TPICE, président, 1 février 2006, n° T-417/05 R
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Endesa (SA)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes, Royaume d'Espagne, Gas Natural SDG (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Mes Baxter, Odriozola, Muñoz de Juan, Merola, García de Enterría Lorenzo-Velázquez, González Díaz, Jiménez de la Iglesia
LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Cadre juridique
1 Selon l'article 1er, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 139-2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO L 24, p. 1) :
" Sans préjudice de l'article 4, paragraphe 5, et de l'article 22, le présent règlement s'applique à toutes les concentrations de dimension communautaire telles qu'elles sont définies au présent article. "
2 Selon l'article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 139-2004 :
" Une concentration est de dimension communautaire lorsque :
a) le chiffre d'affaires total réalisé sur le plan mondial par l'ensemble des entreprises concernées représente un montant supérieur à 5 milliards d'euro, et
b) le chiffre d'affaires total réalisé individuellement dans la Communauté par au moins deux des entreprises concernées représente un montant supérieur à 250 millions d'euro,
à moins que chacune des entreprises concernées réalise plus des deux tiers de son chiffre d'affaires total dans la Communauté à l'intérieur d'un seul et même État membre. "
3 L'article 5 du règlement n° 139-2004 prévoit, par ailleurs, certaines règles de détermination du chiffre d'affaires au sens de ce règlement.
4 Aux termes de l'article 21, paragraphe 2, du règlement n° 139-2004 :
" Sous réserve du contrôle de la Cour de justice, la Commission a compétence exclusive pour arrêter les décisions prévues au présent règlement. "
5 En application de l'article 21, paragraphe 3, du règlement n° 139-2004, " [l]es États membres n'appliquent pas leur législation nationale sur la concurrence aux concentrations de dimension communautaire ".
Faits et procédure
6 Gas Natural SDG, SA (ci-après " Gas Natural ") est une société établie en Espagne et active dans le secteur de l'énergie. Endesa, SA, une société également établie en Espagne, est essentiellement active dans le secteur de l'électricité.
7 Le 5 septembre 2005, Gas Natural a annoncé son intention de lancer une offre publique d'acquisition sur l'intégralité du capital d'Endesa (ci-après l'" opération de concentration " ou l'" offre publique d'acquisition ").
8 Le 12 septembre 2005, Gas Natural a notifié l'opération de concentration à l'autorité espagnole de la concurrence. Durant la même période, Endesa s'est adressée à la Commission pour lui exposer que, selon elle, l'opération de concentration était de dimension communautaire au sens de l'article 1er du règlement n° 139-2004. Il en résultait, selon Endesa, que, d'une part, l'opération de concentration devait être notifiée à la Commission en application de l'article 4 du même règlement et, d'autre part, l'autorité espagnole de la concurrence était incompétente pour se prononcer sur cette opération.
9 Le 19 septembre 2005, Endesa a demandé à la Commission de prendre formellement position sur sa compétence à l'égard de l'opération de concentration.
10 Par lettre du 15 novembre 2005 (ci-après la " décision attaquée "), la Commission a informé Endesa que, selon elle, l'opération de concentration n'était pas de dimension communautaire. Dans la décision attaquée, la Commission a rejeté les arguments d'Endesa selon lesquels cette dernière réalise, dans la Communauté, moins de deux tiers de son chiffre d'affaires en Espagne, au sens de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 139-2004.
11 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 novembre 2005, Endesa a introduit un recours au titre de l'article 230, paragraphe 4, CE visant à l'annulation de la décision attaquée.
