Livv
Décisions

TPICE, 1re ch. élargie, 22 février 2006, n° T-34/02

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Le Levant 001 (EURL)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vesterdorf

Juges :

MM. Cooke, García-Valdecasas, Mmes Labucka, Trstenjak

Avocats :

Mes Kirch, Chahid-Nouraï

TPICE n° T-34/02

22 février 2006

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre élargie),

Cadre juridique

Loi Pons et décision de la Commission de ne pas soulever d'objections au titre des articles 87 CE et 88 CE

1 L'aide ici en cause s'inscrit dans le cadre des mesures de réduction d'impôt pour certains investissements en outre-mer instituées, à l'origine, par la loi française du 11 juillet 1986 (loi n° 86-824 portant loi de finances rectificative pour 1986, JORF du 12 juillet 1986, p. 8688), dite " loi Pons ".

2 Le 13 août 1992, les autorités françaises ont notifié ces mesures à la Commission, afin qu'elle puisse se prononcer sur leur compatibilité avec les règles applicables aux aides d'État.

3 Par lettre du 27 janvier 1993, la Commission a informé le Gouvernement français de sa décision de ne pas soulever d'objections au titre de l'article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE) et de l'article 93 du traité CE (devenu article 88 CE) à l'encontre des mesures fiscales prévues par la loi Pons.

Directive 90-684-CEE du Conseil sur les aides à la construction navale

4 La directive 90-684-CEE du Conseil, du 21 décembre 1990, concernant les aides à la construction navale (JO L 380, p. 27, ci-après la " septième directive "), prévoit des règles spécifiques applicables aux aides à ce secteur, qui constituent une exception à l'interdiction générale énoncée à l'article 92, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 87, paragraphe 1, CE). L'application des dispositions pertinentes de la septième directive a été prolongée par les règlements (CE) nº 3094-95 du Conseil, du 22 décembre 1995 (JO L 332, p. 1), et nº 1904-96 du Conseil, du 27 septembre 1996 (JO L 251, p. 5), relatifs tous deux aux aides à la construction navale.

5 Au chapitre II, intitulé " Aides au fonctionnement ", l'article 4, paragraphe 1, de la septième directive prévoit que " [l]es aides à la production en faveur de la construction et de la transformation navales peuvent être considérées comme compatibles avec le Marché commun, à condition que le montant total de l'aide octroyée pour un contrat ne dépasse pas en équivalent-subvention un plafond maximal commun exprimé en pourcentage de la valeur contractuelle avant aide ci-après dénommé 'plafond' ".

6 Aux termes de l'article 4, paragraphe 7, de la septième directive:

" Les aides liées à la construction et à la transformation navales, octroyées comme aides au développement à un pays en voie de développement, ne sont pas soumises au plafond. Elles peuvent être considérées comme compatibles avec le Marché commun si elles sont conformes aux dispositions arrêtées à cette fin par le groupe de travail n° 6 de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans son accord concernant l'interprétation des articles 6, 7 et 8 de l'arrangement [concernant les crédits à l'exportation de navires du 3 août 1981], ou à tout addendum ou corrigendum ultérieur audit accord.

Tout projet d'aide individuel de ce type doit être préalablement notifié à la Commission. Elle vérifie la composante particulière 'développement' de l'aide envisagée et s'assure que cette aide entre dans le champ d'application de l'accord visé au premier alinéa. "

Dispositions relatives à la procédure administrative

7 Le règlement (CE) n° 659-1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article [88] du traité CE (JO L 83, p. 1), est entré en vigueur le 16 avril 1999.

8 L'article 1er, sous h), de ce règlement définit les " parties intéressées " comme étant " tout État membre et toute personne, entreprise ou association d'entreprises dont les intérêts pourraient être affectés par l'octroi d'une aide, en particulier le bénéficiaire de celle-ci, les entreprises concurrentes et les associations professionnelles ".

9 L'article 4, paragraphe 4, du règlement n° 659-1999 dispose que la Commission est obligée d'ouvrir une procédure formelle d'examen à l'égard des mesures qui lui sont notifiées et dont la compatibilité avec le Marché commun suscite des doutes après un examen préliminaire. Selon l'article 26, paragraphe 2, de ce même règlement, " [l]a Commission publie au Journal officiel [...] les décisions qu'elle prend en application de l'article 4, paragraphe 4, dans la version linguistique faisant foi ".

10 Aux termes de l'article 6, paragraphe 1, du règlement n° 659-1999, relatif à la procédure formelle d'examen :

" La décision d'ouvrir la procédure formelle d'examen récapitule les éléments pertinents de fait et de droit, inclut une évaluation préliminaire, par la Commission, de la mesure proposée visant à déterminer si elle présente le caractère d'une aide, et expose les raisons qui incitent à douter de sa compatibilité avec le Marché commun. La décision invite l'État membre concerné et les autres parties intéressées à présenter leurs observations dans un délai déterminé, qui ne dépasse normalement pas un mois. Dans certains cas dûment justifiés, la Commission peut proroger ce délai. "

11 L'article 14, paragraphe 1, du règlement n° 659-1999, qui a trait à la récupération de l'aide, précise :

" En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l'État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l'aide auprès de son bénéficiaire [...] La Commission n'exige pas la récupération de l'aide si, ce faisant, elle allait à l'encontre d'un principe général de droit communautaire. "

Faits à l'origine du litige et procédures

Description de l'opération Le Levant

12 Ainsi qu'il ressort de la description communiquée par les autorités françaises à la Commission dans le cadre de la procédure administrative, l'opération en cause (ci-après l'" opération Le Levant ") consistait à faire assurer dans le cadre de la loi Pons le financement et l'exploitation du navire de croisière Le Levant, pendant une période de sept ans environ, par des investisseurs, personnes physiques, à travers des entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée (EURL), constituées exclusivement à cet effet et réunies au sein d'une copropriété maritime.

13 L'intérêt des investisseurs à entrer dans cette opération résidait dans la possibilité qui leur était accordée de déduire de leurs revenus imposables, en application du mécanisme institué par la loi Pons, le prix de revient de l'investissement réalisé et les charges liées à son acquisition (intérêts financiers) et à sa détention (amortissements) ainsi que les déficits éventuels résultant de son exploitation.

14 Le schéma juridique et financier de l'opération Le Levant est résumé de la manière suivante par les autorités françaises. Le 9 décembre 1996, une importante banque française (ci-après la " Banque ") a constitué la copropriété du navire Le Levant, divisée en 740 parts de copropriété, ou " quirats ". La gestion de cette copropriété était confiée à la Compagnie des îles du Levant (ci-après la " CIL "), dans le cadre d'un mandat ayant pour objet, notamment, la signature d'un contrat de construction avec le chantier Alstom Leroux Naval et la gestion de l'exploitation du navire. Dans le courant de 1997, des personnes physiques ont créé, chacune, une EURL à qui les quirats ont été vendus par la Banque au moyen d'un appel public à l'épargne. Pendant sept ans, la CIL devait assumer l'exploitation, l'entretien et la gestion technique et commerciale du navire pour le compte de la copropriété maritime. Par ailleurs, la CIL s'est engagée auprès des investisseurs à assurer un résultat brut d'exploitation minimal et à combler les pertes éventuellement réalisées qui s'avéreraient supérieures aux estimations. En rémunération de son mandat, la CIL devait percevoir annuellement, notamment, un pourcentage des recettes brutes de la copropriété, au titre de la gestion du navire, un pourcentage des résultats bruts d'exploitation positifs, au titre de la garantie d'exploitation, et une somme forfaitaire, au titre de la gestion de la copropriété.

15 La Banque s'est engagée, auprès des investisseurs, à acquérir les parts des EURL avant le 15 décembre 2003. Par ailleurs, chaque EURL s'est engagée à céder à la Banque ses quirats avant le 29 février 2004. Parallèlement, la CIL s'est engagée à racheter l'ensemble des quirats à la Banque, avant le 31 janvier 2004, et cette dernière s'est engagée à les lui céder avant le 29 février 2004.

Procédure administrative

16 À la fin de l'année 1998, la Commission a appris, par voie de presse, que le paquebot Le Levant, construit en France par Alstom Leroux Naval au prix contractuel de 228,55 millions de francs français (FRF), avait été financé au moyen d'allégements fiscaux consentis pour des investissements dans les territoires français d'outre-mer.

17 À la suite d'une enquête préliminaire, au cours de laquelle la Commission a recueilli les observations des autorités françaises, présentées, notamment, par lettre du 12 mai 1999, la Commission a informé ces autorités, par lettre du 2 décembre 1999, de sa décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE en ce qui concerne l'aide d'État non notifiée C 74-99 (ex NN 65-99) relative à une aide au développement octroyée par la France en faveur de Saint-Pierre-et-Miquelon (construction navale). Cette décision a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 5 février 2000 (JO C 33, p. 6, ci-après la " décision d'ouverture "). La Commission y indiquait éprouver des doutes, au regard de l'article 4, paragraphe 7, de la septième directive, quant à l'importance de la composante " développement " du projet en cause. La décision d'ouverture invitait, en outre, les parties intéressées à présenter leurs observations dans un délai d'un mois à compter de la date de sa publication.

18 Les autorités françaises ont communiqué leurs observations par lettres des 12 janvier et 14 juin 2000 et des 27 avril et 11 juin 2001. La CIL a également présenté ses observations dans le cadre de la procédure administrative par lettres du 18 novembre 1999 et du 3 mars 2000.

19 Par lettre du 13 juillet 2001, l'EURL Le Levant 114, une des EURL impliquées dans l'opération Le Levant, a sollicité de la part de la Commission des précisions sur sa position concernant l'identification des bénéficiaires de l'aide sous examen. Elle demandait, notamment, à la Commission de confirmer qu'elle n'était pas une partie intéressée par la procédure administrative en cours.

