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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 6 février 1991, n° 154-87

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dupuis

Défendeur :

Jean Damian (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Duclos

Conseillers :

MM. Roy, Bothorel

Avoués :

Mes Bourges, Massart, Bazille

Avocats :

Mes Gosselin, Grimaldi

T. com. Quimper, du 9 janv. 1987

9 janvier 1987

Faits et procédure

Selon facture du 21 novembre 1977, la société Jean Damian a fourni a M. Dupuis, exploitant d'une auto-école poids-lourds, un tracteur routier neuf de marque Mercedes-Benz type 1926-S.38- 35p, équipé de doubles commandes, pour le prix de 220 407 F et ce, par l'intermédiaire de la société Bail Equipement qui a payé ce véhicule et l'a donné en crédit-bail à son utilisateur.

A la suite de diverses pannes du véhicule, survenues en mars, mai et octobre 1978, M. Dupuis a obtenu, selon ordonnance de référé du 20 octobre 1978, la mise en œuvre d'une expertise, dont le rapport a été déposé par M. Pore le 23 mai 1979.

Par acte d'huissier du 24 avril 1981, repris par autre acte identique du 3 février 1986, M. Dupuis, reprochant à la société Jean Damian de lui avoir livré en connaissance de cause un matériel inadapté à ses besoins spécifiques, a assigné ladite société en remboursement du coût des réparations effectuées, soit 22 373,83 F, et en paiement de 203 564 F à titre de dommages-intérêts en compensation du préjudice financier et commercial subi par son entreprise du fait du versement inutile des mensualités de loyers et de l'immobilisation prolongée du tracteur.

Par jugement du 9 janvier 1987, le Tribunal de commerce de Quimper a débouté M. Dupuis de cette action en retenant les énonciations de l'expertise concluant essentiellement à des fautes ou erreurs de conduite du véhicule et l'a condamné à payer à la société Jean Damian la somme de 3 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 2 000 F pour frais non taxables.

Selon déclaration du 25 février 1987, M. Dupuis régulièrement interjeté appel de ce jugement, signifié le 29 janvier 1987.

Prétentions des parties

Aux termes de ses conclusions des 17 janvier et 23 mars 1989, M. Dupuis fait essentiellement valoir que les incidents de mars et octobre 1978 sont survenus aussitôt après des révisions opérées par le garage et mal exécutées, et qu celui de mai 1978, certes consécutif à une erreur de conduite d'un élève-chauffeur, ne se serait cependant pas produit si le véhicule avait été muni du régulateur adéquat ainsi qu'il convenait pour l'utilisation à laquelle il était destiné. Il reprend donc ses demandes initiales ci-dessus énoncées, étant précisé qu'eu égard aux difficultés survenues, la société Bail Equipement a résilié le contrat de crédit-bail et récupéré le camion pour le revendre sur le marché de l'occasion.

Selon conclusions du 1er février 1989, la société Jean Damian sollicite la confirmation du jugement en soulignant que les premiers juges, au vu de l'expertise, ont exactement écarté les prétentions de M. Dupuis qui n 'invoque devant la cour aucun élément nouveau.

Discussion :

Considérant qu'il apparaît que les parties demeurent contraires en fait sur des nombreux points en dépit de l'expertise judiciaire diligentée, mais aussi qu'aucune contre-expertise ne peut plus être utilement prescrite eu égard au temps à présent écoulé et à la disparition même du tracteur-routier objet du litige, qui a été repris et revendu par la société crédit-bailleresse propriétaire, de telle sorte qu'il y a lieu de statuer en fonction des seuls éléments versés aux débats ;

Considérant, sur la panne du 23 mars 1978, que celles-ci résulte de la rupture inopinée d'une durité du système de refroidissement, non suivie de l'arrêt immédiat du moteur par le conducteur, ce qui a entraîné l'échauffement excessif dudit moteur et causé divers désordres ;

Que M. Dupuis prétend à cet égard que les témoins avertisseurs d'échauffement n'ont pas fonctionné, d'où l'absence d'arrêt immédiat, mais qu'il ne rapporte aucune preuve de cette anomalie, alors que l'expert estime qu'ils devaient être en état de marche puisqu'aucune réparation n'a été effectuée, et facturée à ce niveau ;

Que par ailleurs, le non-fonctionnement du compte-tours, qui comme son nom l'indique est destiné à renseigner le conducteur sur le régime du moteur par l'affichage du nombre de tours-minute accomplis, est sans aucune relation de cause à effet avec la panne précitée ;

Qu'il n'en demeure pas moins que cette panné a pour cause initiale la rupture de la durité, dont la société Jean Damian devait garantie à l'acquéreur dès lors que le tracteur avait moins d'un an et n'avait pas parcouru 50 000 km et qu'il convient en conséquence, compte-tenu de ce qui précède, de mettre à la charge de cette venderesse la moitié des frais consécutifs de réparation, soit 2 065,84 F ;

Qu'à cette somme il y a lieu d'ajouter celle de 120,56 F représentant la réparation du compte-tours que la société Damian s'est toujours abstenue d'effectuer et qui relève aussi de la garantie contractuelle d'où un total de 2 186,40 F ;

Considérant, sur la panne du 19 mai 1978, qu'il n'est pas contesté que les dégradations importantes alors subies par le moteur du tracteur ont eu pour cause un emballement de cet organe en suite d'une rétrogradation intempestive des vitesses (passage de 6ème en 3ème) par un élève-conducteur ;

