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Décisions

Conseil Conc., 7 février 2006, n° 06-D-01

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre par la société des Nouvelles Messageries de Presse Parisienne (NMPP)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Cayatte, par M. Nasse, vice-président présidant la séance, Mme Mader-Saussaye, MM. Honorat, Bidaud, Piot, Charrière-Bournazel, membres.

Conseil Conc. n° 06-D-01

7 février 2006

Le Conseil de la concurrence (section I),

Vu la lettre enregistrée le 17 mai 2004, sous les numéros 04/0031 F et 04/0032 M, par laquelle la société Export Press a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par le groupe des Nouvelles Messageries de Presse Parisienne (NMPP) dans le secteur de la vente au numéro de la presse nationale dans les départements et territoires d'outre-mer (DOM-TOM) et a demandé que des mesures conservatoires soient prononcées sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu la décision n° 04-D-45 du 16 septembre 2004 relative à la demande de mesures conservatoires de la société Export Press ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions de son application ; Vu les engagements proposés par les NMPP en date du 17 novembre 2005 et complétés le 11 janvier 2006 ; Vu les observations présentées par les sociétés Export Press, Messageries Lyonnaises de Presse (MLP) et le commissaire du gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général, le commissaire du gouvernement et les représentants de la société Export Press et de la société Nouvelles Messageries de Presse Parisienne (NMPP) entendus au cours de la séance du 10 janvier 2006 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA SAISINE

1. Par lettre enregistrée le 17 mai 2004, la société Export Press a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par le groupe des Nouvelles Messageries de Presse Parisienne (ci-après NMPP) dans le secteur de la distribution de la presse nationale dans les départements et territoires d'outre-mer (DOM-TOM), en sollicitant, accessoirement à sa saisine au fond, l'octroi de mesures conservatoires.

2. Dans sa saisine, le plaignant dénonce les offres de prix qu'il a reçues du groupe NMPP entre août 2003 et février 2004 pour la rémunération des services des dépositaires situés dans les DOM-TOM. Export Press juge ces offres de prix d'un niveau excessif, discriminatoires et susceptibles de provoquer un effet de ciseau tarifaire sur le marché de l'exportation de la presse nationale vers ces destinations. La société saisissante soutient que " les pratiques en cause ont pour objet et pour effet d'empêcher Export Press, seul concurrent des NMPP sur le marché de l'exportation de la presse nationale, d'accéder aux marchés des DOM-TOM, soit l'une des principales destinations d'exportation pour les éditeurs de presse français ".

3. Dans sa décision n° 04-D-45, du 16 septembre 2004, le Conseil de la concurrence n'a pas accordé de mesures conservatoires mais a déclaré la saisine au fond recevable en ce qu'elle concerne la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. En revanche, le Conseil de la concurrence a déclaré la saisine irrecevable en ce qu'elle concerne les DOM. En effet, la société Export Press n'ayant pas le statut juridique de messagerie de presse défini par la loi Bichet, elle n'a pas le droit de distribuer la presse nationale dans les DOM. Cette décision a été confirmée par la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 12 avril 2005.

B. LE SECTEUR D'ACTIVITÉ ET LES ENTREPRISES

4. L'exportation de la presse nationale vendue au numéro repose sur une organisation en trois niveaux. Le niveau 1 est assuré par les exportateurs, dont l'activité consiste à rassembler les titres de plusieurs éditeurs (activité de " groupage ") et à les transmettre aux dépositaires importateurs implantés dans les pays destinataires. Le réseau dit de niveau 2 est constitué par les dépositaires, dont le rôle est de distribuer la presse qui leur est confiée aux diffuseurs de presse situés dans le secteur géographique dont ils ont la charge. Ces diffuseurs assurent la vente au détail et constituent l'ultime maillon de la chaîne : le réseau dit de niveau 3.

5. Il est d'usage que chaque " niveau " de la chaîne d'activité soit principalement rémunéré par une commission. Cette commission est calculée ad valorem, c'est-à-dire en pourcentage du prix facial de vente du titre, sur la base des exemplaires vendus. Les acteurs des niveaux 1 et 2 ont le statut de commissionnaire ducroire. Cela signifie que la commission perçue par le niveau 1 comprend la rémunération des niveaux suivants, de même que celle du niveau 2 comprend la commission du niveau 3. De plus, chaque maillon de la chaîne supporte le risque d'impayé du maillon suivant. Le transport des titres, assuré par les acteurs de niveau 1, fait l'objet d'une facturation à part.

