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Décisions

CA Lyon, 3e ch. civ., 2 février 2006, n° 05-05456

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Walczak (ès qual.) ; Albert Motos Montagne & ses Fils (SA)

Défendeur :

Yamaha Motor France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Robert

Conseillers :

Mmes Miret, Clozel-Truche

Avoué :

SCP Baufume-Sourbe

Avocats :

SCP Vogel & Vogel, Me Descotes

CA Lyon n° 05-05456

2 février 2006

Faits et procédure antérieure

La société Yamaha Motor France est l'importateur exclusif des véhicules neufs à deux et quatre roues et des pièces de rechange neuves de marque Yamaha. La société Motos Albert Montagne et ses Fils vendait et entretenait des véhicules Yamaha depuis 1969, en dernier lieu dans le cadre de contrats de concession exclusive, et notamment de six contrats de distribution sélective conclus en janvier et février 2002 pour chacun de ses deux sites de commercialisation de Lyon et Villefranche-sur-Saône et trois catégories de véhicules différentes.

La société Motos Albert Montagne et ses Fils a été placée en redressement judiciaire par un jugement du Tribunal de commerce de Lyon du 21 octobre 2003 qui a désigné Me Nanterme en qualité d'administrateur judiciaire et Me Walczak comme représentant des créanciers. Un jugement de liquidation judiciaire est intervenu le 19 octobre 2004.

Dans l'intervalle, par lettre du 22 décembre 2003 adressé à la seule société Motos Albert Montagne et ses Fils, la société Yamaha Motor France lui a notifié la résiliation des contrats de distribution sélective en cours pour les sites de Lyon et de Villefranche à compter du 1er janvier 2005.

Par assignation du 17 septembre 2004, la société Motos Albert Montagne et ses Fils et Me Nanterme, alors administrateur judiciaire, ont assigné la société Yamaha Motor France pour obtenir sa condamnation au paiement d'une somme de 500 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant tant de la résiliation estimée fautive des contrats de distribution, notamment au regard de l'article L. 621-28 du Code de commerce et de son caractère brusque et abusif que de l'exécution partielle et défaillante du contrat de distribution par le concédant durant la période d'observation.

Statuant le 19 juillet 2005 sur l'exception d'incompétence invoquée par la société Yamaha Motor France sur la base de la clause contractuelle attribuant compétence au Tribunal de grande instance de Paris, le Tribunal de commerce de Lyon a retenu l'application de cette clause et s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Paris.

La société Motos Albert Montagne et ses Fils, représentée par son liquidateur judiciaire Me Walczak, a formé contredit le 28 juillet 2005,

Prétentions et moyens des parties

Tant dans l'acte de contredit que dans ses conclusions postérieures, Me Walczak demande à la cour, réformant le jugement, de dire que l'action engagée à l'encontre de la société Yamaha sur le fondement de l'article L. 621-28 du Code de commerce relève de la compétence spéciale et exclusive du Tribunal de commerce de Lyon, juridiction saisie de la procédure collective, de renvoyer la cause devant cette juridiction et de condamner la société Yamaha au paiement d'une indemnité de procédure de 2 000 euro.

Il soutient en effet que la compétence particulière édictée en faveur du tribunal de commerce à l'article 174 du décret du 27 décembre 1985 doit prévaloir dès lors que l'état de redressement ou liquidation judiciaire exerce une influence juridique sur le litige né au sujet d'un contrat conclu antérieurement à l'ouverture de la procédure collective ; il considère que tel est bien le cas en l'espèce puisqu'est invoquée l'irrégularité de la résiliation des contrats de distribution pour avoir privé l'administrateur de l'option qui lui est conférée par la loi et que cette résiliation a eu pour conséquence directe la conversion du redressement en liquidation judiciaire; il souligne que la société Yamaha a notifié la résiliation des contrats trois mois après la mise en redressement judiciaire et, en vérité de ce seul fait.

Me Walczak fait valoir par ailleurs que la clause attributive de compétence ne vise que la validité, l'interprétation et l'exécution des contrats, mais nullement leur résiliation ou leur extinction de sorte qu'elle ne pourrait trouver application.

Il prétend enfin que la clause de compétence territoriale et d'attribution est nulle, à tout le moins inopposable à la société Motos Albert Montagne et ses Fils, en redressement judiciaire lors de l'introduction de l'instance, en ce qu'elle déroge aux règles d'organisation judiciaire qui attribuent connaissance aux tribunaux de commerce des litiges entre deux sociétés commerciales.

