12 avril 1978 et 5 octobre 1983, a décidé de joindre respectivement les affaires n° 87 et 130-77 ainsi que l'affaire n° 22-83. Elle a également décidé après la clôture de la procédure orale, sur la demande des requérants, la Commission et l'avocat général entendus, d'y joindre les affaires n° 9 et 10-84 aux fins de l'arrêt.

B - Sur la recevabilité des recours

21. La Commission ayant soulevé une exception d'irrecevabilité dans les affaires n° 87 et 130-77, la Cour a décidé de les joindre au fond. Le Conseil, dans l'affaire n° 22-83, et la Commission, dans les affaires n° 9 et 10-84, ayant contesté la recevabilité des recours, il convient de l'examiner d'abord pour toutes les affaires.

I - Les affaires n° 87 et 130-77

22. La Commission a opposé quatre fins de non-recevoir aux recours en question. D'abord, l'AEC constituerait une entité autonome et distincte de la Commission. En deuxième lieu, la décision du Conseil d'administration de l'AEC n'étant que la confirmation d'une situation juridique antérieure, telle qu'elle résulte des contrats de travail conclus par les requérants, ne ferait pas grief. En outre, la Commission estime qu'elle ne serait pas compétente pour nommer les requérants en dehors des formes et conditions prévues au statut. Enfin, même si lesdites formes et conditions étaient réunies, leur accomplissement ne pourrait entraîner la naissance d'un droit dont la violation serait sanctionnée par une injonction de la Cour à la Commission de nommer ou d'engager les requérants.

23. Par contre, pour les requérants, l'AEC est une unité administrative de la Commission. En revendiquant la qualité de fonctionnaire, ils auraient accès à la Cour. En outre, la décision attaquée comporterait des éléments nouveaux. Leur demande ne viserait qu'une constatation judiciaire dont l'exécution serait la tâche de la seule Commission.

24. A cet égard, il convient de constater, de prime abord, que non seulement les personnes qui ont la qualité de fonctionnaire ou d'agent autre que local, mais aussi celles qui revendiquent ces qualités, peuvent attaquer devant la Cour une décision leur faisant grief (arrêt du 5 avril 1979, Bellintani/Commission, n° 116-78, Rec. p. 1585).

25. Etant donné que les requérants réclament la reconnaissance de la qualité de fonctionnaire de la Commission dès leur engagement par l'AEC, leur recours contre la décision du 4 novembre 1976, refusant implicitement de leur faire application du statut des fonctionnaires et dès lors leur faisant grief, est recevable.

II - L'affaire n° 22-83

26. Le Conseil conteste tout d'abord que le règlement n° 3332-82 concerne directement et individuellement les requérants. Il estime que le règlement a un contenu normatif s'appliquant à des situations déterminées objectivement et comportant des effets juridiques de manière générale et abstraite. D'après l'arrêt de la Cour du 25 mars 1982 (Moksel/Commission, n° 45-81, Rec. p. 1129), une disposition unique ne saurait, en effet, revêtir à la fois le caractère d'un acte de portée générale et celui d'un acte individuel. Comme le règlement serait de nature règlementaire, cela serait suffisant pour déclarer le recours irrecevable.

27. Les requérants soulignent que le règlement en question n'est pas normatif et de portée générale, mais comporte l'application particulière d'une décision d'intégrer à la Commission les 56 agents du siège nommément désignés. Il aurait un effet individuel puisque seules 56 personnes individualisées sont visées.

28. Pour résoudre ce point litigieux, il y a lieu de constater d'abord que le recours est seulement recevable si le règlement n° 3332-82 est à considérer comme constituant une décision qui, bien que prise sous l'apparence d'un règlement, concerne les requérants directement et individuellement au sens de l'article 173, alinéa 2, du traité.

29. Comme la Cour l'a rappelé dans son arrêt du 26 février 1981 (Giuffrida et Campogrande/Conseil, n° 64-80, Rec. p. 693), le critère de distinction entre un règlement et une décision doit être recherché dans la portée générale ou non de l'acte en question.

30. Il est constant que le règlement n° 3332-82 a été arrêté en vue de recruter les seuls 56 agents du siège de l'AEC en fonctions à la date du 1er janvier 1982 et qui l'étaient encore le 15 décembre 1982 (à savoir le jour suivant celui de la publication du règlement au Journal officiel). Lors de l'adoption du règlement, le nombre et l'identité des personnes susceptibles d'en être affectées étaient définitivement déterminés. Le règlement ne constitue dès lors pas une disposition de portée générale, mais doit s'analyser en un faisceau de décisions prises par le Conseil et concernant individuellement chacun des 56 agents du siège de l'AEC.

