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Décisions

Cass. com., 17 janvier 2006, n° 04-19.092

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

SPEA

Défendeur :

GCAP ; Automobiles Peugeot (Sté) ; Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Rapporteur :

Mme Beaudonnet

Avocat général :

M. Feuillard

Avocats :

Mes Cossa, Ricard, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Jean-Jacques Gatineau.

Cass. com. n° 04-19.092

17 janvier 2006

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 septembre 2004), que, saisi les 5 et 14 avril et 28 août 1995 par le Syndicat des professionnels européens de l'automobile (SPEA) de pratiques d'ententes qui seraient mises en œuvre sur le marché de la distribution automobile, le Conseil de la concurrence (le Conseil), après notification de griefs le 29 mars 2000 à la société Renault et au groupement des concessionnaires Renault (GCR) d'une part, à la société Automobiles Peugeot (Peugeot) d'autre part pour avoir, s'agissant de cette dernière, mis en place avec ses concessionnaires et en accord avec le groupement des concessionnaires Automobiles Peugeot (GCAP) des mesures ayant pour objet d'exclure les mandataires automobiles et les revendeurs indépendants de la distribution des véhicules de sa marque et consistant notamment en l'octroi d'aides spécifiques et discriminatoires aux concessionnaires subissant la concurrence des mandataires et des revendeurs indépendants, en des pressions et sanctions exercées à l'encontre des concessionnaires étrangers du réseau qui livrent des intermédiaires et des revendeurs indépendants et en la mise en place d'une procédure de contrôle des bons de commande permettant de désavantager les commandes des acheteurs localisés en France, après notification de griefs complémentaires le 15 février 2002 au Conseil national des professions de l'automobile (CNPA), enfin après disjonction, le 26 mai 2003, de la saisine en trois procédures distinctes, a, par décision n° 03-D-67 du 23 décembre 2003, dit qu'il n'était pas établi que Peugeot et le GCAP aient enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et celles de l'article 81 du traité CE; que le SPEA a formé un recours en réformation à l'encontre de la décision du Conseil ; que la cour d'appel, après avoir dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer en raison d'une communication des griefs adressée le 29 avril 2004 à Peugeot par la Commission des Communautés européennes, a rejeté le recours;

Sur le premier moyen : - Attendu que le SPEA fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours contre la décision n° 03-D-67 du Conseil, après avoir déclaré irrecevables les moyens dirigés contre la décision de disjonction du 26 mai 2003 alors, selon le moyen : 1°) que si les décisions de jonction et de disjonction d'instance sont, en principe, des mesures d'administration judiciaire insusceptibles de tout recours, une décision de disjonction peut toujours être attaquée lorsqu'elle est entachée d'excès de pouvoir ou qu'elle méconnaît un principe essentiel de la procédure; que constitue un excès de pouvoir et méconnaît les principes essentiels de la procédure, le fait pour le rapporteur du Conseil de disjoindre l'instance ouverte sur la plainte dénonçant des pratiques concertées entre plusieurs constructeurs, concessionnaires et organisations professionnelles automobiles visant à entraver le développement des importations parallèles, créant autant d'instances distinctes que de personnes principales poursuivies, et privant ainsi le Conseil de la possibilité d'apprécier si les faits connexes dénoncés sont ou non constitutifs d'une entente; qu'en déclarant irrecevables tous les moyens contestant la décision de disjonction du 26 mai 2003, la cour d'appel a violé les articles 31 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002, L. 462-6 et L. 464-8 du Code de commerce; 2°) qu'en justifiant la disjonction par la circonstance qu'elle avait été sollicitée par Automobiles Peugeot, personne poursuivie dans la présente instance, et qu'elle n'avait pas été contestée par les autres parties à la procédure, la cour d'appel qui a statué par des motifs impropres à établir que cette mesure ne conduisait pas à dissocier des faits connexes rendant impossible toute preuve de l'entente alléguée, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 31 du décret du 30 avril 2002;

