CJCE, 23 avril 1986, n° 294-83
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Parti écologiste "Les Verts"
Défendeur :
Parlement européen
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Mes Lallement, Lyon-Caen
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 28 décembre 1983, " Les Verts - Parti écologiste ", association à but non lucratif dont le siège est à Paris et dont la constitution a été déclarée à la Préfecture de police le 3 mars 1980, a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation, d'une part, de la décision du bureau du Parlement européen du 12 octobre 1982 concernant la répartition des crédits inscrits au poste 3708 du budget général des Communautés européennes et, d'autre part, de la décision du bureau élargi du Parlement européen du 29 octobre 1983 portant adoption de la règlementation pour l'utilisation des crédits destinés au remboursement des dépenses des formations politiques qui auront pris part aux élections européennes de 1984.
2. Le poste 3708 a été inscrit au budget général des Communautés européennes pour les exercices 1982, 1983 et 1984, dans la section relative au Parlement européen, sous le titre 3 concernant les dépenses résultant de l'exercice par l'institution de missions spécifiques (JO 1982, L 31, p. 114, JO 1983, L 19, p. 112, et JO 1984, L 12, p. 132). Ce poste prévoit une contribution destinée à la préparation de la prochaine élection européenne. Le commentaire dont il est assorti dans les budgets pour 1982 et 1983 est identique. Il énonce que " ce crédit doit servir au cofinancement de la préparation de l'information concernant la deuxième élection directe qui aura lieu en 1984 " et que " le bureau du Parlement européen précisera les modalités de ces dépenses ". Le commentaire figurant dans le budget pour 1984 précise que ce cofinancement interviendra " conformément à la décision du bureau du 12 octobre 1982 ". Au total, 43 millions d'écus ont été affectés à ce poste.
3. Le 12 octobre 1982, le bureau, qui est composé du président et des douze vice-présidents du Parlement, a adopté, sur proposition des présidents des groupes politiques, une décision concernant la répartition des crédits inscrits au poste 3708 (ci-après la décision de 1982). Le bureau siégeait à cette occasion en présence des présidents des groupes politiques et des délégués des membres non inscrits. L'un des groupes politiques, celui de coordination technique, a marqué son opposition au principe de l'octroi de fonds aux groupes politiques pour la campagne électorale.
4. Cette décision, qui n'a pas été publiée, prévoit que les crédits inscrits au poste 3708 du budget du Parlement européen sont répartis chaque année entre les groupes politiques, les membres non inscrits et un fonds de réserve pour 1984. Cette répartition se fait de la manière suivante : a) chacun des sept groupes reçoit une allocation forfaitaire égale à 1 % du montant total des crédits ; b) il reçoit, en outre, pour chacun de ses membres, 1/434 du montant total des crédits diminue de celui des allocations forfaitaires ; c) chacun des membres non inscrits reçoit également 1/434 du montant total des crédits diminue des allocations forfaitaires ; d) le montant total des sommes attribuées aux groupes politiques et aux membres non inscrits en vertu des règles énoncées sous b) et c) ne peut dépasser 62 % du montant total des crédits inscrits au poste 3708 ; e) chaque année, un montant, égal à 31 % du montant total des crédits inscrits au poste 3708 est affecté à la constitution d'un fonds de réserve. En ce qui concerne ce fonds de réserve, il est prévu qu'il sera reparti, en fonction du nombre de voix obtenues, entre toutes les formations politiques qui auront recueilli aux élections de 1984 soit plus de 5 % des votes valablement exprimés dans l'Etat membre ou elles auront présenté des candidats, soit plus de 1 % des votes valablement exprimés dans au moins trois Etats membres ou elles auront présenté des candidats (ci-après clause des 1 %). Il est annoncé enfin que les détails relatifs à la répartition de cette réserve seront précisés ultérieurement.
5. Le 12 octobre 1982, le bureau du Parlement européen, siégeant dans les mêmes conditions, a encore arrêté des dispositions sur l'utilisation, par les groupes politiques, des moyens financiers destinés à la campagne d'information précédant les élections européennes de 1984 (ci-après les règles de 1982 sur l'utilisation des crédits). Ces dispositions, qui n'ont pas été publiées, correspondent aux recommandations présentées par un groupe de travail composé des présidents des groupes politiques et présidé par le président du Parlement européen.
