CA Paris, 4e ch. A, 12 octobre 2005, n° 04-14848
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pall France (SA) ; Pall Europe Limited (Sté)
Défendeur :
FIM Medical (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carré-Pierrat
Conseillers :
Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland
Avoués :
SCP Bommart-Forster, Me Huyghe
Avocats :
Mes Marcellin, Evans
Vu l'appel interjeté par la société Pall France et la société Pall Europe Limited du jugement rendu le 12 janvier 2004 par le Tribunal de commerce de Melun qui les a déboutées de l'ensemble de leurs demandes, a ordonné à leurs frais la publication du jugement et les a condamnées à payer à la société FIM Medical la somme de 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les dernières écritures signifiées le 11 octobre 2004 par lesquelles les sociétés Pall, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, demandent à la cour de :
- dire que l'embout buccal, sur lequel elles sont titulaires de tous les droits d'exploitation, a une forme originale et protégeable aux termes des articles L. 112-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle,
- dire qu'en faisant fabriquer ou fabriquant, en offrant en vente et en vendant un embout buccal constituant la copie servile de l'embout buccal de la société Pall France, adaptable notamment sur le filtre Pall PF 30S, la société FIM a commis des actes de contrefaçon artistique,
- dire qu'en faisant fabriquer ou fabriquant, en offrant en vente et en vendant un embout buccal constituant la copie servile et le surmoulage de l'embout buccal commercialisé par la société Pall France, en profitant sans bourse délier des investissements financiers et commerciaux particulièrement importants des demanderesses, en proposant à la ventes ces copies serviles à un prix nettement inférieur à celui pratiqué par la société Pall France et en détournant leur clientèle, la société FIM a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
- condamner la société FIM à leur payer chacune la somme de 80 000 euro à titre de dommages-intérêts tant au titre des actes de contrefaçon artistique qu'au titre des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
- interdire à la société FIM de fabriquer, d'offrir en vente ou de vendre lesdits embouts buccaux à compter de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte définitive et non comminatoire de 200 euro par infraction constatée,
- se réserver la liquidation de l'astreinte,
- ordonner la destruction desdits embouts buccaux qui se trouveraient encore dans les locaux de la société FIM,
- les autoriser à publier l'arrêt à intervenir dans cinq publications, aux frais avancés de la société FIM, sans que chacune des publications n'excède la somme de 4 000 euro,
- condamner la société FIM à leur payer chacune la somme de 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens;
Vu les dernières conclusions signifiées le 15 décembre 2004 aux termes desquelles la société FIM Medical sollicite de la cour de :
- dire que les sociétés Pall n'ont pas acquis, au titre des factures émises par la société Eolys les 20 janvier et 13 mars 1997, de droits d'auteur relatifs à l'embout buccal créé par cette dernière en 1995,
- dire que l'embout buccal créé par la société Eolys en 1995 ne pouvait en aucune façon donner lieu à une quelconque protection du chef de la loi du 11 mars 1997 sur les droits d'auteur pour défaut d'originalité, de créativité et de nouveauté,
- dire que la forme, texture, voire la couleur des embouts buccaux commercialisés par les sociétés Pall ainsi que par la société FIM Medical résultent exclusivement de leur fonctionnalité,
- débouter les sociétés Pall de l'ensemble de leurs prétentions,
- dire que la procédure diligentée par les sociétés Pall revêt un caractère déloyal et engage leur responsabilité sur le fondement des dispositions des articles 1382 du Code civil et 32-1 du nouveau Code de procédure civile,
- condamner solidairement les sociétés Pall à lui verser la somme de 80 000 euro à titre de dommages-intérêts,
- dire que l'arrêt à intervenir pourra être publié dans 5 journaux, aux frais avancés par les sociétés Pall, sans que chacune des publications n'excède la somme de 4 000 euro HT,
- condamner solidairement les sociétés Pall à lui verser la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Sur quoi, LA COUR,
Considérant que se prévalant d'une cession des droits d'exploitation sur un modèle d'embout buccal adaptable à un filtre destiné aux spiromètres, les sociétés Pall ont fait pratiquer une saisie-contrefaçon, le 21 février 2002, dans les locaux de la société FIM à Lyon ; qu'estimant que les embouts commercialisés par la société FIM constituent la copie servile du modèle précité, elles l'ont assignée devant le Tribunal de commerce de Melun aux fins de voir constater la commission d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale ;
- Sur la recevabilité de l'action en contrefaçon :
Considérant que la société FIM soutient que, d'une part, les sociétés Pall ne justifient pas d'une acquisition de droits d'auteur sur le modèle qui leur est opposé, d'autre part, ce modèle ne peut être protégé au titre du droit d'auteur dès lors que sa forme, sa composition, sa couleur résultent exclusivement de sa fonctionnalité ;
