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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 24 janvier 2006, n° ECOC0600188X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ordre des avocats au barreau de Marseille

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pézard

Conseillers :

Mme Mouillard, M. Remenffiras

Avoué :

SCP Duboscq & Pellerin

Avocat :

Me Galène

CA Paris n° ECOC0600188X

24 janvier 2006

Par décision n° 03-D-03 du 16 janvier 2003, le Conseil de la concurrence après avoir retenu que l'Ordre des avocats du barreau de Marseille avait méconnu les dispositions de l'article L. 420-1 du Code du commerce, en imposant à ses membres d'adhérer au contrat collectif d'assurances des risques professionnels qu'il avait souscrit, pour ce qui concerne la garantie de la responsabilité civile exploitation (titre III, art. 9 à 16), la garantie pour dommages causés par les catastrophes naturelles (titre III, art. 22) et l'assurance des objets et vêtements déposés dans les vestiaires de l'ordre (titre I, art. 17) lui a enjoint :

"de cesser d'imposer aux avocats d'adhérer au contrat collectif d'assurances qu'il a souscrit au titre de la garantie de la responsabilité civile d'exploitation, la garantie des objets et vêtements déposés dans les vestiaires de l'ordre et les dommages par catastrophes naturelles et de faire retirer du contrat d'assurance collective souscrit par lui, les clauses relatives à ces garanties".

Cette décision, notifiée le 22 janvier 2003 à l'ordre du barreau de Marseille, n'a fait l'objet d'aucun recours et est devenue définitive.

Le 26 novembre 2004, en application des dispositions des articles L. 462-5 et L. 464-8 du Code de commerce, le ministre chargé de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence pour non-respect de l'injonction prononcée.

Par décision n° 05-D-37 du 5 juillet 2005, le Conseil de la concurrence a considéré que l'Ordre du barreau des avocats de Marseille avait enfreint les dispositions de l'article L. 464-3 du Code de commerce. Il lui a infligé une sanction pécuniaire de 50 000 euro, en réitérant la même injonction en l'assortissant d'une astreinte de 100 euro par jour de retard à l'expiration du délai de quatre mois courant à compter de la date de notification de la décision, et il lui a fait obligation de rendre compte au Conseil de l'exécution de l'injonction prononcée et de remettre au bureau de la procédure un exemplaire du contrat collectif d'assurances collectif modifié conformément aux prescriptions de l'injonction.

LA COUR,

Vu le recours en annulation et en réformation formé le 4 août 2005 par l'Ordre des avocats du barreau de Marseille ;

Vu le mémoire déposé le 12 septembre 2005 par l'Ordre des avocats du barreau de Marseille à l'appui de son recours soutenu par son mémoire en réplique, déposé le 7 novembre 2005, par lesquels ce dernier demande à la cour de déclarer recevables et bien fondés les moyens de procédure et de fond qu'il a présentés, d'y faire droit en annulant la décision, à titre subsidiaire en la réformant, disant qu'il n'y a pas lieu à sanction et en toute hypothèse dire que le Trésor public devra restituer au barreau de Marseille les sommes par elles réglées au titre de la sanction pécuniaire prononcée par le Conseil de la concurrence, avec les intérêts de droit à compter de la date de paiement, lesdits intérêts devant en outre être capitalisés en application de l'article 1154 du Code civil ;

Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence en date du 10 octobre 2005;

Vu les observations écrites du ministre chargé de l'Economie, en date du 10 octobre 2005 tendant au rejet du recours ;

Vu les observations écrites du Ministère public mises à la disposition des parties à l'audience ;

Oui à l'audience publique du 22 novembre 2005, en ses observations, le conseil de la partie requérante, qui a eu la parole en dernier, ainsi que les représentants du ministre chargé de l'économie et le Ministère public ;

SUR CE

Sur la recevabilité du recours

Considérant que le 11 septembre 2005 étant un dimanche, le requérant a présenté l'exposé des moyens inclus dans le mémoire déposé au greffe de la cour le 12 septembre 2005 dans les deux mois suivant l'expédition à son égard de la lettre de notification de la décision attaquée et a ainsi respecté les délais impartis en application des articles 668, 642 et 641 n° du nouveau Code de procédure civile et de l'article 2.3 du décret n° 857-849 du 19 octobre 1987 ; que le recours est dès lors recevable ;