6. Du point de vue de l'utilisation des fonds, les règles sont les suivantes. Les crédits mis à la disposition des groupes politiques ne peuvent être utilisés que pour le financement d'activités qui sont en rapport direct avec la préparation et l'exécution de la campagne d'information en vue des élections de 1984. Les dépenses administratives (notamment les traitements de collaborateurs occasionnels, les frais de location de locaux et d'équipements lourds de bureau, les frais de télécommunication) ne peuvent s'élever à plus de 25 % du crédit attribué. L'acquisition de biens immobiliers ou de mobilier de bureau est interdite. Les groupes doivent déposer les fonds qui leur sont attribués dans un compte spécifiquement ouvert à cet effet.
7. Les présidents des groupes politiques sont désignés comme responsables de l'utilisation des fonds à des fins compatibles avec les dispositions adoptées. En dernier ressort, l'utilisation des fonds doit être justifiée auprès des autres instances de contrôle, responsables pour la vérification des fonds du Parlement européen.
8. Sous l'angle comptable, ces dispositions prescrivent la tenue d'une comptabilité séparée de l'état des rentrées et des dépenses relatives aux autres activités des groupes. Ceux-ci doivent se doter de systèmes comptables dont les modalités sont précisées. Ces systèmes doivent distinguer les dépenses selon trois secteurs (dépenses administratives, frais de réunion, dépenses de publication et de publicité), eux-mêmes subdivisés par projets. Chaque année, à compter de la date du premier transfert de crédits aux groupes, ceux-ci doivent présenter un rapport sur l'utilisation qui a été faite des fonds (paiements, engagements, réserves) au cours de la période considérée. Ce rapport doit être transmis au président du Parlement européen et au président de la Commission du contrôle budgétaire.
9. Sous le titre " restitution des crédits non utilisés ", il est spécifié que les crédits mis à disposition peuvent être utilisés au plus tard jusqu'à une limite de quarante jours avant la date des élections pour contracter des engagements de paiement, à la condition que le paiement soit effectué au plus tard quarante jours après la date des élections. Tous les crédits dont l'utilisation ne correspond pas aux deux critères susmentionnés doivent être restitués au Parlement européen dans un délai de trois mois à compter des élections. Le cas échéant, le Parlement européen peut recouvrer les sommes qui lui reviennent en procédant à une retenue d'un montant égal sur les crédits à verser aux groupes au titre du poste 3706 (activités politiques supplémentaires).
10. Le 29 octobre 1983, le bureau élargi, qui est composé du bureau et des présidents des groupes politiques, a adopté la " règlementation pour l'utilisation des crédits destinés au remboursement des dépenses des formations politiques qui auront pris part aux élections de 1984 " (JO C 293, p. 1) (ci-après la règlementation de 1983).
11. Cette règlementation précise, comme cela avait été annoncé dans la décision de 1982, la clé de répartition de la réserve de 31 %. Les conditions relatives au seuil électoral que les formations politiques doivent avoir franchi pour pouvoir participer à cette répartition sont celles qui étaient déjà énoncées dans la décision de 1982. La règlementation de 1983 ajoute que les formations politiques qui désirent profiter de la clause des 1 % doivent déposer, au plus tard quarante jours avant les élections, une déclaration d'apparentement auprès du secrétaire général du Parlement européen. Elle contient encore diverses règles relatives à la mise à disposition des fonds. Pour les partis, listés ou alliances représentés, les fonds sont mis à la disposition des groupes politiques et des membres non inscrits à compter de la première séance après les élections. Pour les partis, listes ou alliances non représentés, il est prévu que :
- les demandes de remboursement doivent être présentées au secrétaire général du Parlement européen dans un délai de 90 jours à compter de la publication des résultats dans l'Etat membre concerné, accompagnées des pièces justificatives ;
- la période au cours de laquelle des dépenses peuvent être considérées comme dépenses relatives aux élections de 1984 commence le 1er janvier 1983 et s'arrête quarante jours après la date de ces élections ;
- les demandes doivent être accompagnées de déclarations comptables prouvant que les dépenses effectuées ont été faites pour les élections au Parlement européen ;
- les critères applicables aux dépenses des groupes politiques qui ont été exposés ci-dessus s'appliquent également à celles des formations non représentées au Parlement européen.
