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Décisions

CJCE, 2e ch., 10 juin 1986, n° 81-85

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Union sidérurgique du Nord et de l'Est de la France (SA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocat :

Me Funck-Brentano

CJCE n° 81-85

10 juin 1986

LA COUR,

1. Par requêtes déposées au greffe de la Cour les 1er et 29 avril 1985, l'Union Sidérurgique du Nord et de l'Est de la France (Usinor), société anonyme ayant son siège social à Puteaux (Hauts-de-Seine, France), a introduit, en vertu de l'article 33, alinéa 2, du traité CECA, deux recours contre la Commission visant, le premier, enregistré sous le numéro n° 81-85, à l'annulation de la décision individuelle de la Commission du 20 février 1985, le second, enregistré sous le numéro n° 119-85, à l'annulation de la décision individuelle de la Commission du 29 mars 1985, et, en tant que de besoin, de la lettre du 18 mars 1985, dans la mesure où ces décisions refusent à la requérante l'attribution de références supplémentaires pour les produits des catégories IC et ID. A titre incident, la requérante demande, en outre, à la Cour de déclarer illégales les décisions générales n° 2177-83-CECA de la Commission, du 28 juillet 1983 (JO L 208, p. 1), et n° 234-84-CECA de la Commission, du 31 janvier 1984 (JO L 29, p. 1), prorogeant le régime de surveillance et de quotas de production de certains produits pour les entreprises de l'industrie sidérurgique, en ce qu'elles ont supprimé les possibilités d'attribution de références supplémentaires. Enfin, la requérante demande à la Cour la réparation du préjudice qu'elle aurait subi.

2. Par ordonnance de la deuxième chambre de la Cour en date du 18 février 1986, les deux affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l'arrêt.

3. Avant d'examiner ces recours, il convient de rappeler le contexte des décisions litigieuses.

4. La décision n° 1831-81-CECA de la Commission, du 24 juin 1981, instaurant un régime de surveillance et un nouveau régime de quotas de production de certains produits pour les entreprises de l'industrie sidérurgique (JO L 180, p. 1), a prévu que la Commission procèdera, sous certaines conditions et pour certaines catégories de produits, à une adaptation des productions de référence si l'entreprise, à la suite d'un programme d'investissement sur lequel la Commission n'a pas donné un avis négatif, met en service de nouvelles installations de production. Cette possibilité d'adaptation des productions de référence a été restreinte par la décision n° 1696-82-CECA de la Commission, du 30 juin 1982, prorogeant le régime de surveillance et de quotas de production de certains produits pour les entreprises de l'industrie sidérurgique (JO L 191, p. 1) et ne figure plus dans les décisions n° 2177-83 et n° 234-84. La décision n° 470-85-CECA de la Commission, du 25 février 1985, modifiant la décision n° 234-84-CECA prorogeant le régime de surveillance et de quotas de production de certains produits pour les entreprises de l'industrie sidérurgique (JO L 58, p. 7), a rétabli la possibilité, pour la Commission, d'attribuer, sous certaines conditions, des quotas additionnels en catégorie ID.

5. Le 24 mai 1982, la requérante a adressé à la Commission, conformément à la décision n° 3302-81-CECA de la Commission, du 18 novembre 1981, relative aux informations que les entreprises de l'industrie de l'acier sont tenues de fournir au sujet de leurs investissements (JO L 333, p. 35), une communication préalable d'un programme d'investissement d'une nouvelle ligne de galvanisation. Le 10 février 1983, la Commission a émis un avis favorable, considérant que le projet est conforme aux objectifs généraux de la Communauté.

6. En se basant sur cet avis favorable, la requérante a, par lettre du 27 avril 1984, demandé à la Commission l'attribution de références supplémentaires pour le deuxième trimestre de 1984 concernant les produits des catégories IC et ID.