31. En ce qui concerne la question de savoir si les requérants sont concernés directement par le règlement en cause, il est à rappeler que l'article 3 de celui-ci dispose que les agents du siège nommés en vertu du règlement sont classés au grade et à l'échelon déterminés conformément au tableau d'équivalence de l'annexe du règlement. Cette disposition laisse clairement apparaître que l'AIPN ne dispose d'aucun pouvoir d'appréciation quant au classement des intéressés.

32. Dans ces conditions, les requérants sont directement et individuellement concernés par le règlement n° 3332-82 et, partant, sont recevables en leur recours.

III - Les affaires n° 9 et 10-84

33. La Commission constate, en premier lieu, que les requérants n'attaquent pas les actes individuels les concernant et les titularisant en tant que fonctionnaires ou, dans l'affaire n° 10-84, refusant leur titularisation. La possibilité d'invoquer l'inapplicabilité d'un règlement ne constituerait pas un droit d'action autonome et ne pourrait être soulevée qu'à titre d'exception. Enfin, le recours dirigé contre la Commission par des fonctionnaires aurait dû l'être contre l'AIPN, l'acte faisant grief devant émaner de cette autorité.

34. Pour les requérants, le sens de l'article 184 du traité est de leur donner une seconde chance, leurs recours étant en conséquence recevables. En outre, ils auraient mis en cause "dès à présent" dans leurs réclamations la nullité et, en tout cas, l'inapplicabilité du règlement n° 3332-82, et ce sur la base des articles 179 et 184 du traité. Enfin, en demandant la jonction de leurs requêtes avec les affaires n° 87-77 et 130-77, ils se réfèreraient implicitement, mais cependant clairement, à leurs conclusions dans ces affaires. Il ne pourrait donc être mis en doute qu'ils reprochent à la Commission de ne pas les avoir nommés avec effet rétroactif.

35. Pour trancher ce point du litige, il convient de rappeler qu'aux termes de l'article 184, "nonobstant l'expiration du délai prévu à l'article 173, alinéa 3, toute partie peut, à l'occasion d'un litige mettant en cause un règlement du Conseil ou de la Commission, se prévaloir des moyens prévus à l'article 173, alinéa 1, pour invoquer devant la Cour de justice l'inapplicabilité de ce règlement".

36. Il s'ensuit, d'une part, que l'article 184 a pour seul but de protéger le justiciable contre l'application d'un règlement illégal, sans que soit pour autant mis en cause le règlement lui-même, devenu inattaquable par l'écoulement des délais de l'article 173. D'autre part, la possibilité que donne l'article 184 d'invoquer l'inapplicabilité d'un règlement ne constitue pas un droit d'action autonome et ne peut être exercée que de manière incidente, la validité du règlement étant mise en cause en tant qu'il forme la base juridique des actes d'application attaqués.

37. Les requérants n'ont pas dirigé leur requête respectivement contre leur nomination comme fonctionnaires et le refus de nomination. Ce n'est que dans leur réplique qu'ils ont étendu l'objet du litige aux nominations. La désignation de l'objet du litige étant faite par la requête conformément à l'article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, ladite extension est tardive. Les recours visant à l'inapplicabilité du règlement n° 3332-82 sont dès lors irrecevables.

C - Sur le fond des recours

I - Les affaires n° 87 et 130-77

38. Les requérants soutiennent en substance, d'une part, qu'ils sont des fonctionnaires communautaires depuis leur engagement par l'AEC parce que celle-ci n'est qu'une unité administrative de la Commission et, d'autre part, qu'ils se sont trouvés dans une situation identique à celle des fonctionnaires ou agents temporaires de la Commission, ce qui impliquerait un traitement identique avec celui de ces fonctionnaires ou agents. Les trois moyens de droit invoqués contre la décision en cause reposant sur ces deux arguments, il convient dès lors de les examiner d'abord.

Quant au premier argument

39. Les requérants soutiennent que l'AEC ne répond pas aux exigences de la législation belge concernant les associations internationales. Ils invoquent, ensuite, le fait que l'AEC ne possède pas un patrimoine propre, ses frais de fonctionnement étant imputés sur le budget de la Commission. Le caractère fictif de l'AEC apparaîtrait de son inscription dans l'organigramme de la Commission et dans le fait que son Conseil d'administration est composé exclusivement de fonctionnaires de la Commission. Les requérants déduisent encore d'autres éléments l'incorporation totale de l'AEC dans la hiérarchie de la Commission, ce qui serait confirmé par des notes internes de fonctionnaires de la Commission. Enfin, le Parlement européen aurait, lui aussi, demandé dans son rapport du 28 juin 1977 de "réintégrer" l'AEC dans les structures administratives et budgétaires centrales de la Commission.