Considérant que pour justifier de la cession des droits d'exploitation sur l'embout buccal pour spiromètre, objet du litige, les sociétés Pall produisent aux débats :
- deux factures datées des 20 janvier et 12 mars 1997 établies par la société Eolys relatives à une prestation sur embout élastomère adaptable sur filtre PF 3OS, pour des montants de 8 050,05 F et 237 720 F TTC,
- une lettre datée du 11 juillet 2001, écrite par le gérant de la société Eolys, aux termes de laquelle il confirme leur avoir cédé "l'intégralité des droits d'exploitation artistique sur l'embout buccal, à savoir droit de reproduction, droit de représentation et droit d'adaptation sur le dit embout buccal conçu et créé par nos soins en novembre 1995 sur la requête de M. Le Fur de la société Pall France", à laquelle est annexée une représentation de l'embout litigieux ;
Que ces deux factures, dont la portée est définie par le représentant de la société Eolys, établissent la cession, au profit des sociétés Pall, des droits d'exploitation sur l'embout buccal, de sorte que le premier moyen d'irrecevabilité soulevé par la société FIM doit être rejeté ;
Considérant qu'en réponse au second moyen tiré du défaut d'originalité et de nouveauté du modèle, les sociétés Pall font valoir que la physionomie propre de cet embout lui confère un aspect extérieur particulier qui ressort :
"- de la forme de la partie haute destinée à être introduite dans la bouche,
- de la présence de deux ergots répartis de chaque côté de l'extrémité de ladite partie haute de l'embout de telle façon que cet embout buccal se distingue esthétiquement de façon importante des embouts buccaux existant antérieurement à la création de la société Eolys,
- de sa forme générale en élastomère souple et de couleur blanche, galbée et arrondie";
Considérant que la protection par le droit d'auteur ne bénéficie qu' aux objets dont la forme est l'aboutissement d'une recherche d'ordre esthétique ou ornementale et n'est nullement imposée par des nécessités fonctionnelles ;
Considérant que l'embout buccal en cause est adapté à un spiromètre muni d'un filtre ; qu'il ressort des extraits de la presse médicale produits aux débats et d'une lettre émanant du Docteur Frédéric Costes, praticien hospitalier dans un service d'explorations fonctionnelles cardio-respiratoires, que pour assurer la fiabilité des mesures spirométriques, il est nécessaire d'éviter les fuites gazeuses au niveau de la prise buccale, facteur de diminution des débits aériens, de perte de pression pour la mesure des résistances des voies aériennes et de contamination lors de la mesure d'air résiduel ; qu'à cette fin, les embouts doivent présenter les caractéristiques suivantes :
"- forme épousant au mieux les contours des gencives permettant un placage optimal entre l'embout et les gencives ou les dents...,
- occlusion des gencives la plus large possible en hauteur et en latéral (jusqu'au niveau de la mâchoire, au niveau des premières molaires)" ;
Que ces impératifs sont rappelés dans un rapport d'expertise amiable régulièrement versé aux débats, établi par Gilles Bonnet, professeur à l'Ecole Supérieure des Arts Appliqués de Lyon, qui relève, sans être contredit, que la fonctionnalité d'un embout buccal est de garantir une parfaite et fiable liaison entre la bouche d'un patient et un appareil de mesure du flux d'air expiré; qu'il précise que l'embase de l'embout doit permettre son adaptation à la majorité des filtres et appareils de mesure commercialisés et que l'impératif d'assurer une prise en bouche confortable et étanche est satisfait par la réalisation d'une collerette courbe s'adaptant à l'empreinte de la mâchoire, couvrant la partie avant du vestibule et répondant aux exigences consécutives à la disparité de dentitions ; qu'il poursuit que la présence de deux ergots permet le maintien par morsure de la collerette au plus près des dents et des gencives et le positionnement correct de l'orifice de sortie du flux d'air, suivant la direction naturelle du souffle ; qu'il ajoute que le contact avec la salive et les muqueuses de la bouche impose le choix d'une matière classée alimentaire et chimiquement inactinique et que l'emploi d'un matériau souple permet de s'adapter à toutes les variations dimensionnelles de l'arcade dentaire ;
Qu'il importe peu que la forme de l'embout puisse varier dès lors que celle-ci, qu'il s'agisse de celle de l'embase ou de la collerette, du positionnement et de la configuration des deux ergots, est indissociable de sa fonction et du résultat technique recherché, réaliser des mesures de spirométrie précises et fiables, et ne révèle ni recherche d'ordre esthétique, ni effort créatif ;
Qu'il s'ensuit qu'il ne peut accéder à la protection par le droit d'auteur telle que prévue par le livre I du Code de la propriété intellectuelle ; qu'en conséquence, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a débouté les sociétés Pall de leurs demandes au titre de la contrefaçon ;
- Sur la concurrence déloyale et parasitaire :
Considérant que les sociétés Pall reprochent à la société FIM d'avoir commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire en reproduisant servilement ou quasi-servilement l'embout buccal par elles commercialisé alors que d'autres formes auraient pu être adoptées tout en aboutissant à un résultat identique et en vendant ce produit à un prix nettement inférieur ;