6. Ainsi, les éditeurs n'ont qu'un seul interlocuteur : l'exportateur. Celui-ci leur propose, pour chaque destination, un prix (hors transport) qui doit également couvrir les coûts qu'il subit pour la rémunération des agents de la distribution locale de la presse (acteurs des niveaux 2 et 3 implantés dans le pays d'exportation).

7. La Cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 12 février 2004 " MLP c/NMPP " indique que sur " le marché de l'exportation de la presse nationale " (toutes destinations confondues), la société NMPP " détient une position largement dominante avec 90 % des parts de ce marché, ce qu'elle ne conteste pas dans ses écritures ". Son unique concurrent est Export Press, qui estime sa propre part de marché à 4 %. Les 6 % restant correspondraient aux éditeurs qui prennent eux-mêmes en charge l'exportation de leurs titres.

8. La société Export Press n'est actuellement pas présente sur les destinations de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française. Elle estime en être empêchée par les pratiques qu'elle dénonce dans sa saisine. Les NMPP disposent donc aujourd'hui d'une situation de monopole de fait sur les marchés de l'exportation de la presse nationale vers la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française.

9. Dans ces territoires, les dépositaires Nouvelles Messageries Calédoniennes de Presse et Agence Polynésienne de Diffusion, tous deux filiales à 100 % de la société NMPP, jouissent chacun d'une position de monopole de fait dans leur territoire d'outre-mer respectif.

C. LES PRATIQUES DÉNONCÉES

10. Afin d'être en mesure de proposer les TOM dans la liste des destinations offertes à ses clients éditeurs, Export Press s'est tournée vers les NMPP pour obtenir les conditions tarifaires de leurs dépositaires implantés dans ces territoires.

11. Dans un courrier du 9 juillet 2003, la direction internationale des NMPP a communiqué les conditions tarifaires auxquelles les Nouvelles Messageries Calédoniennes de Presse et l'Agence Polynésienne de Diffusion pourraient traiter les publications d'Export Press. Ces conditions tarifaires se résumaient à une commission correspondant à un pourcentage de la valeur des ventes locales des publications : 56 % pour la Nouvelle-Calédonie et 62 % pour la Polynésie française.

12. Dans sa saisine, la plaignante reproche aux NMPP le niveau de ces commissions, qu'elle juge excessif. En effet, conformément aux usages de la profession, ces commissions couvrent la rémunération des agents des niveaux 2 et 3 implantés localement et peuvent être analysées comme les prix de gros auxquels les NMPP facturent leurs services locaux à leurs concurrents. Or, leur niveau étant supérieur à celui des commissions pratiquées par les NMPP auprès des éditeurs pour l'exportation de leurs titres vers ces mêmes destinations (niveaux 1, 2 et 3 inclus), ces propositions tarifaires ne permettent pas à Export Press de concurrencer les NMPP sur les marchés de l'exportation vers la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, et font apparaître un effet de ciseau tarifaire.

13. Le tableau suivant présente les conditions tarifaires en cause :

D. ÉVALUATION PRÉLIMINAIRE DES PROBLÈMES DE CONCURRENCE

14. Dans sa décision n° 04-D-45 du 16 septembre 2004, le Conseil de la concurrence a considéré qu'il n'était pas exclu que le groupe NMPP ait abusé de sa position dominante sur les marchés de la distribution locale de la presse nationale en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, en proposant à Export Press des prix excessifs, discriminatoires et provoquant un effet de ciseau tarifaire, ayant pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur les marchés de l'exportation de la presse nationale à destination de ces territoires.

15. Par ailleurs, lors de l'audition du 29 juin 2005 réalisée dans le cadre de l'instruction au fond, la rapporteure a évoqué une autre préoccupation de concurrence concernant la présentation systématique des DOM par les NMPP comme des destinations d'exportation.