12. L'association requérante invoque sept moyens à l'appui de son recours :
1) l'incompétence ;
2) la violation des traités, et spécialement de l'article 138 du traité CEE et des articles 7, paragraphe 2, et 13 de l'acte portant élection des représentants à l'assemblée au suffrage universel direct ;
3) la violation du principe général de l'égalité de tous les citoyens devant la loi électorale ;
4) la violation des articles 85 et suivants du traité CEE ;
5) la violation de la constitution française en ce que le principe d'égalité des citoyens devant la loi serait bafoué ;
6) l'exception d'illégalité et d'inapplicabilité en ce que le vote du ministre français au Conseil des Communautés européennes lors de la délibération sur les budgets serait entaché d'illégalité, ce qui entrainerait l'illégalité de la délibération du Conseil et des actes subséquents de la procédure budgétaire ;
7) le détournement de pouvoir en ce que le bureau du Parlement européen aurait utilisé les crédits inscrits au poste 3708 en vue d'assurer la réélection des membres du Parlement européen élus en 1979.
Sur la recevabilité du recours
1. Sur la qualité pour agir des verts - Confédération écologiste - Parti écologiste
13. Alors que la procédure écrite était terminée, il est apparu que, par protocole du 29 mars 1984, l'association requérante " Les Verts - Parti écologiste " ainsi qu'une autre association dénommée " Les Verts - Confédération écologiste " ont décidé de leur dissolution et de leur fusion en vue de la constitution d'une nouvelle association sous le titre " Les Verts - Confédération écologiste - Parti écologiste ". Celle-ci s'est déclarée le 20 juin 1984 à la préfecture de police de Paris (JORF du 8.11.1984, NC, p. 10241, insertion remplaçant et annulant celles parues au JORF 25.7.1984, NC 172, p. 6604 et 6608). C'est cette nouvelle association qui a présenté aux élections européennes de juin 1984 la liste " Les Verts - Europe écologie ", après avoir déposé, le 28 avril 1984, la déclaration d'apparentement visée par l'article 4 de la règlementation de 1983. C'est elle aussi qui, par lettre du 23 juillet 1984, a introduit auprès du secrétariat général du Parlement européen une demande de remboursement en application de cette règlementation. A la suite de cette demande, la somme de 82 958 écus, résultant de l'application aux 680 080 votes obtenus d'un coefficient de financement par vote égal à 0,1206596, lui a été versée.
14. Au vu de ces éléments nouveaux, le Parlement européen a d'abord fait valoir que l'association requérante " Les Verts - Parti écologiste " avait, du fait de sa dissolution, perdu qualité pour agir dans la présente procédure et que la règle du maintien de sa personnalité pour les besoins de sa liquidation ne pouvait s'appliquer à la présente action, cette dernière ayant été transmise à la nouvelle association. Tout en ne contestant pas la possibilité pour la nouvelle association, " Les Verts - Confédération écologiste - Parti écologiste ", de reprendre l'instance introduite par l'association requérante, le Parlement européen a ensuite exposé que cette reprise devait intervenir dans un délai fixé par la Cour et émaner clairement des organes statutairement compétents de la nouvelle association. Estimant que cette dernière condition n'etait pas remplie, le Parlement européen a conclu au rejet de la requête.
15. Il convient de relever, en premier lieu, qu''il résulte du protocole du 29 mars 1984 que la dissolution des deux associations, y compris celle de l'association requérante, est intervenue sous réserve de leur fusion en vue de la constitution d'une association nouvelle. Dissolution, fusion et création de la nouvelle association ont donc eu lieu par un seul et même acte de telle sorte qu'il y a continuité temporelle et juridique entre l'association requérante et l'association nouvelle, et que la seconde est devenue titulaire des droits et obligations de la première.
16. En deuxième lieu, le protocole de fusion spécifie expressément que les actions judiciaires engagées, et notamment celles qui ont été introduites devant la Cour, " se continueront dans les mêmes termes " et " selon les mêmes modalités ".
17. En troisième lieu, le Parlement européen a lui-même fait état au cours de la procédure orale d'une délibération du Conseil national interrégional de la nouvelle association, en date des 16 et 17 février 1985. Aux termes de cette délibération, qui a été lue à l'audience par le Conseil de la nouvelle association, le Conseil national interrégional de celle-ci, organe statutairement compétent pour ester en justice, a, face à l'attitude dilatoire du Parlement européen, décidé expressément de reprendre l'instance introduite par l'association " Les Verts - Parti écologiste ".
