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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 29 juin 2005, n° 04-13531

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cyber Press (SARL)

Défendeur :

Editions de Tournon (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Carré-Pierrat

Conseillers :

Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland

Avoués :

SCP Varin-Petit, SCP Bernabé-Chardin-Cheviller

Avocats :

Mes Etner, Odinot

T. com. Paris, du 30 avr. 2004

30 avril 2004

Vu l'appel interjeté par la société Cyber Press du jugement rendu le 30 avril 2004 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :

- dit que la société Cyber Press a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice de la société Editions de Tournon en utilisant un titre "Hentai DVD" et une présentation similaires à une publication du même genre déjà commercialisée par la société Editions de Tournon,

- condamné la société Cyber Press à payer à la société Editions de Tournon en réparation de l'ensemble des préjudices subis la somme de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts,

- confirmé la mesure d'interdiction et de retrait de la publication en cause ordonnée à la société Cyber Press par le juge des référés,

- constaté que la société Cyber Press en a ordonné le retrait le 21 janvier 2003,

- ordonné la publication du dispositif du jugement dans deux revues au choix de la société Editions de Tournon et aux frais de la société Cyber Press, dans la limite d'un coût global de 2 000 euro,

- condamné la société Cyber Press à verser à la société Editions de Tournon la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

Vu les uniques écritures signifiées le 31 août 2004 par lesquelles la société Cyber Press, poursuivant la réformation du jugement entrepris, demande à la cour de :

- constater que le titre "Hentai DVD" ne présente aucune originalité et que la publication "Hentai DVD" N° 1 qu'elle a éditée, puis retirée des kiosques le 21 janvier 2003 ne peut être confondue avec la publication de la société Editions de Tournon éditée sous le même titre,

- constater que les éléments similaires des deux publications litigieuses sont justifiés par des impératifs techniques et commerciaux et qu'elle n'a pas commis d'actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Editions de Tournon, - constater que la société Editions de Tournon ne rapporte pas la preuve du préjudice dont elle demande réparation,

- en conséquence, débouter la société Editions de Tournon de l'ensemble de ses prétentions et ordonner la restitution de la somme de 15 000 euro qui lui a été versée en exécution du jugement,

- à titre subsidiaire, faire injonction à la société Editions de Tournon d'avoir à justifier de son chiffre d'affaires manqué entre le 20 novembre 2002 et le 21 janvier 2003 afin de pouvoir apprécier son préjudice et renvoyer les parties à conclure sur ce point,

- réduire le montant des dommages-intérêts et écarter toute mesure de publication,

- condamner la société Editions de Tournon à lui verser la somme de 3 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les uniques écritures signifiées le 19 novembre 2004 aux termes desquelles la société Editions de Tournon sollicite la confirmation du jugement déféré sauf sur le montant des dommages-intérêts, priant la cour de lui allouer à ce titre une indemnité de 30 000 euro outre la somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Sur quoi, LA COUR

Considérant que la société Editions de Tournon édite un magazine bimestriel à caractère érotique, consacré aux mangas japonais intitulé "Hentai DVD" en complément duquel est commercialisé sous la forme d'un DVD un dessin animé interdit aux moins de 18 ans ; que le premier numéro de cette revue est paru le 18 octobre 2002 ;

Que reprochant à la société Cyber Press d'avoir, le 20 novembre suivant, mis en vente, sous le même titre, un magazine dont le format et le contenu seraient identiques, accompagné d'un DVD proposant un dessin animé destiné aux adultes, la société Editions de Tournon l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de voir constater des actes de concurrence déloyale, sur le fondement de l'article L.1 12-4 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle;

- Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire

Considérant que la société Cyber Press soutient que le titre "Hentai DVD" est formé de l'association de deux termes descriptifs et que dépourvu d'originalité, il n'est pas protégeable ;

Considérant qu'il ressort, en effet, du Dictionnaire japonais de manga et jeux vidéos, dont un extrait est produit aux débats, que le terme "Hentai" qui, dans son acception première signifie "anormal", est couramment utilisé dans l'univers des mangas dans le sens de "pervers sexuel" pour désigner des publications mettant en scène des personnages "mangas" dans un environnement érotique ou pornographique ;