12 Dans le cadre de son recours en annulation, Endesa reproche notamment à la Commission d'avoir procédé, dans la décision attaquée, à une évaluation erronée de son chiffre d'affaires. D'une part, la Commission se serait fondée à tort sur des comptes d'Endesa élaborés selon les principes comptables espagnols et non selon les normes internationales d'information financière (International Financial Reporting Standards). D'autre part, la Commission n'aurait pas procédé aux ajustements nécessaires proposés par Endesa. Selon cette entreprise, la Commission aurait notamment dû, conformément à l'article 5 du règlement n° 139-2004, procéder à plusieurs ajustements de ses comptes en déduisant de son chiffre d'affaires, d'une part, certaines sommes collectées auprès de ses clients en vue de leur transfert au gestionnaire du système de transmission et aux producteurs d'électricité et, d'autre part, certaines sommes perçues en application d'accords d'échange de gaz.
13 Par acte séparé initialement rédigé en langue anglaise et déposé au greffe du Tribunal le 29 novembre 2005, puis par acte séparé régularisé dans la langue de procédure et déposé au greffe le 6 décembre 2005, Endesa a introduit la présente demande en référé.
14 Par actes déposés au greffe du Tribunal le 2 décembre 2005, le Royaume d'Espagne et Gas Natural ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien de la Commission.
15 Le 7 décembre 2005, le juge des référés a invité la Commission à se prononcer sur la demande de mesures provisoires présentée sur le fondement de l'article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal. Le 13 décembre 2005, la Commission a déposé au greffe ses observations en réponse à cette invitation.
16 Par deux ordonnances du président de la troisième chambre du 16 décembre 2005, le Royaume d'Espagne et Gas Natural ont été admises à intervenir dans l'affaire au principal.
17 Le même jour, le Tribunal a décidé de statuer, dans l'affaire au principal, en appliquant la procédure accélérée prévue à l'article 76 bis du règlement de procédure.
18 Toujours le 16 décembre 2005, Endesa, la Commission, le Royaume d'Espagne et Gas Natural ont assisté à une réunion informelle en présence du juge des référés, lors de laquelle Endesa et Gas Natural ont été invitées à étudier la possibilité de prévoir un mécanisme par lequel, à supposer que le Conseil des ministres espagnol (Consejo de ministros) ne s'oppose pas à l'opération de concentration, ces deux entreprises seraient maintenues séparées jusqu'à ce que le Tribunal se prononce sur le recours dans l'affaire au principal, étant entendu qu'Endesa se désisterait alors de sa demande en référé.
19 Le 22 décembre 2005, la Commission a déposé au greffe du Tribunal ses observations sur la demande en référé.
20 Le 5 janvier 2006, le Tribunal de Defensa de la Competencia (Tribunal de la concurrence espagnol) a rendu un avis par lequel il a recommandé l'interdiction de l'opération de concentration.
21 Le 11 janvier 2006, Gas Natural et Endesa ont déposé au greffe du Tribunal leurs observations sur la suggestion faite par le juge des référés lors de la réunion informelle du 16 décembre 2005. Il ressort de ces observations que les deux entreprises ne sont pas parvenues à trouver un accord sur la mise en place du mécanisme envisagé lors de cette réunion.
22 Le 13 janvier 2006, les parties ont été entendues lors d'une audition.
Conclusions des parties
23 La requérante demande au juge des référés, sur le fondement des articles 242 CE et 243 CE ainsi que de l'article 104 et de l'article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure, ce qui suit :
- surseoir provisoirement à l'exécution de la décision attaquée jusqu'à ce que le Tribunal se soit prononcé sur la demande de mesures provisoires ;
- surseoir à l'exécution de la décision attaquée jusqu'à ce que le Tribunal se soit prononcé sur le recours au principal ;
- ordonner à la Commission d'enjoindre aux autorités de concurrence espagnoles de suspendre toutes les procédures nationales durant la même période ;
- condamner la Commission aux dépens.
24 La Commission et le Royaume d'Espagne, intervenant à son soutien, concluent à ce que le juge des référés rejette la demande en référé.
25 Gas Natural conclut à ce que le juge des référés :
- rejette la demande en référé ;
- condamne Endesa aux dépens.
En droit
26 L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes de mesures provisoires doivent spécifier l'objet du litige, les circonstances établissant l'urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue (fumus boni juris) l'octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l'une d'elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C 268-96 P(R), Rec. p. I 4971, point 30]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C 445-00 R, Rec. p. I 1461, point 73).