16. L'instruction de la demande de mesures conservatoires a fait apparaître que l'usage des professionnels de la distribution de la presse est de considérer les DOM parmi les destinations d'exportation et que cet usage est largement le fait des NMPP elles-mêmes. En effet, d'une part, les NMPP font figurer les DOM parmi leurs destinations d'exportation sur leur site Internet et, d'autre part, elles les comptabilisent dans les résultats de l'activité "export" présentés dans leur rapport annuel. En outre, le tarif proposé par les NMPP pour les DOM relève de leur barème tarifaire "export". Enfin, le contrat de groupage standard des NMPP1 distingue, d'un côté, les services de distribution en " France métropolitaine " (cf. article 2 du contrat) et, d'un autre côté, les services d'exportation (cf. article 3 du contrat) ; il résulte nécessairement de cette dichotomie que les DOM sont intégrés dans les destinations d'exportation.

17. Mais, comme l'a rappelé le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 04-D-45 précitée, " ni le constat d'un usage généralisé consistant à présenter les DOM parmi les destinations d'exportation de la presse nationale, ni l'éloignement géographique des DOM justifiant cet usage sur un plan logistique, ne permettent de conclure que la vente de la presse nationale dans les DOM puisse être assimilée à une opération d'exportation ".

18. Or, les NMPP constituant un acteur dominant sur les marchés de la distribution et de l'exportation de la presse nationale, leurs pratiques commerciales font référence en matière d'usage dans ce secteur. La présentation des DOM comme des destinations d'exportation crée une confusion qui peut se révéler préjudiciable à l'égard des concurrents des NMPP, et notamment à l'égard de sociétés telles qu'Export Press qui, n'ayant pas le statut juridique de messagerie de presse défini par la loi Bichet, ne peut proposer ses services vers les DOM et risque d'apparaître à tort, aux yeux des éditeurs, comme un exportateur proposant des services incomplets.

E. LES ENGAGEMENTS PROPOSÉS PAR LES NMPP

19. Informées des préoccupations de concurrence du Conseil par la rapporteure lors de l'audition du 29 juin 2005, les NMPP ont déclaré, lors de cette audition, envisager de suivre la procédure d'engagements prévue au I de l'article L. 464-2 du Code de commerce.

20. Les NMPP ont proposé des engagements le 17 novembre 2005. Ceux-ci ont fait l'objet du communiqué de procédure du 21 novembre 2005, publié sur le site Internet du Conseil de la concurrence afin de recueillir les observations des tiers potentiellement intéressés. Ces propositions initiales ont été aménagées au cours de la séance du Conseil du 10 janvier 2006 pour tenir compte des observations versées au dossier lors de la consultation. Une version définitive des engagements a été transmise par écrit au Conseil le 11 janvier 2006.

21. Ces engagements, exposés ci-après aux points 22 à 25 dans leur version finale transcrite dans le courrier du 11 janvier 2006, sont au nombre de deux : le premier concerne les offres tarifaires relatives à la distribution de la presse nationale en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française ; le second vise à mettre fin à la confusion créée par la présentation systématique des DOM comme des destinations d'exportation.

1. Premier engagement

22. S'agissant des préoccupations sur les tarifs de distribution de la presse en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française exprimées par le Conseil dans sa décision n° 04-D-45 : " Les NMPP s'engagent à ce que leurs filiales exploitant les dépôts de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française tarifient la distribution locale de publications en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française aux entreprises d'exportation de la presse française qui la leur confient selon un barème propre à chacun des territoires concernés qui s'appliquera, à prestations de nature identique, aux opérations confiées aux dépôts concernés par toute entreprise d'exportation de la presse française, y compris les NMPP elles-mêmes. Ces barèmes sont les suivants" :

<emplacement tableau>

23. Les NMPP indiquent qu'elles " s'engagent à mettre en œuvre le premier engagement dans un délai de 5 mois après la décision du Conseil de la concurrence qui l'aura accepté, ce délai étant nécessaire à la réalisation des modifications à apporter au système informatique utilisé pour la facturation ".