40. La Commission soutient que la subvention qu'elle apporte à l'AEC ne concerne que 5 % du budget total de l'association. Les autres dépenses seraient financées par le Fed. Ni la mention de l'AEC dans l'organigramme de la Commission, ni la composition du Conseil d'administration, ni aucun autre élément ne prouveraient l'incorporation hiérarchique prétendue. Par ailleurs, s'il est vrai que, de l'avis du Parlement européen, la Commission ne devrait pas recourir à des organismes extérieurs, ceci ne constituerait pas une preuve que l'AEC est une unité administrative de la Commission.

41. Avant de trancher ce point litigieux, il est nécessaire de faire la remarque préliminaire suivante quant à la personnalité juridique de l'AEC : l'AEC créée, conformément à la législation belge comme association internationale sans but lucratif, a obtenu la personnalité civile par arrêté royal. Il appartient, dès lors, au juge national de statuer sur la question de savoir si elle répond, en ce qui concerne sa création et son fonctionnement, aux critères requis par ladite législation.

42. En ce qui concerne plus particulièrement l'argument des requérants selon lequel ils sont des fonctionnaires ou agents de la Commission depuis leur engagement par l'AEC, il y a lieu de constater que l'article 1er, alinéa 1, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes dispose qu'"est fonctionnaire des communautés... toute personne qui a été nommée dans les conditions prévues à ce statut dans un emploi permanent d'une des institutions des communautés par un acte écrit de l'autorité investie du pouvoir de nomination de cette institution".

43. A la différence de ce qui est exigé par la disposition précitée, les requérants ont été engagés par l'AEC sur la base d'un contrat de travail conclu entre l'AEC et chacun d'eux. Ce contrat est régi par la législation belge, les statuts de l'AEC, le protocole administratif de l'AEC du 26 juillet 1966, les décisions d'application prises par les organes directeurs de l'AEC et les dispositions du contrat individuel. Certes, l'engagement des requérants a dû être approuvé préalablement par la Commission, mais cela n'empêche pas que l'employeur était l'AEC et non pas une institution des communautés.

44. Les arguments relevant de diverses situations de fait invoquées par les requérants quant à la personnalité juridique de l'AEC ne sont pas de nature à assimiler l'AEC à une institution des communautés, en l'espèce à une unité administrative de la Commission. En premier lieu, il convient de rappeler qu'en 1964, l'organisation de la coopération économique avec les pays en voie de développement ne constituait pas encore une tâche principale pour la Commission. A l'époque, il était donc parfaitement concevable de confier la charge de cette organisation à une association de droit privé qui, de ce chef, était en mesure d'agir plus souplement dans ce domaine.

45. Quant au manque prétendu de patrimoine propre, il suffit de se référer aux articles 28 à 30 du statut de l'AEC et aux articles 12 à 19 de la convention du 13 juillet 1965 entre la Commission et l'AEC, où l'administration des recettes et dépenses de l'AEC est réglée. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que les recettes de l'AEC se composent des cotisations de ses membres, des avances du Fed et de toutes autres recettes et que certaines recettes peuvent être employées même sans autorisation préalable soit de la Commission, soit du Fed. Dans ces circonstances, on ne saurait sérieusement prétendre que l'AEC ne possède pas un patrimoine propre.

46. L'inscription de l'AEC dans l'organigramme de la Commission, les notes internes rédigées par des fonctionnaires de la Commission, ainsi que le rapport du Parlement du 28 juin 1977, qui "engage la Commission à réintégrer l'agence européenne de coopération dans les structures administratives et budgétaires centrales de la communauté" ne prouvent en rien que l'AEC est une unité administrative de la Commission ; au contraire, ils montrent le souci, d'une part de la Commission, d'autre part du Parlement, d'arriver à un rapprochement, même à l'absorption dans un avenir prochain, de l'AEC par la Commission. Mais une telle absorption présuppose que l'AEC est un organisme autonome et non encore intégré au service de la Commission.

47. L'argument des requérants selon lequel ils seraient des fonctionnaires ou agents communautaires depuis leur engagement par l'AEC parce que celle-ci ne serait qu'une unité administrative de la Commission doit, dès lors, être rejeté.