20 À défaut de réponse écrite de la Commission, l'EURL Le Levant 114 a réitéré sa demande par lettre du 19 juillet 2001. Dans cette lettre, elle indiquait également qu'elle avait été informée de ce que la Commission s'apprêtait à examiner le dossier le 25 juillet 2001 et sollicitait de la Commission qu'il lui soit accordé un délai raisonnable afin de présenter ses observations sur la procédure. Elle avançait plusieurs raisons à l'appui de cette demande, qui se référait à la dernière phrase de l'article 6, paragraphe 1, du règlement n° 659-1999, et faisait notamment valoir qu'elle avait pu légitimement considérer qu'elle n'était pas concernée par ladite procédure au vu des indications fournies par la décision d'ouverture.

21 Par lettre du 24 juillet 2001, la Commission a répondu aux deux lettres de l'EURL Le Levant 114 en se limitant à indiquer que le délai prévu pour le dépôt d'observations par les parties intéressées était largement dépassé.

Décision attaquée

22 Le 25 juillet 2001, la Commission a adopté la décision 2001-882-CE concernant l'aide d'État mise à exécution par la France sous forme d'aide au développement pour le paquebot Le Levant construit par Alstom Leroux Naval et destiné à être exploité à Saint-Pierre-et-Miquelon (ci-après la " décision attaquée "). Cette décision a été publiée au Journal officiel le 12 décembre 2001 (JO L 327, p. 37).

23 Selon la décision attaquée, l'aide a été accordée en 1996 à l'occasion de l'acquisition du paquebot Le Levant par un groupe d'investisseurs privés ayant constitué une copropriété maritime à l'initiative de la Banque. Le navire a ensuite été loué à la CIL, filiale d'une compagnie française, immatriculée à Wallis-et-Futuna, un territoire français d'outre-mer. Les investisseurs ont été autorisés à déduire de leurs revenus imposables les fonds ainsi apportés en application de la loi Pons, laquelle a institué un régime fiscal autorisé par la Commission en 1992. Ces allégements fiscaux ont permis à la CIL d'exploiter le navire à des conditions favorables (considérants 5 et 6). L'aide dérivée des allégements fiscaux s'est élevée à 78 millions de FRF (11,9 millions d'euro) (considérant 7). Les investisseurs avaient le droit et l'obligation de revendre leurs parts après cinq ans, c'est-à-dire au début de 2004. La CIL avait également le droit et l'obligation d'acheter ces parts à un prix qui permettrait de répercuter la valeur de l'aide. L'aide avait été subordonnée à l'obligation pour la CIL d'exploiter le navire pendant une période minimale de cinq ans, essentiellement au départ et à destination de Saint-Pierre-et-Miquelon, pendant 160 jours par an (considérant 5).

24 La décision attaquée examine l'aide en cause à la lumière des dispositions de l'article 4, paragraphe 7, de la septième directive, " étant donné qu'il s'agit d'une aide liée à la construction navale qui a été accordée comme aide au développement en 1996 dans le cadre d'un régime d'aide (la loi Pons) autorisé en 1992 " (considérant 16).

25 Selon cette décision, il ressort de cet examen que l'opération Le Levant satisfaisait aux critères de l'aide au développement définis par l'OCDE, qui avaient été exposés par la Commission dans la lettre du 3 janvier 1989 adressée aux États membres (considérants 18, 19 et 21).

26 Cependant, en application du principe consacré par l'arrêt de la Cour du 5 octobre 1994, Allemagne/Commission (C-400-92, Rec. p. I-4701), selon lequel la Commission est tenue de vérifier séparément le respect de la composante " développement " et le respect des critères de l'OCDE, la décision attaquée considère que l'opération Le Levant ne comportait pas une véritable composante " développement " au sens de la jurisprudence précitée, compte tenu de l'insuffisance des retombées économiques et sociales constatées pour Saint-Pierre-et-Miquelon (considérants 20, 22 à 33).

27 En conséquence, l'article 1er de la décision attaquée énonce que " [l]'aide d'État mise à exécution par la France sous la forme d'allégements fiscaux et en tant qu'aide au développement pour le paquebot Le Levant [...] ne peut pas être considérée comme une véritable aide au développement au sens de l'article 4, paragraphe 7, de la [septième directive] et est donc incompatible avec le Marché commun ".

28 Au stade de la détermination du bénéficiaire auprès duquel l'aide incompatible doit être récupérée, la décision attaquée envisage tour à tour la situation des investisseurs, de l'exploitant du navire (la CIL) et du chantier naval.

29 Selon la décision attaquée, les bénéficiaires immédiats de l'aide sont les investisseurs, qui ont bénéficié des allégements fiscaux (considérant 35). La décision reprend en cela des arguments présentés par les autorités françaises, desquels il ressort que les investisseurs ont obtenu des avantages grâce aux allégements fiscaux et qu'ils étaient propriétaires du navire dans le cadre de la copropriété (considérant 36). Ainsi, " il ne fait pas de doute que ce sont les investisseurs, en tant que bénéficiaires directs et actuels propriétaires du navire, qui devraient rembourser l'aide " (considérant 39).

30 S'agissant de l'exploitant du navire (la CIL), la décision attaquée note que les investisseurs doivent continuer à bénéficier des allégements fiscaux jusqu'au moment de la vente du navire à la CIL, c'est-à-dire jusqu'au début de l'année 2004, et que, selon les informations disponibles, le prix de cette vente répercutera l'aide à l'exploitant CIL. Dès lors, la CIL serait le principal bénéficiaire de l'aide, une fois que le navire lui aurait été vendu à un prix avantageux (considérant 36). La décision attaquée relève également que " [s]i le navire avait été vendu à [la] CIL à un prix inférieur à celui du marché et si, de ce fait, l'aide avait été répercutée sur cette entreprise, c'est la [CIL] qui devrait la rembourser " et que " [c]ompte tenu du fait que le transfert [ne doit pas avoir] lieu avant la mi-2003, l'exploitant CIL ne peut être considérée comme responsable du remboursement de l'aide à ce stade " (considérant 40).

31 Pour ce qui est du chantier naval, la décision attaquée observe que celui-ci a bénéficié indirectement de l'aide, dans la mesure où elle lui a permis d'obtenir une commande qui ne lui aurait peut être pas été attribuée autrement (considérant 37). Pour autant, la décision considère que l'aide ne doit pas être récupérée auprès du chantier naval étant donné qu'il ne peut pas être tenu pour responsable de l'utilisation du navire après sa livraison et que les règles appliquées dans la présente affaire ne s'adressent pas au chantier naval (considérant 41).

32 Dès lors, l'article 2 de la décision attaquée demande à la République française de prendre toutes les mesures pour " interrompre et récupérer auprès des investisseurs, qui sont les bénéficiaires directs de l'aide et les propriétaires actuels du paquebot, l'aide mentionnée à l'article 1er et accordée illégalement au bénéficiaire ".

Procédures juridictionnelles

33 Le 8 octobre 2001, la France a formé devant la Cour un recours en annulation de la décision attaquée, par lequel elle contestait l'appréciation de la Commission selon laquelle l'aide litigieuse n'était pas une aide au développement.

34 Le 20 février 2002, l'EURL Le Levant 001 et les autres requérants, personnes morales et personnes physiques, dont les noms figurent en annexe ont saisi le Tribunal du présent recours.

35 Par acte séparé déposé le 23 avril 2002, B et 255 autres requérants ont présenté une demande en référé visant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de la décision attaquée jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond du recours en annulation et à ce qu'il soit sursis à l'exécution de la décision attaquée jusqu'à ce que le Tribunal ait statué sur la première demande.

36 Par ordonnance du président du Tribunal du 25 juin 2002, B/Commission (T-34-02 R, Rec. p. II-2803), la demande en référé a été rejetée.

37 Par ordonnance du président de la cinquième chambre élargie du Tribunal du 30 avril 2002, l'affaire T-34-02 a été suspendue jusqu'à la décision de la Cour mettant fin à l'instance dans l'affaire C-394-01.

38 Par arrêt du 3 octobre 2002, France/Commission (C-394-01, Rec. p. I-8245), la Cour a rejeté le recours en relevant que les différents arguments présentés par la République française à l'encontre des appréciations de la Commission relatives à l'emploi induit et aux retombées économiques n'étaient pas fondés ou n'avaient pas été présentés par cet État membre dans le cadre de la procédure administrative. La suspension de la procédure dans la présente affaire a été levée en conséquence de l'intervention de cet arrêt.

39 Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, le Tribunal a invité, le 22 octobre 2004, les parties à se prononcer sur deux questions, auxquelles les requérants ont répondu par lettre du 19 novembre 2004 et la Commission par lettre du 18 novembre 2004.

40 Dans sa première question, le Tribunal a demandé aux parties d'indiquer si la vente du paquebot à la CIL était intervenue, à quel prix et si le prix avait permis de répercuter la valeur de l'aide.

41 En réponse, les requérants ont indiqué que la vente du paquebot Le Levant à la CIL était intervenue le 2 janvier 2004. À cette date, la CIL aurait racheté les 738 quirats du navire qui n'étaient pas en sa possession pour la somme de 17 731 821 euro. Selon les requérants, cette somme a été déterminée conformément aux promesses d'achat et de ventes conclues à l'origine de l'opération et correspond à environ 50 % de la valeur initiale des parts de copropriété - lesquelles avaient été achetées pour un montant total de 35 789 508 euro. À compter du 2 janvier 2004, la CIL serait donc devenue le seul propriétaire des 740 quirats qui composaient la copropriété du paquebot Le Levant examinée par la décision attaquée et cette copropriété a été dissoute.

