CJCE, 27 septembre 1988, n° 114-86
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, Royaume des Pays-Bas
Défendeur :
Commission des Communautés européennes, République Italienne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mackenzie Stuart
Présidents de chambre :
MM. Bosco, Due
Avocat général :
M. Lenz
Juges :
MM. Koopmans, Joliet, O'Higgins, Schockweiler
LA COUR,
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 16 mai 1986, le Royaume-Uni a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 1, du traité CEE, un recours visant à l'annulation d'un acte de la Commission, annoncé à la réunion du groupe ACP/fin du 6 mars 1986, portant réintroduction, à compter du 1er mars 1986, du système en vigueur antérieurement au 1er juin 1983 et en vertu duquel la Commission prend en considération la nationalité des sociétés, lors de l'établissement des listes de candidats pour des marchés de services conclus dans le cadre de la deuxième convention ACP-CEE de Lomé (ci-après "Lomé II ") du 31 octobre 1979 (JO 1980, L 347, p. 1).
2 Dans le cadre de la coopération technique, l'article 142, paragraphe 1, de Lomé II dispose que les règles en matière d'attribution et de passation des marchés de services sont déterminées par une décision du Conseil de ministres. Dans l'attente d'une telle décision, la Commission est habilitée, en vertu de l'article 142, paragraphe 2, et de l'article 25 du protocole n° 2 de la première convention ACP-CEE de Lomé (ci-après "Lomé I ") (JO 1976, L 25, p. 1), à établir une liste restreinte de candidats, pour l'attribution des marchés de services, "sélectionnés à partir de critères garantissant leurs qualifications, expérience et indépendance et compte tenu de leur disponibilité pour l'action envisagée ".
3 Les termes de la version anglaise de l'article 25 du protocole n° 2, selon lesquels la Commission établit "a list of selected candidates" (une liste de candidats sélectionnés), semblent indiquer que les candidats susceptibles de figurer sur la liste en question, doivent être "selected" (sélectionnés) exclusivement selon les critères mentionnés par cette disposition. La Commission fait toutefois valoir que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la nécessité d'une interprétation uniforme des textes communautaires exclut que ledit texte soit considéré isolement, mais exige, en cas de doute, qu'il soit interprété et appliqué à la lumière des versions établies dans les autres langues. Or, toutes les autres versions linguistiques de la disposition précitée mentionneraient explicitement l'établissement d'une liste de candidats "restreinte" (ou "begrenzt", "beperkt" "ristretto", "begraenset "), ce qui impliquerait l'existence d'une distinction entre le mode de sélection des candidats, effectuée selon les critères rappelés ci-dessus et la limitation ultérieure du nombre des candidats, en vue de l'établissement d'une liste restreinte.
4 Il ressort du dossier que, aux fins d'établissement de la liste en question, la Commission a appliqué certaines instructions internes. Une de ces instructions visait ce qu'il est convenu d'appeler la "part idéale" de chaque Etat membre aux marchés de services, calculée par rapport au montant de la contribution financière de l'Etat membre concerné apportée au fonds européen de développements, telle qu'établie par l'accord interne applicable au financement et à la gestion des aides de la Communauté.
5 En outre, il apparait du dossier que, sur la base de statistiques élaborées par les services de la Commission permettant une comparaison constamment mise à jour entre les marchés de services conclus et la "part idéale" de chaque Etat membre, des instructions internes ont également été diffusées afin d'encourager ou de freiner les candidatures de certaines nationalités pour tenir compte de la "part idéales" de chaque Etat membre, lors de l'établissement des listes restreintes de candidats.
6 A partir du 1er juin 1983, la Commission a appliqué un système expérimental, selon lequel environ 81,75 % des marchés de services en question devaient être repartis entre les Etats Membres en tenant compte du critère de la "part idéale" de chaque Etat membre, 18,25 % étant à attribuer sans tenir compte de la nationalité ou de la "part idéale" d'un Etat membre.