Sur les moyens d'annulation de la décision du conseil de la concurrence

Sur le non-respect du principe du contradictoire

Considérant que le requérant invoque, en premier lieu, une violation du principe du contradictoire en ce que la notification du rapport du rapporteur du Conseil de la concurrence n'a pas été accompagnée du rapport d'enquête de la DGCCRF relatif au suivi de l'instruction qui lui aurait été transmis uniquement ultérieurement sur demande ;

Mais considérant que cette situation ne saurait faire grief dès lors que le rapporteur a fondé son analyse sur les pièces relevant de la saisine, qui ont toutes été annexées à son rapport et auxquelles le requérant ne conteste pas avoir eu accès ; qu'au surplus, le rapport de la DGGCRF, qui a été communiqué au Conseil postérieurement à la notification du rapport ne contient aucun élément de fait qui n'a pas été pris en compte dans le rapport; que le moyen d'annulation sera rejeté ;

Sur le non-respect des droits de la défense et du principe d'impartialité

Considérant que le requérant invoque une violation de ses droits de défense en ce que d'une part, la possibilité de consulter le dossier n'a pas été mentionnée dans la lettre de notification du rapport du rapporteur, que d'autre part, le rapport d'enquête de la DGCCRF ne lui a pas été adressé en personne mais seulement à son conseil et ce, un mois après la notification du rapport du rapporteur et sans qu'un délai supplémentaire lui ait été accordé pour la production de ses observations ; qu'il fait également valoir que le principe d'impartialité n'a pas été respecté au motif que l'instruction a été parcellaire et menée entièrement à charge, les éléments à décharge tels que le rapport du ministre de l'Economie publié au Journal officiel du 28 septembre 2004 relatif au suivi des injonctions prononcées dans la décision n° 03-D-03 en date du 16 janvier 2003 n'ayant pas été examinés ;

Mais considérant que le requérant a pu user du droit de consulter son dossier, qui est prévu à l'article L. 463-2 alinéa 2 du Code de commerce ; que ce droit a bien été mentionné dans la lettre de notification du rapport en date du il mars 2005; qu'en revanche le rapport d'enquête de la DGCCRF, ne faisant pas partie des pièces ayant servi à établir les griefs qui ont été notifiés, les modalités de sa transmission ne relevaient pas des dispositions de forme et de délai de réponse, prévues à l'article L. 463-2 ; que le requérant ne conteste d'ailleurs pas avoir pu prendre connaissance du rapport d'enquête à partir du 14 avril 2005, date à laquelle il lui a été adressé par le Conseil soit plus d'un mois avant l'expiration, le 24 mai 2005 du délai de deux mois imparti pour faire des observations écrites à la suite de la notification du rapport et plus d'un mois et demi avant la séance qui s'est tenue le 7 juin 2005 ;

Qu'enfin, il n'est pas démontré que le rapporteur qui base sa notification de griefs et son rapport sur les faits qui lui paraissent de nature à en établir le bien-fondé et n'a pas à répondre à tous les arguments développés par les parties, n'ait pas instruit à charge et à décharge son dossier; qu'au surplus le requérant ne conteste pas avoir eu la possibilité de soumettre au rapporteur ou au Conseil de la concurrence les moyens et pièces qu'il estimait utiles à la défense de ses intérêts ; que ces moyens d'annulation doivent également être rejetés ;

Sur les moyens de réformation de la décision du Conseil de la concurrence

Sur la gratuité des garanties

Considérant que le requérant fait valoir que le respect de l'injonction prononcée dans la décision n° 03-D-03 prescrivant le retrait des trois garanties d'assurance qu'il propose encore (responsabilité civile d'exploitation, les objets et vêtements déposés dans les vestiaires et les catastrophes naturelles), résulte, en vertu du principe de la stricte interprétation des injonctions prononcées par le Conseil, de la gratuité de son offre dans le nouveau contrat d'assurance souscrit pour l'année 2003 ;