42 Pour sa part, la Commission a indiqué qu'elle ne disposait d'aucune information sur le prix de vente et la question de savoir si celui-ci avait permis de répercuter la valeur de l'aide.

43 Dans sa seconde question, le Tribunal a demandé aux parties, s'il s'avérait que les investisseurs n'étaient plus les propriétaires actuels du paquebot Le Levant et que le prix de vente du paquebot avait répercuté la valeur de l'aide à la CIL, d'indiquer si l'aide en cause pouvait être récupérée auprès des investisseurs.

44 En réponse, les requérants ont précisé qu'ils estiment que l'aide en cause ne pouvait plus être récupérée auprès d'eux, étant donné que la CIL était le propriétaire du navire Le Levant depuis le 2 janvier 2004 et que la CIL était le véritable bénéficiaire de l'aide ici en cause, puisque cette société avait bénéficié, en tant que propriétaire du navire et entreprise active sur le marché, d'un avantage économique obtenu en dehors des conditions normales du marché du fait de l'intervention des autorités françaises. En conséquence, les requérants se demandaient si l'article 2 de la décision attaquée, aux termes duquel la France devait prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer l'aide auprès des investisseurs, conservait encore un objet. Ils relevaient, ainsi que la décision attaquée le suggère elle-même aux considérants 36 et 40, que l'article 2 du dispositif deviendrait sans objet le jour où la valeur de l'aide serait répercutée sur la CIL, exploitant du navire. Les requérants indiquaient alors que, s'ils maintenaient leur recours en annulation, le Tribunal pourrait en tout état de cause constater que, indépendamment des moyens d'annulation, l'aide en cause ne saurait être récupérée auprès des investisseurs privés d'après la décision attaquée elle-même.

45 La Commission a fait valoir que la seconde question du Tribunal est étrangère à la présente affaire, qui porte sur la légalité de la décision attaquée et qui doit donc être appréciée sur la base des seules informations dont elle disposait dans le cadre de la procédure administrative. La seconde question du Tribunal relèverait en fait de la problématique de l'exécution de la décision litigieuse dans le cadre de laquelle il incombe à l'État membre concerné de s'adresser à la Commission, au titre de la coopération administrative, pour lui faire part de toute éventuelle question ou difficulté que pourrait susciter ou rencontrer ladite exécution.

46 Le 16 décembre 2004, les parties ont été conviées par le Tribunal à assister à une réunion informelle devant le président de la première chambre élargie et le juge rapporteur. Cette réunion s'est tenue au Tribunal le 24 janvier 2005.

47 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, les requérants et la Commission ont été invités à produire certains documents.

48 Par lettre des requérants du 9 août 2005 et par lettre de la Commission du 28 juillet 2005, les parties ont produit les documents demandés par le Tribunal.

49 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 27 septembre 2005.

Conclusions des parties

50 Les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler la décision attaquée ;

- à titre subsidiaire, constater que l'aide en cause ne peut pas être récupérée auprès des investisseurs privés sur la base de l'article 2 de la décision attaquée ;

- condamner la Commission aux dépens.

51 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- déclarer non fondé et rejeter le recours ;

- condamner les requérants aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

En droit

Sur la recevabilité du recours en ce qui concerne certains requérants

1. Sur les pouvoirs établis pour le compte de certaines EURL

- Arguments des parties

52 La Commission fait observer que l'avocat des requérants intervient dans la présente affaire au titre des mandats qui lui sont confiés, d'une part, par le gérant des différentes EURL requérantes, et, d'autre part, par l'associé unique de chacune de ces EURL. Dans ce contexte, elle fait valoir que les mandats donnés à l'avocat par le gérant des différentes EURL sont " signés " par l'apposition d'un tampon et qu'ils ne sont pas datés. En outre, la Commission note que les mandats donnés par les associés uniques de dix EURL - les EURL Le Levant 3, Le Levant 4, Le Levant 73, Le Levant 96, Le Levant 150, Le Levant 153, Le Levant 182, Le Levant 209, Le Levant 272 et Le Levant 273 - ne sont pas datés. Elle souligne également qu'aucun mandat n'a été donné à l'avocat par les associés uniques de huit EURL - les EURL Le Levant 15, Le Levant 20, Le Levant 46, Le Levant 144, Le Levant 203, Le Levant 250, Le Levant 251 et Le Levant 269. La Commission s'en remet à la sagesse du Tribunal pour se prononcer sur la validité desdits mandats.

53 Les requérants font valoir que l'article 44 du règlement de procédure du Tribunal impose seulement que soit rapportée la preuve de ce que le mandat ad litem a été donné à l'avocat par un représentant qualifié à cet effet sans imposer des conditions de forme particulières. Or, dans le cas présent, la Commission ne contesterait pas que le gérant d'une EURL soit pleinement habilité à agir en justice au nom et pour le compte de la société qu'il gère. En outre, les requérants relèvent que, si le Tribunal l'estimait nécessaire, ils pourraient toujours être appelés à régulariser leur recours en application de l'article 44, paragraphe 6, du règlement de procédure.

- Appréciation du Tribunal

54 Selon l'article 44, paragraphe 5, du règlement de procédure :

" Si le requérant est une personne morale de droit privé, il joint à sa requête :

a) ses statuts ou un extrait récent du registre du commerce, ou un extrait récent du registre des associations ou toute autre preuve de son existence juridique ;

b) la preuve que le mandat donné à l'avocat a été régulièrement établi par un représentant qualifié à cet effet. "

55 Or, premièrement, s'agissant du fait que les mandats donnés à l'avocat par le gérant des différentes EURL ne sont pas datés, il y a lieu de relever que ces mandats ont nécessairement été préparés avant l'introduction du recours, puisqu'ils en constituent l'une des annexes. L'absence de date sur ces mandats ne permet donc pas de conclure à l'irrecevabilité du recours des EURL. La même réponse doit être apportée en ce qui concerne l'argument pris du fait que les mandats donnés à l'avocat par les associés uniques de dix EURL - les EURL Le Levant 3, Le Levant 4, Le Levant 73, Le Levant 96, Le Levant 150, Le Levant 153, Le Levant 182, Le Levant 209, Le Levant 272 et Le Levant 273 - ne sont pas datés.

56 Deuxièmement, s'agissant du fait que les mandats donnés à l'avocat par le gérant des différentes EURL ont été signés par l'apposition d'un tampon reprenant la signature, le nom et la qualité dudit gérant, il convient de noter que l'utilisation d'un tel tampon s'explique par le fait que les différentes EURL ont toutes le même gérant comme signataire, lequel, plutôt que d'avoir à signer à la main tous les pouvoirs, a manifesté son consentement par l'utilisation d'un tampon. La signature de ces mandats par l'apposition d'un tampon ne permet donc pas de conclure à l'irrecevabilité du recours des EURL, en l'absence d'autres éléments permettant de remettre en cause le consentement du gérant.

57 Troisièmement, s'agissant du fait qu'aucun mandat n'a été donné à l'avocat par l'associé unique concerné en ce qui concerne huit EURL - les EURL Le Levant 15, Le Levant 20, Le Levant 46, Le Levant 144, Le Levant 203, Le Levant 250, Le Levant 251 et Le Levant 269 -, il suffit de constater que le mandat donné à l'avocat par le gérant suffit pour permettre à cet avocat de représenter les intérêts de ces sociétés, et ce d'autant plus que les observations de la Commission ne remettent pas en cause les pouvoirs du gérant, mais se contentent de critiquer certains aspects formels desdits pouvoirs, à savoir l'absence de date et l'utilisation d'un tampon pour la signature.

58 Il ressort de ce qui précède qu'aucun argument invoqué par la Commission ne permet de remettre en cause la recevabilité du recours en ce qui concerne les différentes EURL.

2. Sur les pouvoirs établis par certaines personnes physiques en leur nom propre

- Arguments des parties

59 La Commission expose que les pouvoirs établis par quatre des 256 personnes physiques qui ont introduit le recours ne comportent pas le lieu et la date de leur signature. Elle s'en remet à la sagesse du Tribunal pour se prononcer sur la validité de tels pouvoirs.

60 Les requérants soutiennent qu'il ne ressort pas du règlement de procédure que le dépôt d'un pouvoir donné à l'avocat constitue une condition de recevabilité de la requête. Il suffirait, en effet, à l'avocat mandaté de justifier de sa qualité et il ne serait tenu de produire une procuration qu'en cas de contestation sur son existence (arrêt de la Cour du 16 février 1965, Barge/Haute autorité, 14-64, Rec. p. 69, et arrêt du Tribunal du 26 septembre 1990, Virgili-Schettini/Parlement, T-139-89, Rec. p. II-535).

- Appréciation du Tribunal

61 Les investisseurs, personnes privées, agissent dans la présente affaire sous une double qualité. La première est celle d'associé unique des EURL requérantes et c'est à ce titre que les investisseurs ont fourni les mandats examinés ci-dessus pour permettre à l'avocat désigné de représenter ces EURL devant le Tribunal. Les investisseurs interviennent également en tant que personnes physiques et c'est à ce titre qu'ils ont donné mandat à l'avocat de les représenter dans la présente affaire.

62 Selon l'article 44, paragraphe 3, du règlement de procédure :

" L'avocat assistant ou représentant une partie est tenu de déposer au greffe un document de légitimation certifiant qu'il est habilité à exercer devant une juridiction d'un État membre ou d'un autre État partie à l'accord EEE. "

63 Il ressort de cette disposition, que l'avocat n'a pas à justifier d'une procuration en bonne et due forme pour l'introduction d'un recours, sauf à produire ce pouvoir en cas de contestation (arrêt Barge/Haute autorité, précité, p. 78).