2. Second engagement

24. S'agissant de la préoccupation de concurrence exprimée par la rapporteure lors de l'audition du 29 juin 2005, à savoir la confusion créée par la présentation systématique des DOM comme des destinations d'exportation :

<emplacement tableau>

" Les NMPP s'engagent à soumettre, dans les meilleurs délais, aux assemblées de ses coopératives associées, seules compétentes pour arrêter les barèmes applicables, une résolution prévoyant la présentation, dans les barèmes des NMPP et dans leur contrat de groupage, des conditions tarifaires applicables à la distribution de la presse dans les DOM au sein des conditions applicables à la distribution de la presse en France métropolitaine et la présentation, sur leur site Internet et dans leur Rapport Annuel, des services et activités de distribution de la presse dans les DOM comme relevant de la distribution de la presse en France. En outre, les NMPP s'engagent à informer le Conseil, au plus tard le 15 octobre 2006, de la délibération des assemblées de ses coopératives associées concernant cette résolution et de la mise en œuvre de cette dernière avec effet à la même date. "

25. Par ailleurs, les NMPP précisent que " leur site Internet a d'ores et déjà été modifié afin de présenter les services de distribution dans les DOM séparément des services d'exportation. "

F. LES OBSERVATIONS DU PLAIGNANT ET DES TIERS INTÉRESSÉS

26. Une seule partie tierce à l'affaire s'est exprimée sur la proposition d'engagements émise par les NMPP : il s'agit des Messageries Lyonnaises de Presse (ci-après MLP), concurrent des NMPP dans le secteur de la distribution de la presse nationale en France métropolitaine. Les MLP disposent des potentialités leur permettant de devenir actives sur le marché de l'exportation.

1. Sur le premier engagement

27. En réponse à la proposition initiale des NMPP, Export Press a estimé que la commission de base de 40 % était " à première vue raisonnable " mais a indiqué que, combinée avec les frais par parution et par exemplaire traités, elle " aboutit en pratique à un traitement tarifaire inacceptable en l'état pour Export Press ". Cette affirmation était étayée par deux simulations tarifaires comparant les nouveaux barèmes proposés avec, d'une part, les conditions proposées par les NMPP aux éditeurs et, d'autre part, les propositions tarifaires de 2003 litigieuses qui avaient fait l'objet de la saisine initiale. De ces deux simulations, Export Press a conclu que les engagements proposés n'apportaient aucune amélioration par rapport aux anciennes propositions de 2003 et maintenaient l'effet de ciseau dénoncé. En outre, la société saisissante a fait observer que la remise de fin d'année, telle qu'elle était initialement présentée, n'était pas clairement définie mais qu'elle paraissait " conçue uniquement pour bénéficier aux NMPP elles-mêmes ". Export Press a conclu que " le Conseil peut donc parfaitement considérer comme abusifs les engagements tarifaires proposés par les NMPP dès lors qu'ils ne permettent pas à Export Press de dégager le moindre profit sur la base des volumes que celle-ci pourrait exporter vers les TOM dans un premier temps. "

28. Les MLP ont font valoir la nouveauté de certains coûts figurant dans les engagements, tels que les frais par parution et par exemplaire traités, par rapport à des " propositions commerciales des NMPP effectuées antérieurement ". Les MLP ont dénoncé l'absence de justification de ces nouveaux coûts, qu'elles estiment représenter jusqu'à 10 points d'augmentation. Par ailleurs, les MLP ont affirmé que le mode de calcul de la remise de fin d'année, tel qu'il était présenté initialement, manquait de clarté, mais que cette remise pouvait rendre les barèmes proposés discriminatoires en avantageant " les seuls gros fournisseurs ". Enfin, les MLP ont soulevé la question des tarifs accordés aux entreprises autres que les entreprises d'exportation, telles que les éditeurs qui s'adressent directement aux dépositaires filiales des NMPP.

2. Sur le second engagement

29. Export Press a accueilli favorablement le second engagement sur le fond, mais a regretté que, tel qu'il était formulé dans la proposition initiale des NMPP, il soit privé de tout effet contraignant en raison de sa subordination à l'approbation des assemblées des coopératives associées aux NMPP. C'est pourquoi Export Press a demandé que cet engagement soit assorti d'une clause de " rendez-vous " ou d'un mécanisme équivalent permettant concrètement au Conseil de s'assurer de sa mise en œuvre effective.

II. Discussion

30. Selon les dispositions du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 4 novembre 2004, le Conseil de la concurrence " peut accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes et de nature à mettre un terme aux pratiques anticoncurrentielles ".

31. Afin de permettre aux engagements proposés de mieux répondre aux préoccupations de concurrence exprimées et pour tenir compte des observations d'Export Press, des MLP et du commissaire du gouvernement, le Conseil, lors des débats, a demandé des précisions ou des modifications dans la rédaction des engagements proposés.