Mais attendu que le SPEA, qui avait saisi la cour d'appel d'un recours en réformation de la décision du Conseil, ne tirait aucune conséquence juridique de l'affirmation faite dans ses conclusions selon laquelle le délai et le déroulement de la procédure ont porté atteinte à ses droits, de sorte que cette énonciation n'appelait pas de réponse de la part de la cour d'appel; que le moyen, qui critique des motifs surabondants de l'arrêt, n'est pas fondé;

Sur le troisième moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième et huitième branches : - Attendu que le SPEA fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours contre la décision n° 03-D-67 du Conseil, alors, selon le moyen : 1°) que les pratiques mises en œuvre dans le secteur automobile ne sont conformes au droit communautaire qu'à la condition qu'elles n'aient pas pour objet ou pour effet de faire obstacle au développement des importations parallèles; qu'ainsi est prohibée toute mesure réduisant artificiellement, fût-ce indirectement, l'activité commerciale des mandataires et la capacité exportatrice des concessionnaires étrangers ; qu'en décidant que l'objet des aides dites "pression import" mises en place par la société Peugeot entre 1994 et 1997 n'était pas anticoncurrentiel, tout en constatant que celles-ci étaient destinées à lutter, aux côtés des concessionnaires frontaliers, soumis à la concurrence des importateurs, contre les importations parallèles que favorisaient les écarts de prix constatés dans les Etats membres et qu'elles étaient attribuées a posteriori au regard du nombre de véhicules réimportés dans la zone d'activité du concessionnaire et du nombre de véhicules vendus, sans pour autant conduire à une baisse généralisée du tarif du constructeur, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 420-1 du Code de commerce, 81 du traité CE, ensemble les règlements 123-85 et 1475-95; 2°) qu'aux termes de l'article 6 § 1, 7) du règlement CEE n° 1475-95, l'exemption ne s'applique pas lorsque le constructeur, le fournisseur ou une autre entreprise du réseau restreint directement ou indirectement la liberté des utilisateurs finaux, des intermédiaires mandatés ou des distributeurs, de s'approvisionner auprès d'une entreprise du réseau de leur choix à l'intérieur du Marché commun en produits contractuels ou en produits correspondants ; qu'en retenant que les concessionnaires ou mandataires, notamment étrangers, étaient demeurés libres d'approvisionner la clientèle nationale et que le montant moyen des aides par véhicule - de 307 francs en 1994, 703 francs en 1995, 378 francs en 1996 et 438 francs en 1997 - était minime, après avoir constaté que cette aide n'était attribuée qu'a posteriori aux seuls concessionnaires soumis, notamment, à la concurrence d'un mandataire, au regard du nombre de véhicules réimportés dans sa zone d'activité, la cour d'appel qui s'est déterminée par des motifs impropres à établir que l'aide réellement attribuée à chaque concessionnaire n'était pas de nature à entraver localement la concurrence frontalière, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé; 3°) que si, dans son mémoire du 26 février 2004, le SPEA avait fait valoir que "le volume global de cette aide (dite pressions imports) a augmenté de manière considérable, le montant des aides par véhicule a également augmenté considérablement car le nombre de véhicules réimportés est demeuré quasiment identique", il avait cependant été immédiatement ajouté que ce nombre aurait dû normalement progresser, avant d'en déduire que ces aides ne bénéficiaient pas aux consommateurs et que l'élimination d'un concurrent proposant des prix attractifs risquait d'être préjudiciable à la concurrence et aux consommateurs finaux, en aboutissant à la cristallisation des situations acquises; qu'en affirmant, par une reproduction partielle des écritures précitées, que les effets bénéfiques des aides "pressions imports" sur la concurrence et les consommateurs finaux étaient ainsi attestées par le SPEA, la cour d'appel a dénaturé les écritures susvisées en violation de l'article 1134 du Code civil; 4°) que des mesures adoptées ou imposées de manière apparemment unilatérale par un constructeur, dans le cadre des relations continues qu'il entretient avec ses concessionnaires, visant à influencer ces derniers dans l'exécution du