64 Le règlement de procédure permet donc à des personnes physiques d'être représentées par un avocat sans que celui-ci ait à produire de mandat, alors que tel est le cas pour une personne morale. Il suffit, en principe, que l'avocat présente un document de légitimation attestant son inscription au barreau d'un État membre. Cette formalité est suffisante et il y a été procédé en l'espèce.

65 En tout état de cause, les observations de la Commission portent sur le fait que les pouvoirs introduits par quatre des 256 personnes physiques qui ont introduit le recours ne comportent pas le lieu et la date de leur signature. Lesdits pouvoirs ont toutefois bien été préparés avant l'introduction du recours, puisqu'ils en constituent l'une des annexes, et la question du lieu de leur signature est sans incidence sur la présente affaire. Dès lors, l'absence de date et de lieu sur ces pouvoirs ne soulève pas de contestation susceptible de nécessiter une régularisation.

66 Il ressort de ce qui précède qu'aucun argument invoqué par la Commission ne permet de remettre en cause la recevabilité du recours en ce qui concerne les personnes physiques requérantes.

67 En conséquence, les fins de non-recevoir opposées par la Commission doivent être écartées.

Sur le fond

68 Les requérants invoquent onze moyens à l'appui de leur recours. Le premier moyen est tiré de l'incompétence de la Commission et de la violation de l'article 3, paragraphe 1, sous g), CE, des articles 5 CE, 87 CE et 211 CE ainsi que de la violation de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme et des liberté fondamentales (ci-après la " CEDH "). Le deuxième moyen est pris de la violation des garanties procédurales prévues à l'article 88, paragraphe 2, CE, à l'article 6 du règlement n° 659-1999 et à l'article 6 de la CEDH. Le troisième moyen est tiré de la violation de l'article 87, paragraphe 1, CE. Le quatrième moyen est pris de la violation de l'article 4, paragraphe 7, de la septième directive. Le cinquième moyen est tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime. Le sixième moyen est pris de la violation du principe de sécurité juridique. Le septième moyen est tiré de la violation de l'article 14 du règlement n° 659-1999. Le huitième moyen est pris de l'existence d'inexactitudes matérielles et d'erreurs manifestes d'appréciation des faits. Le neuvième moyen est tiré de la violation de l'obligation de motivation. Le dixième moyen est pris de la violation de l'article 153, paragraphe 2, CE. Le onzième moyen est tiré de la violation du règlement (CE) n° 69-2001 de la Commission, du 12 janvier 2001, concernant l'application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides de minimis (JO L 10, p. 30).

69 Il convient d'examiner, tout d'abord, le deuxième moyen avant d'examiner les arguments développés dans le cadre des troisième et neuvième moyens.

1. Sur le deuxième moyen

- Arguments des parties

70 Les requérants reprochent à la Commission d'avoir violé le droit d'être entendu, prévu à l'article 88, paragraphe 2, CE et à l'article 6 du règlement n° 659-1999, pris pour l'application de cette disposition, ainsi que les principes énoncés à l'article 6 de la CEDH. Ils soutiennent que la décision attaquée leur fait grief, en les désignant comme bénéficiaires directs d'une aide d'État illégale dont ils sont tenus de restituer le montant, et font valoir qu'ils n'ont à aucun moment été utilement invités ou autorisés à faire valoir leurs observations à ce propos.

71 En premier lieu, les requérants soutiennent que la décision d'ouverture ne leur permettait pas de penser qu'ils pouvaient être désignés comme bénéficiaires de l'aide, puisqu'elle laissait entendre que ladite aide avait été accordée au chantier naval ou à la CIL, l'exploitant du navire. Dès lors, du fait de la modification de son analyse relative aux bénéficiaires de l'aide à la suite de la publication de la décision d'ouverture, la Commission aurait dû publier une nouvelle décision d'ouverture, accorder un délai aux requérants pour leur permettre de faire valoir leurs observations, ou prendre toutes les mesures utiles pour attirer leur attention sur le statut inédit qui allait leur être reconnu dans la décision finale, lequel différait significativement du statut envisagé dans la décision d'ouverture. De telles observations auraient été d'autant plus nécessaires que la décision attaquée modifierait la pratique antérieure de la Commission relative à la notion d'" entreprise bénéficiaire " en l'appliquant à des investisseurs privés intervenant au titre d'un placement financier, que cette décision ne tiendrait pas compte de l'approbation antérieure de la loi Pons par la Commission et qu'elle ne prendrait pas non plus en considération le comportement des autorités françaises, qui n'ont pas communiqué la décision d'ouverture aux requérants - pris en tant que bénéficiaires de l'aide - comme cela lui était demandé dans la décision d'ouverture.

72 La Commission souligne que, selon la jurisprudence, l'article 88, paragraphe 2, CE n'exige pas une mise en demeure individuelle, mais seulement que toutes les personnes potentiellement intéressées soient averties de l'ouverture d'une procédure et se voient offrir l'occasion de faire valoir leurs observations à cet égard. Dans ces conditions, la publication d'un avis au Journal officiel apparaît comme un moyen adéquat et suffisant pour faire connaître à tous les intéressés l'ouverture d'une procédure d'enquête formelle (arrêt de la Cour du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323-82, Rec. p. 3809, point 17, et arrêt du Tribunal du 21 janvier 1999, Neue Maxhütte Stalhwerke et Lech-Stahlwerke/Commission, T-129-95, T-2-96 et T-97-96, Rec. p. II-17, point 232). En l'espèce, la décision d'ouverture, publiée au Journal officiel le 5 février 2000, satisferait à ces exigences, dans la mesure où cette publication a fourni aux intéressés des informations générales sur les éléments essentiels du projet d'aide et a exposé les points du dossier sur lesquels la Commission avait des doutes.

73 En outre, la Commission soutient que, quand bien même les requérants estimeraient qu'ils n'étaient pas les bénéficiaires de la mesure d'aide, ils ne seraient pas fondés à soutenir qu'ils n'étaient pas concernés par ladite procédure, puisqu'il ressort de la jurisprudence que les intéressés visés par l'article 88, paragraphe 2, CE sont non seulement l'entreprise ou les entreprises favorisées par une aide, mais tout autant les personnes, entreprises ou associations éventuellement affectées dans leurs intérêts par l'octroi de l'aide, notamment les entreprises concurrentes (arrêt Intermills/Commission, précité, point 16, et arrêt du Tribunal du 21 mars 2001, Hamburger Hafen- und Lagerhaus e.a./Commission, T-69-96, Rec. p. II-1037, point 40).

74 Par ailleurs, en réponse à l'argument des requérants selon lequel elle a modifié son analyse relative aux bénéficiaires de l'aide après la publication de la décision d'ouverture, ce qui aurait dû entraîner la publication d'une nouvelle décision d'ouverture pour respecter leurs garanties procédurales, la Commission soutient que ses griefs à l'encontre de la République française n'ont pas été modifiés dans le cadre de la procédure formelle d'examen. Ainsi, la décision d'ouverture exposerait les doutes de la Commission en ce qui concerne la compatibilité de l'aide au regard de la septième directive et la décision finale apprécierait cette aide par rapport aux conditions prévues à l'article 4, paragraphe 7, de cette directive, pour conclure à son incompatibilité avec le Marché commun.

75 En second lieu, les requérants soutiennent que la Commission a violé l'article 6, paragraphe 1, troisième phrase, du règlement n° 659-1999 en refusant d'accorder la prorogation du délai d'un mois pour présenter ses observations demandée par l'EURL Le Levant 114 dans sa lettre du 19 juillet 2001. Cette demande de prorogation serait pourtant dûment justifiée compte tenu de ce que les investisseurs pouvaient légitimement considérer qu'ils n'étaient pas concernés par la décision d'ouverture et que la Commission n'est pas tenue de rendre une décision dans un délai particulier en matière d'aides d'État.

76 La Commission relève qu'il ressort de la lettre du 13 juillet 2001 de l'EURL Le Levant 114, que celle-ci avait pris connaissance tardivement de la décision d'ouverture, publiée le 5 février 2000. Cette découverte tardive atteindrait également les autres EURL Le Levant, étant donné qu'elles ont toutes pour gérant un membre du personnel de la Banque, et que c'est le gérant de l'EURL Le Levant 114 qui a donné pouvoir au conseil de cette société pour intervenir devant la Commission dans le cadre de la procédure administrative. Dès lors, le fait générateur de la non-intervention de l'EURL Le Levant 114 dans la procédure ayant conduit à l'adoption de la décision attaquée ne serait pas lié au contenu de la décision d'ouverture, mais seulement à la découverte tardive par cette société de la décision d'ouverture et de l'existence de la procédure formelle d'examen. Les requérants ne pourraient donc prétendre que le contenu de la décision d'ouverture les a conduits à considérer qu'ils n'étaient pas concernés par cette procédure et qu'ils auraient de ce fait subi une violation de leurs garanties procédurales. En outre, la Commission relève que le délai normal d'un mois prévu à la suite de la publication de la décision d'ouverture était largement dépassé, comme elle l'a indiqué dans sa lettre du 24 juillet 2001 en réponse aux deux lettres de l'EURL Le Levant 114.

- Appréciation du Tribunal

77 L'article 88, paragraphe 2, premier alinéa, CE dispose :

" Si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu'une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d'État, n'est pas compatible avec le Marché commun aux termes de l'article 87, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l'État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine. "

78 Il ressort de cette disposition que, avant de constater l'incompatibilité d'une aide d'État avec le Marché commun, la Commission doit avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations.