Que selon les explications techniques fournies par l'expert, le régulateur tous régimes dont le véhicule était muni conformément à la commande n'avait d'effet que sur la pompe d'injection de carburant et ne pouvait pallier l'emballement consécutif à l'erreur de manœuvre mécanique ci-dessus décrite, le verrouillage électronique de rétrogradation, monté par Mercedes sur un autre type de boîte de vitesses que celle équipant le véhicule, étant seul de nature à éviter ce genre d'incident ;

Que la société Jean Damian indique à cet égard que c'est par économie que son cocontractant n'a pas pris ce dernier équipement, alors que M. Dupuis soutient qu'en réalité ladite société, qui n'ignorait pas son activité, ne l'a pas utilement renseigné et conseillé sur les différences techniques ci-dessus rappelées dont il ignorait totalement l'incidence ;

Que l'expert, qui a recueilli contradictoirement les explications des parties, ayant relevé qu'il y avait eu confusion dans l'esprit de l'utilisateur (M. Dupuis) entre les effets d'un régulateur tous régimes et ceux d'un verrouillage électronique de boite de vitesse, il s'avère que la société Jean Damian, qui connaissait la destination du véhicule au moins par la fourniture d'une double-commande et savait que M. Dupuis remplaçait en suite d'un même incident son camion d'occasion par ce tracteur neuf, n'a pas rempli son devoir professionnel de conseil en n'attirant pas l'attention de l'intéressé, au besoin par écrit afin précisément de dégager sa responsabilité, sur les performances respectives de chaque système au regard du résultat à atteindre ;

Qu'elle doit en conséquence indemniser M. Dupuis des conséquences dommageables de ce manquement, en supportant la facture des réparations afférentes dans une proportion que la cour estime devoir fixer aux trois-quarts, soit la somme de 11 368,14 F ;

Considérant, sur la panne du 7 octobre 1978 ayant de nouveau affecté le moteur du véhicule en cause, que l'expert a constaté qu'elle était due à une insuffisance d'huile dans le carter de ce moteur et que n'ayant relevé aucune fuite externe, il en a justement déduit que la faute en incombait à l'utilisateur qui n 'avait pas surveillé les niveaux ni apporté en temps opportun les compléments d'huile nécessaires ;

Que M. Dupuis soutient certes qu'il avait réalisé la vidange peu de temps avant l'incident et que son chauffeur avait refait le niveau d'huile le matin même de la panne, survenue après seulement 70 kilomètres de parcours, mais qu'il n'apporte aucune preuve à l'appui de ses dires sur ces points tandis que l'expert a noté que la dernière étiquette de vidange remontait au 23 juillet 1978 et mentionnait 23 054 km, alors qu'au jour de cette panne le compteur du véhicule affichait 42 766 km, de telle sorte qu'il n'était pas anormal que le moteur ait consommé la moitié environ soit une dizaine de litres de son huile en près de 20 000 km si aucune opération d'entretien n'avait été entre temps réalisée ;

Qu'en l'absence de démonstration de l'existence d'un défaut du véhicule donnant lieu à application de la garantie contractuelle, M. Dupuis ne peut dès lors prétendre à aucune indemnisation de ce chef ;

Considérant par ailleurs que les deux premières pannes, partiellement imputables à la société Jean Damian ainsi qu'il est dit précédemment, ont à l'évidence immobilisé le véhicule durant un certain temps pour chacune et qu'en outre après la seconde panne, M. Dupuis n'a pas plus utilisé ce tracteur pour l'apprentissage de la conduite, ce qui était pourtant sa vocation, par crainte justifiée du renouvellement d'un emballement non maîtrisé et qu'il a dû le louer à des transporteurs, afin de ne pas le laisser inutilisé, jusqu'à la dernière panne ;

Qu'il a subi de ce fait un trouble commercial et d'exploitation certain qu'eu égard aux éléments d'appréciation se dégageant du dossier, la cour estime devoir réparer par l'allocation d'une indemnité de 25 000 F, compte tenu des partages de responsabilité précédemment décidés ;

Considérant que l'indemnisation totale de M. Dupuis s'élève donc à 2 186,40 + 11 368,14 + 25 000 = 38 554,54 F et qu'eu égard à l'ancienneté du litige, il convient de lui accorder les intérêts au taux légal sur la totalité de cette somme, au besoin à titre de supplément de dommages-intérêts, à compter de l'assignation du 3 février 1986 ;

Considérant que l'équité commande d'accorder à M. Dupuis le remboursement de la somme non excessive de 6 000 F pour ses frais non taxables ;

Que la société Jean Damian qui succombe, doit être déboutée de ses demandes reconventionnelles et supportera les dépens de la procédure y compris ceux du référé et de l'expertise ;

Par ces motifs, Faisant partiellement droit à l'appel et réformant lé jugement déféré, condamne la société Jean Damian à payer à M. René Dupuis la somme de 38 554,54 F à titre d'indemnité pour les causes susénoncées, avec intérêts au taux légal à compter du 3 février 1986, ainsi que la somme de 6 000 F pour frais non taxables. Déboute M. Dupuis du surplus de ses demandes et la société Jean Damian de ses demandes reconventionnelles. Condamne la société Jean Damian aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris les frais du référé du 20 octobre 1978 et de l'expertise de M. Pore et autorise Me Bourges avoué à recouvrer ceux d'appel conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.