contrat, sont constitutives d'un accord au sens de l'article 81 § 1 du traité lorsqu'elles ont été d'une manière ou d'une autre effectivement acceptées par les concessionnaires; qu'en décidant qu'il ne pouvait pas être reproché à la société Automobiles Peugeot d'avoir cherché à mettre en place unilatéralement un système d'aides dit "pressions imports" pour lutter contre les importations parallèles, tout en constatant que les pratiques du constructeur dénoncées par le SPEA étaient destinées, dans un contexte de tension avec les concessionnaires soumis à la concurrence des importateurs, à rassurer ces derniers, ce dont il résultait que les concessionnaires avaient non seulement accepté ces aides, mais plus encore qu'elles avaient été accordées sous leur pression directe, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE; 5°) que lors de l'assemblée générale du GCAP, en date du 13 octobre 1995, M. Saint-Geours a indiqué au nom de la société Peugeot avoir mis en place une procédure de contrôle des bons de commande "à la limite de la légalité du règlement européen"; que, dans son mémoire du 26 février 2004, le SPEA avait précisément fait valoir que la société Peugeot avait déjà été condamnée à plusieurs reprises par les instances communautaires pour des pratiques similaires; qu'en se bornant à relever que ces propos n'avaient été tenus que pour rassurer les concessionnaires, sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si ces affirmations ne s'inscrivaient pas dans le cadre d'une politique constante de la société Peugeot contrevenant au droit communautaire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt constate, par motifs propres et adoptés, que les aides commerciales spécifiques dites "pression import" consenties durant les années 1994 à 1997 par Peugeot à ses concessionnaires français selon des critères objectifs dépendant du taux de véhicules importés sur le territoire d'une concession et du nombre de véhicules vendus par le concessionnaire, n'avaient ni pour objet ni pour effet de restreindre la liberté commerciale des concessionnaires mais visaient à venir en aide à ceux dont l'activité était localement affectée, de manière sensible, par le développement d'importations parallèles favorisées par les écarts de prix entre les Etats membres et les fluctuations des monnaies européennes et constituaient ainsi un moyen pour le constructeur de soutenir son réseau, de développer ses ventes ou d'éviter leur chute ; qu'il relève encore qu'une telle pratique n'était pas interdite par les règlements d'exemption n° 123-85 du 12 décembre 1984 et n° 1475-95 du 28 juin 1995, alors successivement en vigueur, dès lors notamment qu'il n'était démontré ni que le constructeur ou ses concessionnaires auraient restreint directement ou indirectement la liberté des utilisateurs finals, des intermédiaires mandatés ou des distributeurs de s'approvisionner auprès d'une entreprise du réseau de leur choix à l'intérieur du Marché commun en produits contractuels ou en produits correspondants, ni que Peugeot aurait octroyé ces aides en tenant compte du domicile de l'acheteur ou du lieu de destination des véhicules revendus ; qu'en l'état de ces constatations, l'arrêt confirme la décision du Conseil constatant que l'effet négatif de ces aides sur le fonctionnement de la concurrence sur le marché national de la distribution automobile ou sur les échanges intra-communautaires ne ressort pas du dossier, que la circonstance que ces aides n'étaient pas affectées à une vente spécifique mais accordées de façon globale n'empêche pas qu'elles aient pu bénéficier aux clients finals, sous forme de baisses de prix ou du maintien de la qualité du service offert par les concessionnaires et par l'ensemble du réseau, dont la densité a ainsi été préservée et que de tels éléments contribuent à l'animation de la concurrence ; qu'enfin il n'est pas établi que la baisse constatée des importations parallèles soit imputable à la mise en place de ces aides, d'autres explications, telle la convergence des prix de vente en Europe, étant à prendre en considération ; qu'en l'état de ces seuls motifs dont il résulte que les aides incriminées n'avaient pas pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché national ou à l'intérieur du Marché commun, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ;

