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Décisions

CJCE, 5e ch., 7 juillet 1987, n° 89-86 et 91/86

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

L'Étoile commerciale ; Comptoir national technique agricole

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Galmot

Juges :

MM. Bosco, Everling, Joliet, Moitinho de Almeida

Avocat général :

Me Da Cruz Vilaca

Avocats :

Mes Gaud, Pericaud

CJCE n° 89-86 et 91/86

7 juillet 1987

LA COUR,

1. Par requêtes déposées au greffe de la Cour les 26 et 27 mars 1986, la société l'Etoile commerciale et la société Comptoir national technique agricole (CNTA) ont introduit, en vertu des articles 173, alinéa 2, 178 et 215, alinéa 2, du traité CEE, des recours visant :

- à l'annulation de la décision n° 85-456 de la Commission, du 28 août 1985, relative à l'apurement des comptes présentés par la République française au titre des dépenses financées par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (ci-après "FEOGA"), section "garantie", pour l'exercice financier 1981 (JO L 267, p. 24) pour autant que celle-ci n'a pas reconnu à la charge du FEOGA un montant correspondant aux aides pour certains lots de graines oléagineuses triturées par le CNTA en octobre et novembre 1980 ;

- à la réparation du préjudice subi du fait que, en raison de cette décision, la Société interprofessionnelle des oléagineux (SIDO) en tant qu'organisme français chargé de l'application du régime d'aide pour les graines oléagineuses, a réclamé aux requérantes la restitution de ces aides ;

- ainsi que, subsidiairement, à l'annulation du règlement n° 1204-72 de la Commission, du 7 juin 1972, portant modalités d'application du régime de l'aide pour les graines oléagineuses (JO L 133, p. 1).

2. Il ressort du dossier que, en octobre et novembre 1980, le CNTA a effectué la trituration de plusieurs lots de graines oléagineuses et a demandé à l'organisme national compétent de bénéficier, à ce titre, des aides prévues à l'article 27, paragraphe 1, du règlement n° 136-66 du Conseil, du 22 septembre 1966, portant établissement d'une organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses (JO 172, p. 3025). Ayant constaté que le CNTA n'avait pas respecté certaines dispositions administratives concernant le contrôle de la transformation des graines en question et que cette méconnaissance pouvait mettre en cause la compatibilité de l'octroi des aides avec la règlementation communautaire applicable à l'époque, la SIDO a fait dépendre l'attribution des aides de la constitution de la part du CNTA d'une caution garantissant le remboursement, sur simple demande de la SIDO, de la somme dont le CNTA "serait débiteur, lorsque le FEOGA aura statué sur l'éligibilité des avances de l'aide consenties". Cette caution, portant sur un montant de 8 586 278 FF, a été constituée pour le CNTA par l'Etoile commerciale.

3. Par la suite, lors de l'apurement des comptes du FEOGA, section "garantie", pour l'exercice financier 1981, la Commission, dans sa décision n° 85-456 du 28 août 1985, adressée à la République française, a refusé de reconnaître à la charge du FEOGA le montant des aides susmentionnées.

4. Par lettre du 27 janvier 1986, la SIDO a informé l'Etoile commerciale de cette décision de la Commission et lui a adressé une copie du rapport de synthèse sur les contrôles effectués par la Commission. En même temps, elle l'a mise en demeure de payer le montant de la caution constituée pour le CNTA, qui se trouvait en règlement judiciaire depuis 1983. L'Etoile commerciale a informé de son côté le CNTA de cette demande et a fait parvenir à la SIDO le montant dont celle-ci avait été débitée en vertu de la décision n° 85-456 de la Commission.

5. Contre les présents recours, par lesquels l'Etoile commerciale et le CNTA attaquent le refus de la Commission de reconnaître à la charge du FEOGA l'octroi des aides en question et demandent la réparation du préjudice subi, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité par acte séparé déposé au titre de l'article 91, paragraphe 1, du règlement de procédure.

6. A l'appui de l'exception soulevée, la Commission fait essentiellement valoir que :

- Les requérantes n'ont pas respecté le délai de recours prévu à l'article 173, alinéa 3, du traité CEE et à l'article 81, paragraphe 1, du règlement de procédure ;

- La décision attaquée ne concerne pas directement les requérantes au sens de l'article 173, alinéa 2, étant donné que l'apurement des comptes en cause ne porte que sur la relation entre l'Etat membre et la Commission ;

- La Cour n'est compétente que pour statuer sur la réparation des dommages causés par les institutions communautaires ou leurs agents.

7. Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur les demandes en annulation de la décision n° 85-456

8. En ce qui concerne les demandes en annulation partielle de la décision n° 85-456 de la Commission, il convient de rappeler que, selon l'article 173, alinéa 2, du traité, une personne physique ou morale peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne lorsque cette décision la concerne directement et individuellement.

9. Pour répondre à la question de savoir si les requérantes sont directement et individuellement concernées par la décision en cause, il y a lieu de constater d'abord que celle-ci se limite à fixer le montant reconnu à la charge du FEOGA dans le cadre de l'apurement des comptes présentés par la République française pour l'exercice financier 1981. Il ressort tant du libellé de cette décision que du règlement n° 729-70 du Conseil, du 21 avril 1970, relatif au financement de la politique agricole commune (JO L 94, p. 13) en application duquel elle a été prise, qu'elle ne concerne que les rapports financiers entre la Commission et la République française.

10. Les requérantes font valoir qu'en l'espèce la décision litigieuse a, néanmoins, eu des répercussions directes sur leur situation du fait que, à la suite de cette décision, la SIDO a fait usage de la possibilité qu'elle s'était réservée lors de l'octroi des aides, d'en réclamer la restitution.