18. Dans ces conditions, la volonté de la nouvelle association de maintenir et de poursuivre le recours introduit par l'une des associations dont elle est issue, recours dont le bénéfice lui a été expressément transmis, ne saurait faire de doute et les conclusions contraires du Parlement européen sur ce point doivent être rejetées.
19. Bien que le Parlement européen n'ait fait valoir aucun moyen d'irrecevabilité tenant aux conditions de l'article 173 du traité, il appartient à la Cour de vérifier d'office si celles-ci se trouvent remplies. En l'espèce, il apparaît nécessaire de statuer expressément sur les points suivants, à savoir : si la Cour est compétente pour connaître d'un recours en annulation, introduit sur le fondement de l'article 173 du traité, contre un acte du Parlement européen ; si la décision de 1982 et la règlementation de 1983 présentent le caractère d'actes visant à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers ; si ces actes concernent directement et individuellement l'association requérante au sens de l'article 173, alinéa 2, du traité.
2. Sur la compétence de la Cour pour connaître d'un recours en annulation, introduit sur le fondement de l'article 173 du traité, contre un acte du Parlement européen.
20. Il y a lieu d'observer à titre liminaire que la décision de 1982 et la règlementation de 1983 ont été adoptées par des organes du Parlement européen et doivent donc être considérées comme des actes du Parlement européen lui-meme.
21. L'association requérante estime qu'en présence de l'article 164 du traité, le contrôle de légalité des actes des institutions, qui est confié à la Cour par l'article 173 du traité, ne peut être limité aux actes du conseil et de la Commission, sous peine de créer un déni de justice.
22. Le Parlement européen considère également que, conformément à sa fonction générale de gardienne du droit telle qu'elle est définie à l'article 164 du traité, la Cour peut contrôler la légalité d'actes autres que ceux du conseil et de la Commission. L'énumération des défendeurs potentiels qui figure à l'article 173 du traité n'est, à son avis, pas exhaustive. Le Parlement européen ne conteste pas que, dans les domaines, comme le budget et les questions liées à l'organisation de l'élection directe, où il s'est vu attribuer par révision des traités des pouvoirs accrus et où il peut lui-meme adopter des actes juridiques, il puisse être soumis au contrôle juridictionnel exerce par la Cour. Dans le cas de l'octroi de crédits pour le cofinancement de la campagne d'information à l'occasion de la deuxième élection directe, le Parlement européen exerce directement les droits qui lui sont propres. Il n'entend pas dès lors soustraire ses actes en cette matière à un contrôle juridictionnel. Il considère toutefois qu'une interprétation extensive de l'article 173 du traité, qui rendrait ses actes susceptibles de recours en annulation, devrait conduire à lui reconnaître qualité pour intenter ce recours à l'encontre des actes du Conseil et de la Commission.
23. Il y a lieu de souligner d'abord, à cet égard, que la Communauté économique européenne est une Communauté de droit en ce que ni ses Etats membres ni ses institutions n'échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu'est le traité. Spécialement, par ses articles 173 et 184, d'une part, et par son article 177, d'autre part, le traité a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour de justice le contrôlé de la légalité des actes des institutions. Les personnes physiques et morales sont ainsi protégées contre l'application à leur égard des actes à portée générale qu'elle ne peuvent attaquer directement devant la Cour en raison des conditions particulières de recevabilité spécifiées à l'article 173, alinéa 2, du traité. Lorsque la mise en œuvre administrative de ces actes appartient aux institutions communautaires, les personnes physiques et morales peuvent introduire un recours direct devant la Cour contre les actes d'application dont elles sont les destinataires ou qui les concernent directement et individuellement et invoquer, à l'appui de ce recours, l'illégalité de l'acte général de base. Lorsque cette mise en œuvre incombe aux instances nationales, elles peuvent faire valoir l'invalidité des actes à portée générale devant les juridictions nationales et amener celles-ci à interroger à cet égard la Cour par la voie de questions préjudicielles.