27 En outre, dans le cadre de cet examen d'ensemble, le juge des référés dispose d'un large pouvoir d'appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l'espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l'ordre de cet examen, dès lors qu'aucune règle de droit communautaire ne lui impose un schéma d'analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnance du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C 149-95 P(R), Rec. p. I 2165, point 23].
28 Au regard des circonstances de la présente affaire et sans qu'il soit nécessaire de statuer préalablement sur la question de savoir s'il est possible, pour le juge des référés, de prononcer des mesures provisoires utiles dans le cas d'espèce, il convient de commencer par examiner si la condition relative à l'urgence est satisfaite.
Arguments des parties sur la condition relative à l'urgence
29 Dans sa demande en référé, la requérante soutient que, en raison du calendrier probable de l'examen et de la réalisation de l'opération de concentration, il est urgent d'ordonner les mesures provisoires demandées. Elle a indiqué à cet égard que le Tribunal de Defensa de la Competencia devait rendre un rapport pour le 7 janvier 2006 et que le Conseil des ministres espagnol devait, quant à lui, adopter une décision sur l'opération de concentration avant le 7 février 2006. Selon la requérante, si l'opération de concentration est autorisée, l'offre publique d'acquisition sera probablement lancée immédiatement après la décision d'autorisation et conclue dans les 45 jours suivants, de sorte que l'opération sera réalisée avant que le Tribunal n'ait eu la possibilité de se prononcer sur la légalité de la décision attaquée. Endesa serait alors soumise au contrôle de Gas Natural. Or, Gas Natural aurait d'ores et déjà prévu de vendre une partie des actifs d'Endesa. Sa prise de contrôle et son démantèlement lui causeraient un grave préjudice, de même qu'à ses actionnaires. La prise de contrôle d'Endesa pourrait notamment l'empêcher de maintenir son recours au principal. Endesa invoque en outre, dans sa demande, l'existence d'un préjudice à l'ordre juridique. Enfin, lors de l'audition, Endesa a ajouté qu'il était impérieux que ses actionnaires puissent se prononcer sur une offre publique d'acquisition dont les aspects concurrentiels auront été revus par l'autorité compétente à cet égard.
30 Dans ses observations en date du 22 décembre 2005, la Commission s'oppose aux arguments d'Endesa invoquant une urgence dans le cas d'espèce. La Commission considère notamment que le préjudice est hypothétique, qu'Endesa est en mesure de demander des mesures provisoires devant les juridictions nationales et qu'Endesa ne saurait invoquer utilement un préjudice causé à ses actionnaires.
31 Gas Natural et le Royaume d'Espagne considèrent également qu'il n'est pas urgent d'ordonner en l'espèce des mesures provisoires.
Appréciation du juge des référés
32 Le caractère urgent d'une demande en référé doit s'apprécier par rapport à la nécessité qu'il y a de statuer provisoirement afin d'éviter qu'un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire (ordonnance du président de la Cour du 6 février 1986, Deufil/Commission, 310-85 R, Rec. p. 537, point 15, et ordonnance du président du Tribunal du 30 juin 1999, Pfizer Animal Health/Conseil, T 13-99 R, Rec. p. II 1961, point 134). C'est à cette dernière qu'il appartient d'apporter la preuve qu'elle ne saurait attendre l'issue de la procédure au principal, sans avoir à subir un préjudice de cette nature (ordonnance du président de la Cour du 8 mai 1991, Belgique/Commission, C 356-90 R, Rec. p. I 2423, point 23, et ordonnance du président du Tribunal du 15 novembre 2001, Duales System Deutschland/Commission, T 151-01 R, Rec. p. II 3295, point 187).
33 L'imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue, mais il suffit, particulièrement lorsque la réalisation du préjudice dépend de la survenance d'un ensemble de facteurs, qu'elle soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant [ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C 335-99 P(R), Rec. p. I 8705, point 67]. Le requérant demeure cependant tenu de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d'un tel dommage grave et irréparable (ordonnance HFB e.a./Commission, précitée, point 67).