A. SUR LE PREMIER ENGAGEMENT

32. Le Conseil de la concurrence accueille favorablement la mise en place de barèmes objectifs et transparents pour la distribution de la presse en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, s'appliquant de manière non discriminatoire aussi bien aux NMPP qu'aux autres exportateurs susceptibles de les concurrencer sur ces marchés.

33. Le Conseil a toutefois vérifié, d'une part, que les barèmes proposés ne créent pas, par leur structure, un avantage concurrentiel injustifié en faveur des NMPP et que, d'autre part, ils permettent de faire cesser l'effet de ciseau tarifaire dénoncé.

1. Sur la structure des barèmes

Sur le nouveau mode de tarification

34. La structure des barèmes proposée est nouvelle et originale par rapport aux usages du secteur. En effet, l'usage consiste à tarifer la distribution de la presse principalement par une commission proportionnelle à la valeur de la vente locale des publications. L'introduction de frais par parution et par exemplaire traité, ainsi qu'une remise de fin d'année sur le montant total des ventes, s'éloigne de la facturation ad valorem et a fait l'objet de critiques de la part d'Export Press et des MLP.

35. Les NMPP ont expliqué en séance que la présence dans les barèmes de ces termes nouveaux, en sus de la commission de base, visent à mieux appréhender certains coûts de la distribution de la presse au numéro. Les frais par parution correspondent à des coûts fixes d'ordre administratif. Les frais par exemplaire traité reflètent les coûts de logistique et de traitement des invendus. La présence de ces frais est notamment destinée à encourager la maîtrise des invendus. Enfin, la remise de fin d'année traduit les économies d'échelle réalisées dans le secteur de la distribution de la presse vendue au numéro, l'existence du réseau de distribution ne pouvant se justifier, sur le plan économique, que pour un volume de parutions suffisant.

36. Le Conseil de la concurrence considère que, sans qu'il soit besoin de trancher la question de savoir si les dispositions de la loi Bichet, notamment celles qui tendent à instaurer une certaine mutualisation des coûts de distribution entre éditeurs, s'opposent à la mise en place d'une tarification économique de la distribution de la presse, c'est-à-dire ajustée à la structure des coûts, dès lors que la loi Bichet ne s'applique pas dans les TOM, rien n'empêche par principe que les NMPP adoptent cette approche plus économique pour établir leur tarification. La présence de termes complémentaires à la commission de base lui apparaît donc justifiée, sous réserve que cette structure ne crée pas un avantage concurrentiel illégitime en faveur des NMPP.

Sur la clause de "remise de fin d'année"

37. La remise de fin d'année correspond à une remise quantitative fonction du chiffre d'affaires réalisé dans chacun des territoires. Elle s'exprime en points venant en déduction du taux de la commission de base et se calcule sur la base du montant annuel des ventes au prix local TTC exprimé en euro.

38. La proposition initiale d'engagements des NMPP, telle qu'elle a été mise en ligne sur le site Internet du Conseil était ainsi rédigée : " Remise de fin d'année (HT) : 2/1 000 000 des ventes annuelles au prix de vente local TTC plafonnée à 7 points "

39. Cette première version établissait donc une remise proportionnelle au chiffre d'affaires qui s'appliquait dès le premier euro des ventes réalisées et était plafonnée, le maximum de remise étant de 7 points. Ce plafond était atteint dès lors que le chiffre d'affaires réalisé dépassait 3,5 Meuro. Malgré sa linéarité, qui écartait tout effet de seuil qui eût pu se révéler anticoncurrentiel au regard de la jurisprudence communautaire et nationale en la matière, elle se révélait pourtant très avantageuse pour l'opérateur dominant. En effet, son plafond ne pouvait être atteint que par celui-ci, et l'écart de prix maximum qu'elle introduisait entre un nouvel entrant opérant sur de faibles volumes et l'opérateur dominant, de l'ordre de 7 points sur une commission de base de 40 %, était très important.

