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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 22 juin 2004, n° ECOC0600192X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Velpry

Défendeur :

CNSD, Conseil Départemental de l'Ordre des chirurgiens dentistes de la Haute Savoie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

Mme Delmas-Goyon, M. Le Dauphin

Avoués :

SCP Hardouin, SCP Roblin-Chaix de Lavarenne-Roblin

Avocats :

Mes Borel, Chocque, Ballaloud

CA Paris n° ECOC0600192X

22 juin 2004

Alain Velpry, prothésiste dentaire inscrit au répertoire de la chambre des métiers de Haute-Savoie, a ouvert le 1er janvier 1986 un laboratoire situé à la Roche-sur-Foron (74800) sous la dénomination sociale " Little Lab ", puis en mai 1994 un second laboratoire à la même enseigne à Annecy. L'intéressé ayant adressé à l'ensemble des chirurgiens-dentistes du ressort une lettre circulaire en date du 20 avril 1994, leur offrant ses services pour un service rapide de réparation d'appareils dentaires, le président du Conseil de l'ordre des chirurgiens dentistes de Haute-Savoie a diffusé le 28 avril 1994 auprès de tous les chirurgiens dentistes du département une lettre circulaire leur faisant part de la réception de ce courrier, et dénonçant les activités d'exercice illégal pratiquées par l'intéressé.

Courant février 1996, Alain Velpry a fait paraître dans plusieurs journaux de la région des encarts publicitaires relatifs à son activité, ainsi rédigés " Votre dentier est cassé - réparation rapide et détartrage en 2 heures minimum " ou " Dentier cassé - réparation rapide et détartrage en 2 heures minimum - conseils, devis gratuits " avec l'indication " Alain Velpry, fabricant de prothèses dentaires à Annecy (...)". A la suite de ces annonces, les organismes professionnels se sont manifestés auprès des directeurs des publications en cause pour leur faire part de la condamnation prononcée par la Cour d'appel de Chambéry le 10 janvier 1996 pour exercice illégal de l'art dentaire, contre certains prothésistes exerçant des activités analogues, et les mettre en garde contre la poursuite de ces publications, le président du Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes de Haute-Savoie par courrier du 24 avril 1996, la Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD) par un courrier similaire du 4 mars 1996.

Par lettre du 31 juillet 1998, Alain Velpry a saisi le Conseil de la concurrence (le Conseil) de ces pratiques qu'il a qualifiées de boycott et d'entente au sens des l'article L. 420-1 du Code de commerce, et mise en cause tant le Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes de la Haute-Savoie que la Confédération Nationale des Syndicats Dentaires (CNSD). Par décision n° 03-D-52 du 18 novembre 2003, le Conseil de la concurrence a constaté que les faits relatifs à l'envoi du courrier du 28 avril 1994 étaient couverts par la prescription, que les courriers adressés en 1996 à certains directeurs de publications, relatifs aux offres de services faites directement aux particuliers par l'intéressé, concernaient un marché distinct et au surplus illicite et ne pouvaient constituer un prolongement de l'action initiale mise en œuvre, et dit n'y avoir lieu à suivre la procédure.

Sur ce, la Cour,

Vu le recours en annulation et subsidiairement en réformation enregistré le 19 décembre 2003 par Alain Velpry contre cette décision, l'exposé des moyens du requérant déposé le 21 janvier 2004 à l'appui de ce recours, et le mémoire en réponse enregistré le 16 avril 2004, par lesquels André Velpry demande à la cour de :

- dire son recours à l'encontre de la décision du Conseil recevable, bien fondé et non prescrit,

- en conséquence, à titre principal, annuler cette décision,

- subsidiairement dans l'hypothèse où la Cour entrerait en voie de réformation, constater que les agissements des organismes poursuivis sont constitutifs de pratiques anticoncurrentielles, conformément aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce,

- condamner solidairement les contrevenants à lui payer 76 225 euro de dommages-intérêts,

- en tout état de cause, condamner les contrevenants à lui payer 5 000 euro chacun au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Vu les mémoires déposés par le Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes de Haute-Savoie les 15 mars et 16 avril 2004, demandant à la cour de :

- confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions,

- en tout état de cause, dire que les faits dénoncés relevant de la lettre du 28 avril 1994 sont prescrits et ne constituent ni une entente, ni un boycott dont il est fait grief,

