Livv
Décisions

CJCE, 2e ch., 27 mars 1980, n° 133-79

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sucrimex (SA) ; Westzucker GmbH

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocat :

M Funck-Brentano

CJCE n° 133-79

27 mars 1980

LA COUR,

1. Par requête introduite le 13 août 1979, la société française Sucrimex SA et la société allemande Westzucker GmbH ont demandé à la Cour, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité, d'annuler une ... décision de la Commission, adressée au (fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre) le 3 juillet 1979, qui refuse à la société Sucrimex le paiement de la restitution calculée sur la base du taux fixe par voie d'adjudication... et, subsidiairement, en vertu des articles 178 et 215, alinéa 2, du traité, de condamner la Commission au paiement de la somme de 921 339,04 FF à titre d'indemnisation du préjudice subi par les sociétés requérantes.

2. Le recours trouve son origine dans la cession par Westzucker à Sucrimex des droits découlant de certificats d'exportation, établis par le Bundesanstalt für Landwirtschaftliche Marktordnung, portant sur 2 600 tonnes de sucre avec préfixation par voie d'adjudication de la restitution à l'exportation, valables jusqu'au 31 mai 1979.

3. Etant donné que les certificats ont été égarés, le Bundesanstalt a établi de nouveaux certificats et les 2 600 tonnes de sucre qui en faisaient l'objet ont été exportées, sous couvert de ces certificats, les 30 et 31 mai 1979.

4. Entre-temps, par télex du 23 mai 1979, l'association des organisations professionnelles du commerce des sucres avait demandé à la Commission de se saisir d'urgence du problème soulevé par les certificats égarés, la règle établie par l'article 17, paragraphe 7, du règlement n° 193-75 de la Commission, du 17 janvier 1975, portant modalités communes d'application du régime de certificats d'importation, d'exportation et de préfixation pour les produits agricoles (JO n° L 25, p. 10) étant, à son avis, peu satisfaisante.

5. Cette disposition porte que :

" En cas de perte de certificat ou d'extrait de certificat, les organismes émetteurs peuvent, à titre exceptionnel, délivrer à l'intéressé un duplicata de ces documents, établi et visé, ainsi que l'ont été les documents originaux et comportant clairement la mention " duplicata " sur chaque exemplaire.

Les duplicata ne peuvent pas être produits aux fins de la réalisation d'opérations d'importation ou d'exportation. "

6. La Commission a confirmé, le même jour, par téléphone, au président du syndicat du commerce des sucres, à Paris, puis, par télex, le 6 juin 1979, à l'association l'état de la règlementation applicable tout en ajoutant que ses services étaient prêts à réexaminer la question avec les experts des Etats membres, mais qu'ils ne voyaient pas de solution satisfaisante, étant donné les problèmes de contrôle.

7. Sucrimex a demandé au Firs, les 6 et 7 juin 1979, le paiement des restitutions au taux préfixé. Le problème de la perte de certificats a ensuite été discuté à une réunion du comité de gestion du sucre, le 13 juin 1979. A cette occasion, un représentant du service juridique de la Commission aurait déclaré ne pas pouvoir approuver une solution consistant à délivrer un certificat de remplacement servant à achever les opérations d'exportation sous condition, pour l'exportateur, de constituer une caution égale à la restitution. Il aurait demandé qu'il ne soit pas procédé au paiement de la différence entre la restitution applicable au moment de l'exportation et celle prévue par les certificats perdus.

8. Comme suite à ces discussions, le Firs a reçu, le 3 juillet 1979, un télex signé par le directeur général de l'agriculture auprès de la Commission qui, après un rappel de la règlementation applicable et un exposé des faits, conclut " ... qu'il n'y a pas de raison valable pour procéder au paiement de la restitution calculée sur la base du taux fixe par voie d'adjudication figurant sur ces documents. L'exportation du sucre étant considérée comme ayant été effectuée sans certificats, l'exportateur ne peut prétendre qu'à la restitution normale applicable le jour de l'accomplissement des formalités douanières d'exportation... ".

9. Par lettre du 5 juillet 1979, le Firs a rejeté les demandes de Sucrimex des 6 et 7 juin, " compte tenu de la position exprimée par les services de la Commission " dans le télex précité. Par conséquent, le Firs n'acceptait de payer que la restitution applicable les jours de l'accomplissement des formalités douanières d'exportation, soit un montant inférieur de 921 339,04 FF à celui demandé par Sucrimex.