De son côté, aux termes des conclusions par elle notifiées le 21 octobre 2005, la société Yamaha sollicite la confirmation du jugement et la condamnation de Me Walczak ès qualité à lui payer la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle considère qu'en réalité, la procédure collective n'exerce aucune influence juridique sur le litige, s'agissant du non-renouvellement d'un contrat conclu antérieurement au redressement judiciaire et poursuivi tacitement mais de manière certaine après celui-ci, dans les mêmes conditions ; elle souligne que le litige aurait pu exister indépendamment de tout redressement judiciaire et que le fait pour le demandeur d'invoquer à mauvais escient l'article L. 621-28 du Code de commerce ne saurait suffire à entraîner la compétence de la juridiction consulaire. Elle considère qu'il est possible à la cour, pour statuer sur ce point, de rechercher si elle a violé l'article L. 621-28 tout au soulignant que cette question n'a plus aujourd'hui d'intérêt, en l'état de la situation judiciaire prononcée. La société Yamaha soutient par ailleurs que les clauses d'attribution de compétence visent nécessairement la question du non-renouvellement des contrats, qui relève de celle de leur exécution, qui y est expressément mentionnée. Elle fait valoir que la prorogation contractuelle de compétence au profit d'un tribunal de grande instance, prévue entre deux parties commerçantes, est parfaitement possible lorsque, comme en l'espèce, le litige ne relève pas de la compétence exclusive d'ordre public d'un tribunal de commerce.

Sur ce, LA COUR,

Attendu en premier lieu que l'article 11.13 des contrats de distribution dispose que " Pour toutes actions et contestations relatives à la validité, l'interprétation et l'exécution de cette convention, les parties consentent par le présent Contrat à la compétence du Tribunal de grande instance de Paris " ; que visant ainsi tous les litiges qui pourraient survenir à propos de l'existence, du sens et de la vie du contrat, cette clause régit nécessairement ceux relatifs à la résiliation du contrat, laquelle relève de son exécution et spécialement de l'application de l'article 8.2 relatif au renouvellement de la convention ; qu'au surplus, et en fait, l'assignation du 17 septembre 2004 tend non seulement à la réparation des conséquences dommageables de la résiliation mais aussi à celle de l'inexécution prétendue partielle et fautive des contrats dans leur dernière période ;

Attendu en second lieu que la résiliation des contrats de distribution sélective notifiée le 22 décembre 2003 par la société Yamaha Motor France à effet du 1er janvier 2005 n'est pas intervenue dans le cadre des dispositions de l'article L. 621-28 du Code de commerce mais seulement en application des clauses contractuelles (article 8.2 susvisé), cette société n'ayant pas contesté la poursuite des contrats au profit de la société Motos Albert Montagne et ses Fils après l'ouverture de la procédure collective ;

Qu'il ne suffit pas à cet égard au demandeur d'invoquer la méconnaissance par la société Yamaha Motor France des règles de la procédure de redressement judiciaire ou de prétendre que la résiliation aurait pour motivation réelle cette procédure collective, pour démontrer que son action en dommages-intérêts concerne le redressement ou, aujourd'hui la liquidation judiciaire, au sens de l'article 174 du décret du 27 décembre 1985 ; que Me Walczak, ès qualités n'établit pas que la procédure collective exerce une influence juridique sur le litige afférent aux conditions de résiliation des contrats de distribution sélective ; qu'il apparaît seulement que c'est la résiliation qui a eu des répercussions évidentes sur l'issue de la procédure de redressement judiciaire ;

Que par conséquent les premiers juges ont retenu à bon droit que la clause attributive de compétence ne peut être écartée par l'application des dispositions d'ordre public relatives à la compétence de la juridiction saisie de la liquidation judiciaire ;

Attendu en troisième lieu que si le litige, noué à propos de leurs relations contractuelles entre deux sociétés commerciales, relève de la compétence ordinaire de la juridiction consulaire, il ne ressort pas de sa compétence d'ordre public puisque, comme il vient d'être vu, il ne se rattache pas à la matière des procédures collectives ; que par suite il était loisible aux parties, à défaut de toute prohibition légale, de convenir de la compétence du tribunal de grande instance, juridiction de droit commun à laquelle est d'ailleurs attribuée la connaissance du contentieux commercial en cas d'absence ou d'empêchement du tribunal de commerce ;

Attendu que c'est donc à bon droit que le Tribunal de commerce de Lyon s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Paris ;

Sur ce, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement du 19 juillet 2005 ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne Me Walczak, ès qualités, aux dépens de l'instance sur contredit.