Quant au deuxième argument

48. Quant à l'argumentation reposant sur l'identité de la situation des requérants et des fonctionnaires ou agents temporaires des communautés, les requérants prétendent que leur engagement s'était fait au nom et pour le compte de la Commission, certains agents ayant d'ailleurs été engagés sur papier à en-tête de la Commission. Les conditions de recrutement auraient été celles prévues au statut des fonctionnaires (par exemple l'examen médical préalable), ainsi que les conditions de travail, les régimes pécuniaires et fiscaux, la seule exception étant l'allocation de foyer. En effet, l'AEC ferait une retenue égale au taux de l'impôt communautaire, mais paierait l'impôt national pour les agents de l'AEC. Enfin, il résulterait des assurances données par des fonctionnaires de la Commission que les agents du siège de l'AEC font partie intégrante de la Commission.

49. La Commission rappelle que les requérants ont été engagés par l'AEC et qu'ils ne dépendent ni ne reçoivent d'instructions de la Commission. Certes, il y aurait quasi-identité entre les conditions de travail et de rémunération, mais cela n'empêcherait pas que le régime des agents en fonctions au siège de l'AEC aurait été fixé par celle-ci. Quant au régime fiscal, le paiement des impôts nationaux pour les agents de l'AEC par l'AEC ne saurait transformer les liens d'emploi existant en un rapport d'emploi entre les agents de l'AEC et de la Commission. Quant aux assurances invoquées, la Commission réplique que ces prétendues déclarations ne revêtent aucune valeur juridique.

50. Cet argument des requérants basé sur une situation factuelle ne peut être non plus accueilli. Les circonstances invoquées démontrent jusqu'à quel degré la politique de l'AEC et de la Commission en vue d'assimiler les agents de l'AEC aux fonctionnaires et agents de la Commission a réussi. Elles ne permettent cependant pas de passer outre à la différence juridique de la situation des agents de l'AEC engagés par une association de droit privé et les fonctionnaires et agents de la Commission nommés conformément aux dispositions du statut des fonctionnaires des Communautés européennes. A cet égard, les requérants n'ont apporté aucune preuve convaincante qu'ils ont été nommés par un acte écrit de l'autorité investie du pouvoir de nomination "au nom et pour le compte de la Commission", conformément aux conditions de recrutement prévues par le statut des fonctionnaires. Au contraire, le protocole administratif et le règlement interne susmentionnés démontrent bien que c'est l'AEC, et non la Commission, qui était l'employeur des requérants. Quant aux assurances prétendument données par des fonctionnaires de la Commission, celles-ci, même prouvées, n'auraient point été de nature à lier la Commission et seraient donc dépourvues de toute valeur juridique.

51. L'argument tiré de la situation identique des requérants et des fonctionnaires et agents de la Commission doit, dès lors, également être rejeté.

II - L'affaire n° 22-83

52. Les requérants invoquent contre le règlement n° 3332-82 deux moyens. En premier lieu, le Conseil aurait omis, dans son règlement n° 3332-82, en violation du principe "patere legem quam ipse fecisti", de considérer comme date d'entrée en service en qualité de fonctionnaire la date de l'engagement au service de l'AEC. Le deuxième moyen est tiré de ce que les requérants auraient eu une confiance légitime que leur nomination, basée sur le règlement n° 3332-82, serait rétroactive à la date de leur engagement par l'AEC.

Quant au premier moyen

53. Les requérants rappellent que, dans le texte du budget général pour l'exercice 1982, dont le Conseil serait responsable, un crédit pour l'emploi des 56 agents du siège ainsi qu'un commentaire auraient été inscrits selon lesquels la titularisation des agents du siège de l'AEC devrait s'opérer au jour de leur engagement par celle-ci. Le Conseil, dans son règlement n° 3332-82, n'aurait pas tenu compte de ce commentaire précité et, partant, aurait violé le principe du respect de ses propres décisions. En outre, le Conseil serait également lié par sa déclaration, inscrite au procès-verbal de la réunion au cours de laquelle le règlement n° 3245-81 a été adopté, selon laquelle il prendra "des mesures transitoires appropriées visant à résoudre les problèmes posés par les agents du siège". Le règlement n° 3332-82 n'aurait d'ailleurs pas été nécessaire parce que la Commission aurait eu la possibilité de nommer les requérants conformément aux dispositions de l'article 14 du règlement n° 3245-81, les emplois étant disponibles dans le budget pour l'exercice 1982. Le règlement n° 3332-82, en retrait par rapport aux décisions antérieures du Conseil, serait donc illégal.

