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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 9 décembre 2004, n° 02-11779

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

GIDEPPE (SA)

Défendeur :

Cidcom (SA), Fincom (SA), Difcom (SA), AM International (SA), Ariane Com (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Main

Conseillers :

MM. Faucher, Remenieras

Avoués :

Mes Melun, Teytaud

Avocats :

Mes Fouche, Bourgi

CA Paris n° 02-11779

9 décembre 2004

LA COUR statue sur l'appel formé par la société Groupe International de Diffusion et de Publication de Presse Economique (société GIDEPPE) contre le jugement rendu le 3 mai 2002 par le Tribunal de commerce de Paris, qui a :

- dit que la société GIDEPPE s'est rendue coupable de concurrence déloyale envers le groupe Jeune Afrique,

- condamné ladite société à payer à la société Cidcom la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts et celle de 1 525 euro en application de l'article 700 du NCPC, laissant à la société Cidcom le soin d'aviser quant à la répartition de ces sommes entre les différentes sociétés demanderesses (Cidcom, Fincom, Difcom, AM International et Ariane Com),

- enjoint à la société GIDEPPE de cesser d'utiliser les plaquettes publicitaires litigieuses à peine d'une astreinte de 50 000 euro par infraction constatée à compter de la notification du jugement,

- rejeté pour le surplus les demandes respectives des parties,

- ordonné l'exécution provisoire, sauf pour la condamnation prononcée en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ce moyennant fourniture d'une caution,

- mis les dépens à la charge de la société GIDEPPE.

Vu les dernières écritures, signifiées le 16 septembre 2004, par lesquelles la société Groupe International de Diffusion et de Publication de Presse Economique (GIDEPPE), appelante, demande à la cour, infirmant le jugement attaqué, de :

- constater qu'elle n'a pas commis d'acte de concurrence déloyale envers le groupe Jeune Afrique et ne lui a en tout cas causé aucun préjudice,

- débouter en conséquence les sociétés intimées de toutes leurs demandes,

- condamner in solidum lesdites sociétés à lui payer 200 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel et moral qu'elles lui ont causé en l'empêchant sous de fallacieux prétextes de poursuivre la diffusion de ses plaquettes publicitaires et en l'obligeant à fournir une caution de 100 000 euro au titre de l'exécution du jugement,

- ordonner, aux frais des intimées, in solidum entre elles, la publication de l'arrêt à intervenir dans les magazines "Journal de l'Afrique en expansion", "Marchés nouveaux", "Divers", "Economie", "Telex Confidentiel" et Banques Affaires Finances",

- condamner in solidum les intimées à lui payer 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens;

Vu les dernières conclusions, signifiées le 24 septembre 2004, par lesquelles les sociétés de finance et de communication internationale (Fincom), Compagnie internationale d'édition, de presse et de communication (Cidcom), Agence internationale pour la diffusion de la communication (Difcom), Afrique et Méditerranée international (AM International) et Ariane communication (Ariane Com), intimées et incidemment appelantes, prient la cour de :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit la société GIDEPPE coupable de concurrence déloyale, enjoint à ladite société de cesser d'utiliser les plaquettes publicitaires litigieuses dès notification du jugement à peine d'une astreinte, rejeté les demandes de la société GIDEPPE et mis les dépens à la charge de celle-ci, réformant pour le surplus ladite décision et y ajoutant,

- condamner la société GIDEPPE à payer à titre de dommages et intérêts , à chacune des sociétés Cidcom, Difcom et Ariane Com la somme de 304 898,03 euro, et à chacune des sociétés Fincom et AM International la somme de 152 449,02 euro, soit au total 1 219 592,13 euro,

- ordonner la publication de la décision à intervenir dans les magazines "Stratégies", "CB News", "Jeune Afrique-L'intelligent" et "Jeune Afrique Economie", aux frais de la société GIDEPPE,

- débouter celle-ci de toutes ses demandes,

- condamner la société GIDEPPE aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, de la somme de 10 000 euro à chacune des sociétés intimées;

