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Décisions

CJCE, 1re ch., 16 juillet 1981, n° 33-80

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Albini

Défendeur :

Conseil des Communautés européennes, Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocat :

Me Marini-Clarelli

CJCE n° 33-80

16 juillet 1981

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 24 janvier 1980, les requérants ont introduit un recours en vertu de l'article 91 du statut des fonctionnaires (ci-après le statut), dirigé contre le Conseil des Communautés européennes et la Commission des Communautés européennes. Les requérants, dix fonctionnaires retraités de la Commission, demandent à la Cour :

1) d'annuler ou, pour le moins, de déclarer inapplicables à leur égard les règlements n° 3085-78 et n° 3086-78 du Conseil, du 21 décembre 1978 ;

2) à titre subsidiaire, d'ordonner en faveur des requérants l'allocation d'une indemnité compensatrice, calculée de manière à éviter toute réduction des pensions versées aux requérants avant l'entrée en vigueur des règlements n° 3085-78 et n° 3086-78.

2. Les articles 63 et 64 du statut, dans le texte en vigueur jusqu'à la fin de l'année 1978, disposaient : "la rémunération du fonctionnaire est exprimée en francs belges ; elle est payée dans la monnaie du pays où le fonctionnaire exerce ses fonctions ; la rémunération payée en une monnaie autre que le franc belge est calculée sur les parités acceptées par le fonds monétaire international à la date du 1er janvier 1965 ; la rémunération du fonctionnaire exprimée en francs belges... est affectée d'un coefficient correcteur supérieur, inférieur ou égal à 100 %, selon les conditions de vie aux différents lieux d'affectation ; le coefficient correcteur, applicable à la rémunération des fonctionnaires affectés aux sièges provisoires des Communautés est, à la date du 1er janvier 1962, égal a 100 %".

3. L'article 82 du statut prévoit que "les pensions (des anciens fonctionnaires) sont établies sur la base des échelles de traitement en vigueur le premier jour du mois d'ouverture du droit à pension ; elles sont affectées d'un coefficient correcteur fixé sur la base des articles 64 et 65, paragraphe 2, pour le pays des Communautés où le titulaire de la pension déclare fixer son domicile... ".

4. L'article 45, paragraphe 3, de l'annexe VIII (modalités du régime des pensions) prévoit que "les prestations peuvent être payées, au choix des intéressés, soit dans la monnaie de leur pays d'origine, soit dans la monnaie de leur pays de résidence, soit dans la monnaie du siège de l'institution à laquelle appartenait le fonctionnaire, le choix étant valable pour deux ans au moins".

5. Le Conseil a, le 21 décembre 1978, adopté le règlement (Euratom, CECA, CEE) n° 3085-78 (JO 369, p. 8), qui prévoit, dans son article 1, que l'article 63 du statut est remplacé par le texte suivant :

"La rémunération des fonctionnaires est exprimée en francs belges. Elle est payée dans la monnaie du pays où le fonctionnaire exerce ses fonctions.

La rémunération payée en une monnaie autre que le franc belge est calculée sur la base des taux de change utilisés pour l'exécution du budget général des Communautés européennes à la date du 1er juillet 1978.

Cette date est modifiée, lors de l'examen annuel du niveau des rémunérations prévu à l'article 65, par le Conseil, statuant sur proposition de la Commission à la majorité qualifiée prévue au paragraphe 2, deuxième alinéa, premier tiret, de l'article 148 du traité CEE et de l'article 118 du traité Euratom.

Sans préjudice de l'application des articles 54 et 65, les coefficients correcteurs fixés en vertu de ces articles sont, en cas de modification de la date précitée, ajustés par le Conseil, qui, statuant selon la procédure visée au troisième alinéa, corrige l'effet de la variation du franc belge par rapport aux taux visés au deuxième alinéa".

6. L'article 4 du règlement prévoit que celui-ci entre en vigueur le 1er janvier 1979, et qu'il est applicable à partir du 1er avril 1979 ; toutefois, pour les pensions et indemnités dont les montants nets subissent une diminution par rapport à l'application du système actuel, le règlement n'est applicable qu'à partir du 1er octobre 1979. Après cette date, la différence entre les montants nets tels qu'ils résultent de l'application du présent règlement et ceux perçus au titre du mois de septembre 1979 est réduite à raison d'un dixième par mois.