40. Cette analyse a conduit le Conseil de la concurrence à demander aux NMPP un aménagement de cette remise de fin d'année. Pour répondre aux préoccupations du Conseil, les NMPP ont proposé de modifier la remise de fin d'année selon deux modalités. D'une part, elles ont proposé d'abaisser le plafond de 7 à 5 points, afin de réduire l'avantage maximum octroyé par cette remise. D'autre part, elles ont proposé d'abandonner la linéarité de la remise et d'accorder un gain plus fort pour les premières tranches de chiffres d'affaire. Ainsi, la nouvelle formule de calcul de la remise de fin d'année (cf. point 1 infra) est devenue plus avantageuse pour les exportateurs opérant sur de faibles volumes : par exemple, pour un chiffre d'affaires de 100 keuro, le nouveau mode de calcul conduit à une remise d'un point sur la commission de base, au lieu de 0,2 point dans la première version du barème.

41. Le Conseil considère que, au vu des éléments dont il dispose, le dernier mode de calcul de la remise de fin d'année, présenté par les NMPP le 11 janvier 2006 répond à ses préoccupations de concurrence.

2. Sur la présence d'un effet de ciseau tarifaire

42. L'analyse des barèmes montre que ceux-ci sont sensibles aux paramètres suivants : la périodicité des parutions, le prix de vente local, le nombre d'exemplaires traités par parution et le taux d'invendus.

43. Dans ses observations, le plaignant a voulu démontrer la persistance de l'effet de ciseau tarifaire par l'application de ces barèmes à deux cas. La première simulation repose sur le cas réel d'un titre du portefeuille d'Export Press dont l'éditeur est prêt à envisager l'exportation vers les TOM. La seconde simulation prend pour hypothèse l'exportation d'un titre virtuel représentatif du portefeuille de titres d'Export Press. Dans les deux cas, les caractéristiques (prix de vente, taux d'invendus, etc.) des titres considérés, l'un étant réel, l'autre virtuel, conduisent à un coût de distribution locale pour Export Press supérieur à la commission demandée par les NMPP aux éditeurs français pour l'exportation de leurs titres, distribution locale incluse, vers ces destinations. Selon ces simulations, les barèmes proposés ne permettent donc pas de mettre fin à l'effet de ciseau tarifaire dénoncé.

44. Mais il n'est pas justifié d'un point de vue économique de construire un tarif de distribution en gros dans le seul but de garantir une rentabilité minimale à l'exportateur dès le premier titre exporté et quels que soient son prix de vente et sa diffusion. En effet, la structure des coûts, comportant des coûts fixes, peut au contraire conduire à une taille minimale efficiente pour les exportateurs. Encourager, par un tarif artificiel, l'entrée de concurrents de taille inférieure à ce seuil pourrait conduire à une moindre efficacité de la distribution de la presse dans les secteurs géographiques considérés. Le Conseil estime qu'il ne faut donc pas raisonner parution par parution, mais par portefeuille de titres, sans exclure l'hypothèse qu'au sein d'un même portefeuille, le faible coût de distribution pour certains titres compense le coût élevé pour d'autres. Il convient, au contraire, de fixer comme objectif au tarif qu'il permette à un nouvel opérateur concurrent des NMPP, d'entrer sur le marché, non pas sans difficulté, sans risque et de façon immédiatement profitable, mais seulement sans barrière tarifaire artificielle. Dans cette perspective, l'absence d'un effet de ciseau tarifaire doit être vérifiée globalement au niveau d'un ensemble représentatif de titres, sans qu'il soit nécessaire de vérifier cette absence sur chaque titre de l'ensemble.

45. La rapporteure a indiqué en séance que les MLP lui avaient transmis des informations sur leur portefeuille de titres et qu'une simulation effectuée sur ce dernier, à partir du tarif présenté dans les engagements initiaux des NMPP, ne démontrait pas l'existence d'un effet de ciseau tarifaire global, bien que ce ciseau puisse apparaître de manière isolée sur des titres peu diffusés ou de faible prix comme les hebdomadaires.

46. De même, les NMPP ont présenté, en séance, des simulations montrant que l'application des barèmes à un portefeuille de titres réels, construit sur la base des hypothèses retenues par Export Press en ce qui concerne le nombre d'exemplaires vendus (60 en Nouvelle-Calédonie et 90 en Polynésie française), permettait de conclure à l'absence d'effet de ciseau tarifaire global. Toutefois, le choix d'une redevance fixe de 15 euro par parution paraissait, dans cette simulation, plus spécialement pénalisante pour les hebdomadaires dont le prix de vente unitaire est faible.