7 Lors d'une séance du groupe de travail ACP/fin tenue le 6 mars 1986, le représentant de la Commission a indiqué que le système expérimental introduit en 1983 ne serait désormais plus appliqué par la Commission, qui avait décidé de revenir, après une évaluation des résultats de cette expérience, au système en vigueur avant le 1er juin 1983. C'est contre cette décision, visant à réappliquer un système de sélection fondé sur la nationalité lors de l'établissement des listes restreintes de candidats, pour l'attribution de la totalité des marchés de services conclus dans le cadre de Lomé II, que le recours du Royaume-Uni est dirigé en l'espèce.
8 Par deux ordonnances du 15 octobre 1986, la Cour a respectivement autorisé le Royaume des Pays-Bas à intervenir à l'appui des conclusions du requérant et la République italienne à intervenir à l'appui des conclusions de la défenderesse.
9 Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire, du déroulement de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur la recevabilité du recours
10 La Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité au motif que la prétendue "décision" faisant l'objet du recours constitue une simple prise de position non définitive de sa part. Elle soutient, par ailleurs, que l'acte litigieux n'est pas contraignant et ne produit pas d'effets juridiques précis.
11 Le Royaume-Uni estime, en revanche, que la "décision" de la Commission de réintroduire le système en cause, en vue d'appliquer le critère de la "part idéale" d'un Etat membre pour l'intégralité des marchés de services à compter du 1er mars 1986, constitue un "acte" de la Commission comportant des effets juridiques, dans la mesure où son application conduit à exclure certaines entreprises de la liste restreinte, qui est, dès lors, susceptible d'entre attaqué au titre de l'article 173, alinéa 1, du traité. Le requérant soutient, en outre, que la "décision" de ne plus appliquer le système de quota partiel aux marchés de services, à partir d'une date précise, est une règle fixe qui produit des effets généraux sur la procédure suivie par la Commission, même si les quotas fondés sur la nationalité sont appliqués d'une façon flexible, compte tenu également des autres critères enfoncés à l'article 25 du protocole n° 2 de Lomé I.
12 En vue de déterminer si l'acte attaqué constitue un acte susceptible de recours en annulation au titre de l'article 173, alinéa 1, du traité, il y a lieu de rappeler d'abord que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il faut examiner la nature de l'acte en cause plutôt que la forme qu'il revêt. En particulier, un acte ne peut faire l'objet d'un recours en annulation s'il n'est pas destiné à produire des effets juridiques.
13 Il ressort du dossier que, en l'espèce, l'acte attaqué traduit l'intention de la Commission, ou de l'un de ses services, de suivre une certaine ligne de conduite en ce qui concerne l'établissement des listes restreintes de candidats pour les marchés de services en cause. Toutefois, ce n'est pas l'annonce d'une telle intention, mais l'établissement des listes elles-mêmes qui est susceptible de produire des effets juridiques, en ce sens qu'il peut avoir pour conséquence d'écarter certaines entreprises de ces listes et de les priver ainsi de la possibilité de participer aux marchés en cause.
14 Cela est d'autant plus vrai que, comme l'indiquent également les pièces du dossier, les listes en cause ne sont pas, en règle générale, arrêtées en parfaite conformité avec les critères retenus par la Commission. En outre, les statistiques présentées par la Commission à la demande de la Cour font apparaître que l'attribution des marchés de services dans la pratique n'a pas été effectuée conformément aux "parts idéales" des Etats membres.
15 Il en résulte que l'acte attaqué ne peut pas être considéré comme un acte destiné à produire des effets juridiques. Le recours doit, en conséquence, être rejeté comme irrecevable.
Sur les dépens
16 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie requérante, soutenue par le Royaume des Pays-Bas, partie intervenante, ayant succombe dans son action, il y a lieu de les condamner solidairement aux dépens, y compris ceux de la République italienne, partie intervenante au soutien des conclusions de la partie défenderesse.
Par ces motifs,
LA COUR,
déclare et arrête :
1) le recours est rejeté comme irrecevable.
2) le Royaume-Uni et le Royaume des Pays-Bas supporteront solidairement les dépens.