CA Angers, ch. com., 10 mai 2005, n° 04-01181
ANGERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Arma Ingénierie (SARL)
Défendeur :
Vêtir (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Ferrari
Conseillers :
Mme Lourmet, M. Mocaer
Avoués :
SCP Fontier-Langlois, SCP Chatteleyn, George
Avocats :
Mes Renoux, Leloup
Exposé du litige
Depuis 1991, la société Arma Ingénierie est intervenue en qualité de maître d'œuvre dans les opérations décidées par la société Vêtir pour la rénovation de ses magasins à l'enseigne Vêtir ou Gemo.
En 1998, la société Vêtir a cessé de faire appel à ses services. La société Arma Ingénierie a attendu le 25 avril 2001 pour l'assigner en indemnisation du préjudice qui lui aurait été ainsi causé.
Par jugement du 17 mars 2004, le Tribunal de commerce d'Angers l'a déboutée de toutes ses demandes et condamnée à payer à La société Vêtir la somme de 10 000 euro à titre de procédure abusive et 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Arma Ingénierie en est appelante et demande à la cour de condamner la société Vêtir à lui payer les sommes de 337 000 euro, 28 958,69 euro et 10 000 euro à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 35 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Vêtir conclut à l'irrecevabilité des demandes, nouvelles en appel selon ses dires, de la société Arma Ingénierie, à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation de la société Arma Ingénierie à lui payer la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs de la décision
Sur la recevabilité des demandes de la société Arma Ingénierie
La société Arma Ingénierie a formé en appel des demandes identiques à celles formées on première instance, toujours au même titre des dommages et intérêts, mais sur un fondement juridique différent : abus de droit en première instance et rupture d'une relation commerciale établie en appel.
La société Vêtir qualifie à tort ces dernières demandes comme nouvelles, l'article 565 du nouveau Code de procédure civile écartant expressément cette qualification dans cette hypothèse. Elles sont donc recevables,
Sur la rupture d'une relation commerciale établie
Contrairement aux dires de la société Vêtir, la société Arma Ingénierie démontre l'existence d'une relation commerciale établie entre leurs deux sociétés, au sens de l'article 36-5 de l'ordonnance du premier décembre 1986, désarmais codifié sous l'article L. 442-6 du Code de commerce.
En effet, de 1991 à fin 1997, la société Vêtir a chargé la société Arma Ingénierie de 317 missions dans ses magasins, en Lorraine, en Ile-de-France, Alsace et Nord notamment.
Ces missions, bien que diverses, caractérisent une relation établie, bénéficiant d'une longue durée et d'une grande stabilité, traduisant la confiance qu'accordait la société Vêtir à son maître d'œuvre.
A partir de la fin de l'année 1997, la société Vêtir n'a confié aucune mission à la société Arma Ingénierie, mais les contrats en cours n'ont pas été résiliés de sorte que la société Arma Ingénierie a pu poursuivre son activité sur ces chantiers jusqu'à leur terme, seuls les contrats nouveaux ayant été passés avec d'autres maîtres d'œuvre. Ainsi les relations commerciales n'ont-elles pas brutalement cessé entre les parties.
Selon l'article 36-5 de l'ordonnance précitée de plus, la rupture sans préavis des relations commerciales ne constitue pas une faute en cas d'inexécution par le cocontractant de ses obligations.
Or la société Vêtir démontre que son propre directeur commercial, Denis Lambert, chargé de la négociation des chantiers de ses différents magasins et de la passation des marchés, a abusé de ses fonctions en faisant notamment financer l'activité sportive automobile de son fils par les entreprises chargées des travaux ainsi que par la société Arma Ingénierie. Denis Lambert a été licencié en 1997 et ce licenciement a été jugé fondé sur une cause réelle et sérieuse par le Conseil des prud'hommes de Cambrai dans un jugement du 4 juin 1998.
La société Vêtir produit le press book de la société LD Racing, sponsor du fils de Denis Lambert, et qui présente la société Arma Ingénierie comme un " partenaire ", ainsi d'ailleurs que les entreprises habituellement chargées des travaux pour le compte de la société Vêtir (entreprises d'installation de magasins, de climatisation, de télésurveillance, de peinture, d'éclairage, d'électricité, de la pose des enseignes et du gros œuvre...) ce que confirme la position avantageuse de son logo sur la carrosserie du véhicule automobile de compétition.
