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Décisions

CJCE, 14 décembre 1962, n° 31-62

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Milchwerke Heinz Wöhrmann & Sohn KG ; Alfons Lütticke GmbH

Défendeur :

Commission de la Communauté économique européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Modest, Heemann, Menssen, Guendisch, Binder

CJCE n° 31-62

14 décembre 1962

LA COUR,

Attendu que les requêtes, régulières et non contestées en leur forme, ne donnent pas lieu à critique d'office ;

Attendu que les requérantes, basant leur action sur l'article 184 du traité CEE, déduisent de cet article, quant à la compétence, le droit de saisir la Cour aux fins de faire déclarer nuls ou inapplicables l'article 3 de la décision de la Commission en date du 15 mars 1961 et la décision de la Commission en date du 13 décembre 1961 ;

Attendu qu'avant d'examiner la question de savoir si les actes attaqués sont, de par leur nature, des décisions ou des règlements, il convient de vérifier si l'article 184 habilite la Cour à se prononcer sur l'inapplicabilité d'un règlement lorsque celle-ci est invoquée dans une procédure poursuivie, comme en l'espèce, devant une juridiction nationale ;

Attendu que l'article 184 du traité permet à toute partie, nonobstant l'expiration du délai prévu à l'article 173, alinéa 3, pour la formation d'un recours en annulation, d'invoquer devant la Cour de justice l'inapplicabilité d'un règlement à l'occasion d'un litige qui le met en cause et de se prévaloir à cet effet des moyens prévus à l'article 173, alinéa 1 ;

Attendu que les requérantes induisent du fait que l'article 184 ne spécifie pas devant quelle juridiction doit être porté le litige qui met en cause le règlement, que l'inapplicabilité de ce règlement peut, en toute hypothèse, être invoquée devant la Cour ;

Qu'ainsi serait ouverte une voie de recours parallèle à celle de l'article 173 ;

Attendu que telle n'est cependant pas la portée de l'article 184 du traité ;

Qu'il ressort de son texte et de son économie qu'il n'envisage la déclaration d'inapplicabilité d'un règlement, par voie incidente et à effets restreints, que dans une procédure poursuivie devant la Cour elle-même sur la base d'une autre disposition du traité ;

Qu'il résulte notamment du renvoi aux délais de l'article 173 qu'il n'est applicable que dans le cadre d'une procédure devant la Cour de justice et qu'il ne permet pas d'éluder les délais prévus par cette disposition ;

Qu'ainsi l'article 184 a pour seul but de protéger le justiciable contre l'application d'un règlement illégal, sans que soit pour autant mis en cause le règlement lui-même, devenu inattaquable par l'écoulement des délais de l'article 173 ;

Attendu qu'il faut souligner que les compétences respectives de la Cour et des juridictions nationales sont délimitées avec netteté par le traité ;

Qu'en effet, tant l'article 177 du traité que l'article 20 du protocole sur les statuts de la Cour CEE prévoient que c'est la juridiction nationale qui décide de suspendre la procédure et de saisir la Cour ;

Que si les parties à un procès pendant devant une juridiction nationale pouvaient s'adresser directement à la Cour pour lui demander une décision préjudicielle, elles pourraient obliger le juge national à suspendre la procédure en attendant la décision de la Cour ;

Que ni le traité ni le protocole ne prévoient pourtant pareille limitation aux pouvoirs du juge national ;

Attendu que si donc l'article 184 ne fournit pas une base suffisante pour permettre à la Cour de trancher le litige en son état actuel, l'article 177 peut, par contre, lui permettre de se prononcer si, à l'occasion d'une instance introduite devant une juridiction nationale, celle-ci devait la saisir conformément à cet article ;

Attendu qu'il résulte des considérations qui précèdent que la Cour doit se déclarer incompétente quant aux présents recours, tant en ce qui concerne les conclusions tendant à l'annulation que celles tendant à l'inapplicabilité des actes attaqués ;

Attendu qu'il n'y a donc plus lieu de statuer sur la question de la compétence de la Cour au regard de la nature exacte des actes de la Commission entrepris par les requérantes ;

Attendu qu'au Cours de la procédure orale les requérantes ont, à titre subsidiaire, invoqué l'article 173 comme base de leur action ;

Attendu qu'il n'apparaît pas nécessaire d'examiner, à cet égard, la recevabilité de ce changement de la base juridique des demandes ni la question de savoir si, conformément à l'article 173, alinéa 2, du traité, les actes attaqués sont des décisions, l'action des requérantes n'ayant pas été introduite utilement dans le délai prescrit à l'article 173, alinéa 3 ;

Attendu, en effet, qu'il convient de considérer comme ultime point de départ de ce délai la publication au "Journal Officiel" de la République fédérale d'Allemagne, le 1er juillet 1961, de la neuvième ordonnance modifiant le tarif douanier allemand de 1961, voire, le 30 décembre 1961, de la deuxième ordonnance modifiant le tarif douanier allemand de 1962 ;

Que c'est à ce moment que les requérantes, au plus tard, ont dû avoir connaissance des mesures attaquées ;

Que les requêtes, introduites respectivement le 4 et le 9 octobre 1962, sont donc irrecevables, comme tardives, au regard de l'article 173 ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que les requêtes sont irrecevables en leur ensemble.

Quant aux dépens

Attendu qu'aux termes de l'article 96, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ;

Que les parties requérantes étant irrecevables en leur action, les dépens doivent être mis a leur charge ;

LA COUR,

Rejetant toutes autres conclusions plus amples ou contraires, déclare et arrête :

1) Les recours sont rejetés comme irrecevables ;

2) Les parties requérantes sont condamnées aux dépens de l'instance.