10. A l'appui de la demande d'annulation, les sociétés requérantes font valoir que la Commission qualifie à tort de " duplicata " les certificats " à l'identique ", qu'elle méconnaît les règlements relatifs aux restitutions à l'exportation en rejetant une demande de paiement des restitutions pour des exportations effectuées sous le couvert de certificats " à l'identique ", qu'elle porte atteinte au principe de la sécurité juridique en ne prenant pas rapidement une décision, enfin qu'elle viole le principe de la confiance légitime, les requérantes ayant eu une confiance légitime dans les certificats en question ; au surplus, la décision en cause serait rétroactive.

11. A l'appui de leur demande en indemnité, les requérantes font valoir qu'elles ont subi un préjudice, qui s'élève au montant des restitutions non versées, en raison des illégalités décrites ci-dessus et de la carence dont aurait fait preuve la Commission en n'exprimant clairement sa position que le 3 juillet 1979, en dépit du télex de l'association du 23 mai 1979.

12. La Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 91, paragraphe 1, du règlement de procédure. Il convient, sans engager le débat au fond, de statuer sur la recevabilité des différents chefs du recours des requérantes.

13. La Commission fait valoir, à l'appui de l'exception d'irrecevabilité de la demande en annulation, que son télex du 3 juillet 1979 ne constitue qu'une lettre d'information à l'adresse du Firs, qui se borne à rappeler la règlementation applicable au cas d'espèce et ne saurait donc créer des effets de droit. En outre, ledit télex n'engagerait que les services de la Commission et ne saurait être imputé à l'institution.

14. Les requérantes prétendent, au contraire, que le télex de la Commission manifeste l'intention de prendre à leur égard une décision au sens de l'article 189 du traité. Au surplus, il ne saurait être sérieusement contesté que les déclarations d'un directeur général, dans l'exercice de ses fonctions, engagent la Commission.

15. En vue d'établir si le télexa de la Commission du 3 juillet 1979 constitue une décision de nature à faire l'objet d'un recours par les requérantes en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité, il convient d'examiner s'il était susceptible de produire des effets de droit.

16. Il est constant que l'application des dispositions communautaires en matière de restitutions à l'exportation relève des organismes nationaux désignés à cet effet et que la Commission n'a aucune compétence pour prendre des décisions quant à leur interprétation, mais seulement la possibilité d'exprimer son opinion, qui ne lie pas les autorités nationales.

17. En outre, il ne résulte ni du libellé ni du contenu de télex incriminé qu'il visait à produire des effets de droit quelconques.

18. Il résulte de ces constations qu'il n'existe, en l'espèce, aucun acte de la Commission susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation.

19. Le recours doit donc être rejeté comme irrecevable pour autant qu'il est fondé sur l'article 173, alinéa 2, du traité.

20. La Commission fait valoir, à l'appui de son exception d'irrecevabilité de la demande en indemnité, que la prise de position exprimée dans son télex ne peut pas être qualifiée de comportement satisfaisant aux conditions de la saisine de la Cour, telles qu'elles sont prévues par l'article 215, alinéa 2, du traité. En outre, les requérantes auraient dû attaquer, devant les juridictions nationales, le refus, par l'organisme national, d'octroyer les restitutions litigieuses.

21. Les requérantes sont, pour leur part, d'avis que la solution retenue par la Commission ne pouvant se justifier en droit, elles sont fondées à demander, par la voie d'un recours en indemnité, le paiement du complément de la restitution.

22. En ce qui concerne cette demande, présentée à titre subsidiaire, portant sur un montant équivalent à la somme des restitutions non versées et donc étroitement liée à la demande d'annulation, il suffit de rappeler les relations, décrites ci-dessus, entre la Commission et le Firs. Le télex, comme d'ailleurs tout le comportement reproche à la Commission, se situe dans le cadre de la coopération interne entre la Commission et les organismes nationaux charges d'appliquer la règlementation communautaire dans ce domaine, coopération qui, en règle générales, ne saurait engager la responsabilité de la communauté envers les particuliers.

23. En effet, en toute hypothèse, ce n'est pas le télex incrimine de la Commission, mais la décision du Firs d'entériner la prise de position qui y était exprimée, qui pourrait être considérée comme faisant grief aux requérantes.

24. Or, le contrôle de l'action administrative des Etats membres dans l'application du droit communautaire appartient en premier lieu aux juridictions nationales, sans préjudice de la possibilité pour celles-ci de poser des questions préjudicielles à la Cour en vertu de l'article 177 du traité CEE. Dans ces conditions, la voie de recours à envisager est une action devant les juridictions nationales, auxquelles la requérante s'est effectivement déjà adressée.

25. Le recours doit donc être également rejeté comme irrecevable pour autant qu'il est basé sur les articles 178 et 215, aliéna 2, du traité.

Sur les dépens

26. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ; les requérantes ayant succombé en leur action, il y a lieu de les condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (deuxième chambre),

Déclare et arrête :

1) le recours est rejeté comme irrecevable.

2) les requérantes sont condamnées aux dépens.