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Décisions

CJCE, 5e ch., 26 février 1987, n° 15-85

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Consorzio Cooperative d'Abruzzo

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Galmot

Avocat général :

M. Mischo

Juges :

MM. Bosco, Everling, Joliet, Moitinho de Almeida

Avocats :

Mes Ubertazzi, Fausto Capelli, Minutolo

CJCE n° 15-85

26 février 1987

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 21 janvier 1985, le Consorzio Cooperative d'Abruzzo (ci-après le "Consorzio") a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité, un recours visant à l'annulation d'une décision de la Commission, du 31 octobre 1984, modifiant la décision du 22 décembre 1978 relative à l'octroi d'un concours du Feoga, section "orientation", au projet intitulé : "réalisation d'un centre régional pour le traitement des mouts et l'embouteillage des vins dans la commune de Frisa (Chieti)". Par ce recours, le Consorzio demande, en outre, à la Cour de déclarer valide et irrévocable la décision de la Commission, du 7 avril 1982, portant modification de la décision du 22 décembre 1978 et d'enjoindre à la Commission de verser le concours dans la mesure établie par cette décision du 7 avril 1982.

2. Pour un plus ample exposé des faits, ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

3. Il résulte du dossier que sur la base de l'article 14 du règlement n° 355-77 du Conseil, du 15 février 1977, concernant une action commune pour l'amélioration des conditions de transformation et de commercialisation des produits agricoles (JO L 51, p. 1), modifié notamment par le règlement n° 1361-78 du Conseil, du 19 juin 1978 (JO L 166, p. 9), trois décisions ont été prises successivement par la Commission au sujet de l'octroi d'un concours du Feoga en faveur d'un même projet d'investissement présenté par le Consorzio.

4. Par une première décision du 22 décembre 1978, la Commission a accordé pour ce projet un concours d'un montant maximal de 4 446 450 444 lit, équivalant à 50 % de l'investissement devant être pris en considération. Le Consorzio ayant introduit une variante du projet initial qui ne changeait pas la finalité de l'investissement mais qui en diminuait le montant, la Commission a, par une deuxième décision en date du 7 avril 1982, modifié sa première décision du 22 décembre 1978 et fixé le montant maximal du concours à 4 298 543 500 lit. Le 31 octobre 1984, la Commission a pris une troisième décision qui fait l'objet du recours. Cette décision qui ne se réfère pas à la deuxième est textuellement la même que celle-ci, si ce n'est qu'elle réduit le montant maximal du concours à 3 343 181 208 lit.

5. Le Consorzio fait valoir trois moyens à l'appui de son recours contre cette troisième décision, à savoir qu'elle serait dépourvue de motivation, entachée de détournement de pouvoir et constitutive d'une violation des principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime.

6. La Commission explique que le montant du concours retenu par la décision du 7 avril 1982 est le résultat d'une double erreur de ses services. L'expert chargé de l'instruction de la variante du projet aurait appliqué de manière incorrecte les règles internes concernant la détermination du concours maximal possible du Feoga dans le cadre du règlement n° 355-77 du Conseil, précité. Il aurait ainsi élaboré un premier projet de décision fixant un montant maximal de 4 298 543 500 lit, alors que, selon les règles internes correctement appliquées, le montant maximal du concours aurait dû être de 3 343 181 208 lit. Un projet rectifié comportant ce dernier montant aurait été immédiatement élaboré qui aurait recueilli l'accord du service juridique et du contrôle financier et aurait été ensuite soumis au Comité du fonds et au Comité permanent des structures agricoles. Par suite de circonstances qui restent inexplicables, c'est toutefois le premier projet de décision, dans lequel figurait le montant erroné de 4 298 543 500 lit, qui aurait été présenté au membre de la Commission habilité à prendre la décision au nom de celle-ci, signé par lui le 7 avril 1982 et notifié ensuite à la République italienne et au Consorzio. La Commission ne se serait aperçue de cette seconde erreur que lors de l'examen du premier état d'avancement des travaux en 1984.

7. La Commission soutient que, dans ces conditions, elle n'a jamais eu l'intention d'accorder un concours du montant indiqué dans la décision du 7 avril 1982, et que cette décision est inexistante. A titre subsidiaire, la Commission fait valoir que, pour éviter toute discrimination à l'égard des bénéficiaires des concours du Feoga, elle avait le pouvoir et le devoir, sans limite de temps, de retirer sa décision du 7 avril 1982 et de la remplacer par une nouvelle décision qui fut conforme à ses règles internes et qui correspondit au projet ayant recueilli l'avis favorable du Comité permanent des structures agricoles. Dans cette perspective, la Commission estime que les principes de la sécurité juridique et de la protection de la confiance légitime ne sauraient être invoqués par le Consorzio à l'encontre d'une décision de retrait. En effet, le Consorzio connaissait, selon elle, dès l'origine, le caractère erroné et illégal de la décision du 7 avril 1982. A cet égard, la Commission se réfère spécialement à un télex du 6 novembre 1981. Par celui-ci, ses services ont fait part au Consorzio de leur accord de principe sur la variante du projet introduite, tout en réservant l'avis du Comité permanent des structures agricoles et l'approbation de la Commission, et ont précisé qu'il en résulterait "une réduction du concours qui passe de 4 446 à 3 343 millions de lit italiennes, calculée sur la base du coût maximal admissible".

8. Il importe de souligner d'emblée qu'une erreur ayant consisté à adopter un projet différent de celui qui a franchi les diverses étapes de la procédure préparatoire ne saurait vicier l'acte adopté que dans la mesure où elle a entraîné des irrégularités objectives. En l'espèce, les seules irrégularités objectives qui sont invoquées sont la violation des règles internes concernant la détermination du concours maximal du Feoga et le fait que la Commission aurait octroyé un concours d'un montant différent de celui sur lequel le Comité de gestion avait émis un avis conforme, sans faire au Conseil la communication prescrite par l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 355-77 du Conseil, précité.