Et attendu, en second lieu, que la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche inopérante visée par la huitième branche du moyen, a légalement justifié sa décision; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que, par ce moyen, pris de la violation des articles 1134 du Code civil et 16 du règlement 1-2003, il est fait grief à l'arrêt d'avoir dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer en l'état de la communication de griefs adressée à la société Peugeot par la Commission européenne le 29 avril 2004 et dans l'attente de sa décision;

Mais attendu, en premier lieu, que c'est sans dénaturer la communication de griefs adressée par la Commission le 29 avril 2004 à la société Peugeot que l'arrêt constate que les seuls éléments devant être appréciés à la fois dans la procédure interne et dans la procédure communautaire consistent en deux courriers adressés les 8 mars et 10 avril 1995 par la filiale allemande de la société Peugeot au concessionnaire Autohaus Kremmer;

Et attendu, en second lieu, que, saisie par la Cour de cassation d'une demande d'information sur la procédure communautaire, la Commission européenne a, par courrier du 16 septembre 2005, communiqué aux parties, précisé que les griefs relatifs aux pressions qui auraient été exercées en 1995 par la société Peugeot sur le concessionnaire allemand Autohaus Kremmer GmbH afin de mettre en œuvre une stratégie de restrictions aux exportations vers la France, ont été abandonnés en l'absence d'éléments de nature à établir une infraction à l'article 81 du traité CE; d'où il suit que le moyen est devenu sans objet;

Sur le troisième moyen, pris en ses cinquième, sixième et septième branches : - Attendu que le SPEA fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours contre la décision n° 03-D-67 du Conseil, alors, selon le moyen : 1°) que, dans la lettre qu 'elle a adressée le 8 mars 1995 au concessionnaire Autohaus Kremmer, la filiale allemande de la société Peugeot a clairement rappelé à celui-ci que lors d'un précédent entretien concernant "les ventes transfrontalières à destination de la France", il avait "été souligné sans ambiguïté que nous n'acceptons plus aucune activité commerciale de ce genre également sous cette forme sans conséquences de grande portée" avant de lui préciser que dans l'attente d'un nouveau rendez-vous, elle avait "donné provisoirement à (son) service ordonnancement Véhicules Neufs l'ordre de suspendre jusqu'à nouvel ordre toute mise à disposition de véhicules neufs"; qu'en décidant, pour écarter les griefs relatifs aux pratiques dirigées contre les concessionnaires étrangers que cette lettre constituait seulement un rappel à ce concessionnaire des conditions dans lesquelles peut intervenir une vente transfrontalière licite, bien qu'elle lui interdit toute vente transfrontalière à destination de la France, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil; 2°) que le juge national ne peut autoriser une pratique contraire au droit communautaire; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué qu'ayant analysé les lettres des 8 mars et 10 avril 1995 adressées au concessionnaire étranger Autohaus Kremmer par la filiale allemande de la société Peugeot, la Commission européenne a estimé que ces lettres attestaient de la volonté de ladite filiale de tenter d'interdire, à partir de 1995, à ce concessionnaire de vendre des voitures neuves de marque Peugeot à l'exportation, caractérisant ainsi l'existence d'une pratique manifestement illicite au regard du droit communautaire; qu'en décidant au contraire que ces lettres ne constituaient qu'un rappel à ce concessionnaire des conditions dans lesquelles peut intervenir une vente transfrontalière licite et non une pression caractérisant un comportement anticoncurrentiel prohibé, la cour d'appel a violé l'article 81 du traité CE; 3°) qu'en affirmant encore qu'aucune pièce établissant la date de la résiliation de la concession Kremmer n'était produite, bien qu'il résultât de la communication des griefs de la Commission examinée par la cour d'appel que celle-ci était intervenue en décembre 2000, après que le constructeur ait tenté à plusieurs reprises, depuis 1995, d'interdire au concessionnaire d'exporter des véhicules, la cour d'appel a derechef violé l'article 81 du traité CE;

Mais attendu qu'en retenant, s'agissant de la concession Autohaus Kremmer, que les seules lettres versées aux débats des 8 mars et 10 avril 1995 ne constituent pas une pression caractérisant un comportement anticoncurrentiel dès lors qu'en l'absence d'autres éléments, elles apparaissent seulement comme un rappel à ce concessionnaire des conditions dans lesquelles peut intervenir une vente transfrontalière licite et que les affirmations du SPEA sur la suspension des livraisons à ce concessionnaire et sur la résiliation de la concession quelques mois plus tard ne sont étayées par aucun élément du dossier, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait; que le moyen n'est pas fondé;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.