- dire que les lettres de mai et avril 1996 ne sont pas destinées aux chirurgiens-dentistes et n'ont pas le même objet que la lettre circulaire du 28 avril 1994, qu'elles constituent une information nécessaire auprès d'annonceurs d'une pratique reconnue illégale par la jurisprudence et imputable notamment à Alain Velpry pour laquelle il a été sanctionné par un jugement du Tribunal correctionnel d'Annecy du 11 septembre 2001, confirmé par arrêt de la Cour d'appel de Chambéry du 5 septembre 2002,

- Condanmer Alain Velpry en tous les dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Roblin Chaix de Lavarene, avoué, dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile,

Vu le mémoire déposé le 19 avril 2004 par la Confédération Nationale des syndicats dentaires, priant la cour de :

- débouter Alain Velpry de son recours,

- confirmer la décision attaquée,

- y ajoutant, de condamner Alain Velpry à lui verser 7 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Roblin Chaix de Lavarene, avoué, dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile,

Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l'appui des recours,

Vu les observations déposées le 15 mars 2004 par le ministre chargé de l'Economie, concluant à l'annulation de la décision attaquée au motif de la non-prescription des pratiques dénoncées dans la saisine, et demandant à la Cour de qualifier de boycott les pratiques dénoncées par le requérant, et de prononcer à l'encontre des organismes visés une sanction pécuniaire respectivement de 8 000 euro pour le Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens de Haute-Savoie, et de 7 500 euro pour le CNSD,

Vu la lettre du 12 mars 2004 par laquelle le Conseil de la concurrence a fait connaître à la cour qu'il n'entendait pas user de la faculté qui lui est ouverte par l'article 9 du décret n 87-849 du 19 octobre 1987,

Après avoir, à l'audience publique du 18 mai 2004, entendu les conseils des parties, les observations du ministre chargé de l'Economie, des Finances et du Budget, et les observations orales du Ministère public concluant à l'annulation de la décision déférée et au prononcé de sanctions pécuniaires à l'encontre des défendeurs sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce,

Le requérant ayant pu répliquer à l'ensemble des observations présentées lors de l'instruction écrite et à l'audience,

Considérant que la prise d'empreintes et la pose d'appareils, qui sont des procédés prothétiques, relèvent de la pratique de l'art dentaire, tel qu'il est défini par l'article L. 373 du Code de la santé publique, sans qu'il y ait lieu de distinguer si ces interventions ont pour objet d'installer un premier appareil ou d'ajuster ou de remplacer une prothèse existante; que par suite, se rend coupable d'exercice illégal de la profession de chirurgien-dentiste, le praticien qui se livre à des opérations de réparation de prothèses en s'affranchissant de toute directive et de tout contrôle d'un chirurgien-dentiste ; que, de même, commet un acte de publicité de nature à induire la clientèle en erreur sur les qualités ou aptitudes du fabricant ou du prestataire de services, celui qui propose directement à la clientèle, par voie d'affiches, de tracts et de presse, des travaux de fabrication et de réparation de prothèses dentaires alors qu'il n'est pas titulaire du diplôme de chirurgien-dentiste ;

Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats que par lettre circulaire du 20 avril 1994 diffusée auprès des chirurgiens dentistes du ressort, Alain Velpty a annoncé la nouvelle implantation à Annecy de son laboratoire " Little Lab " et leur a offert ses services de réparation rapide d'appareils dentaires ; que par lettre circulaire du 28 avril 1994, le président du Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens dentistes de Haute Savoie a fait part à l'ensemble des chirurgiens-dentistes du département de cette publicité et de la création de ce laboratoire qualifié d'" extension provocatrice ", ce courrier attirant l'attention de ses destinataires sur le fait que ce laboratoire était "notoirement connu pour ses activités d'exercice illégal (articles L. 373 et L. 376 du Code de la santé publique) ", ajoutant que "des procédures [étaient] en cours", et appelant "chacun d'entre nous [à] prendre ses responsabilités et [à] choisir des partenaires professionnels avec bon sens et confiance... " ;