Considérant que la société GIDEPPE a acquis le 12 octobre 1988 de la société Difcom, l'une des sociétés du groupe Jeune Afrique, qui édite diverses publications destinées principalement aux pays d'Afrique noire francophone et du Maghreb, les éléments de fonds de commerce relatifs à l'exploitation du magazine "Jeune Afrique Economie" ; qu'elle a conclu le lendemain 13 octobre 1988 avec la société Fincom, société financière holding du groupe Jeune Afrique, un contrat de licence de la marque "Jeune Afrique Economie";

Considérant qu'au début de l'année 2001 la société GIDEPPE a diffusé auprès de sa clientèle, acquise ou potentielle, d'annonceurs professionnels deux plaquettes publicitaires, destinées à mettre en valeur l'audience de ses publications et tout spécialement du magazine Jeune Afrique Economie, dont les sociétés du groupe Jeune Afrique considèrent qu'elle comportait des indications chiffrées comparatives inexactes, visant à tromper les annonceurs pour les inciter à contracter avec GIDEPPE, et sont dès lors constitutives d'une concurrence déloyale à l'égard des publications du groupe Jeune Afrique, qui s'adressent au moins pour une grande part au même public;

Considérant qu'il résulte de l'examen de ces plaquettes publicitaires que celles-ci comportent des données chiffrées, selon différents critères, comparant l'audience du magazine Jeune Afrique Economie à celle d'autres magazines diffusés en Afrique subsaharienne, parmi lesquels plusieurs titres édités par le groupe Jeune Afrique (Jeune Afrique-l'Intelligent, Economia, Afrique Magazine), éléments dont il est indiqué qu'ils proviennent d'une "étude panafricaine" réalisée par la société HPCCI (Institut d'études Hilmar Peter Consultant International) ; qu'il apparaît donc clairement que ces documents publicitaires tendent à démontrer, par une comparaison favorable avec les titres exploités par le groupe Jeune Afrique, que le magazine Jeune Afrique Economie est "le leader des newsmagazines panafricaines", "le premier et le plus puissant titre économique d'Afrique Noire" ayant dans cette région la meilleure audience dans sa catégorie voire au-delà et constituant par là un support publicitaire de meilleur rendement que les publications concurrentes du groupe Jeune Afrique qui sont citées;

Qu'à côté de ces études d'audience selon les catégories de lecteurs, les villes ou les pays, les plaquettes publicitaires litigieuses, pour mieux étayer l'affirmation que Jeune Afrique Economie est "un titre puissant" offrant les meilleures perspectives de diffusion aux annonceurs, présentent, pour l'une (la seconde) une courbe ascendante du tirage : "un tirage qui explose" faisant ressortir une augmentation du tirage de 78 % entre 1997 et 1999, pour l'autre les chiffres relatifs au tirage et à la "diffusion payée" de Jeune Afrique Economie pour chacune des années 1996 à 1999 incluse, outre les prévisions pour 2000, faisant ressortir notamment "60 % d'augmentation de tirage entre 97 et 99" ;

Qu' indépendamment du fait que les deux plaquettes présentent des chiffres très différents quant au tirage de l'année 1999 - 75 000 au premier semestre de l'année 1999 selon l'une, 67 483 pour l'ensemble de l'année 1999 selon l'autre, d'où un pourcentage d'augmentation de 78 % dans un cas, de 60 % dans l'autre -, ce qui révèle déjà un manque de rigueur et de sérieux dans la présentation de données chiffrées réputées objectives, il apparaît que les chiffres ainsi présentés par la société GIDEPPE sont très supérieurs à ceux retenus par l'OJD (Office de Justification de la Diffusion de la presse payante dépendant de l'association pour le contrôle de la diffusion des médias - Diffusion Contrôle) ; qu'en effet, selon les procès-verbaux de contrôle de l'OJD, la diffusion payée du magazine Jeune Afrique Economie a été de 21 139 exemplaires en 1997 et de 14 384 en 1999, alors que les chiffres figurant sur la plaquette de GIDEPPE sont respectivement de 25 453 et 41 927;