34 En l'espèce, Endesa invoque des préjudices revêtant en substance quatre formes distinctes et qu'il convient donc d'analyser séparément. Endesa s'appuie, premièrement, sur le risque que Gas Natural prenne son contrôle et procède à son démantèlement, deuxièmement, sur une atteinte à ses droits procéduraux, troisièmement, sur une atteinte à l'ordre juridique et, quatrièmement, sur la nécessité, pour ses actionnaires, de pouvoir se prononcer sur une offre dont la conformité aux règles de contrôle des concentrations aura été examinée par l'autorité compétente.
Sur le préjudice tenant prétendument à une prise de contrôle et au démantèlement d'Endesa
35 En premier lieu, Endesa soutient que, en l'absence de mesures provisoires, Gas Natural pourra lancer son offre publique d'acquisition, prendre son contrôle et, finalement, procéder à son démantèlement.
36 À titre préliminaire, il convient de constater que, selon Endesa, ce préjudice serait subi non seulement par elle, mais, également, par ses actionnaires.
37 Or, le préjudice grave et irréparable allégué dans une demande en référé ne peut être pris en compte par le juge des référés, dans le cadre de son examen de la condition relative à l'urgence, que dans la mesure où il est susceptible d'être occasionné aux intérêts de la partie qui sollicite la mesure provisoire. Il s'ensuit que les dommages que l'exécution de l'acte attaqué est susceptible de causer à une partie autre que celle sollicitant la mesure provisoire ne peuvent être pris en considération, le cas échéant, que dans le cadre de la mise en balance des intérêts en présence (voir, en ce sens, ordonnance Pfizer Animal Health/Conseil, point 32 supra, point 136).
38 En l'espèce, Endesa dispose d'une personnalité juridique distincte de celle de ses actionnaires, aucun de ces derniers n'ayant, par ailleurs, présenté de demande dans le cadre de la présente affaire. Endesa ne saurait donc utilement invoquer, au titre de l'urgence, un préjudice qui serait prétendument causé à ses actionnaires en raison de la décision attaquée.
39 L'ordonnance du président du Tribunal du 15 juin 1994, Société commerciale des potasses et de l'azote et Entreprise minière et chimique/Commission (T 88-94 R, Rec. p. II 401), qui est citée par Endesa dans sa demande en référé, n'affecte pas cette appréciation. En effet, si le juge des référés a effectivement constaté, dans cette ordonnance, que la dissolution d'une entreprise constitue, en principe, un dommage grave et irréparable pour cette dernière et ses associés, néanmoins, comme le souligne à juste titre la Commission, la demande en référé était précisément formée, en l'espèce, par l'un desdits associés. En conséquence, le juge des référés a pu prendre en compte le dommage personnel qui lui était causé par le biais d'une atteinte aux intérêts de la société qui risquait d'être dissoute (voir, en ce sens, ordonnance Société commerciale des potasses et de l'azote et Entreprise minière et chimique/Commission, précitée, point 33).
40 Du reste, la prétention d'Endesa de faire valoir, au titre de l'urgence, un préjudice causé à ses actionnaires doit être d'autant plus écartée en l'espèce que ces actionnaires pourraient avoir, à titre individuel, des intérêts patrimoniaux divergents soit de ceux d'autres actionnaires soit de ceux d'Endesa. Tel pourrait notamment être le cas dans l'hypothèse où l'apport par des actionnaires de leurs actions à l'offre publique d'acquisition leur permettrait la réalisation d'un gain financier qui serait dans leur intérêt en dépit du fait qu'il facilite, par ailleurs, la prise de contrôle d'Endesa par Gas Natural.