Considérant qu'en manifestant ainsi son opposition à l'activité du requérant déclarée " notoirement " illégale alors qu'aucune décision définitive n'avait été prononcée contre lui, et en recommandant à ses membres de s'abstenir de toute relation avec ce laboratoire, le Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes de Haute-Savoie sortait de la mission de service public qui lui est conférée en tant qu'ordre professionnel, et intervenait sur le marché de la prothèse dentaire en mettant en œuvre une action concertée pouvant être qualifiée de boycott au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce ; qu'il s'agissait toutefois d'une information et d'une recommandation ponctuelles, un tel courrier étant dépourvu en lui-même de toute force contraignante immédiate comme de toute portée dans le temps, ainsi que le confirment les déclarations des chirurgiens dentistes entendus lors de l'instruction, tels que M. Fournier et M. Pourrot, déclarations desquelles il résulte que les décisions des chirurgiens dentistes concernant les prothésistes auxquels ils faisaient appel, relevaient de leurs choix personnels ;

Considérant que courant 1996, Alain Velpry a fait paraître dans diverses publications régionales des encarts publicitaires tels que " Votre dentier est cassé - réparation rapide et détartrage en 2 heures minimum - conseil, devis gratuits " ; qu'à la suite de ces annonces, le président du Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes de Haute-Savoie par courrier du 24 avril 1994, et la Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD) par courrier du 4 mars 1996, ont protesté auprès des directeurs des publications en cause, leur faisant part d'une condamnation prononcée contre " des techniciens de laboratoire en pareil situation " par la Cour d'appel de Chambéry le 10 janvier 1996 et les mettant en garde contre toute nouvelle " publication témoignant d'un exercice illégal de l'art dentaire " ;

Considérant que le requérant, qui a saisi le Conseil de la concurrence de l'ensemble de ces faits par lettre du 31 juillet 1998, alors que plus de trois ans s'étaient écoulés depuis l'envoi du courrier du 28 avril 1994, n'est pas fondé à soutenir que les pratiques intervenues en 1996 constitueraient le prolongement de celles de 1994 ; qu'il apparaît en effet que les annonces publicitaires diffusées par voie de presse en 1996, qui s'adressaient manifestement et exclusivement aux particuliers, Alain Velpry admettant lui-même dans ses écritures ne plus compter aucun chirurgien-dentiste parmi ses clients depuis 1994, concernaient un marché distinct impliquant un accès direct à la clientèle, en lui-même illicite ;

Qu'il y a lieu de relever que l'intéressé a été condamné le 6 septembre 2002 par la Cour d'appel de Chambéry confirmant sur la culpabilité le jugement rendu le 11 septembre 2001 par le Tribunal correctionnel d'Annecy, pour exercice illégal de la profession de chirurgien-dentiste depuis le 1er janvier 1996 et jusqu'au 6 septembre 2001, en pratiquant habituellement l'art dentaire par la pose en bouche d'appareils confectionnés par lui-même, l'établissement de diagnostics, de devis et la réparation d'appareils dentaires ;

Que c'est ainsi par une exacte appréciation des faits de la cause que le Conseil a, par des motifs pertinents que la cour fait siens, déclaré prescrits les faits relatifs à l'envoi de la lettre du 28 avril 1994, et constaté qu'ils n'avaient pu être prolongés ni renouvelés par les démarches effectuées courant 1996 par les instances ordinales et syndicales de la profession, qui concernaient un autre marché lui-même illicite;

Considérant enfin que le requérant ne saurait fonder sa demande d'annulation ou de réformation de la décision attaquée sur la non prise en compte d'un quatrième courtier du 22 décembre 1998 adressé par le Syndicat des chirurgiens-dentistes de la Haute-Savoie au directeur de la publication Amitel SA, alertant ce dernier sur un encart publicitaire inséré dans cet annuaire professionnel, alors que le Conseil de la concurrence n'en était pas saisi ;

Considérant qu'il y a lieu de rejeter le recours ;

Que ni l'équité ni la situation économique des parties ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant que les avoués ne peuvent obtenir le bénéfice de la distraction des dépens que dans les matières où leur ministère est obligatoire; que, tel n'étant pas le cas en l'espèce, la demande présentée sur le fondement de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile par la SCP Roblin Chaix de Lavarène sera rejetée ;

Par ces motifs, LA COUR, Rejette le recours, Condamne Alain Velpry aux dépens.