79 La portée de cette obligation est précisée par l'article 1er, sous h), du règlement nº 659-1999, qui définit les " parties intéressées " comme étant " tout État membre et toute personne, entreprise ou association d'entreprises dont les intérêts pourraient être affectés par l'octroi d'une aide, en particulier le bénéficiaire de celle-ci, les entreprises concurrentes et les associations professionnelles ".

80 Dans l'hypothèse où, comme en l'espèce, la procédure formelle d'examen porte sur une aide illégale mise à exécution, la question de l'identification du bénéficiaire de l'aide prend toute son importance, étant donné que l'article 14, paragraphe 1, du règlement n° 659-1999 dispose que, en cas de " décision négative " constatant qu'une telle aide est incompatible avec le Marché commun, " la Commission décide que l'État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l'aide auprès de son bénéficiaire ".

81 Dès lors, les requérants dans la présente affaire, c'est-à-dire les investisseurs qui ont été autorisés à déduire leurs investissements de leurs revenus imposables, devaient être mis en demeure de présenter leurs observations dans le cadre de la procédure administrative, puisqu'ils sont désignés par la décision attaquée en tant que bénéficiaires directs de l'aide (considérant 35) et qu'il s'agit de " parties intéressées " au sens de la définition précitée.

82 L'identification du bénéficiaire de l'aide constitue nécessairement un " élément pertinent de fait et de droit " au sens de la première phrase de l'article 6, paragraphe 1, du règlement n° 659-1999 devant, en vertu de cette disposition, être exposé dans la décision d'ouverture si cela est possible à ce stade de la procédure, puisque c'est sur la base d'une telle identification que la Commission pourra adopter la décision de récupération.

83 En effet, à défaut d'indication sur sa qualité de bénéficiaire de l'aide litigieuse, que ce soit dans la décision d'ouverture ou à un stade ultérieur de la procédure formelle d'examen préalable à l'adoption de la décision finale constatant l'incompatibilité de l'aide avec le Marché commun, ce type de partie intéressée ne peut pas être considéré comme ayant été mis en demeure de présenter ses observations de manière pertinente, puisqu'il peut légitimement penser que de telles observations ne sont pas nécessaires, étant donné qu'il n'est pas désigné comme bénéficiaire de l'aide à récupérer.

84 C'est dans ce contexte, c'est-à-dire afin de savoir si les bénéficiaires de l'aide à récupérer pouvaient effectivement être considérés comme mis en demeure de présenter leurs observations dans le cadre de la procédure administrative, qu'il convient tout d'abord d'examiner la décision d'ouverture publiée au Journal officiel le 5 février 2000.

85 Dans cette décision, la Commission indiquait éprouver des doutes quant au respect des conditions prévues à l'article 4, paragraphe 7, de la septième directive. Elle invitait, également, les parties intéressées à présenter leurs observations dans un délai d'un mois à compter de la date de publication. Le Tribunal constate, toutefois, que la décision d'ouverture ne faisait nulle part allusion aux investisseurs en tant qu'éventuels bénéficiaires de l'aide alléguée, mais laissait penser, au contraire, que ledit bénéficiaire était la CIL, qui était désignée comme étant l'exploitant et le propriétaire final du navire.

86 Ainsi, s'agissant des investisseurs privés, la décision d'ouverture indiquait au troisième alinéa de la partie intitulée " Texte du résumé " :

" Le navire [...] a été financé par des investisseurs privés, qui l'ont ensuite loué à [la] CIL. Ces investisseurs ont été autorisés à déduire leurs investissements de leurs revenus imposables, conformément à un régime fiscal autorisé par la Commission [...] "

87 S'agissant de la CIL, en revanche, cette décision précisait, au même endroit :

" La Commission a estimé que les allégements fiscaux représentaient un équivalent-subvention net de 34 %. Ces allégements ont permis à [la] CIL de louer le navire à un prix très bas. [La] CIL est l'exploitant (et propriétaire final) du paquebot [...] [La] CIL est tenue d'exploiter le navire pendant une durée minimale de cinq ans, au départ et à destination de Saint-Pierre-et-Miquelon principalement, et de le racheter aux investisseurs au terme de cette période. "

88 Dès lors, les investisseurs pouvaient légitimement penser qu'ils n'étaient pas visés par la décision d'ouverture, compte tenu du fait que celle-ci exposait que le régime fiscal en vertu duquel ils avaient été autorisés à déduire leurs investissements de leurs revenus imposables - la loi Pons - avait été autorisé par la Commission.

89 De plus, il ressort du contenu des discussions intervenues entre les autorités françaises et la Commission dans le cadre de la procédure préliminaire d'examen, que le seul bénéficiaire de l'aide mentionné à ce stade de la procédure était la CIL, " l'armateur exploitant " du navire, et non les investisseurs privés (voir lettre du 12 mai 1999, adressée par les autorités françaises à la Commission). C'est d'ailleurs dans ce contexte que la CIL - et non les investisseurs privés - a pu participer à la procédure administrative (voir décision attaquée, considérants 10 et 11).

90 La désignation initiale de la CIL comme bénéficiaire de l'aide alléguée est d'ailleurs corroborée par le fait que la décision d'ouverture se réfère à la notion de bénéficiaire de l'aide au singulier et non au pluriel, comme c'est le cas dans la décision attaquée. Ainsi, la Commission demandait aux autorités françaises, dans la décision d'ouverture (avant-dernier alinéa de la partie intitulée " Texte de la lettre "), de transmettre sans tarder une copie de cette décision au " bénéficiaire de l'aide ".

91 Dès lors, force est de constater que, faute d'avoir été identifiés comme bénéficiaires de l'aide dans la décision d'ouverture, les investisseurs privés n'ont pas été, à ce stade, " mis en demeure de présenter leurs observations " en application de l'article 88, paragraphe 2, CE ni " invités à présenter leurs observations dans un délai déterminé " au sens de l'article 6, paragraphe 1, du règlement n° 659-1999.

92 Dans ces conditions, il convient au surplus d'examiner la réponse apportée par la Commission à la demande présentée par l'EURL Le Levant 114, par lettre du 19 juillet 2001, de proroger le délai d'un mois accordé aux parties intéressées pour présenter leurs observations sur la décision d'ouverture. En effet, l'article 6, paragraphe 1, dernière phrase, du règlement n° 659-1999 dispose que, " [d]ans certains cas dûment justifiés, la Commission peut proroger [le délai normal d'un mois donné aux parties intéressées pour présenter leurs observations sur la décision d'ouverture] ".

93 Or, par lettre du 24 juillet 2001, la Commission a répondu à la lettre de l'EURL Le Levant 114 en constatant que le délai d'un mois à compter de la date de publication de la décision d'ouverture prévu pour le dépôt d'observations par les parties intéressées était " largement dépassé ", sans prendre position sur la demande de prorogation de ce délai présentée par l'EURL Le Levant 114. Ce refus est d'autant plus critiquable que la décision d'ouverture n'identifiait pas les investisseurs privés en tant que bénéficiaires de l'aide à récupérer, mais laissait penser au contraire que le bénéficiaire était la CIL, qui était désignée comme étant l'exploitant et le propriétaire final du navire.

94 Dès lors, faute d'avoir permis à l'EURL Le Levant 114 de présenter ses observations sur la décision d'ouverture en refusant la demande de prorogation sollicitée, sans même exposer les raisons pour lesquelles la demande du 19 juillet 2001 n'était pas " dûment justifiée ", la Commission a violé l'article 6, paragraphe 1, troisième phrase, du règlement n° 659-1999.

95 En l'absence d'une telle irrégularité, c'est-à-dire si les requérants ou l'EURL Le Levant 114 avaient eu effectivement la possibilité dans le cadre de la procédure formelle d'examen de présenter leurs observations sur leur désignation en tant que bénéficiaires de l'aide à récupérer, il ne saurait être exclu que la procédure ait pu aboutir à un résultat différent s'agissant notamment de l'appréciation de l'incompatibilité de l'aide au regard du Marché commun, conformément aux critères définis par l'article 87, paragraphe 1, CE.

96 En outre, il convient de relever que la Commission ne peut se retrancher derrière une lecture formaliste de ses obligations en matière d'aides d'État, dans la mesure où ce qui importe ici tient au fait qu'un particulier à l'encontre duquel la Commission s'apprête à prendre une décision faisant grief en le désignant comme bénéficiaire d'une aide incompatible auprès duquel cette aide doit être récupérée doit pouvoir disposer de la possibilité de faire valoir ses observations préalablement à l'adoption d'une telle décision.

97 Or, en l'espèce, force est de constater que la décision attaquée a été prise sans qu'une telle possibilité n'ait été offerte aux investisseurs privés. En refusant d'entendre l'EURL Le Levant 114 et en n'identifiant pas dans la décision d'ouverture les investisseurs en tant que bénéficiaires de l'aide éventuellement incompatible à récupérer, la Commission a violé un principe général de droit communautaire. Ce principe exige que toute personne à l'encontre de laquelle une décision faisant grief peut être prise doit être mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet des éléments retenus à sa charge par la Commission pour fonder la décision litigieuse. Ainsi, dans le cadre d'une procédure basée sur l'article 86, paragraphe 3, CE (ancien article 90, paragraphe 3, du traité CE), où, comme en matière d'aide d'État, c'est l'État concerné qui est le destinataire de la décision de la Commission, la Cour a reconnu aux entreprises bénéficiaires de la mesure étatique en cause le droit d'être entendu en relevant que ces entreprises étaient les bénéficiaires directs de la mesure étatique contestée, qu'elles étaient nommément désignées par cette mesure et explicitement visées par la décision litigieuse et qu'elles supportaient directement les conséquences économiques de cette décision (arrêt de la Cour du 12 février 1992, Pays-Bas e.a./Commission, C-48-90 et C-66-90, Rec. p. I-565, points 50 et 51).