24. Il est vrai qu'à la différence du texte de l'article 177 du traité, qui vise les actes des institutions sans autre précision, celui de l'article 173 du traité ne cite que les actes du Conseil et de la Commission. Le système du traité est toutefois d'ouvrir un recours direct contre " toutes dispositions prises par les institutions et visant à produire un effet juridique ", ainsi que la Cour a déjà eu l'occasion de le souligner dans l'arrêt du 31 mars 1971 (Commission/Conseil, 22-70, Rec. p. 263). Le Parlement européen ne figure pas expressément parmi les institutions dont les actes peuvent être attaqués, parce que le traité CEE dans sa version originaire ne lui conférait que des pouvoirs consultatifs et de contrôle politique, et non celui d'adopter des actes destinés à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers. L'article 38 du traité CECA démontre que le Parlement a été doté dès l'origine du pouvoir d'arrêter des dispositions à caractère obligatoire, comme c'est le cas en vertu de l'article 95, alinéa 4, dernière phrase du même traité, ses actes n'ont pas été soustraits par principe à un recours en annulation.
25. Alors que, dans le cadre du traité CECA, le recours en annulation contre les actes des institutions fait l'objet de deux dispositions distinctes, il se trouve réglé dans le cadre du traité CEE par le seul article 173, qui revêt ainsi un caractère général. Une interprétation de l'article 173 du traité qui exclurait les actes du Parlement européen de ceux qui peuvent être attaqués aboutirait à un résultat contraire tant à l'esprit du traité tel qu'il a été exprimé dans l'article 164 qu'à son système. Les actes que le Parlement européen adopte dans la sphère du traité CEE pourraient, en effet, sans que la possibilité soit ouverte de les déférer au contrôle de la Cour, empiéter sur les compétences des Etats membres ou des autres institutions ou outrepasser les limites qui sont tracées aux compétences de leur auteur. Il convient des lors de considérer que le recours en annulation peut être dirigé contre les actes du Parlement européen destinés à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers.
26. La question doit maintenant être examinée de savoir si la décision de 1982 et la règlementation de 1983 présentent le caractère de dispositions visant à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers.
3. Sur le caractère d'actes visant à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers de la décision de 1982 et de la règlementation de 1983
27. Les deux actes attaqués concernent, l'un et l'autre, la répartition des crédits inscrits au budget du Parlement européen pour la préparation de l'élection européenne de 1984. Ils ont trait à l'attribution de ces crédits à des tiers pour des dépenses relatives à une activité devant s'exercer en dehors du Parlement européen. Ils règlent, sous ce rapport, les droits et obligations tant des formations politiques qui étaient déjà représentées au Parlement européen de 1979 que de celles qui auront participé aux élections de 1984. Ils déterminent la part des crédits qui revient à chacune d'elles, soit en fonction du nombre de sièges obtenus en 1979, soit en fonction du nombre de voix obtenues en 1984. Par la, ces actes visent donc à produire des effets juridiques à l'égard de tiers, ce qui les rend susceptibles d'un recours au titre de l'article 173 du traité.
28. L'argument selon lequel le contrôle confié à la Cour des comptes par l'article 206 bis du traité ferait obstacle à celui de la Cour de justice doit être rejeté. La Cour des comptes ne peut, en effet, qu'examiner la légalité de la dépense par rapport au budget et à l'acte de droit dérivé dont découle cette dépense (communément appelé acte de base). Son contrôle est donc, en tout état de cause, distinct de celui exercé par la Cour de justice, qui porte sur la légalité de cet acte de base. Les actes attaqués en l'espèce constituent, en réalité, l'équivalent d'un acte de base en ce qu'ils prévoient le principe de la dépense et fixent les modalités selon lesquelles celle-ci est effectuée.
4. Sur le problème de savoir si les actes attaqués concernent directement et individuellement l'association requérante au sens de l'article 173, alinéa 2, du traité
29. L'association requérante souligne qu'elle dispose de la personnalité juridique et que les décisions attaquées, entrainant l'octroi d'une aide aux formations politiques rivales, la concernent bien directement et individuellement.
30. Le Parlement européen estime qu'en l'état actuel de la jurisprudence de la Cour relative à cette condition, le recours de l'association requérante est irrecevable. Il se demande toutefois si une interprétation extensive de l'alinéa 1 de l'article 173 du traité ne devrait pas avoir une incidence sur celle de l'alinéa 2 de cette disposition. Il souligne à cet égard que l'association requérante n'est pas n'importe quel tiers, mais occupe, en tant que parti politique, une position intermédiaire entre les requérants privilégiés et les simples particuliers. Il conviendrait, selon lui, de prendre en considération au niveau communautaire la fonction spéciale des partis politiques. Leur statut particulier justifie, à son avis, qu'un droit de recours au titre de l'article 173, alinéa 2, du traité leur soit reconnu contre les actes qui précisent sous quelles conditions et à concurrence de quel montant ils reçoivent, à l'occasion de l'élection directe, des fonds provenant du Parlement européen afin de faire connaître ce dernier. Dans son mémoire en défense, le Parlement européen conclut de cet exposé que les partis politiques sont individuellement et directement concernés par la règlementation de 1983.