Considérant que, dans un rapport complémentaire établi le 4 février 2003, dont il a été débattu contradictoirement, le professeur Gilles Bonnet relève que les disparités formelles des embouts commercialisés par des entreprises concurrentes s'expliquent par le fait qu'ils ne répondent pas aux mêmes cahiers des charges ; qu'il observe que certains sont destinés à des appareils de mesure du débit d'air, pour un usage unique, d'autres à des appareils de respiration et sont réutilisables, certains d'entre eux sont adaptés aux enfants, certains encore sont des embouts de tuba ou de scaphandre ;
Mais considérant que des variantes dans les couleurs et la forme étaient néanmoins possibles tout en remplissant l'impératif fonctionnel recherché ;
Qu'il ressort des photographies annexées au procès-verbal de saisie-contrefaçon que l'embout buccal commercialisé par la société FIM est, comme l'embout Pall, fabriqué dans une couleur blanc crème ; qu'ainsi, si le choix du matériau était dicté par des contraintes d'ordre sanitaire, sa couleur ne s' imposait nullement, alors surtout que, Gilles Bonnet note, dans son rapport, que dans le secteur médical, les conventions de couleur sont le blanc, le vert ou le bleu ciel ;
Que les sociétés Pall relèvent pertinemment, sans être démenties, que la surface de la collerette (partie qui permet la prise en bouche) est identique dans les deux modèles en cause et que les embouts de la concurrence présentent des sections variant entre 190mm carrés et 405mm carrés ; que les deux ergots portés latéralement par la collerette ont une forme et une épaisseur quasi-identiques, ce qui n'est pas le cas de ceux présents sur les produits concurrents ;
Que les légères différences, tenant à la forme de la bague cerclant l'embase et à celle du raidisseur placé sous la collerette, sont insignifiantes à défaut d'affecter l'impression d'ensemble identique qui se dégage de l'examen des deux embouts de sorte qu'existe un réel risque de confusion ;
Considérant que si la pratique d'un prix inférieur ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale, en commercialisant à moindre prix, une reproduction quasi servile de l'embout Pall, dans une même nuance de couleur, la société FIM a failli aux usages loyaux du commerce et commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l'encontre des sociétés Pall ;
Que ce faisant, elle a, en outre, cherché à tirer profit des investissements engagés par ces sociétés pour concevoir et mettre au point leur produit; que le jugement entrepris doit donc être infirmé en ce qu'il a débouté les sociétés Pall de leurs demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ;
- Sur les mesures réparatrices :
Considérant que les sociétés Pall ne produisent aux débats aucun élément comptable pour démontrer la perte de clientèle et les ventes manquées par suite des actes déloyaux; que toutefois, le trouble commercial résultant pour les sociétés Pall de ces agissements sera entièrement réparé par l'allocation d'une indemnité globale de 30 000 euro ;
Considérant que la mesure d'interdiction sollicitée, qui apparaît justifiée pour mettre un terme aux agissements illicites, sera ordonnée selon les modalités précisées au dispositif; qu'il sera également fait droit à la demande de publication; qu'en revanche, il n'y a pas lieu d'ordonner la destruction des embouts se trouvant dans les locaux de la société FIM, eu égard à la mesure d'interdiction prononcée ;
Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier aux sociétés Pall, la somme de 7 500 euro devant être allouée à chacune d'elles ;
Que la solution du litige commande de rejeter la demande de dommages-intérêts formée par la société FIM ainsi que celle fondée sur l'article sus-visé;
Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a dit que l'embout buccal commercialisé par les sociétés Pall France et Pall Europe Limited était dépourvu d'originalité et les a déboutées de leur action en contrefaçon, Statuant à nouveau, Dit que la société FIM Medical a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire au détriment des sociétés Pall France et Pall Europe, Interdit à la société FIM Medical de fabriquer, d'offrir en vente ou de vendre les embouts buccaux, objet de la saisie-contrefaçon, sous astreinte de 100 euro par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt, Se réserve la liquidation de l'astreinte, Condamne la société FIM Medical à verser aux sociétés Pall France et Pall Europe la somme globale de 30 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale et parasitaire, Autorise les sociétés Pall France et Pall Europe à faire publier le dispositif du présent arrêt, en entier ou par extraits, dans trois journaux ou revues de leur choix, aux frais de la société FIM Medical, dans la limite de 3 000 euro HT par insertion, Rejette le surplus des demandes, Condamne la société FIM Medical à verser aux sociétés Pall France et Pall Europe chacune la somme de 7 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société FIM Medical aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.