98 Il ressort de ce qui précède que la Commission a violé l'article 88, paragraphe 2, CE et l'article 6, paragraphe 1, du règlement n° 659-1999.

99 En conséquence, le deuxième moyen doit être déclaré fondé sans qu'il soit besoin d'examiner le grief tiré de la violation des principes dont s'inspire l'article 6 de la CEDH.

2. Sur le troisième moyen, pris de la violation de l'article 87, paragraphe 1, CE et le neuvième moyen, tiré de la violation de l'obligation de motivation

- Arguments des parties

100 En premier lieu, les requérants font valoir que la décision attaquée viole l'article 87, paragraphe 1, CE, en ce qu'elle qualifie les investisseurs privés de bénéficiaires de l'aide alors même que la mesure en cause ne leur confère aucun avantage concurrentiel et n'affecte pas les échanges entre les États membres. Seul l'opérateur économique avantagé, qui se retrouverait dans une position plus favorable que celle de ses concurrents du fait de l'aide, pourrait être qualifié d'entreprise bénéficiaire au sens de cette disposition. La recherche du bénéficiaire réel d'une aide, lequel peut ne pas être le destinataire formel de la mesure, impliquerait ainsi l'identification de l'entreprise qui a la jouissance effective d'un avantage économique lié à ses activités commerciales et susceptible de fausser la concurrence (arrêt de la Cour du 21 mars 1991, Italie/Commission, C-303-88, Rec. p. I-1433, point 57).

101 En l'espèce, les requérants soutiennent qu'il existe une différence fondamentale entre les investisseurs privés, qui sont les destinataires directs des avantages fiscaux concédés, et l'entreprise concernée, à savoir l'exploitant CIL, qui est le bénéficiaire indirect de l'avantage économique sur le marché en cause et, par conséquent, le bénéficiaire de l'aide d'État (voir, pour un cas de distinction entre bénéficiaire d'un avantage fiscal et bénéficiaire d'un avantage économique, arrêt de la Cour du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C-156-98, Rec. p. I-6857, points 26 et 27). L'avantage fiscal ne serait qu'un moyen dans le mécanisme de l'aide, et non un avantage effectif faussant la concurrence au niveau des investisseurs privés. Ainsi, la décision attaquée confondrait l'avantage fiscal, dont les investisseurs privés bénéficient directement comme cela est indiqué au considérant 35, avec l'avantage concurrentiel susceptible d'en découler indirectement, dont seule la CIL bénéficie. Le fait que les investisseurs bénéficient d'un avantage fiscal ne permettrait pas de conclure qu'ils bénéficient d'un avantage concurrentiel sur un marché déterminé affectant les échanges entre États membres.

102 De même, les requérants soutiennent que la décision attaquée viole l'obligation de motivation en ce qu'elle ne précise pas en quoi consiste l'avantage reçu par les investisseurs privés (arrêt de la Cour du 24 octobre 1996, Allemagne e.a./Commission, C-329-93, C-62-95 et C-63-95, Rec. p. I-5151, point 56). Sur ce point, ils critiquent le fait que la décision attaquée, sans rechercher l'avantage économique dont, n'exerçant aucune responsabilité dans l'utilisation du navire, ils pouvaient bénéficier, les retient néanmoins en tant que bénéficiaires de l'aide du simple fait qu'ils bénéficient d'un allégement de leur impôt sur le revenu en relevant au considérant 39 que, bien qu'il soit douteux qu'aucun des investisseurs privés individuels puisse être jugé responsable de l'utilisation abusive de l'aide, ce sont néanmoins ces investisseurs qui ont bénéficié des allégements fiscaux et qui continuent à en bénéficier en tant que propriétaires d'un navire acheté à des conditions favorables.

103 La décision attaquée présenterait également une contradiction de motifs en ce qu'elle tenterait d'attribuer aux investisseurs privés les effets d'un avantage économique, alors que celui-ci serait accordé en réalité soit au chantier au titre de la construction navale, soit à la CIL, dans le cadre de la gestion et de l'exploitation du navire. Ainsi, en ce qui concerne le chantier naval, le considérant 41 de la décision attaquée relève que ce n'est pas auprès de lui que l'aide devra être récupérée étant donné qu'il ne peut être tenu responsable de l'utilisation du navire après sa livraison. Or, peu avant, le considérant 37 expose que l'on peut considérer que le chantier naval a bénéficié indirectement de l'aide dans la mesure où elle lui a permis d'obtenir une commande qui ne lui aurait peut-être pas été attribuée autrement. De même, s'agissant de la CIL, la Commission aurait dû lui imputer la responsabilité du prétendu non-respect des règles de fond de l'OCDE, dans la mesure où cette société est responsable de l'utilisation du navire. De ce point de vue, la décision attaquée n'expliquerait pas comment la récupération auprès des investisseurs privés aura pour effet de priver l'exploitant et le gérant de la copropriété du bénéfice final de l'avantage économique une fois que le navire lui aura été vendu à un prix avantageux.

104 En deuxième lieu, les requérants soutiennent que la décision attaquée viole l'article 87, paragraphe 1, CE et l'obligation de motivation, en ce qu'elle n'expose pas en quoi l'aide en cause est susceptible d'affecter la concurrence et les échanges dans la Communauté (arrêts de la Cour, Intermills/Commission, précité, point 38 ; du 13 mars 1985, Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission, 296-82 et 318-82, Rec. p. 809, points 22 à 24, et Allemagne e.a./Commission, précité, points 52 et 53). En particulier, les requérants relèvent que la décision attaquée n'identifie pas le marché sur lequel la concurrence aurait été faussée et sur lequel les investisseurs privés seraient avantagés. Ainsi, la décision attaquée ne permettrait pas de savoir si le marché pertinent est le marché des services de croisières ou le marché de produits relatif aux navires de croisières, pas plus qu'elle ne permettrait de savoir quelle est la dimension géographique d'un tel marché, qui pourrait être mondial, régional ou localisé à Saint-Pierre-et-Miquelon. De même, la décision attaquée n'identifierait pas la distorsion de concurrence ici en cause, ce qui serait d'autant plus difficile que la loi Pons est applicable à tous les contribuables et qu'une mesure fiscale qui profite de la même manière à tous les contribuables ne fausse pas la concurrence [voir communication (CE) 96-C 266-14 de la Commission au titre de l'article [88], paragraphe 2, du traité CE, adressée aux autres États membres et autres intéressés concernant des aides que l'Espagne a accordées à l'achat de véhicules industriels, Plan Renove Industrial (JO 1996, C 266, p. 10]. La loi Pons ne serait sélective que du point de vue des bénéficiaires finals, en ce qu'elle ne profite pleinement qu'à certaines entreprises installées dans les territoires français d'outre-mer. Enfin, la situation fiscale des investisseurs privés n'affecterait nullement les échanges entre États membres.

105 En troisième lieu, les requérants notent que la décision 1999-719-CE de la Commission, du 30 mars 1999, concernant l'aide d'État que la France envisage d'accorder à titre d'aide au développement pour la vente de deux paquebots construits aux Chantiers de l'Atlantique et exploités par Renaissance Financial en Polynésie française (JO L 292, p. 23, ci-après la " décision Renaissance "), qui déclare compatible avec le Marché commun une aide qu'envisageait d'accorder la République française sous la forme d'avantages fiscaux octroyés à des investisseurs privés dans le cadre de la loi Pons, reprend cette distinction entre l'investisseur et l'entrepreneur, puisqu'elle indique que Renaissance Financial, et non les investisseurs personnes physiques, devait être considéré comme le bénéficiaire réel de l'aide. En outre, la décision Renaissance indiquerait également que le bénéficiaire réel de l'aide serait le chantier naval dans l'hypothèse où les conditions exposées par cette décision ne seraient pas respectées et où, notamment, l'aide ne s'avérerait pas conforme à l'article 4, paragraphe 7, de la septième directive. Par ailleurs, en ce qui concerne l'application des critères de l'OCDE, et notamment la condition de résidence du propriétaire réel et la condition selon laquelle l'entreprise bénéficiaire de l'aide ne doit pas être une filiale non opérationnelle d'une compagnie étrangère, ni la décision Renaissance, ni la décision 92-569-CEE de la Commission, du 31 juillet 1992, concernant un projet d'aide de l'Allemagne en faveur de Cosco (Chine) pour l'achat de quatre navires porte-conteneurs (JO L 367, p. 29, ci-après la " décision Cosco "), ni la décision d'ouverture dans la présente affaire n'identifierait les investisseurs concernés en tant que propriétaire réel du navire ou en qualité de bénéficiaire de l'aide.

106 En premier lieu, la Commission fait valoir que l'opération Le Levant a été mise en œuvre pour permettre aux investisseurs privés de bénéficier d'un avantage fiscal. Le fait que ce montage serait légal en droit français n'assurerait pas en lui-même sa légalité au regard des règles applicables aux aides d'État. À cet égard, après avoir rappelé que les cas d'application de la loi Pons en matière de construction navale devaient lui être notifiés, la Commission soutient que chaque investisseur privé a bénéficié, dans le cadre de son impôt sur le revenu, du fait de la transparence fiscale des EURL, de la déduction prévue par la loi Pons en faveur de certaines entreprises investissant outre-mer. En conséquence, l'aide d'État résultant du bénéfice de la loi Pons sous forme d'allégement fiscal opérerait comme une aide au fonctionnement au profit de l'offre de croisières par les propriétaires et exploitants du navire.