Une telle pratique, instaurée à l'insu de la société Vêtir, est de nature, en elle-même, à détruire le climat de confiance qui doit régner entre un maître d'ouvrage et un maître d'œuvre, la mission de ce dernier consistant notamment à analyser les offres des entreprises, à conseiller le maître d'ouvrage pour la passation des contrats, à contrôler les travaux et à viser les factures,
Elle est incompatible, en raison du réseau de relations occultes qu'elle suppose, avec la rigueur, l'impartialité et le souci de veiller aux intérêts du maître d'ouvrage qui participent de l'essence même de la mission du maître d'œuvre,
La société Vêtir démontre de plus, par un rapport d'expertise établi le 23 septembre 1997 par Hervé Le Toret, que les travaux ont été facturés de manière exorbitante par le réseau d'entreprises, toujours les mêmes sur ces chantiers, ainsi mis en place, et que la marge bénéficiaire de la société Arma Ingénierie sur ces chantiers était, elle aussi, exorbitante,
La société Arma Ingénierie critique ce rapport qu'elle estime lui être inopposable, mais il s'agit d'un rapport d'expertise officieux qui peut être utilisé comme toute pièce régulièrement produite.
Expert en matière de construction, Hervé Le Toret a examiné la facturation des différents chantiers et, après une étude détaillée, conclut à une surfacturation de l'ordre de 20 %.
Selon la société Arma Ingénierie, ce rapport n'a aucune valeur probante, mais il n'est combattu par aucune preuve contraire d'une part et est rendu, d'autre part, particulièrement crédible par la situation qui vient d'être décrite. La société Arma Ingénierie de plus ne répond précisément à aucune des analyses des différents chantiers qui se retrouvent dans le rapport de Hervé Le Toret.
Il y a lieu encore d'observer que la société Arma Ingénierie, tenue informée des opérations d'expertise et du rapport, n'a pas songé à le critiquer avant la présente procédure, aucune lettre de protestation ou d'explication n'ayant jamais été adressée à la société Vêtir sauf pour lui demander de lui racheter un stock de matériel désormais inutile.
C'est ainsi que par lettre du 3 juin 1998, la société Arma Ingénierie demandait à Hervé Le Toret d'intervenir auprès de la société Vêtir pour qu'elle lui achète ce stock et " que le litige soit définitivement clos " ;
Le 8 avril 1999, son avocat écrivait à la société Vêtir pour lui demander de lui régler ce stock qui restait le seul point en suspens.
Enfin l'exemplaire du rapport d'expertise de Hervé Le Toret produit par la société Arma Ingénierie est annoté à la main et il est significatif de relever que les critiques sont limitées à la forme du rapport et non au fond.
La preuve est ainsi rapportée de ce que les chantiers dont la société Arma Ingénierie a réalisé la maîtrise d'œuvre pour le compte de la société Vêtir ont été facturés de manière anormale, ce qui a permis aux entreprises comme au maître d'œuvre de réaliser des profits à l'insu et au détriment du maître d'ouvrage. Ces profits ont été, au moins en partie, reversés au directeur commercial de la société Vêtir sous forme de participations financières à l'activité d'une société sportive dans laquelle ce dernier avait des intérêts ;
Comme le soutient à juste titre la société Arma Ingénierie, l'article 36-5 de l'ordonnance du premier décembre 1986 contient une " obligation implicite de faire preuve de loyauté dans la rupture des relations commerciales avec un partenaire économique ", mais c'est à juste titre aussi que la société Vêtir lui a rappelé par lettre du 18 décembre 1998 les conditions frauduleuses des marchés qu'elle a obtenus alors que l'article 1134 du Code civil prévoit que les conventions doivent être exécutées de bonne foi, c'est à dire loyalement.
Ce manquement particulièrement grave de la société Arma Ingénierie à ses obligations contractuelles autorisait, par application de ce même article 36-5, la société Vêtir à rompre ses relations contractuelles sans préavis, ce que la société Arma Ingénierie a d'ailleurs, implicitement, reconnu dans sa lettre précitée du 3 juin 1998, tant il était évident que le maître d'ouvrage ne pouvait plus lui accorder sa confiance.
Si aucun préavis écrit n'a été adressé, ce que l'article 36-5 de l'ordonnance précitée n'exige pas expressément, les échanges de correspondances ci-dessus rappelées, avec la société Arma Ingénierie ou avec Hervé Le Toret, démontrent la parfaite connaissance par la société Arma Ingénierie des reproches qui lui étaient adressés ainsi que de l'impossibilité qui en résultait de conclure de nouveaux contrats.
Le jugement déféré qui a débouté la société Arma Ingénierie de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive de relations contractuelles établies sera donc confirmé.
La société Vêtir n'établit pas que la procédure engagée contre elle, aussi mal fondée qu'elle soit, lui a causé un préjudice de sorte qu'elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts, le jugement déféré étant réformé sur ce point.
L'équité commande de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Arma Ingénierie à payer à la société Vêtir une indemnité de 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et de la condamner, en cause d'appel, à payer à la société Vêtir une somme de 4 000 euro sur le même fondement.
Condamne la société Arma Ingénierie aux dépens recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Déboute la société Arma Ingénierie de sa demande de dommages et intérêts ; Confirme pour le surplus le jugement déféré; Ajoutant : Condamne la société Arma Ingénierie à payer à la société Vêtir la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute les parties de leurs autres demandes ; Condamne la société Arma Ingénierie aux dépens recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.