7. Le 21 décembre 1978, le Conseil a également adopté le règlement (Euratom, CECA, CEE) n° 3086-78 portant adaptation des coefficients correcteurs dont sont affectées les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes à la suite de la modification des dispositions du statut concernant les parités monétaires à utiliser dans l'application du statut. L'article 1, paragraphe 2, du règlement, fixe, entre autres, le coefficient correcteur applicable aux pensions, conformément à l'article 82, paragraphe 1, deuxième alinéa, du statut, pour l'Italie à 74,4.

8. Au mois de mars 1979, certains des requérants ont adressé à la Commission des demandes tendant à ce qu'elle propose au Conseil tous amendements appropriés en ce qui concerne les règlements n° 3085-78 et n° 3086-78, dont la légalité était contestée par les intéressés. La Commission, par communication du 12 juillet 1979, a répondu par la négative à ces demandes.

9. Au mois d'octobre 1979, la plupart des requérants ont introduit des réclamations, en vertu de l'article 90, paragraphe 2, du statut, attaquant la décision de la Commission. La Commission n'ayant pas modifié son attitude, les requérants ont introduit le présent recours.

10. Les requérants soutiennent que le système de pension des fonctionnaires est un système contributif, financé pour un tiers par les contributions des fonctionnaires. Il en découlerait que la pension ne représente rien d'autre qu'une rémunération différée et ne constitue pas une sorte de gratification par l'employeur. Tous les fonctionnaires d'un certain grade et ayant une certaine ancienneté verseraient le même montant au moyen d'une déduction directe. Toutes les déductions seraient effectuées en francs belges, à la source et sans application d'aucun mécanisme correcteur. Ce système supposerait qu'un fonctionnaire ayant payé une certaine somme, identique à celle versée par les autres fonctionnaires du même grade et de la même ancienneté que lui, reçoive une pension égale à celle dont jouissent les autres et correspondant aux cotisations qu'il a versées au moyen de retenues et aux versements effectués par l'employeur. Les requérants estiment qu'il est illégal d'affecter le montant d'une pension d'un indice réducteur en fonction du lieu de résidence et du coût de la vie y afférent, parce que, de ce fait, on limiterait la liberté de mouvement du titulaire de la pension précisément au moment où il en a le plus besoin. A cause de l'adoption des règlements contestés, qui aurait eu pour résultat de réduire leur pension de plus de moitié, leurs expectatives légitimes auraient été violées.

11. Par mémoires déposés respectivement le 28 février 1980 et le 29 février 1980, en vertu de l'article 91 du règlement de procédure de la Cour, le Conseil et la Commission ont soulevé des exceptions d'irrecevabilité qui visent le recours en annulation, la demande d'inapplicabilité des règlements aux requérants et la demande d'indemnité compensatrice.

12. En ce qui concerne le recours en annulation, le Conseil et la Commission envisagent les deux hypothèses d'un recours fondé soit sur l'article 91 du statut, soit sur l'article 173 du traité. Selon le Conseil, le recours introduit en vertu de l'article 91 du statut serait irrecevable pour les motifs suivants : les requérants n'auraient jamais adressé au Conseil une réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2 ; le Conseil ne serait pas l'autorité investie du pouvoir de nomination (AIPN) à l'égard des requérants ; l'article 91 ne permettrait de présenter un recours que contre des actes faisant grief, de tels actes ne pouvant émaner que de l'AIPN. Selon la Commission le recours prévu par l'article 91 du statut ne pourrait être introduit que contre un "acte faisant grief" et émanant de l'AIPN ; or, en l'espèce, le recours viserait les règlements du Conseil, qui ne constitueraient pas des actes faisant grief au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut.

13. Le Conseil et la Commission soutiennent que, même si le recours était fondé sur l'article 173 du traité, il serait irrecevable, car les règlements attaqués ne sont pas des décisions dont les requérants sont destinataires ou des décisions qui, bien que prises sous l'apparence d'un règlement, les concernent directement et individuellement. En tout état de cause, le recours, n'ayant pas été formé dans le délai de deux mois à compter de la publication des règlements, serait irrecevable.