41 Quant au préjudice invoqué par Endesa à titre personnel, il convient de relever, premièrement, qu'il est notamment dépendant du lancement et de la réussite de l'offre publique d'acquisition. Or, à ce stade, le succès de cette offre n'est nullement démontré. Le préjudice personnel invoqué par Endesa est donc purement hypothétique et ne revêt pas un degré de probabilité suffisant pour justifier l'octroi de mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 8 décembre 2000, BP Nederland e.a./Commission, T 237-99 R, Rec. p. II 3849, points 57 et 66, et du 16 janvier 2004, Arizona Chemical e.a./Commission, T 369-03 R, Rec. p. II 205, point 91).
42 Deuxièmement, Gas Natural a fait valoir, sans être contredite de façon étayée sur ce point, que, au regard des diverses contraintes réglementaires auxquelles l'offre publique d'acquisition est soumise, la prise de contrôle d'Endesa ne pourrait avoir lieu avant le 15 juin 2006.
43 Or, dans l'affaire au principal, le Tribunal a décidé de juger le recours d'Endesa en appliquant la procédure accélérée prévue à l'article 76 bis du règlement de procédure. En conséquence, une décision statuant sur le recours au principal pourra en principe être rendue dans des délais rapides.
44 Dans ces conditions, il n'est pas non plus démontré à suffisance de droit que le préjudice invoqué par Endesa risque de se produire avant que le Tribunal ne statue dans l'affaire au principal.
45 Lors de l'audition, Endesa a néanmoins soutenu que, en l'absence de mesures provisoires, le lancement de l'offre publique d'acquisition de Gas Natural donnerait d'ores et déjà naissance à un processus irréversible.
46 Cependant, ces simples affirmations, d'un caractère vague et non étayé, sont insuffisantes pour démontrer le risque invoqué. En outre, le risque que soit entamé, avant le prononcé de la décision du Tribunal dans l'affaire au principal, un processus menant inéluctablement à la prise de contrôle et au démantèlement d'Endesa est d'autant moins probable que ces deux événements dépendent notamment du succès, à ce stade non démontré, de l'offre publique d'acquisition (voir point 41 ci-dessus).
47 Enfin et troisièmement, même en supposant qu'Endesa ait démontré à suffisance de droit que le préjudice invoqué par elle risque de se réaliser avant le prononcé de la décision du Tribunal, comme le souligne à juste titre la Commission, il convient de tenir compte de l'existence éventuelle, devant les juridictions nationales, de voies plus appropriées pour prévenir les préjudices invoqués (voir, en ce sens, ordonnance Deufil/Commission, point 32 supra, points 21 et 22, et ordonnance du président du Tribunal du 3 décembre 2002, Neue Erba Lautex/Commission, T 181-02 R, Rec. p. II 5081, point 109).
48 Or, en l'espèce, comme le souligne à juste titre la Commission, il n'apparaît pas qu'Endesa soit dans l'impossibilité de former un recours contre la décision éventuelle du Conseil des ministres espagnol de ne pas s'opposer à l'opération de concentration et d'invoquer, en vertu de l'article 21, paragraphe 3, du règlement n° 139-2004, l'incompétence de cette autorité, le cas échéant en faisant valoir l'illégalité de la décision attaquée.
49 À supposer que, selon le cas d'espèce, la juridiction saisie sursoie à statuer, soit pour poser une question préjudicielle à la Cour, en application de l'article 234 CE, soit pour attendre qu'une décision définitive sur le recours en annulation contre la décision attaquée soit rendue par les juridictions communautaires, il n'est pas établi qu'elle ne pourrait pas, voire ne devrait pas, ordonner des mesures provisoires afin de sauvegarder les intérêts des parties jusqu'à ce qu'elle statue définitivement. En outre, même à supposer que, comme le soutient Endesa, la juridiction espagnole saisie soit tenue par certains effets de la décision attaquée en raison des principes fixés dans l'arrêt de la Cour du 14 décembre 2000, Masterfoods et HB (C 344-98, Rec. p. I 11369), il appartiendrait alors à cette juridiction d'examiner la nécessité d'ordonner des mesures provisoires afin de sauvegarder les intérêts des parties jusqu'à ce qu'elle statue définitivement (voir, en ce sens, arrêt Masterfoods et HB, précité, point 58).