Considérant que c'est vainement que la société appelante soutient que les chiffres qu'elle a publiés ne sont pas pour autant faux et destinés à tromper en ce qu'ils intégreraient des éléments spécifiques à la diffusion en Afrique noire, prendraient en compte pour leur totalité les abonnements souscrits par les gouvernements de plusieurs Etats africains ou encore les exemplaires payés par compensation tels ceux vendus à certaines compagnies aériennes, tous éléments que l'OJD refuse de prendre en considération alors qu'il s'agit d'un organisme privé, dont la comptabilisation, effectuée sur la base d'une définition arbitraire de la diffusion payante, n'est pas opposable aux entreprises de presse qui ne se soumettent pas à son contrôle, cependant que les plaquettes litigieuses n'indiquent pas comme source l'OJD mais l'institut HPCI et qu'il résulte de l'attestation du commissaire aux comptes de la société GIDEPPE que la différence entre les chiffres de diffusion payée de l'OJD et ceux mentionnés sur les plaquettes provient des ventes ayant fait l'objet de paiements par compensation ou de ventes à la société GIDP Cameroun, dont la société GIDEPPE est une filiale, portant sur des exemplaires destinés à honorer des commandes de gouvernements africains;

Qu'en effet, si les chiffres calculés par l'OJD, organisme privé, ne sont pas des chiffres officiels s'imposant à tous, il n'en demeure pas moins que, résultant des vérifications effectuées par un organisme indépendant, fondé en 1926, sur pièces comptables, de la diffusion des périodiques édités par ses membres, leur sérieux et leur fiabilité sont reconnus depuis fort longtemps par l'ensemble des professionnels concernés (éditeurs, annonceurs, professionnels de la publicité), pour qui ils représentent une référence et un outil de travail, permettant en particulier de faire des arbitrages entre différents titres pour la répartition des budgets publicitaires en ce qu'ils autorisent des comparaisons utiles;

Qu'il n'importe dès lors d'apprécier si les critères retenus par l'OJD pour comptabiliser des exemplaires au titre de la diffusion payante sont pertinents ou non et si les calculs allégués par GIDEPPE sont ou non fondés ou acceptables - observation étant faite toutefois que l'attestation produite du commissaire aux comptes de la société GIDEPPE - M. Matt - en date du 14 septembre 2004 est très vague et repose, de l'aveu même de son auteur, sur des vérifications par sondages - mais seulement de savoir si la plaquette litigieuse était de nature à tromper les annonceurs auxquels elle était destinée en leur laissant croire que les chiffres donnés étaient ceux retenus par l'OJD, susceptibles donc d'être utilement comparés à ceux d'autres publications éditées par des adhérents de l'OJD, et non, comme c'était le cas, des chiffres obtenus à partir de règles différentes de comptabilisation, non reconnues par la profession ni explicitées dans la plaquette et interdisant par suite toute comparaison utile avec les chiffres vérifiés par l'OJD concernant des titres concurrents;

Que, contrairement à ce qu'elle soutient, la société GIDEPPE n'a pas mentionné sur la plaquette litigieuse que les chiffres de la "diffusion payée" provenaient de l'Institut HPCI ; que cet organisme n'est cité comme source que pour les études d'audience ou d'impact qui figurent par ailleurs dans lesdites plaquettes, et qu'aucun élément n'est au surplus produit qui établirait que les chiffres contestés proviennent de la société HPCI, spécialisée au demeurant dans les "études de marketing et mesures d'audience", non dans la mesure précise de la diffusion, totale, gratuite et payante des périodiques;

Qu'il est vrai que, sous le tableau présentant les chiffres contestés, figure un paragraphe, précédé de la mention "Important", soulignée et en caractères gras et ainsi rédigé : "L'éditeur précise que certaines spécificités de la distribution d'un magazine ne sont pas prises en compte par l'OJD, ni une partie de nos mises à bord" ; mais que, de ce texte peu clair, ambigu et imprécis ne se déduit pas nécessairement le fait que les chiffres mentionnés ne sont pas ceux vérifiés par l'OJD, alors qu'il peut être compris plutôt comme signifiant que les chiffres réels de la diffusion payée seraient encore supérieurs à ceux indiqués si "certaines spécificités" - au demeurant non précisées - et la totalité des "mises à bord" étaient prises en compte par l'OJD ; que, de surcroît, la phrase suivante vient conforter cette seconde interprétation possible, puisqu'elle est ainsi rédigée "Notre présence à l'OJD depuis 10 ans sans interruption est un gage de qualité";