31. Il convient de relever d'abord que les actes attaqués concernent directement l'association requérante. Ils constituent, en effet, une règlementation complète, qui se suffit à elle-même et qui n'appelle aucune disposition d'application, le calcul de la part des crédits devant être attribué à chacune des formations politiques concernées étant automatique et ne laissant place à aucune espèce d'appréciation.
32. Il reste à vérifier si l'association requérante est individuellement concernée par les actes attaqués.
33. A cet égard, il convient de centrer l'examen sur la décision de 1982. Cette décision a approuvé le principe même de l'octroi aux formations politiques des crédits inscrits au poste 3708 ; elle a ensuite déterminé la part de ces crédits qui irait aux groupes politiques constitués dans l'assemblée élue en 1979 et aux membres non inscrits de celle-ci (69 %), et la part de ces crédits destinée à être répartie entre toutes les formations politiques, représentées ou non dans l'assemblée élue en 1979, qui auraient pris part aux élections de 1984 (31 %); elle a enfin opéré le partage des 69 % entre les groupes politiques et les membres non inscrits. La règlementation de 1983 s'est bornée à confirmer la décision de 1982 et à la compléter en précisant la clé de répartition de la réserve de 31 %. Elle doit donc être considérée comme en étant partie intégrante.
34. La décision de 1982 concerne toutes les formations politiques, même si le traitement qu'elle leur réserve varie selon qu'elles ont ou non des représentants dans l'assemblée élue en 1979.
35. Le présent recours a trait à une situation dont la Cour n'a pas encore eu à connaître. Du fait qu'elles avaient des représentants dans l'institution, certaines formations politiques ont participé à la prise d'une décision qui porte à la fois sur le traitement qui leur est réservé et sur celui accordé à des formations rivales qui n'étaient pas représentées. Dans ces conditions, et dès lors qu'il s'agit de la répartition de fonds publics en vue de la préparation d'élections et qu'est alléguée une inégalité dans cette répartition, on ne peut considérer que seules les formations qui étaient représentées et qui, par hypothèse, étaient identifiables à la date de l'adoption de l'acte attaqué sont individuellement concernées.
36. Une telle interprétation aboutirait, en effet, à créer une inégalité de protection juridictionnelle entre des formations concurrentes lors de la même élection. Les formations non représentées ne pourraient faire obstacle à la répartition litigieuse des crédits avant le début de la campagne électorale, car elles ne pourraient invoquer l'illégalité de la décision de base qu'à l'appui d'un recours contre les décisions individuelles qui leur refuseraient le remboursement de sommes supérieures à celles prévues. Elles seraient de la sorte dans l'impossibilité d'introduire un recours en annulation devant la Cour avant que les élections aient lieu et ne seraient pas non plus en mesure d'obtenir de la Cour qu'elle ordonne, au titre de l'article 185 du traité, le sursis à l'exécution de la décision de base critiquée.
37. Dans ces conditions, il convient de considérer que l'association requérante, qui était constituée au moment de l'adoption de la décision de 1982 et qui était susceptible de présenter des candidats aux élections de 1984, est individuellement concernée par les actes attaqués.
38. Au vu de l'ensemble de ces considérations, il y a lieu de conclure que le recours est recevable.
Sur le fond du recours
39. Dans ses trois premiers moyens, l'association requérante qualifie le système mis en place par le Parlement européen de système de remboursement des frais de campagne électorale.
40. Par le premier moyen, l'association requérante fait valoir que le traité ne comporte aucune base légale pour l'adoption de pareil système. Le deuxième moyen vise a faire constater qu'en tout état de cause cette matière est comprise dans la notion de procédure électorale uniforme visée par l'article 138, paragraphe 2, du traité et qu'à ce titre elle continue, conformément à l'article 7, paragraphe 2, de l'acte portant élection des représentants à l'assemblée au suffrage universel direct, de relever de la compétence des législateurs nationaux.