50 Endesa n'a donc pas démontré que les voies de recours qui lui sont ouvertes par le droit espagnol, au principal comme au provisoire, ne lui permettraient pas d'éviter de subir le préjudice grave et irréparable qu'elle invoque.
51 En conséquence, Endesa n'a pas établi qu'il était urgent de prononcer des mesures provisoires pour éviter son éventuelle prise de contrôle et son éventuel démantèlement.
Sur le préjudice tenant prétendument à une atteinte aux droits procéduraux d'Endesa
52 En deuxième lieu, Endesa soutient que l'absence d'examen de l'opération de concentration par la Commission a pour effet de la priver des droits procéduraux qu'elle tire du règlement n° 139-2004.
53 Néanmoins, dans sa demande en référé comme lors de l'audition, l'argumentation d'Endesa sur ce point est restée très imprécise et n'a pas permis de déterminer la nature exacte du préjudice grave et irréparable qu'elle est supposée subir du fait de l'absence d'exercice de ses droits procéduraux.
54 Dans sa demande en référé, Endesa relève uniquement que, selon la jurisprudence du Tribunal, le contrôle d'une opération de concentration, opéré sur la base d'une législation nationale, ne saurait être assimilé, dans sa portée et ses effets, à celui exercé par la Commission au titre de la réglementation relative au contrôle des concentrations (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Cableuropa e.a./Commission, T 346-02 et T 347-02, Rec. p. II 4251, point 60).
55 Endesa n'a cependant pas expliqué de façon précise en quoi l'absence d'un contrôle doté de la portée et des effets du contrôle communautaire des concentrations pourrait constituer, concrètement, un préjudice grave et irréparable pour elle. Pour autant que, par son argumentation, Endesa cherche à soutenir que l'exercice de ses droits procéduraux devant la Commission aurait abouti à un résultat différent de celui auquel les autorités espagnoles vont parvenir, éventuellement en ne s'opposant pas à l'opération de concentration, ce préjudice doit être considéré comme non prouvé et purement hypothétique. En effet, Endesa n'a notamment pas démontré que, au terme d'un examen de l'opération de concentration par la Commission, cette dernière aurait décidé de la déclarer incompatible avec le marché commun en application de l'article 8, paragraphe 3, du règlement n° 139-2004.
56 Amenée à préciser ses arguments sur cette question lors de l'audition, Endesa a invoqué en substance une atteinte à son droit à ce que l'opération de concentration soit appréciée en fonction de la réglementation applicable, indépendamment du résultat final de l'examen réalisé par l'autorité de concurrence compétente. Force est cependant de constater que cette argumentation reste imprécise et ne saurait caractériser un préjudice grave et irréparable. Endesa n'a en effet toujours pas caractérisé et, à plus forte raison, démontré quelles seraient les conséquences concrètes de cette prétendue atteinte à ses droits et en quoi elles seraient susceptibles de lui causer un préjudice grave et irréparable.
57 En tout état de cause, à supposer que, d'une part, le Tribunal annule la décision attaquée et que, d'autre part, compte tenu des motifs de la décision du Tribunal, la Commission soit, en vertu de l'article 233 CE, tenue de considérer que l'opération est de dimension communautaire et, par conséquent, tenue de procéder à son examen en application du règlement n° 139-2004, il n'est pas pour autant démontré que Gas Natural aura, à cette date, soit pris le contrôle d'Endesa (voir point 41 ci-dessus), soit entamé un processus menant inéluctablement à une telle prise de contrôle (voir point 46 ci-dessus). Dans ces conditions, il n'est pas non plus démontré à suffisance de droit que, postérieurement à une éventuelle annulation de la décision attaquée, Endesa ne sera pas en mesure d'exercer les droits procéduraux qu'elle pourrait alors tirer du règlement n° 139-2004. En conséquence, même à supposer que le préjudice invoqué par Endesa soit grave, il n'est pas démontré qu'il serait irréparable.
