Cass. crim., 23 mars 2004, n° 03-84.569
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
Mme Agostini
Avocat général :
M. Launay
Avocat :
SCP Tiffreau
LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par : X Anne, Y Gérard, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Toulouse, chambre correctionnelle, en date du 14 mai 2003, qui, pour exposition, mise en vente ou vente de denrées alimentaires falsifiées, corrompues ou toxiques, les a condamnés chacun à 4 500 euro d'amende, et qui a prononcé sur les intérêts civils ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu le mémoire et les observations complémentaires produits, communs aux demandeurs ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 7 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, 28 et 30 du traité de Rome, 8 et 9 de la directive 83-189-CEE du Conseil du 28 mars 1983, 8 et 9 de la directive 98-34-CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998, L. 213-3, alinéa 1, 2 du Code de la consommation, 1er et 15-2 du décret du 15 avril 1912, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Anne X et Gérard Y coupables d'exposition ou vente de denrée alimentaire, boisson ou produit agricole falsifié, corrompu ou toxique ;
"aux motifs que, "aux termes de l'article L. 212-1 du Code de la consommation, dès la première mise sur le marché, les produits doivent correspondre aux prescriptions en vigueur relatives à la sécurité et à la santé des personnes, à la loyauté des transactions commerciales et à la protection des consommateurs, que le responsable de la première mise sur le marché d'un produit est donc tenu de vérifier que celui-ci est conforme aux prescriptions en vigueur et qu'à la demande des agents habilités, il est tenu de justifier les vérifications et contrôles effectués ;
"que l'article 1er du décret du 15 avril 1912 pris pour l'application de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et falsifications en matière de produits ou de services ou en ce qui concerne les denrées alimentaires et spécialement les viandes, produits de charcuterie, fruits, légumes, poissons et conserves, édicte qu'il est interdit de détenir en vue de la vente, de mettre en vente ou de vendre toutes marchandises et denrées destinées à l'alimentation humaine, lorsqu'elles sont additionnées de produits chimiques autres que ceux dont l'emploi est déclaré licite par des arrêtés pris de concert par le ministre de l'Agriculture et du Développement rural, le ministre de l'Economie et des Finances, le ministre du Développement industriel et scientifique et le ministre de la Santé publique sur l'avis de l'agence française de sécurité sanitaire des aliments; qu'il est également interdit de faire intervenir même à titre temporaire, au cours de la préparation des marchandises et denrées destinées à l'alimentation humaine, des produits chimiques autres que ceux dont l'emploi est déclaré licite par arrêté pris dans les mêmes formes ;
"que tous les produits ingérables appartiennent juridiquement à l'une ou l'autre des catégories suivantes : médicament ou aliment ; qu'en l'espèce, les produits proposés à la vente ne sont pas des médicaments au sens de l'article L. 511 du Code de la santé publique (...) ; qu'ils sont des produits assimilables à des aliments soit destinés à une alimentation particulière, il s'agit alors de produits diététiques, soit destinés à une consommation courante ;
"que les compléments alimentaires ont été définis aux termes du décret du 10 avril 1996 comme des produits destinés à être ingérés en complément de l'alimentation courante afin de pallier l'insuffisance réelle ou supposée des apports journaliers ;
"que l'ensemble des produits soumis au contrôle de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes était présenté comme compléments alimentaires; que si de principe aucun ajout d'une substance à but nutritionnel n'est admis en alimentation non diététique, des assouplissements ont été introduits quand les compléments alimentaires renfermaient des vitamines ou des sels minéraux, sous la double condition que ces vitamines ou minéraux présentent un intérêt nutritionnel certain pour le consommateur qui n'a pas de besoin spécifique et que l'incorporation soit effectuée à des doses physiologiques restant compatibles avec le concept de complément alimentaire de l'alimentation ;
"qu'il a été relevé une commercialisation de compléments alimentaires renfermant des substances chimiques non autorisées ou non admises en l'espèce des substances non autorisées dans les compléments alimentaires telles que des acides aminés libres, de l'inositol, de la choline ou de la coenzime Q 10 et des substances non autorisées en alimentation humaine, telles que des minéraux apportés sous forme non autorisée, de la silice, de la betaïne, de la bromelaïne, de la rutine ou des plantes, de l'astragale ou de gingko, biloba en particulier ;
"qu'il a été relevé en outre la commercialisation de compléments alimentaires renfermant des quantités excessives de vitamines ou de minéraux admis dans ce type d'aliments, dépassant la teneur de limite de sécurité établie par le conseil supérieur d'hygiène publique en France ;
"que ces compléments sont analysés, de jurisprudence constante, comme des substances chimiques, c'est-à-dire n'existant pas naturellement sous une forme isolée et faisant à la suite d'une extraction ou d'une synthèse l'objet d'un dosage artificiel ;