7. Le 20 juin 1984, la Commission a répondu que les services de sa direction "acier" examineraient la demande.

8. Par lettre du 5 juillet 1984, la requérante a informé la Commission du démarrage de sa nouvelle ligne de galvanisation.

9. Le 31 décembre 1984, la Commission a notifié à Usinor les quotas de production et de livraison pour le premier trimestre de 1985, calculés sur la base de productions et de quantités de référence annuelles restées inchangées. Le 20 février 1985, elle a adressé à la requérante une nouvelle notification, adaptant les quotas de production aux nouveaux taux d'abattement introduits par la décision n° 313-85-CECA, du 6 février 1985 (JO L 34, p. 23).

10. Après l'introduction du recours n° 81-85, la Commission a, par lettre du 18 mars 1985, suggéré à Usinor d'introduire une demande en application de la nouvelle décision n° 470-85, suggestion reprise dans une lettre du 29 mars 1985.

11. La Commission soulève l'irrecevabilité des deux recours pour cause de tardiveté.

12. Elle fait valoir d'abord que la possibilité d'octroyer des quantités de référence supplémentaires ayant été supprimée par la décision n° 2177-83 et n'étant plus reprise dans la décision n° 234-84, en vigueur au moment de la présentation de la demande, elle aurait été dans l'impossibilité légale de faire droit à la demande. Il aurait appartenu à la requérante, si elle avait estimé que la suppression de la possibilité d'octroyer des quantités de référence supplémentaires porte atteinte à ses droits, d'attaquer ces décisions générales.

13. Quant à ce premier moyen d'irrecevabilité, il convient de signaler que la requérante peut toujours, même après l'expiration du délai de recours contre une décision générale, se prévaloir de l'illégalité de cette décision à l'occasion d'un recours intenté contre une décision individuelle fondée sur la décision générale (voir arrêts du 13 juin 1958, Compagnie des Hauts Fourneaux de Chasse, n° 15-57, Rec. p. 159, du 13 juin 1958, Meroni SpA, n° 9-56, Rec. p. 9, du 13 juin 1958, Meroni SAS, n° 10-56, Rec. p. 51, et du 17 juillet 1959, Snupat, n° 32 et 33-58, Rec. p. 275). En l'espèce, il faut admettre que la décision refusant l'augmentation des productions de référence est nécessairement basée sur l'absence de toute possibilité afférente à une telle adaptation dans la décision générale n° 234-84, en vigueur au moment où la décision individuelle a été prise, et qu'il existe, entre cette décision individuelle et la décision générale, un lien juridique direct (voir arrêt du 31 mars 1965, Macchiorlati Dalmas & Figli, n° 21-64, Rec. p. 227). Par ailleurs, il faut relever que la requérante conclut principalement non pas à ce que la décision n° 234-84 soit déclarée illégale, mais à ce qu'elle soit interprétée de façon à permettre, à titre transitoire, les augmentations sollicitées pour tenir compte des droits acquis par la demanderesse dans le passé.

14. La Commission fait valoir, en outre, que l'absence de décision explicite en réponse à la lettre de la requérante du 27 avril 1984 doit être considérée comme un refus implicite ouvrant la voie du recours en carence prévu par l'article 35 du traité CECA. Or, la requérante n'aurait pas agi dans le délai imparti par cette disposition.

15. En ce qui concerne le second moyen d'irrecevabilité, il y a lieu de rappeler que, pour qu'une demande puisse déclencher la procédure du recours en carence institué par l'article 35 du traité CECA, il est nécessaire qu'elle soit suffisamment explicite et précise pour permettre à la Commission de connaître de manière concrète le contenu de la décision qu'il lui est demandé de prendre (voir arrêts du 6 avril 1962, Meroni, n° 21 à 26-61, Rec. p. 149, et du 8 juillet 1970, Hake, n° 75-69, Rec. p. 535). La demande doit, d'autre part, faire ressortir qu'elle entend contraindre celle-ci à prendre parti.