107 En deuxième lieu, la Commission fait valoir que la décision attaquée expose clairement dès son intitulé que l'aide en cause concerne l'exploitation d'un paquebot destiné à être exploité à Saint-Pierre-et-Miquelon. L'analyse développée par la Commission en ce qui concerne l'évaluation de la composante " développement " et des retombées économiques de l'opération Le Levant montre également que c'est bien à l'exploitation d'un navire de croisières et à l'offre de croisières que la décision attaquée se réfère. Cela ressort aussi de la nature même de la Loi Pons et des caractéristiques de l'opération Le Levant. La Commission souligne également que la décision attaquée expose clairement que les investisseurs, alors propriétaires du navire, ont obtenu des avantages fiscaux destinés à compenser les difficultés particulières d'un investissement productif destiné à être exploité outre-mer pour une période de cinq ans au terme de laquelle ils devaient vendre le navire à la CIL à un prix qui répercuterait l'aide à cette dernière, de sorte que celle-ci ne serait le bénéficiaire final de l'aide que lorsque le navire lui aurait été vendu à un prix avantageux (décision attaquée, considérants 36, 39 et 40). Enfin, la Commission relève que le considérant 16 de la décision attaquée précise le cadre dans lequel allait être menée l'appréciation de l'aide en cause, à savoir l'article 4, paragraphe 7, de la septième directive, et que le considérant 33 constitue la conclusion de cette appréciation, à savoir que cette aide ne respectait pas les critères envisagés par cette disposition. Aucun élément ne permettrait de déduire de cette analyse que le bénéficiaire de l'aide devait être le chantier naval.

108 En troisième lieu, la Commission soutient que la décision attaquée ne contredit pas sa pratique décisionnelle antérieure. S'agissant de la décision Renaissance, elle note qu'il s'agissait effectivement d'un cas d'application de la loi Pons et que les autorités françaises avaient indiqué à la Commission que le schéma de financement en cause prévoyait l'intervention de structures concernant des particuliers et que, lorsque l'investissement serait loué en crédit-bail à l'entreprise exploitante, l'administration vérifierait que l'avantage fiscal avait été rétrocédé à cette dernière par une minoration des redevances mises à sa charge. Cependant, cette décision avait été adoptée sur la base des informations fournies par l'État membre selon lesquelles les investisseurs en cause étaient des sociétés métropolitaines et le montage retenu permettait la rétrocession effective de l'aide fiscale à l'armateur exploitant, soit une configuration matérielle différente de celle de la présente affaire. S'agissant de la décision Cosco, la Commission relève que la situation était fondamentalement différente de la situation présente, étant donné que l'armateur chinois Cosco avait commandé des porte-conteneurs auprès de chantiers navals allemands et que l'aide notifiée était destinée à couvrir une partie du prix contractuel des navires en cause.

- Appréciation du Tribunal

109 L'article 87, paragraphe 1, CE, dispose que " [s]auf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le Marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ".

110 La qualification d'aide, au sens d'aide d'État incompatible avec le Marché commun, requiert que toutes les conditions visées à cette disposition soient remplies (arrêts de la Cour du 21 mars 1990, Belgique/Commission, dit " Tubemeuse ", C-142-87, Rec. p. I-959, point 25 ; du 16 mai 2002, France/Commission, C-482-99, Rec. p. I-4397, point 68, et du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C-280-00, Rec. p. I-7747, point 74). Il découle de l'article 87, paragraphe 1, CE que ces conditions sont les suivantes. Premièrement, il doit s'agir d'une intervention de l'État ou au moyen de ressources d'État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d'affecter les échanges entre États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage à son bénéficiaire en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence.

111 Il y a également lieu de rappeler qu'il ressort d'une jurisprudence constante que la motivation d'une décision individuelle faisant grief doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink's France, C-367-95 P, Rec. p. I-1719, point 63).

112 Dans l'appréciation de l'incompatibilité de l'aide, la décision attaquée se limite à indiquer que l'aide accordée pour le navire Le Levant doit être appréciée au regard de l'article 4, paragraphe 7, de la septième directive, " étant donné qu'il s'agit d'une aide liée à la construction navale qui a été accordée comme aide au développement en 1996 dans le cadre d'un régime d'aide (la loi Pons) autorisé en 1992 " (considérant 16). Selon la décision, si l'aide satisfait aux critères de l'aide au développement définis par l'OCDE, qui ont été exposés dans la lettre du 3 janvier 1989 adressée par la Commission aux États membres (considérants 18, 19 et 21), elle ne comporte toutefois pas une véritable composante " développement " (considérants 20, 22 à 33). En conséquence, la décision attaquée déclare que l'aide est incompatible avec le Marché commun.

113 Pour autant, la décision attaquée n'examine pas en quoi les conditions fixées à l'article 87, paragraphe 1, CE pour établir l'incompatibilité de l'aide avec le Marché commun sont satisfaites en l'espèce.

114 Le Tribunal rappelle que l'existence des conditions prévues par l'article 87, paragraphe 1, CE est indispensable pour qu'une aide d'État soit incompatible avec le Marché commun. En effet, si l'aide en question est compatible avec le Marché commun, parce que les conditions énoncées par l'article 87, paragraphe 1, CE ne sont pas réunies, la septième directive - adoptée sur la base de l'article 87, paragraphe 3, sous e), CE - ne s'applique pas, puisque cette directive suppose nécessairement que l'aide en cause soit incompatible avec le Marché commun en vertu de l'article 87, paragraphe 1, CE.

115 À cet égard, et en premier lieu, s'agissant de la condition liée à l'affectation des échanges entre les États membres énoncée par l'article 87, paragraphe 1, CE, il ressort de la décision attaquée que l'aide en cause concerne l'exploitation d'un navire destiné à être exploité à Saint-Pierre-et-Miquelon (intitulé et considérant 5).

116 Or, force est de rappeler que l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon est une collectivité territoriale française située dans l'Atlantique nord au large des côtes de Terre-Neuve. Il s'agit d'un " pays et territoires d'outre-mer " (PTOM) qui ne fait pas partie du territoire communautaire.

117 En l'absence de toute explication sur ce point, la décision attaquée ne permet pas de comprendre en quoi l'aide accordée dans le cadre de l'opération Le Levant est susceptible d'affecter les échanges entre les États membres conformément aux termes énoncés par l'article 87, paragraphe 1, CE.

118 En deuxième lieu, s'agissant de la condition liée à l'identification de l'avantage accordé au bénéficiaire de l'aide et du fait qu'il favorise certaines entreprises ou certaines productions, il ressort de la décision attaquée que si les bénéficiaires directs de l'aide étaient les investisseurs privés, les effets de l'aide sur la concurrence étaient liés au fait pour la CIL de pouvoir exploiter le navire à des conditions favorables depuis Saint-Pierre-et-Miquelon (article 1er et considérant 5).

119 Cependant, étant donné que le chantier naval n'a pas bénéficié directement de l'aide (considérant 37), que les investisseurs privés ne sont identifiés par la décision attaquée qu'en tant que propriétaire d'un navire qui a ensuite été loué à la CIL (considérant 5) et que la CIL, qui exploite ledit navire à des conditions favorables, n'est pas le bénéficiaire de l'aide à ce stade et partant ne peut pas être considérée comme responsable de son remboursement (considérant 40), la question se pose de savoir en quoi, dans ces conditions, le fait, de la part desdits investisseurs, de financer la construction d'un bateau grâce à des allégements fiscaux leur octroie un avantage à même de favoriser certaines entreprises ou certaines productions.

120 En n'examinant pas en quoi le fait pour les investisseurs privés d'être bénéficiaires d'un avantage fiscal constitue un avantage concurrentiel au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE, alors même que ledit avantage concurrentiel est attribué à la CIL par la décision attaquée, la décision attaquée ne permet donc pas de comprendre pour quelles raisons les investisseurs privés sont avantagés par l'aide en cause.

121 De même, la décision attaquée ne fournit aucune explication permettant de comprendre en quoi le fait pour les investisseurs privés de louer le bateau à la CIL pourrait être à même de transférer un éventuel avantage concurrentiel des investisseurs privés à l'exploitant du navire.

122 Sur ce point, il convient, d'ailleurs, de relever que la décision attaquée s'écarte de la solution adoptée par la Commission dans la décision Renaissance. Dans cette affaire, la Commission a déclaré compatible avec le Marché commun une aide accordée par la France sous la forme d'avantages fiscaux octroyés en application de la loi Pons pour la construction de deux paquebots destinés à être exploités par Renaissance Financial en Polynésie française. Le montage financier en cause était semblable à celui utilisé pour la présente affaire, étant donné qu'il envisageait également l'acquisition de la propriété des navires par des investisseurs privés, lesquels ont loué par la suite les navires à Renaissance Financial afin que cette société puisse les exploiter pendant cinq ans en Polynésie française. Or, dans la décision Renaissance, la Commission a considéré que le bénéfice de l'aide était transféré des investisseurs privés à l'exploitant du navire, qui en était le bénéficiaire réel, du fait de la location des navires par cet exploitant et de son engagement de racheter ces navires à l'issue d'une période de cinq ans.

123 En troisième lieu, s'agissant de la condition liée au fait de fausser ou de menacer de fausser la concurrence, force est de constater - comme la Commission l'a reconnu lors de l'audience - que la décision attaquée ne comporte pas d'indications permettant de déterminer en quoi et sur quel marché la concurrence est affectée ou susceptible d'être affectée par l'aide.