Sur le préjudice tenant prétendument à une atteinte à l'ordre juridique
58 En troisième lieu, Endesa invoque, dans sa demande en référé, un préjudice " à l'ordre juridique " tenant, d'une part, à l'importance des questions soulevées par l'affaire au principal et, d'autre part, à la nécessité de ne pas méconnaître le rôle qu'exerce le Tribunal pour garantir l'application correcte du règlement n° 139-2004.
59 Sur ce point, il suffit de constater que ce préjudice à l'ordre juridique, à le supposer démontré, constituerait une atteinte à des intérêts généraux et ne pourrait être considéré comme personnel.
60 Un tel préjudice ne peut donc être pris en compte par le juge des référés dans le cadre de l'examen de la condition tenant à l'urgence, mais uniquement, le cas échéant, dans le cadre de la mise en balance des intérêts en présence (voir, en ce sens, ordonnance Pfizer Animal Health/Conseil, point 32 supra, point 136).
Sur le préjudice tenant prétendument à la nécessité pour les actionnaires d'Endesa de se prononcer sur une offre publique d'acquisition examinée par une autorité compétente
61 Enfin et en quatrième lieu, lors de l'audition, Endesa a soutenu en substance que, d'une part, ses actionnaires devraient pouvoir se prononcer sur une offre publique d'acquisition dont la compatibilité au regard des règles de contrôle des concentrations aura été revue par l'autorité compétente à cet égard alors que, d'autre part, l'offre publique d'acquisition risque, en l'absence de mesures provisoires, d'être irréversiblement lancée sur une base erronée.
62 Néanmoins, sur ce point également, les arguments d'Endesa sont restés très vagues.
63 Pour autant qu'Endesa vise, par ces arguments, à démontrer le risque que lui soit causé un préjudice personnel, ceux-ci sont beaucoup trop imprécis pour caractériser l'existence d'un tel risque.
64 Pour autant que le préjudice invoqué est supposé se produire au détriment des actionnaires d'Endesa, en raison, notamment, d'une insécurité juridique relative à l'autorité compétente pour apprécier l'opération de concentration au regard des règles de contrôle des concentrations et au résultat de cet examen, ledit préjudice serait causé à des tiers. Il ne pourrait donc, de ce fait, être pris en compte au titre de l'urgence, mais uniquement, le cas échéant, dans le cadre de la balance des intérêts en présence (voir, en ce sens, ordonnance Pfizer Animal Health/Conseil, point 32 supra, point 136).
65 En tout état de cause, il n'est nullement démontré que les actionnaires d'Endesa subiraient, en l'espèce, un préjudice grave et irréparable en raison de l'insécurité juridique invoquée.
66 En particulier, même à supposer qu'Endesa ait pu caractériser avec suffisamment de précision puis démontré, preuves à l'appui, l'existence d'un préjudice subi par ses actionnaires, c'est au regard de la situation de chacun d'eux, attestée par les éléments précis produits devant le juge des référés les concernant individuellement, que la condition relative à l'urgence devrait être appréciée (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T 306-01 R, Rec. p. II 2387, points 94 et 100, et du 25 juin 2002, B/Commission, T 34-02 R, Rec. p. II 2803, points 96 et 97). Or, en l'espèce, Endesa ne produit aucun élément précis permettant d'apprécier la situation individuelle de ses actionnaires et, de ce fait, les effets du prétendu préjudice qui leur serait causé du fait de la décision attaquée.
67 La requérante n'a donc pas démontré qu'elle risquait de subir un préjudice grave et irréparable en l'absence de mesures provisoires. En conséquence, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la condition relative au fumus boni juris et de mettre en balance les intérêts en présence, la demande en référé doit être rejetée.
Par ces motifs,
LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL,
ordonne :
1) La demande en référé est rejetée.
2) Les dépens sont réservés.