Mais considérant que quand bien même la gratuité alléguée des trois prestations en cause serait avérée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce dès lors que la prime forfaitaire couvre la rémunération d'un ensemble de prestations offertes à titre onéreux sans qu'il soit possible de distinguer les diverses prestations qui ne font nullement l'objet de contrats distincts, le nouveau contrat collectif contrairement à l'injonction précise et sans ambiguïté, continue d'imposer aux avocats d'adhérer au contrat collectif d'assurance correspondant aux garanties de responsabilité civile d'exploitation, objets et vêtements déposés dans les vestiaires et les catastrophes naturelles alors que chaque avocat devrait avoir la possibilité de contracter individuellement avec l'offreur de son choix ;

Sur l'impossibilité de supprimer les clauses litigieuses

Considérant que le requérant indique qu'il n'aurait pas été possible de supprimer purement et simplement les clauses litigieuses dans la mesure où ces clauses couvrent d'autres personnes et institutions énumérées dans l'article 1 du contrat et non seulement des avocats ;

Mais considérant que les décisions n° 03-D-03 et 05-D-37 exigeant de cesser d'imposer aux avocats d'adhérer au contrat collectif d'assurance pour certaines garanties et de faire retirer du contrat d'assurance collective souscrit par l'Ordre, les clauses relatives à ces garanties, le requérant aurait pu souscrire un contrat d'assurance distinct pour des personnes et institutions non visées par l'injonction ; que le moyen sera écarté ;

Sur l'absence de mise en œuvre de la garantie "responsabilité civile d'exploitation" ; Considérant que le requérant soutient que treize sinistres ont été déclarés depuis le 1er janvier 2003 et qu'aucun n'a fait l'objet d'une mise en œuvre de la garantie du contrat collectif d'assurances, ce qui laisserait supposer selon lui, l'existence d'une couverture du risque dans des contrats individuels ;

Considérant toutefois que le requérant ne saurait s'exonérer de l'exécution de l'injonction au motif de l'existence de contrats individuels ;

Sur l'absence de mise en œuvre de la garantie des objets et vêtements déposés dans les vestiaires de l'ordre ;

Considérant que quand bien même cette garantie ne s'applique plus aujourd'hui en l'absence de vestiaires ainsi que le fait valoir le requérant, ce dernier reconnaît, ce faisant, la méconnaissance de l'injonction du Conseil de la concurrence ;

Sur l'impossibilité d'application et la nécessaire révision de l'injonction prononcée en tant qu'elle vise la garantie des dommages par catastrophes naturelles ;

Considérant que le requérant considère que le Conseil de la concurrence aurait dû accorder le bénéfice de l'exemption sur le fondement de l'article L. 420-4 I.1° du Code du commerce au même titre que la garantie civile professionnelle (article T' de la décision n° 03-D-03) à la garantie des dommages par catastrophe naturelles en application des dispositions de l'article 2 de la loi du 13 juillet 1982 relative à l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles, dispositions codifiées à l'article L. 125-1 du Code des assurances ;

Mais considérant que la décision n° 03-D-03 devenue définitive à l'expiration du délai de recours fixé par l'article L. 464-8 du Code du commerce à un mois à compter de la notification de la décision a revêtu l'autorité de la chose jugée et qu'il ne relève pas de la compétence de la cour d'exercer un contrôle de légalité sur cette décision ; que le Conseil de la concurrence s'est borné à sanctionner par la décision déférée l'inexécution de sa première décision en réitérant l'injonction dans les mêmes termes tout en l'assortissant désormais d'une astreinte ; que le moyen sera rejeté ;

Sur la sanction

Considérant que le non-respect délibéré d'une injonction claire, précise et dépourvue d'ambiguïté constitue, en soi, une pratique d'une gravité exceptionnelle et qu'au cas particulier l'Ordre des avocats du barreau de Marseille aurait pu remédier à l'infraction en signant un nouveau contrat ; que s'agissant du dommage à l'économie, il peut s'apprécier au regard de la persistance de l'infraction qui perdure depuis plus de deux ans, portant nécessairement atteinte au jeu de la concurrence sur le marché de l'assurance, en privant plus de 1000 avocats et stagiaires de la possibilité de souscrire un contrat d'assurance auprès de l'assureur de leur choix ; qu'en l'état de ces éléments, le Conseil de la concurrence a justement évalué le montant de la sanction pécuniaire prononcée

Par ces motifs, Rejette le recours formé contre la décision n° 05-D-37 du 5 juillet 2005 du Conseil de la concurrence ; Rejette toute autre demande de l'Ordre des avocats du barreau de Marseille ; Le condamne aux dépens.