Mais considérant que la société Cyber Press invoque en vain l'absence d'originalité du titre commun aux deux revues alors que l'action est fondée sur l'article L. 112-4 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose: "Nul ne peut, même si l'œuvre n'est plus protégée dans les termes des articles L. 123-1 à L. 123-3, utiliser ce titre pour individualiser une œuvre du même genre dans des conditions susceptibles de provoquer une confusion" ;

Considérant que la revue éditée par la société Editions de Tournon a été publiée et portée à la connaissance du public, un mois avant celle de la société Cyber Press ; que le titre commun choisi individualise des œuvres du même genre, des publications à caractère érotique mettant en scène des personnages "mangas" japonais;

Considérant que la société Cyber Press fait valoir que les différences entre les magazines, tenant à la présentation des pages de couverture, écartent tout risque de confusion, les ressemblances étant justifiées par des impératifs commerciaux et techniques ;

Mais considérant que le format des deux magazines est identique alors que certaines publications concurrentes produites aux débats adoptent des dimensions réduites ; que le bandeau revêtu de la mention "Nouveau" est positionné de manière identique sur le haut de la page de couverture ; que dans les deux cas, le DVD inclus dans un boîtier de plastique moulé, rigide, est placé à la verticale en bas à droite du magazine ; que l'ensemble magazine et DVD est présenté à la vente sous un plastique rigide, translucide alors que la plupart des publications à caractère érotique ou pornographique, produites aux débats par la société Cyber Press, sont vendues sous des emballages en plastique souple ;

Que si, comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, chacun de ces éléments ne revêt pas un caractère d'originalité, réunis, ils procurent une impression d'ensemble telle qu'ils sont susceptibles de provoquer une confusion entre les deux publications, dont le titre identique ne permet pas de les distinguer ;

Que ce choix ne répond pas à des impératifs commerciaux ou techniques alors que les produits concurrents se différencient des deux magazines en présence par leur format, la présentation des couvertures et des emballages ;

Qu'en identifiant la publication litigieuse par un titre identique, dans des conditions de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle, la société Cyber Press a violé les dispositions de l'article L. 112-4 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle et commis des actes de concurrence déloyale au détriment de la société Editions de Tournon ;

- Sur les mesures réparatrices

Considérant que la société Editions de Tournon soutient que la commercialisation par la société Cyber Press de la revue incriminée lui a causé un préjudice résultant du détournement de sa clientèle et d'une perte de référencement et d'image auprès des kiosquistes ; qu'elle relève un taux d'invendus de 68 % de l'exemplaire N°1 de sa revue et une augmentation sensible des ventes des deux numéros suivants ensuite du retrait de la vente de sa publication par la société Cyber Press ;

Considérant que, comme les premiers juges l'ont relevé à juste titre, la société Editions de Tournon, tout en faisant état de la mise en place de 14 933 exemplaires de la revue et d'un taux d'invendus de 68 %, ne produit aucun élément permettant de déterminer sur quelles bases elle a fondé le chiffre prévisionnel de ventes ; que les ventes des numéros 2 et 3 ont atteint respectivement 7 212 et 6 590 exemplaires ; que la société Cyber Press verse aux débats une étude réalisée par les NMPP en 2002 aux termes de laquelle le taux d'invendus dans le secteur multimédia "charme" est supérieur à 70 % ; qu'elle justifie avoir elle-même vendu 3 610 exemplaires du numéro 1 de son magazine avant de le retirer de la vente en exécution de l'ordonnance de référé du tribunal de commerce de Paris ;

Que si, au vu de ces éléments les ventes manquées de la société Editions de Tournon ne peuvent excéder 3 000 exemplaires, elle a subi indéniablement un trouble commercial lié aux difficultés de référencement de son magazine dans le circuit de distribution de la vente en kiosque par la coexistence de deux titres identiques ;

Que les premiers juges ont exactement apprécié le préjudice en résultant pour la société Editions de Tournon en lui allouant une indemnité de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts, sans qu'il y ait lieu de faire droit à l'injonction de la société Cyber Press ;

Que la mesure de publication sollicitée, qui apparaît justifiée, doit être confirmée, sauf à préciser qu'elle fera mention du présent arrêt ;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société Editions de Tournon, la somme complémentaire de 5 000 euro devant lui être allouée à ce titre ;

Que la solution du litige commande de rejeter la demande formée sur ce même fondement par la société Cyber Press ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Dit que la publication fera mention du présent arrêt, Rejette le surplus des demandes, Condamne la société Cyber Press à verser à la société Editions de Tournon la somme complémentaire de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Cyber Press aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.