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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 10 février 2003, n° 02-07459

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Avenir de la langue française ; Défense de la langue française

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guilbaud

Avocat général :

M. Madranges

Conseillers :

M. Nivôse, Mme Fouquet

Avocats :

Mes Salem, Ambroise

T. pol. Paris, 2e ch., du 1er mars 2001

1 mars 2001

Rappel de la procédure :

La prévention :

La SARL X est prévenue d'avoir, à Paris XIIe, le 18 février 2000, en tout cas depuis temps non prescrit, commis l'infraction suivante : rédaction du mode d'emploi ou de la notice d'utilisation d'un produit en langue étrangère.

Le jugement :

Le tribunal, par jugement contradictoire,

Sur l'action publique :

- a déclaré la SARL X coupable de rédaction du mode d'emploi ou de la notice d'utilisation d'un produit en langue étrangère, à Paris, le 18 février 200, contravention prévue et réprimée par les articles 1 § I 1° de décret 95-240 du 03/03/1995, 2 al. 1 loi 94-665 du 04/08/1994,

- et, en application de ces articles, l'a condamnée à 14 peines d'amende de 300 F,

- a dit que la contrainte par corps s'exercera, s'il y a lieu, à son encontre, dans les conditions prévues par les articles 749 et suivants du Code de procédure pénale.

Sur l'action civile :

- a déclaré, régulières en la forme et justifiées en leur principe, les constitutions de partie civile des associations Avenir de la langue française et Défense de la langue française,

- a condamné la SARL X à leur payer, à chacune, la somme de 2 000 F à titre de dommages-intérêts, ainsi que celle de 500 F au titre des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

La SARL X, le 12 mars 2001, des dispositions pénales et civiles.

M. l'Officier du Ministère public, le 12 mars 2001 contre la SARL X.

Décision :

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels relevés par la société prévenue et le Ministère public à l'encontre du jugement entrepris auquel il est fait référence.

Les associations parties civiles, représentées par leur avocat, sollicitent la confirmation de la décision déférée.

Elles font plaider que la législation nationale est parfaitement compatible avec le droit communautaire.

Monsieur l'avocat général requiert la cour de constater l'extinction de l'action publique par l'amnistie, s'agissant de contraventions commises antérieurement au 17 mai 2002.

Par voie de conclusions la SARL X demande à la cour de :

- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué,

- Dire l'action publique éteinte à son égard,

- Dire qu'aucune infraction n'a été commise,

- Subsidiairement la relaxer des fins de la poursuite,

- Dire les parties civiles irrecevables en leurs demandes,

- Les débouter de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- Laisser les dépens à la charge du Trésor.

Elle soutient que l'action publique se trouve éteinte, d'une part en application de l'article 2 de la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie, d'autre part en application de l'article 9 du Code de procédure pénale, aucun acte interruptif de prescription n'étant intervenu entre les faits du mois d'avril 2001 et le mois d'octobre 2002.

Sur le fond et l'action civile elle invoque que l'obligation qui lui serait faite, en vertu de l'article 1er du décret du 3 mars 1995, d'employer la langue française pour le mode d'emploi ou la notice d'utilisation des cartes mères d'ordinateurs qu'elle commercialise en France constituerait une entrave au commerce intra-communautaire au sens de l'article 28 (ex-article 30) du traité instituant la Communauté européenne.

Elle soutient que dès lors la cour devra écarter l'application de ce texte en ce qu'il méconnaît une norme de droit supérieure, à savoir une disposition du traité des Communautés européennes.

Elle souligne d'une part qu'aucun texte n'impose à un commerçant vendant des cartes mères ou autres pièces détachées d'ordinateur, d'insérer un mode d'emploi et que d'autre part l'article 1er du décret du 3 mars 1995 ne prévoit pas, en ce qui concerne le mode d'emploi d'un produit, la possibilité d'utiliser, soit une autre langue compréhensible, soit d'autres mesures pour assurer l'information des consommateurs, contrairement au principe de la proportionnalité.

Rappel des faits

A l'occasion d'un contrôle effectué le 18 février 2000 dans le magasin de vente de matériels informatiques appartenant à la société X, sise <adresse> Paris, les agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ont constaté que les modes d'emploi de 14 cartes mères qui étaient mises en vente, comportaient une notice en anglais, non traduite en français.

Sur l'action publique

Considérant qu'il n'existe aucun acte de poursuite entre les appels du 12 mars 2001 et les citations des parties devant la cour en date du 16 décembre 2002, soit pendant plus d'un an,

Que la prescription annale de l'action publique est donc acquise;

Considérant que par ailleurs les contraventions poursuivies ont été commises antérieurement au 17 mai 2002;

Que la cour dès lors constatera l'extinction de l'action publique par application des articles 2, 10 de la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie, 6 et 9 du Code de procédure pénale;

Sur l'action civile

Considérant qu'aux termes de l'article 21 de la loi du 6 août 2002 précitée, l'amnistie ne préjudicie pas au droit des tiers;

Considérant que par ailleurs l'action civile a été valablement engagée devant la juridiction répressive avant l'expiration du délai de prescription de l'action publique;

Considérant que la société X soutient d'une part qu'elle n'a pas pu faire traduire la notice en français, faute de temps et que sa clientèle avertie n'avait pas besoin d'une traduction pour comprendre et que d'autre part, l'obligation de rédiger un mode d'emploi en langue française, constituait une entrave au commerce intra-communautaire incompatible avec l'article 30, devenu article 28, du traité CE;

Mais considérant qu'aux termes de l'article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958, "la langue de la République est le français";

Qu'il en résulte nécessairement que tout produit, commercialisé sur le territoire français, doit comporter une traduction en langue française de la notice ou du mode d'emploi, pour permettre à chaque consommateur de savoir ce qu'il achète et de comparer éventuellement avec d'autres produits concurrents;

Considérant que par ailleurs, les indications en langue étrangère constituent un mode d'utilisation du produit au sens de l'article 1er du décret du 3 mars 1995, et que dès lors la mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives à l'importation qui pourrait résulter de la législation prescrivant l'utilisation de la langue française dans les modes d'emploi et d'utilisation des produits est justifiée, conformément à l'article 36, devenu l'article 30 du traité, par la protection des consommateurs sur le territoire national ;

Qu'il convient d'observer qu'en l'espèce, la notice était nécessaire pour l'acheteur du produit, que la langue anglaise reste incomprise par une majorité de consommateurs en France, même s'agissant d'une clientèle avertie, et qu'il n'existe aucune autre mesure susceptible d'assurer utilement la nécessaire information des utilisateurs dans un domaine technique où l'emploi de termes étrangers s'avère générateur de contresens, d'incompréhension ou de malentendus;

Considérant que la société X en qualité de responsable de la première mise sur le marché de ce produit, était tenue de vérifier que les prescriptions en vigueur relatives à l'emploi de la langue française sur le territoire national étaient bien respectées, ce qu'elle a manifestement omis de faire, engageant ainsi sa responsabilité;

Considérant que la cour ne trouve pas motif à modifier sur les intérêts civils la décision critiquée qui a fait une exacte appréciation du préjudice causé à chaque partie civile et résultant directement des faits poursuivis;

Considérant que le jugement attaqué sera confirmé en toutes ses dispositions civiles;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement à l'égard de la société prévenue et des parties civiles, Reçoit la prévenue et le Ministère public en leurs appels, Constate l'extinction de l'action publique, Confirme le jugement querellé en toutes ses dispositions civiles.