41. Le troisième moyen de l'association requérante dénonce enfin la rupture d'égalité des chances entre les formations politiques en ce que celles déjà représentées au Parlement élu en 1979 participent deux fois au partage des crédits inscrits au poste 3708. Ces dernières prendraient part d'abord au partage des 69 % qui sont réservés aux groupes politiques et aux membres non inscrits de l'assemblée élue en 1979 et participeraient encore au partage de la réserve des 31 %. Elles seraient ainsi considérablement avantagées par rapport aux formations qui n'avaient pas encore de représentants dans l'assemblée élue en 1979.
42. Le Parlement européen répond aux deux premiers moyens pris ensemble. Il estime devoir relever une contradiction entre ces deux moyens : soit la question ne relève pas de la compétence de la Communauté, soit elle en relève, mais il est exclu que l'association requérante puisse soutenir les deux thèses à la fois. Le Parlement européen souligne surtout qu''il ne s'agit pas d'un système de remboursement des frais de campagne électorale, mais d'une participation à une campagne d'information destinée à faire connaître le Parlement des électeurs à l'occasion des élections, ainsi que l'établissent clairement tant le commentaire du poste 3708 que la règlementation d'application. La participation du Parlement européen à pareille campagne d'information découlerait du pouvoir que lui a reconnu la Cour, dans son arrêt du 10 février 1983 (Luxembourg/Parlement, 230-81, Rec. p. 255, 287), de régler son organisation interne et de prendre " des mesures appropriées en vue d'assurer son bon fonctionnement et le déroulement de ses procédures ". Comme il ne s'agit pas de remboursement des frais de campagne électorale, les premier et deuxième moyens ne seraient pas fondés.
43. Par ailleurs, le Parlement européen conclut au rejet du troisième moyen parce qu'il n'y a pas atteinte à l'égalité des chances entre les diverses formations politiques. L'objet de la règlementation est de permettre une information efficace sur le Parlement. Les partis politiques représentés dans l'assemblée élue en 1979 ont déjà fait la preuve de leurs activités en faveur de l'intégration européenne. Etant des formations plus importantes, ils ont une plus grande représentativité et sont en mesure de diffuser une quantité d'informations plus importante. Il est dès lors justifié de leur attribuer des sommes plus importantes pour leur campagne d'information. La répartition entre 69 % de crédits pour le financement préalable de la campagne d'information et 31 % pour le financement a posteriori de toutes les formations politiques ayant participé aux élections constitue une décision qui relève de la liberté d'appréciation politique du Parlement européen. Ainsi que l'a encore précisé le Parlement européen à l'audience, le bureau et le bureau élargi ont décidé d'une répartition des crédits selon une clé qui tient naturellement compte de l'importance des différentes formations dans la fonction d'amplificateur du concept d'intégration politique auprès de l'opinion publique des Etats membres.
44. Il convient de réaffirmer d'emblée que le Parlement européen est autorisé à prendre, en vertu du pouvoir d'organisation interne qui lui est reconnu par les traités, les mesures appropriées en vue d'assurer son bon fonctionnement et le déroulement de ses procédures, ainsi que cela résulte déjà de l'arrêt du 10 février 1983, précité. Il importe de préciser toutefois que le système de financement mis en place ne relèverait pas de ce pouvoir d'organisation interne s'il s'avérait qu'il ne peut être distingué d'un système de remboursement forfaitaire des frais de campagne électorale.
45. Afin de pouvoir examiner le bien-fondé des trois premiers moyens, il importe donc d'établir, en premier lieu, la nature réelle du système de financement mis en place par les actes attaqués.
46. Il convient de noter d'abord, à cet égard, que les actes attaqués sont à tout le moins empreints d'ambigüité. La décision de 1982 indique simplement qu'elle porte sur la répartition des crédits inscrits au poste 3708, tandis que la note interne qui la synthétise parle sans ambages de financement de la campagne électorale. Quant à la règlementation de 1983, elle ne précise pas si les dépenses dont elle prévoit le remboursement doivent avoir servi à l'information sur le Parlement européen lui-même ou à l'information sur les positions que les formations politiques ont prises et sur celles qu'elles entendent prendre à l'avenir.
47. Il est vrai que les règles de 1982 sur l'utilisation des fonds prévoyaient que les fonds alloués ne pourraient être utilisés qu'en relation avec la campagne d'information pour les élections de 1984. Pour qu'il en soit bien ainsi, elles ont spécifié la nature des dépenses qui pouvaient être couvertes, désigné les personnes qui répondraient de la bonne utilisation des fonds, prescrit la tenue d'une comptabilité distincte et ventilée selon la nature des dépenses, et exigé la présentation de rapports sur l'utilisation qui aurait été faite des fonds. Il s'agissait, pour le Parlement européen, de garantir que les fonds mis à la disposition des groupes politiques seraient pour l'essentiel utilisés pour couvrir des frais de réunion et de publication (brochures, encarts dans la presse, affiches).