47. Aussi, les NMPP ont-elles proposé en séance de réduire de 15 euro à 10 euro cette part fixe pour les hebdomadaires, sur les deux destinations de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie. Au vu de cette réduction, les analyses menées avant la séance et concluant à l'absence d'effet de ciseau tarifaire global se trouvaient donc renforcées.

48. En toute hypothèse, il ne revient pas au Conseil de la concurrence de se prononcer, lors de l'examen d'une proposition d'engagements touchant à la fixation de prix, sur le caractère anticoncurrentiel du niveau absolu des tarifs proposés. Le caractère adéquat du niveau de ces tarifs est, en effet, contingent aux conditions économiques de l'instant, et, par surcroît, seule une instruction au fond permettrait, à l'issue d'une procédure contradictoire, de porter une appréciation sur l'ensemble des effets de ces barèmes tarifaires.

49. En revanche, et dans la limite de la procédure d'engagements, le Conseil peut se prononcer sur la structure des barèmes proposés, tout en constatant que les niveaux de prix proposés lui semblent de nature à mettre effectivement fin aux pratiques ayant fait l'objet de ses préoccupations de concurrence, au vu des conditions de marché actuelles.

50. Pour toutes ces raisons, le Conseil a décidé d'accepter les engagements proposés par les NMPP pour ce qui concerne la structure tarifaire qu'ils présentent et avec les valeurs de la commission globale, des frais fixes par titre, des frais variables par exemplaire et des taux de remise de fin d'année, tels que modifiés en séance par les NMPP et retranscrits dans leur courrier du 11 janvier 2006.

B. SUR LE SECOND ENGAGEMENT

51. Le second engagement proposé par les NMPP vise à mettre fin à la présentation systématique des DOM comme des destinations d'exportation. Cet engagement répond à la préoccupation de concurrence exprimée par la rapporteure en ce qu'il vise tant le site Internet des NMPP que leur rapport annuel, leur contrat de groupage et leurs barèmes tarifaires.

52. Les NMPP ont indiqué avoir déjà modifié leur site Internet conformément à leur proposition d'engagement.

53. Toutefois, comme l'a relevé Export Press dans ses observations, le volet tarifaire de ce second engagement est subordonné à l'approbation des assemblées des coopératives associées aux NMPP. Si, dans leur proposition initiale datée du 17 novembre 2005, les NMPP avaient indiqué soumettre la résolution au vote des assemblées de leurs coopératives en décembre 2005, il est apparu en séance que, lors des assemblées réunies en décembre 2005, cette résolution n'a pas été présentée aux coopératives en ce qui concerne le barème export et le contrat de groupage.

54. Les NMPP font valoir que la présentation des conditions tarifaires applicables aux DOM dans leurs barèmes et dans leur contrat de groupage nécessite un travail de fond sur les conditions tarifaires elles-mêmes, qui devra être effectué en tenant compte des nouvelles dispositions du décret n 2005-1455 du 25 novembre 2005, qui modifie le décret n° 88-136 du 9 février 1988 fixant les conditions de rémunération des agents de la vente de la presse.

55. Tenant compte du nouveau régime introduit par le décret précité, ainsi que de la date des prochaines assemblées des coopératives associées aux NMPP, le Conseil de la concurrence fixe au plus tard le 15 octobre 2006 la date à laquelle devront lui être transmis les éléments relatifs à l'exécution de ce volet du second engagement. A cette date, les NMPP devront avoir informé le Conseil de la délibération des assemblées de leurs coopératives associées concernant la résolution proposée et de la mise en œuvre effective de cette dernière.

56. A la lumière de ce qui précède, le Conseil considère qu'il y a lieu d'accepter les engagements proposés par les NMPP dans leur seconde formulation (présentés aux points 1 à 25 ci-dessus) et de clore la procédure.

Décision

Article 1er : Le Conseil accepte les deux engagements présentés par la société les Nouvelles Messageries de Presse Parisienne (NMPP) tels qu'ils sont exposés aux paragraphes 1 à 25 de la présente décision. Ces engagements font partie intégrante de cette décision, et sont rendus obligatoires dès sa notification.

Article 2 : Le Conseil prend acte, en particulier, de ce que le site Internet des NMPP a d'ores et déjà été modifié afin de présenter les services de distribution dans les DOM séparément des services d'exportation.

Article 3 : Il est mis fin à la procédure enregistrée sous le numéro 04/0031 F.