11. A cet égard, il convient de constater que, selon le système institutionnel de la communauté et les règles régissant les relations entre la communauté et les Etats membres, il appartient à ces derniers, en l'absence d'une disposition contraire du droit communautaire, d'assurer sur leur territoire l'exécution des règlementations communautaires, notamment dans le cadre de la politique agricole commune (voir arrêt du 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor, n° 205 à 215-82, Rec. p. 2633). Pour ce qui est, plus particulièrement, des actions de financement prises dans le cadre de cette politique, il incombe aux Etats membres, selon l'article 8 du règlement n° 729-70, précité, de prendre les mesures nécessaires pour récupérer les sommes perdues à la suite d'irrégularités ou de négligences.

12. En ce qui concerne le système d'aides institué dans le cadre de l'organisation commune des marchés visée en l'espèce, il appartient donc aux autorités nationales d'exécuter les règlementations communautaires et de prendre, à l'égard des opérateurs économiques concernés, les décisions individuelles nécessaires. Lors de cette exécution, les Etats membres procèdent conformément aux règles et modalités prévues par la législation nationale, sous réserve des limites établies par le droit communautaire (voir arrêts du 6 juin 1972, Schlueter, n° 94-71, Rec. p. 307, et du 21 septembre 1983, précité).

13. Il est vrai que, en l'espèce, la décision de la Commission, adressée à la République française, de ne pas mettre à la charge du FEOGA les aides litigieuses a incité la SIDO à procéder à la récupération de ces montants. Toutefois, cette récupération n'est pas la conséquence directe de la décision attaquée elle-même, mais du fait que la SIDO avait lié l'octroi définitif des aides à la condition que celles-ci soient mises, en fin de compte, à la charge du FEOGA.

14. Il s'ensuit que la décision attaquée n'affecte pas directement la situation juridique des parties requérantes. Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que la protection des opérateurs économiques contre les décisions individuelles des organismes nationaux peut être assurée d'une manière efficace par les voies de recours ouvertes devant les juridictions nationales.

15. Dans ces conditions, les recours sont irrecevables pour autant qu'ils visent à l'annulation partielle de la décision n° 85-456 de la Commission, sans qu'il soit besoin d'examiner s'ils ont été formés dans le délai prévu à l'article 173, alinéa 3.

Sur les demandes en indemnité

16. Les recours visent, en outre, à obtenir, en vertu des articles 178 et 215, alinéa 2, du traité CEE, la réparation du préjudice résultant de la décision par laquelle la SIDO a réclamé aux requérantes la restitution des aides qui avaient été allouées au CNTA.

17. Il convient de rappeler que les dispositions combinées des articles 178 et 215 du traité ne donnent compétence à la Cour que pour réparer les dommages causés par les institutions communautaires ou les agents de celles-ci agissant dans l'exercice de leurs fonctions, c'est-à-dire pour réparer les dommages susceptibles de mettre en jeu la responsabilité non contractuelle de la communauté. En revanche, les dommages causés par les institutions nationales ne sont susceptibles de mettre en jeu que la responsabilité de ces institutions et les juridictions nationales demeurent seules compétentes pour en assurer la réparation (voir l'arrêt du 26 février 1986, Krohn, n° 175-84, Rec. p. 753, 763).

18. Lorsque, comme en l'espèce, la décision faisant grief a été prise par un organisme national agissant pour assurer l'exécution d'une règlementation communautaire, il convient de vérifier, pour fonder la compétence de la Cour, si le comportement dont l'illégalité est alléguée, à l'appui de la demande d'indemnité, émane bien d'une institution communautaire et ne peut être regardé comme imputable à l'organisme national.

19. En l'espèce, les requérantes se bornent, à l'appui de leur demande d'indemnité, à invoquer l'illégalité de la décision n° 85-456, précitée, par laquelle la Commission a fixé le montant reconnu à la charge du FEOGA dans le cadre de l'apurement des comptes présentés par la République française pour l'exercice financier 1981. Mais, comme il a été exposé ci-dessus, cette décision, qui concernait uniquement les rapports financiers internes entre la Commission et la République française, n'a pas eu pour objet, et ne pouvait avoir pour effet, de donner à la SIDO l'instruction de prendre la décision qui est à l'origine du préjudice invoqué. Cette dernière décision a été prise par la SIDO seule, en exécution de l'obligation générale que lui fait le règlement n° 729-70 de récupérer les aides indûment payées.

20. Dans ces conditions, le dommage invoqué par les requérantes trouve exclusivement son origine dans la décision de la SIDO, organisme national, et la Cour de justice n'est pas compétente pour en assurer la réparation sur le fondement des articles 178 et 215, alinéa 2, du traité CEE.

21. Les demandes d'indemnité doivent donc, également, être rejetées comme irrecevables.

Sur les demandes en annulation du règlement n° 1204-72

22. Les requérantes excipent, à titre subsidiaire, sur le fondement de l'article 184 du traité, de l'inapplicabilité du règlement n° 1204-72 de la Commission, portant modalités d'application du régime de l'aide pour les graines oléagineuses. Il ressort de la jurisprudence de la Cour (voir l'arrêt du 16 juillet 1981, Albini/Conseil et Commission, n° 33-80, Rec. p. 2141) que la possibilité prévue par cet article d'invoquer l'inapplicabilité d'un règlement ne constitue pas un droit d'action autonome et ne peut être exercée que de manière incidente. En raison de l'irrecevabilité des recours formés à titre principal, les requérantes ne peuvent pas invoquer l'article 184.

23. Pour ces raisons, il y a lieu de rejeter l'ensemble des recours comme irrecevables.

Sur les dépens

24. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Les requérantes ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Déclare et arrête :

1) Les recours sont rejetés comme irrecevables.

2) Les requérantes sont condamnées aux dépens.