14. En ce qui concerne la demande d'inapplicabilité aux requérants des règlements en cause, le Conseil et la Commission relèvent qu'une telle demande ne pourrait être fondée que sur l'article 184 du traité. Or, cet article ne permettrait à un requérant d'invoquer l'invalidité d'un règlement, par voie incidente et à effets restreints, que dans une procédure poursuivie devant la Cour sur la base d'une autre disposition du traité. La possibilité d'invoquer l'illégalité du règlement de manière incidente ne pourrait justifier un recours qui viserait la déclaration de l'inapplicabilité comme objet principal du litige. Le Conseil et la Commission estiment donc que la demande fondée sur l'article 184 du traité n'est pas recevable.

15. Selon le Conseil, l'action en dommages et intérêts ne serait pas recevable non plus. Elle se heurterait à une jurisprudence de la Cour, selon laquelle l'action d'un fonctionnaire (également d'un ancien fonctionnaire) visant à la réparation d'un dommage, lorsqu'elle trouve son origine dans le lien d'emploi qui unit l'intéressé à l'institution, doit être poursuivie dans le cadre de l'article 179 du traité et des articles 90 et 91 du statut. L'action ne pourrait donc être intentée que contre l'AIPN. La Commission ajoute que, lorsqu'un fonctionnaire introduit, en vertu de l'article 179 du traité, un recours tendant à l'annulation d'un acte d'une institution et à l'octroi d'une indemnité pour le préjudice à lui causé par cet acte, l'irrecevabilité de la demande en annulation entraîne, selon la jurisprudence de la Cour, l'irrecevabilité de celle en indemnité.

16. Les requérants répondent qu'ils ont présenté leur réclamation dans le délai prévu par le statut. Les règlements en cause constitueraient des actes faisant grief aux requérants, dès lors qu'ils ont eu pour conséquence de réduire de plus de moitié les montants de leurs droits à pension. Les règlements auraient été arrêtés par le Conseil et exécutés par la Commission, et ce serait la raison pour laquelle les requérants ont décidé d'introduire un recours contre ces deux institutions. Ils pourraient certes partager l'avis du Conseil lorsque ce dernier affirme que la déclaration d'inapplicabilité d'un règlement constitue une procédure incidente, mais cela ne justifierait pas la conclusion qu'en tire le Conseil. En ce qui concerne la demande subsidiaire visant à la réparation du préjudice causé, celle-ci pourrait trouver sa justification dans le devoir général d'assistance dont les institutions communautaires sont redevables à l'égard de leurs fonctionnaires.

17. Les exceptions d'irrecevabilité soulevées par le Conseil et la Commission doivent être retenues. Il ressort en effet des articles 90 et 91 du statut que la réclamation, et par conséquent le recours, ne peuvent être dirigés que contre l'AIPN et que l'acte faisant grief doit émaner de cette autorité. En outre, le recours, en tant qu'il est fondé sur l'article 173, et même s'il était par ailleurs recevable, n'a pas été introduit dans le délai visé à cet article. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la possibilité que donne l'article 184 du traité d'invoquer l'inapplicabilité d'un règlement ne constitue pas un droit d'action autonome et ne peut être exercée que de manière incidente. En l'absence d'un droit de recours principal, les requérants ne peuvent invoquer l'article 184.

18. En ce qui concerne l'action en dommages-intérêts, la jurisprudence de la Cour (notamment les arrêts du 12.12.1967, Muller/Commission, n° 4-67, Rec. p. 469, et du 20.10.1975, Meyer-Burckhardt/Commission, n° 9-75, Rec. p. 1171) établit que lorsqu'un fonctionnaire, en application de l'article 179 du traité, introduit un recours tendant à l'annulation d'un acte d'une institution et à l'octroi d'une indemnité pour le préjudice à lui causé par cet acte, les demandes sont tellement liées l'une à l'autre que l'irrecevabilité de la demande en annulation entraîne l'irrecevabilité de celle en indemnité.

19. Le recours doit donc être rejeté comme irrecevable.

20. Aux termes de l'article 70 du règlement de procédure, les frais exposés par les institutions dans les recours des agents des Communautés restent à la charge de celles-ci.

Par ces motifs,

LA COUR (première chambre),

Déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté comme irrecevable.

2) Chaque partie supportera les dépens par elle exposés.