9. Il convient d'examiner si ces deux irrégularités, en supposant qu'elles soient établies et qu'elles soient l'une et l'autre des vices de légalité, sont, ainsi que l'affirme la Commission, de celles qui peuvent entraîner l'inexistence de la décision du 7 avril 1982. Dans la négative, la décision du 7 avril 1982 ne pouvant alors être entachée que d'une simple illégalité, celle du 31 octobre 1984 devrait être qualifiée de décision de retrait. Il resterait à vérifier si ce retrait n'a pas porté atteinte aux principes de la sécurité juridique et de la protection de la confiance légitime qui sont invoqués par le Consorzio dans son troisième moyen.

10. En ce qui concerne l'inexistence, il y a lieu de relever que, comme dans les droits nationaux des divers Etats membres, un acte administratif, même irrégulier, jouit, en droit communautaire, d'une présomption de validité, jusqu'à ce qu'il ait été annulé ou retiré régulièrement par l'institution dont il émane. Qualifier un acte d'inexistant permet de constater, en dehors des délais de recours, que cet acte n'a produit aucun effet juridique. Pour des raisons de sécurité juridique manifestes, cette qualification doit, dès lors, être réservée, en droit communautaire, comme elle l'est dans les droits nationaux qui la connaissent, aux actes affectés de vices particulièrement graves et évidents.

11. Sans même qu'il y ait lieu de se prononcer sur la gravité des irrégularités alléguées par la Commission, il suffit de constater que ni l'une ni l'autre ne revêtent un caractère évident. Aucune d'elles ne pouvait apparaître à la lecture de la décision. En effet, les règles internes concernant la détermination du concours maximal possible du Feoga dans le cadre du règlement n° 355-77 du Conseil, précité, n'ont pas été publiées. Ainsi, en dehors des fonctionnaires de la Commission qui ont à les appliquer régulièrement, nul n'était en mesure de vérifier à la lecture de la décision du 7 avril 1982 si elles avaient été ou non transgressées. Il en est de même de l'irrégularité qui tiendrait à la non-correspondance entre le projet soumis au Comité de gestion et la décision arrêtée le 7 avril 1982. Il est donc exclu que la décision du 7 avril 1982 puisse être qualifiée d'inexistante.

12. La décision du 31 octobre 1984 ne pouvant, dès lors, être considérée que comme une décision de retrait, il reste à vérifier sa conformité avec les exigences de la Cour relatives au retrait des actes administratifs illégaux. A cet égard, il convient de rappeler que, ainsi que la Cour l'a jugé en dernier lieu dans son arrêt du 3 mars 1982 (Alpha Steel/Commission, n° 14-81, Rec. p. 749), "le retrait d'un acte illégal est permis s'il intervient dans un délai raisonnable et si la Commission a suffisamment tenu compte de la mesure dans laquelle la requérante a éventuellement pu se fier à la légalité de l'acte".

13. Il importe de vérifier d'abord si l'on peut considérer en l'espèce que la Commission a tenu suffisamment compte de la mesure dans laquelle le Consorzio a pu se fier à la légalité de la décision du 7 avril 1982.

14. C'est à tort que la Commission invoque le télex adressé au Consorzio le 6 novembre 1981 en vue de démontrer que celui-ci était au courant dès l'origine de l'erreur commise et des illégalités auxquelles elle aurait conduit. Ce télex qui est de près de six mois antérieur à la décision retirée annonçait simplement au Consorzio une réduction du montant du concours et l'ampleur de cette réduction. En prenant connaissance de la décision définitive - qui était d'ailleurs expressément réservée dans ce télex -, le Consorzio pouvait fort bien attribuer l'augmentation du concours à un changement d'attitude de la Commission. Il n'était en tout cas pas en mesure de savoir que l'augmentation du montant du concours par rapport à celui qui lui avait été annoncé résultait de la substitution d'un projet de décision erroné au projet de décision rectifié, étant donné que cette substitution d'acte reste encore aujourd'hui inexplicable à la Commission elle-même. Par ailleurs, ainsi que cela a déjà été souligné ci-dessus, les irrégularités que cette erreur aurait, selon la Commission, entraînées n'étaient pas de celles qui pouvaient transparaître à la lecture de la décision.

15. Il convient d'examiner ensuite si le délai de plus de deux ans qui s'est écoulé avant la décision du 31 octobre 1984 peut être regardé comme raisonnable au sens de la jurisprudence rappelée ci-dessus.

16. A cet égard, une réponse négative s'impose, étant donné que la Commission avait la possibilité de se rendre compte, dès les premiers jours qui ont suivi la notification de la décision du 7 avril 1982, que le texte adopté ne correspondait pas au projet qui avait fait l'objet de la procédure préparatoire.

17. Dans ces conditions, le retrait opéré par la décision du 31 octobre 1984 est attentatoire aux principes de la sécurité juridique et de la protection de la confiance légitime et doit, dès lors, être annulé.

18. Quant aux deux autres chefs de conclusions du Consorzio, ils sont irrecevables, étant donné que, dans le cadre de la compétence d'annulation qui lui est conférée par l'article 173 du traité, la Cour n'est habilitée ni à confirmer les décisions de la Commission ni à donner à celle-ci des injonctions.

19. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La Commission ayant succombé dans l'essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Déclare et arrête :

1) La décision de la Commission du 31 octobre 1984 est annulée.

2) Les autres chefs de conclusions de la requête sont rejetés.

3) La Commission est condamnée aux dépens.