54. Le Conseil soutient que les commentaires et déclarations précités seraient de nature politique et à usage interne. L'inscription d'un crédit au budget des communautés constituerait certes une condition nécessaire, mais pas suffisante pour l'exécution d'une dépense. L'adoption du budget ne saurait se substituer au pouvoir législatif du Conseil et n'affecterait en rien la nécessité de faire une nomination en conformité avec les règles statutaires. Ce serait justement pour surmonter les obstacles statutaires que le Conseil aurait adopté le règlement n° 3332-82. Ni le règlement n° 3245-81 ni la déclaration inscrite au procès-verbal ne contiendraient un élément relatif aux effets rétroactifs d'une titularisation.

55. En présence de cette controverse, il y a lieu de constater, tout d'abord, que le règlement n° 3245-81 concerne la création d'un nouvel organisme, l'agence européenne de coopération, mais ne modifie en rien la situation effective ou juridique des requérants ayant été agents de l'AEC. Partant, l'article 14 dudit règlement, disposant, entre autres, que les conditions générales de recrutement et d'emploi des agents du siège de l'agence sont déterminées par des dispositions spécifiques arrêtées par la Commission, n'a aucune incidence directe ou indirecte sur la situation juridique des requérants. Cette considération vaut également pour la déclaration du Conseil inscrite au procès-verbal et invoquée par les requérants.

56. L'arrêt définitif du budget général des Communautés européennes pour l'exercice 1982 (JO du 8.2.1982, L 31, p. 1) émanant de l'autorité budgétaire a été constaté conformément aux dispositions des traités par le président du Parlement et non par le Conseil. A cela s'ajoute le fait que ni le budget ni encore moins un commentaire explicatif, bien que nécessaire pour procéder à une dépense, ne peuvent se substituer aux dispositions statutaires concernant le recrutement de fonctionnaires. Ils ne revêtent pas non plus un caractère contraignant pour le Conseil ou la Commission en tant qu'autorité législative. En arrêtant le règlement n° 3332-82, le Conseil n'a, dès lors, pas méconnu une obligation juridique qu'il se serait imposé à lui-même.

57. Le moyen tiré du non-respect des règles que le Conseil lui-même aurait édictées doit être rejeté.

Quant au deuxième moyen

58. Quant à la violation alléguée de la confiance légitime, les requérants se réfèrent à la résolution du Parlement européen du 11 mai 1979 portant avis du Parlement européen sur la proposition de la Commission des Communautés européennes au Conseil concernant un règlement relatif à la création d'une agence européenne de coopération (AEC) (JO n° C 140, p. 142), aux termes de laquelle "le personnel intéressé conserve ses droits acquis" et que "le bénéfice des nouvelles dispositions est rétroactif au jour de son engagement par l'association européenne pour la coopération". En outre, l'autorité budgétaire aurait inscrit un commentaire au budget pour l'exercice 1982 selon lequel "l'incorporation dans l'organigramme permanent de la Commission des postes destinés au personnel de l'association européenne pour la coopération (siège) est effectuée conformément aux conditions énoncées dans la résolution adoptée par le Parlement européen le 11 mai 1979". Selon la volonté du Parlement ainsi exprimée, la titularisation des agents du siège devait s'opérer avec effet rétroactif. Les requérants pouvaient donc légitimement s'attendre que cette résolution et le commentaire de l'autorité budgétaire précité, en liaison avec l'autre déclaration précitée du Conseil, rendue à l'occasion de l'arrêt du règlement n° 3245-81, soient respectés.

59. Contrairement à ce que prétendent les requérants, une résolution du Parlement ne revêt pas un caractère contraignant et ne peut pas faire naître une confiance légitime à ce que les institutions s'alignent sur celle-ci. Quant au commentaire inscrit au budget pour l'exercice 1982, il ne peut ni créer des droits individuels pour les requérants ni susciter une confiance légitime (voir ordonnance du 26 septembre 1984, les verts / Commission et Conseil, n° 216-83, Rec. 1984, p. 3335). Le comportement du Conseil n'a pas non plus pu faire naître une quelconque expectative des requérants quant à la rétroactivité de leur nomination.

60. Le moyen tiré du non-respect de la confiance légitime doit donc également être rejeté.

Sur les dépens

61. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.

62. Toutefois, aux termes de l'article 70 du règlement de procédure, les frais exposés par les institutions dans les recours des agents des communautés restent à la charge de celles-ci.

Par ces motifs

LA COUR (deuxième chambre),

Déclare et arrête :

1) Les recours n° 9-84 et 10-84 sont rejetés comme irrecevables.

2) Les recours n° 87, 130-77 et 22-83 sont rejetés comme non fondés.

3) Chaque partie supportera ses propres dépens.