"que les dispositions du décret de 1912 sont applicables et que le délit est aussi caractérisé ;
"que s'agissant de la réglementation européenne, les dispositions nationales relatives aux additifs à but nutritionnel autorisés dans l'alimentation humaine sont justifiées, au regard des articles 28 et 30 du traité CE par la protection de la santé publique et la protection du consommateur ; qu'à ce titre les décisions du Conseil supérieur d'hygiène publique en France présentent un caractère péremptoire et dérogatoire aux principes communautaires ;
"que le délit de tromperie ou de falsification est caractérisé par addition ou soustraction d'un élément composant le produit alimentaire, l'ajout non autorisé de substances non autorisées ou des doses non autorisées estimées dangereuses par la législation nationale justifiant le principe de la culpabilité" ;
"alors que 1°), l'incrimination de l'addition à une denrée alimentaire de "produits chimiques" non autorisés ne satisfait pas aux exigences de prévisibilité et d'accessibilité de la loi pénale, en l'absence d'une définition claire, précise et constante de la notion de "produit chimique", et ne saurait donc fonder la condamnation des prévenus ;
"alors que 2°), les prévenus soutenaient que la réglementation interdisant la commercialisation de compléments alimentaires additionnés de produits chimiques non autorisés par l'Administration leur était inopposable, dès lors que cette interdiction constituait une " règle technique " au sens de la directive 83-189-CE du 28 mars 1983 (consolidée par la directive 98-34-CE), et que cette règle n'avait pas été notifiée à la Commission; qu'en effet, les directives susvisées entendent comme "règle technique", notamment, "les dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres visant l'interdiction de fabrication, d'importation, de commercialisation ou d'utilisation d'un produit" ; que dans un arrêt du 30 avril 1996 (CIA Security International), la Cour de justice des Communautés européennes avait dit pour droit qu'il incombait au juge national de refuser d'appliquer une règle technique nationale qui n'avait pas été notifiée à la Commission; qu'en omettant de répondre à ce chef d'articulation essentiel, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"alors que 3 ), les mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice des libertés fondamentales garanties par le traité de Rome, ne peuvent être justifiées que si elles remplissent quatre conditions : s'appliquer de manière non discriminatoire, répondre à des raisons impérieuses d'intérêt général, être propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre; qu'en estimant que l'interdiction générale de l'addition de tous "produits chimiques" non autorisés à un complément alimentaire, susceptible de gêner la libre circulation de ce type de marchandise, aurait été justifiée au regard des articles 28 et 30 du traité de Rome "par la protection de la santé publique et la protection du consommateur", sans rechercher, comme elle y était invitée, si ladite interdiction n'allait pas au-delà de ce qui était nécessaire pour atteindre ces objectifs de protection, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'Anne X et Gérard Y ont commercialisé en France, sous la marque "Nature's plus" divers compléments alimentaires comportant des substances non autorisées, telles que acides aminés et plantes, ainsi que des vitamines et minéraux en teneurs excessives ; qu'ils ont été poursuivis, en application de l'article L. 213-3, 2, du Code de la consommation, pour exposition, mise en vente ou vente de denrées alimentaires falsifiées, corrompues ou toxiques ;
Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables de ce délit, l'arrêt prononce par les motifs partiellement repris au moyen ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître aucune des exigences tenant à la prévisibilité et à l'accessibilité de la loi pénale ni contredire aucune règle du droit communautaire ;
Qu'en effet, les dispositions du décret du 15 avril 1912 ne sont pas des règles techniques au sens de la directive 83-189-CEE du 28 mars 1983 ; qu'en outre, il n'existait pas, à la date des faits, de normes communautaires régissant les compléments alimentaires ; qu'en tout état de cause, la directive 2002-46-CE du Parlement et du Conseil du 10 juin 2002, ne comporte, faute de données scientifiques suffisantes et appropriées, aucune disposition autorisant l'incorporation d'acides aminés ou de plantes dans les compléments alimentaires et prévoit la fixation, non encore intervenue, de limites maximales de sécurité pour les vitamines et minéraux dont la consommation en quantité excessive peut avoir des conséquences néfastes sur la santé ; que dès lors, les dispositions nationales interdisant d'incorporer dans les compléments alimentaires des acides aminés, des extraits de plantes ainsi que des vitamines et minéraux en quantités dépassant les apports journaliers recommandés, constituent une mesure de précaution, objective et non discriminatoire ; que cette mesure, justifiée par les incertitudes scientifiques qui subsistent, est nécessaire à la protection de la santé publique, objectif d'intérêt général dont elle poursuit la réalisation de façon proportionnée ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette les pourvois.