Qu'ainsi la société GIDEPPE, éditeur de "Jeune Afrique Economie" revendique clairement son appartenance à l'OJD et, par suite, son adhésion aux statuts et au règlement d'application de cette association, lequel comporte notamment une définition de la "diffusion payée" ; que, adhérente de l'OJD (jusqu'à son exclusion par le comité de direction le 7 février 2001) à la date de parution des plaquettes incriminées et se prévalant explicitement de cette appartenance, de nature à inspirer confiance aux annonceurs quant à la fiabilité des chiffres annoncés et à la pertinence des comparaisons susceptibles d'être faites avec les chiffres de publications concurrentes, la société GIDEPPE ne peut ainsi de bonne foi soutenir ni que les définitions de l'OJD et les chiffres établis à partir de ces définitions ne lui seraient pas opposables, ni qu'elle ne se soumettait pas au contrôle de cet organisme en 1997 et 1998 ni qu'elle a averti le lecteur de ses plaquettes publicitaires que les chiffres de diffusion payée qui y étaient mentionnés n'avaient pas pour source l'OJD ou n'étaient pas calculés selon les règles de l'OJD;

Considérant que c'est encore de mauvaise foi que l'appelante soutient que les publications du groupe Jeune Afrique n'étaient pas en concurrence avec le magazine "Jeune Afrique Economie" parce que diffusées en Afrique du Nord et non en Afrique noire, puisque les études et statistiques comparatives présentées par les plaquettes litigieuses portent sur la comparaison entre l'audience du magazine Jeune Afrique Economie et celle d'autres magazines, édités pour plusieurs par le groupe Jeune Afrique (Jeune Afrique l'Intelligent, Afrique Magazine, Economia) dans la même zone géographique et que la présentation de ces comparaisons, dans un document publicitaire destiné à convaincre les annonceurs de choisir le titre "Jeune Afrique Economie" plutôt que ceux édités par le groupe Jeune Afrique, implique en elle-même que les publications citées sont en concurrence, au moins pour la recherche d'annonceurs, et s'adressent pour partie au moins aux mêmes publics;

Considérant que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont considéré que la société GIDEPPE, par la publication de chiffres destinés à tromper les annonceurs sur un élément déterminant de leur choix - la mesure de la diffusion payée - s'était rendue coupable de manœuvres constitutives d'une concurrence déloyale envers les sociétés du groupe Jeune Afrique, éditrices de publications concurrentes;

Considérant que le tribunal a fait une juste appréciation du préjudice global causé à l'ensemble des sociétés intimées par les agissements fautifs de la société GIDEPPE ; que, en l'absence d'éléments permettant une autre ventilation de l'indemnité à allouer, la société GIDEPPE sera condamnée à verser à chacune des intimées un cinquième, soit 20 000 euro, de la somme globale allouée par la décision critiquée à titre de dommages et intérêts;

Que les publications demandées par les intimées n'apparaissent pas une réparation complémentaire nécessaire;

Considérant que la société GIDEPPE, qui succombe en son appel sur la demande principale des sociétés du groupe Jeune Afrique, ne peut qu'être déboutée de ses demandes en paiement de dommages et intérêts et publication de l'arrêt, la solution du litige impliquant que les intimées n'ont commis aucune faute ; qu'elle sera également déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et condamnée aux dépens d'appel comme à ceux de première instance, cependant qu'il est équitable d'allouer à chacune des sociétés intimées, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, la somme de 1 540 euro;

Par ces motifs, Confirme le jugement attaqué, sauf en ce qu'il a condamné la société GIDEPPE à payer à la société Cidcom la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts et celle de 1 525 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Réformant de ce chef, statuant à nouveau et y ajoutant, Condamne la société GIDEPPE à payer à chacune des sociétés intimées, la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts et celle de 1 540 euro en application de l'article 700 du NCPC, pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel, Déboute les parties de toutes autres demandes, Condamne la société GIDEPPE aux dépens d'appel et admet Maître Teytaud, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.