16. En l'espèce, il faut constater que la lettre du 27 avril 1984, si elle fait apparaître avec une précision suffisante l'objet de la demande de la requérante, qui sollicite l'attribution de productions de référence supplémentaires pour un total de 155 000 tonnes par an à compter du deuxième trimestre de 1984, ne laisse cependant pas clairement apparaître que la Commission est invitée à arrêter une décision formelle à l'égard de cette demande. Au contraire, en se déclarant prête, à la fin de sa lettre, à apporter des précisions que la Commission pourrait souhaiter recevoir, la requérante a elle-même envisagé la possibilité de pourparlers ultérieurs et a ainsi admis que cette lettre ne pouvait constituer le point de départ d'un délai contraignant pour la prise d'une décision.

17. Les deux moyens d'irrecevabilité soulevés par la Commission doivent en conséquence être rejetés.

18. Par contre, il appartient à la Cour d'examiner d'office si la décision entreprise, du 20 février 1985, est effectivement celle par laquelle la Commission a répondu pour la première fois, fut-ce de manière implicite, à la demande de la requérante.

19. A cet effet, il convient de déterminer, au préalable, l'objet de la demande introduite par la requérante.

20. En sollicitant l'attribution de productions de référence annuelles supplémentaires à partir du deuxième trimestre de 1984, la requérante tendait en fait à obtenir des quotas de production supplémentaires dans les catégories IC et ID à partir du deuxième trimestre de 1984.

21. La décision qui doit être considérée comme ayant implicitement rejeté cette demande et qui est donc susceptible de faire grief ne peut donc être que la première décision intervenue après sa demande et fixant les quotas de production pour le troisième trimestre de 1984, sans tenir compte de la demande d'adaptation des productions de référence à partir du deuxième trimestre de 1984. Or, la requérante n'a pas attaqué cette décision dans le délai du recours contentieux.

22. La décision attaquée du 20 février 1985, fixant les quotas de production pour le premier trimestre de 1985, dans la mesure où elle ne prend pas en considération l'adaptation des productions de référence sollicitée par lettre du 27 avril 1984, ne peut que constituer la confirmation des décisions antérieures. C'est ce qui apparaît d'ailleurs de la comparaison avec la décision individuelle du 31 décembre 1984, annexée à la requête, fixant les quotas de production pour le premier trimestre de 1985, qui reprend les productions de référence anciennes de 1984, sans tenir compte des augmentations sollicitées par la requérante, et qui, sur ce point, est identique aux deux décisions précédentes ayant fixé les quotas de production pour les troisième et quatrième trimestres de 1984. La décision attaquée du 20 février 1985 n'a fait qu'adapter les quotas de production du premier trimestre de 1985 aux nouveaux taux d'abattement introduits par la décision n° 313-85, sans apporter aucune modification aux productions de référence.

23. En conséquence, le recours dans l'affaire n° 81-85 doit être rejeté comme n'étant pas dirigé contre la décision ayant fait grief.

24. En tant que le recours conclut à la réparation d'un préjudice, il doit être déclaré également irrecevable, en raison des termes de l'article 34 du traité CECA qui n'admettent un tel recours qu'après annulation de la décision prétendument à l'origine du préjudice et après qu'il est établi que la Haute Autorité n'entend pas prendre les mesures que comporte la réparation de l'illégalité constatée.

25. En ce qui concerne le recours n° 119-85, il y a lieu de constater, comme la Commission l'a soulevé à juste titre, que la lettre du 29 mars 1985, par laquelle elle a suggéré à Usinor d'introduire une nouvelle demande d'adaptation des productions de référence en application de la décision n° 470-85, ne constitue qu'une simple information et ne revêt donc pas le caractère d'une décision susceptible d'un recours juridictionnel.

26. Il y a donc également lieu de rejeter comme irrecevable le recours dans l'affaire n° 119-85.

27. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (deuxième chambre),

Déclare et arrête :

1) Les recours sont rejetés comme irrecevables.

2) La partie requérante est condamnée aux dépens.