48. Il convient cependant de souligner que ces règles ne suffisent pas pour lever l'ambigüité sur la nature de l'information donnée. En effet, pas plus que les actes attaqués, les règles de 1982 n'ont énoncé de condition liant l'attribution des fonds à la nature des messages diffusés. Le Parlement européen considère qu'en rendant compte de leur activité, les candidats contribuaient à l'information sur la manière dont l'institution Parlementaire avait accompli sa mission. Il est manifesté que, dans une campagne d'information de ce type, que le Parlement européen qualifie de contradictoire, information sur le rôle du Parlement européen et propagande partisane sont indissociables. Le Parlement européen a d'ailleurs reconnu à l'audience qu'il n'était pas possible à ses membres de faire le départ entre le propos strictement électoral et le propos d'information.
49. Enfin, il importe de relever que les fonds mis à la disposition des formations politiques pouvaient être dépensés pendant la campagne électorale. Cela est évident d'abord pour ceux provenant de la réserve de 31 % qui a été répartie entre les formations ayant pris part aux élections de 1984. En effet, les dépenses pouvant être remboursées étaient celles qui avaient été effectuées pour les élections européennes de 1984, pendant une période allant du 1er janvier 1983 jusqu'à quarante jours après les élections. Cela n'est pas moins vrai pour les 69 % des crédits repartis chaque année entre les groupes politiques et les membres non inscrits de l'assemblée élue de 1979. Il ressort, en effet, des règles précitées de 1982 qu'un tiers du montant total de ces crédits (diminué des allocations forfaitaires) ne devait être versé qu'après les élections de 1984. En outre, les fonds provenant de la masse de 69 % pouvaient être affectés à la constitution de réserves et faire l'objet d'engagements de paiement jusqu'à quarante jours au plus tard avant les élections, à condition que les paiements ne soient pas effectués plus de quarante jours après la date des élections.
50. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le système de financement mis en place ne saurait être distingué d'un système de remboursement forfaitaire des frais de campagne électorale.
51. Il convient d'examiner, en second lieu, si les actes attaqués n'ont pas été adoptés en violation de l'article 7, paragraphe 2, de l'acte portant élection des représentants à l'assemblée au suffrage universel direct du 20 septembre 1976.
52. Aux termes de cette disposition, " jusqu'à l'entrée en vigueur d'une procédure électorale uniforme, et sous réserve des autres dispositions du présent acte, la procédure électorale est régie, dans chaque Etat membre, par les dispositions nationales ".
53. La notion de procédure électorale au sens de cette disposition comprend notamment les règles qui visent à assurer la régularité des opérations électorales et l'égalité de chances des divers candidats pendant la campagne électorale. C'est à cette catégorie de règles que se rattachent celles qui instituent un système de remboursement des frais de campagne électorale.
54. Le problème du remboursement des frais de campagne électorale ne fait pas partie des quelques points qui ont été réglés dans l'acte de 1976. Il en résulte qu'en l'état actuel du droit communautaire, l'instauration d'un système de remboursement des frais de campagne électorale et la détermination de ses modalités appartiennent encore à la compétence des Etats membres.
55. Le moyen tiré par l'association requérante de la violation de l'article 7, paragraphe 2, de l'acte de 1976 doit donc être accueilli. Il n'y a dès lors pas lieu de statuer sur les autres moyens avancés.
Sur les dépens
56. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante n'a pas conclu à la condamnation de la partie défenderesse aux dépens. Il en résulte que, bien que la partie défenderesse ait succombé en ses moyens, il y a lieu de faire supporter à chaque partie ses propres dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
déclare et arrête :
1) La décision du bureau du Parlement européen du 12 octobre 1982 concernant la répartition des crédits inscrits au poste 3708 du budget général des Communautés européennes, ainsi que la règlementation du bureau élargi du 29 octobre 1983 relative à l'utilisation des crédits destinés au remboursement des dépenses des formations politiques qui auront pris part aux élections de 1984 sont annulées.
2) Chaque partie supportera ses propres dépens.