124 Cette absence d'analyse est d'autant plus caractérisée que, en réponse aux observations présentées par les autorités françaises à la Commission le 14 juin 2000, où ces autorités faisaient valoir que Saint-Pierre-et-Miquelon profitait du rayonnement commercial induit par le navire Le Levant, parce que plusieurs compagnies maritimes avaient manifesté l'intention d'y faire escale, la décision attaquée relève au considérant 31 qu'il n'était pas nécessaire de tenir compte de ces observations pour apprécier la compatibilité de l'aide avec le Marché commun, étant donné que cette affirmation n'était pas quantifiée et ne pouvait probablement pas l'être et qu'une telle affirmation ne concernait pas directement la composante " développement " de l'opération Le Levant. Ce faisant, la Commission a refusé d'examiner les données relatives à un éventuel marché des croisières dans l'archipel, ou ailleurs, sur lequel pourrait intervenir la distorsion de concurrence.

125 En conséquence, la décision attaquée ne permet pas de comprendre en quoi l'aide ici en cause répond à trois des quatre conditions définies à l'article 87, paragraphe 1, CE pour établir l'incompatibilité de ladite aide au regard du Marché commun.

126 En outre, il y a lieu de relever que l'aide a été consentie en application d'un régime fiscal - la loi Pons - autorisant des allégements fiscaux pour les investissements réalisés dans les départements et territoires d'outre-mer, et que ce régime avait été autorisé par la Commission en 1992 (considérants 5 et 16).

127 Le communiqué de presse publié par la Commission le 23 décembre 1992 au sujet de la loi Pons indiquait que son appréciation s'était fondée " sur la situation socio-économique des départements français d'outre-mer qui justifie leur maintien dans les zones pouvant bénéficier de la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, sous a), du traité CE [devenu article 87, paragraphe 3, sous a), CE] ". Cette dérogation vise l'hypothèse des aides destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi.

128 La décision attaquée ne permet donc également pas de comprendre en quoi l'aide en cause n'est pas susceptible de bénéficier de la décision antérieure de la Commission de ne pas soulever d'objections à l'encontre des mesures fiscales prévues par la loi Pons, s'agissant notamment des investissements productifs dans le secteur du tourisme à Saint-Pierre-et-Miquelon.

129 Il convient, d'ailleurs, de souligner que la pratique antérieure de la Commission montre que, dans d'autres décisions concernant les aides à la construction navale, elle a examiné si les conditions de l'article 87, paragraphe 1, CE étaient remplies [décision Cosco ; décision 1999-657-CE de la Commission, du 3 mars 1999, concernant une aide attribuée par l'Allemagne comme aide au développement à l'Indonésie pour la construction de deux dragues par Volkswerft Stralsund et leur vente à Pengerukan (Rukindo) (JO L 259, p. 19), et décision 1999-675-CE de la Commission, du 8 juillet 1999, relative aux aides d'État accordées par la République fédérale d'Allemagne à la société Kvaener Warnow Werft GmbH (JO L 274, p. 23)].

130 En particulier, dans la décision Cosco, la Commission a examiné l'aide non seulement sous l'angle de l'article 4, paragraphe 7, de la septième directive, mais aussi sur la base de l'article 87, paragraphe 1, CE. Dans cette affaire, l'aide en cause était une aide au développement que le Gouvernement allemand envisageait d'accorder à la République populaire de Chine sous la forme d'un crédit pour le financement de navires porte-conteneurs. Ces navires devaient être exploités par Cosco, une société d'État établie à Pékin. La construction de ces navires devait être effectuée en Allemagne par des chantiers navals allemands. En l'espèce, dans la décision Cosco, la Commission a conclu que l'aide en cause faussait ou risquait de fausser la concurrence dans le Marché commun et affectait les échanges entre États membres, tant dans le secteur de la construction navale que dans celui du transport maritime, dans une mesure contraire à l'intérêt commun, au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE.

131 Il ressort de tout ce qui précède que la décision attaquée comporte un vice de motivation tel que le Tribunal n'est pas en mesure d'exercer son contrôle.

132 En conséquence, le neuvième moyen doit également être déclaré fondé, et, dès lors, la décision attaquée doit être annulée en ce que la Commission a violé l'obligation de motivation que lui impose l'article 253 CE, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs et moyens invoqués par les requérants.

Sur la possibilité pour les requérants et la Commission de se prévaloir de certains documents joints à la requête

- Arguments des parties

133 La Commission fait valoir que les requérants ne peuvent pas se prévaloir devant le Tribunal des éléments de fait qui ne faisaient pas partie de la procédure administrative (arrêt du Tribunal du 6 octobre 1999, Kneissl Dachstein/Commission, T-110-97, Rec. p. II-2881, point 102), tout en relevant que la question de la participation des requérants à ladite procédure est discutée dans le cadre du fond du litige. Ces éléments seraient superflus lorsqu'ils réitèrent des faits exposés dans des documents qui faisaient partie de la procédure administrative et irrecevables lorsqu'ils soulèvent des éléments de faits qui ne faisaient pas partie de la procédure administrative. À ce dernier titre, la requérante ne devrait pas se prévaloir des documents suivants dans le cadre de la procédure judiciaire : la demande d'agrément de l'opération Le Levant présentée par la Banque et la CIL le 19 août 1996, la décision d'agrément de l'opération délivrée par le ministère du Budget français le 26 novembre 1996, le visa et la notice de la Commission des opérations de bourse française du 3 décembre 1996, le protocole d'accord du 9 décembre 1996 entre la Banque et la CIL, le mandat de gestion de l'exploitation du navire par la CIL, les promesses de vente et d'achat croisées entre la Banque et la CIL et les promesses de vente et d'achat croisées entre les EURL et la Banque.

134 Pour autant, la Commission soutient qu'elle est en droit, pour ce qui la concerne, de se fonder sur ces documents pour démontrer le caractère non fondé des prétentions de la requête et que le Tribunal est habilité à en tenir compte.

135 Les requérants exposent que le raisonnement de la Commission suppose que la procédure administrative se déroule de façon transparente et équitable, ce qui n'a pas été le cas dans la présente affaire. De plus, les documents cités par la Commission devraient nécessairement être examinés dans le cadre du recours, étant donné qu'ils sont liés aux moyens d'annulation qui y sont invoqués. En outre, ces documents et les assertions qui en découlent ne porteraient pas sur la procédure administrative, mais sur l'opération Le Levant, et ils permettraient d'identifier les erreurs méthodologiques commises par la Commission.

- Appréciation du Tribunal

136 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre d'un recours en annulation introduit en vertu de l'article 230 CE, la légalité d'un acte communautaire doit être appréciée en fonction des éléments de fait existant à la date où l'acte a été adopté. En particulier, les appréciations portées par la Commission ne doivent être examinées qu'en fonction des seuls éléments dont celle-ci disposait au moment où elle les a effectuées (arrêt du 3 octobre 2002, France/Commission, précité, point 34 ; arrêts du Tribunal du 25 juin 1998, British Airways e.a./Commission, T-371-94 et T-394-94, Rec. p. II-2405, point 81 ; Kneissl Dachstein/Commission, précité, point 47, et du 11 mai 2005, Saxonia Edelmetalle/Commission, T-111-01 et T-133-01, non encore publié au Recueil, point 67).

137 En l'espèce, la question de l'utilisation des documents litigieux ne se pose plus, puisque le Tribunal a décidé d'annuler la décision attaquée pour vices de procédure et défaut de motivation.

138 En tout état de cause, dans le cadre du deuxième moyen, le Tribunal a jugé que la Commission a méconnu ses obligations et qu'elle n'a pas adopté les mesures nécessaires pour permettre aux requérants de présenter leurs observations dans le cadre de la procédure formelle d'examen prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE.

139 Partant, les requérants pouvaient se prévaloir des documents litigieux à l'appui de leur demande d'annulation de la décision attaquée et la Commission pouvait contester ces arguments dans le cadre de la procédure judiciaire. Cependant, en toute hypothèse, l'appréciation desdits documents par le Tribunal ne pourrait se faire que dans les limites des pouvoirs dont il dispose. En effet, si ces documents contiennent des éléments de fait susceptibles de contredire les éléments de fait dont disposait la Commission dans le cadre de la procédure administrative et sur la base desquels elle a adopté la décision attaquée, le Tribunal ne peut se substituer à la Commission pour apprécier l'incidence économique ou juridique que lesdits faits pourraient avoir sur son analyse. Comme la Commission le soutient à juste titre dans ses mémoires (défense, point 110), si le Tribunal se livrait à un tel exercice, il mènerait sa propre analyse et tirerait ses propres conclusions des faits nouveaux allégués plutôt que d'apprécier la légalité de la décision attaquée. Or, telle n'est pas la fonction du Tribunal. Si le juge communautaire ne peut substituer sa propre appréciation en fait, notamment sur le plan économique, à celle de l'auteur de la décision (arrêt de la Cour du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225-91, Rec. p. I-3203, point 23, et arrêt du Tribunal du 15 juin 2000, Alzetta e.a./Commission, T-298-97, T-312-97, T-313-97, T-315-97, T-600-97 à T-607-97, T-1-98, T-3-98 à T-6-98 et T-23-98, Rec. p. II-2319, point 130), il ne peut émettre à plus forte raison une appréciation de novo en se basant sur des faits qui ne faisaient pas partie de la procédure administrative devant la Commission.

Sur les dépens

140 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens et les dépens exposés par les requérants, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie)

déclare et arrête :

1) La décision 2001-882-CE de la Commission, du 25 juillet 2001, concernant l'aide d'État mise à exécution par la France sous forme d'aide au développement pour le paquebot Le Levant construit par Alstom Leroux Naval et destiné à être exploité à Saint-Pierre-et-Miquelon est annulée.

2) La Commission supportera ses propres dépens et les dépens exposés par les requérants, y compris ceux afférents à la procédure de référé.