Livv
Décisions

CJCE, 2e ch., 7 juin 1972, n° 20-71

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sabbatini

Défendeur :

Parlement européen

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Grégoire, Bonn

CJCE n° 20-71

7 juin 1972

LA COUR,

1. Attendu que le recours visé à l'annulation des décisions des 17 novembre 1970 et 24 février 1971 par lesquelles l'administration du Parlement européen a supprimé, en vertu de l'article 4, paragraphe 3, de l'annexe VII du statut des fonctionnaires, à la suite du mariage de la requérante, l'indemnité de dépaysement dont celle-ci bénéficiait antérieurement ;

2. Qu'à l'appui de son recours, la requérante a mis en avant deux moyens, fondés sur l'illégalité de l'article 4, paragraphe 3, de l'annexe VII du statut et, subsidiairement, sur la violation de la même disposition ;

3. Attendu que la requérante soutient à titre principal que l'article 4, paragraphe 3, de l'annexe VII du statut, sur lequel sont fondées les décisions attaquées, serait illégal parce que contraire à un principe général de droit excluant toute discrimination fondée sur le sexe et, plus particulièrement, à l'article 119 du traité CEE relatif au principe d'égalité de rémunération entre travailleurs masculins et travailleurs féminins ;

4. Attendu qu'aux termes de l'article 4, paragraphe 3, de l'annexe VII, le fonctionnaire perd le droit à l'indemnité de dépaysement "si, se mariant avec une personne qui à la date du mariage ne remplit pas les conditions d'octroi de cette indemnité, il n'acquiert pas la qualité de chef de famille" ;

5. Que si cette disposition n'établit, en elle-même, aucune différence de traitement selon le sexe, il convient cependant de la rapprocher de l'article 1, paragraphe 3 de la même annexe qui dispose que, par "chef de famille" il y a lieu d'entendre normalement le fonctionnaire marié du sexe masculin, alors que le fonctionnaire marié du sexe féminin n'est considéré comme chef de famille que dans des situations exceptionnelles, notamment en cas de maladie grave ou d'incapacité du conjoint ;

6. Qu'il n'apparaît dès lors que la disposition dont la validité est contestée établit effectivement une différence de traitement entre les fonctionnaires de sexe masculin et de sexe féminin, par le fait de subordonner le maintien de l'indemnité de dépaysement à l'acquisition de la qualité de chef de famille au sens du statut ;

7. Qu'il convient donc d'examiner si cette différence de traitement est de nature à affecter la validité de la disposition critiquée du statut ;

8. Attendu que l'indemnité de dépaysement a pour objet de compenser les charges et désavantages particuliers résultant de la prise de fonction auprès des Communautés pour les fonctionnaires qui - dans les conditions plus amplement précisées par le paragraphe 1 de l'article 4 de l'annexe VII - sont de ce fait obligés de changer de résidence ;

9. Que l'article 4, pris dans son ensemble, fait reconnaître que l'indemnité de dépaysement est versée, dans le chef de fonctionnaires mariés, non seulement en considération de la situation personnelle du bénéficiaire, mais encore de la condition familiale créée à la suite du mariage ;

10. Qu'ainsi, le paragraphe 3 du même article prend en considération la nouvelle situation familiale acquise par le fonctionnaire lorsqu'il contracte mariage avec une personne qui ne remplit pas les conditions d'octroi de l'indemnité de dépaysement ;

11. Attendu que la suppression de l'indemnité à la suite du mariage du bénéficiaire pourrait se justifier dans les cas où cette modification de la situation familiale est de nature à faire cesser l'état de "dépaysement" qui est la raison d'être de l'avantage en discussion ;

12. Qu'à cet égard, le statut ne peut cependant traiter différemment les fonctionnaires selon qu'ils sont de sexe masculin ou de sexe féminin, la cessation de l'état de dépaysement devant obéir, pour les uns et pour les autres, à des critères uniformes, indépendants de la différence de sexe ;

13. Que, dès lors, en subordonnant le maintien de l'indemnité à l'acquisition de la qualité de "chef de famille" - telle qu'elle est définie par l'article 1, paragraphe 3 - le statut a établi une différence de traitement arbitraire entre fonctionnaires ;

14. Que, par conséquent, les décisions prises à l'égard de la requérante manquent de base légale et doivent être annulées par application de l'article 184 du traité CEE ;

15. Attendu que, dans ces conditions, il n'y a pas lieu de statuer sur le moyen subsidiaire ;

Quant aux dépens

16. Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2, alinéa 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ;

17. Que la partie défenderesse ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens ;

Par ces motifs,

LA COUR,

Rejetant toutes autres conclusions plus amples ou contraires, déclare et arrête :

1) Les décisions du 17 novembre 1970 et du 24 février 1971, par lesquelles le Parlement européen a retiré à la requérante le bénéfice de l'indemnité de dépaysement sont annulées ;

2) Le Parlement européen est condamné aux dépens de l'instance.