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Décisions

CA Pau, 1re ch., 30 novembre 1994, n° 93003505

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Préservatrice Foncière (Sté), Donzeau

Défendeur :

Maze Sencier, Vallet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pujo-Sausset

Conseillers :

M. Lacroix, Mme Ville

Avoués :

SCP Rodon, Me Vergez

Avocats :

Mes Porcher, Dauga

TGI Dax, du 30 juin 1993

30 juin 1993

Madame Donzeau et la Préservatrice Foncière ont régulièrement relevé appel du jugement rendu le 30 juin 1993 par le Tribunal de grande instance de Mont de Marsan qui sur la base du rapport d'expertise de Madame Pariente a estimé que le meuble vendu à Monsieur Maze Sencier le 2 juin 1984 sous l'égide de Maître Donzeau, commissaire-priseur, était un faux, et l'a condamnée au paiement de la somme de 250 000 F, outre 20 000 F à titre de dommages-intérêts au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Ce même jugement a débouté Maître Donzeau de sa demande formée contre Monsieur Vallet (vendeur) ;

Les appelants concluent à l'irrecevabilité de la demande au motif que la responsabilité quasi-délictuelle du commissaire-priseur ne peut être recherchée alors que l'acquéreur dispose d'une action à l'encontre du vendeur pour erreur sur les qualités substantielles ;

Sur le fond, ils prétendent que l'expertise judiciaire est insuffisante en l'absence du moindre élément technique confortant les conclusions du rapport ;

En outre, l'attestation de Monsieur Cuvreau, qui travaillait à l'époque des faits en qualité de clerc, ne peut être prise en considération, compte tenu de la personnalité de l'intéressé et des relations difficiles entre celui-ci et Maître Donzeau ;

Enfin, Monsieur Vallet, qui est un professionnel, a présenté le meuble comme une pièce d'époque ;

Ils concluent en conséquence à l'infirmation de la décision attaquée et demandent de déclarer l'action irrecevable et mal fondée ; très subsidiairement, ils sollicitent une nouvelle expertise ;

Dans l'hypothèse d'une faute retenue à l'encontre de Maître Donzeau, ils sollicitent la condamnation de Monsieur Vallet à garantir celle-ci de toute condamnation ou à titre encore plus subsidiaire, à lui rembourser la différence entre le prix d'adjudication et la valeur résiduelle du meuble ;

Ils demandent enfin les sommes de 20 000 F à titre de dommages-intérêts et de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Monsieur Maze Sencier explique qu'il a engage son action sur le fondement de la responsabilité quasi délictuelle et que rien ne lui impose au préalable de poursuivre l'annulation de la vente ;

Il ajoute qu'il n'est pas sérieusement contestable que le meuble est un faux, comme l'a constaté Monsieur Dillee, expert national prés la Cour de cassation et confirmé l'expert judiciaire ;

Il prétend qu'en proposant à la vente un meuble d'époque Louis XV, alors qu'il s'agit d'une copie récente, Maître Donzeau a commis une faute engageant sa responsabilité ;

Il évalue son préjudice à la somme de 380 000 F et demande la condamnation des appelants au paiement de cette somme, outre 20 000 F à titre de dommages et intérêts et une somme du même montant sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Monsieur Vallet a fait l'objet d'un procès-verbal de recherches infructueuses. La décision sera rendue par défaut en ce qui le concerne ;

Motifs de la décision

Attendu que Monsieur Maze Sencier a acquis aux enchères publiques le 2 juin 1984 à Dax un bureau plat Louis XV pour le prix de 241 694,46 F qu'ayant été prévenu lors de l'exécution des travaux de restauration en 1990 que ce meuble était un faux, il recherche la responsabilité de Maître Donzeau, commissaire-priseur ;

Attendu que pour s'opposer à la recevabilité de la demande, Maître Donzeau prétend qu'il appartenait à l'acquéreur d'exercer contre son vendeur l'action en nullité de la vente ;

Mais attendu qu'aucune disposition n'impose la mise en œuvre de l'action en nullité de la vente préalablement à l'action en responsabilité quasi délictuelle dirigée contre le commissaire-priseur qui peut être mise en jeu indépendamment de la première ;

Que l'exception d'irrecevabilité doit donc être écartée ;

Attendu qu'il ressort tant du rapport de Monsieur Dillee, expert consulté par Monsieur Maze Sencier que de l'expertise judiciaire que le bureau litigieux n'est pas d'époque Louis XV, ni du XVIIIe siècle, mais une copie exécutée fin XIXe, ce que Maître Donzeau a implicitement admis en déclarant à l'expert "qu'elle pouvait s'être trompée" ; qu'au demeurant, l'expert a constaté qu'à la demande du tribunal que ce meuble a été fait "à partir et en partie de bois anciens, recouverts de placage moderne ;

Attendu qu'en présentant à la vente et en faisant la publicité dans la gazette de l'Hôtel Drouot du meuble litigieux comme étant un bureau d'époque Louis XV, sans émettre de réserves et sans s'assurer de l'authenticité alléguée, Maître Donzeau a commis une imprudence et engagé sa responsabilité ;

Attendu que la réparation du préjudice subi doit s'apprécier, s'agissant d'une responsabilité délictuelle, en tenant compte de la dépréciation de la valeur de l'objet au jour du jugement ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que le bureau plat Louis XV, s'il était d'époque, vaudrait entre 300 000 F et 400 000 F, alors que le meuble acquis par Monsieur Maze Sencier vaut à ce jour entre 60 000 F et 70 000 F ;

Qu'il convient en conséquence de confirmer l'indemnisation allouée par les premiers juges en faisant observer que l'intéressé qui conserve le meuble et jouit des travaux de restauration qu'il a commandés n'est pas fondé à demander le remboursement de cette dépense ;

Attendu que Monsieur Vallet qui n'a pu se défendre dans cette procédure, n'a fait aucune mention dans le bordereau de dépôt signé le 16 mai 1994 quant à l'authenticité du meuble ; qu'il a en effet mis en vente "un bureau plat, de forme galbée, en marqueterie et ornement bronze ;

Qu'il n'a donc commis aucune faute à l'égard du commissaire-priseur qui, en tout état de cause, en sa qualité d'officier public et ministériel, devait recueillir toutes les informations utiles ; que l'action en garantie contre le vendeur n'est donc pas fondée ;

Attendu cependant que le vendeur réalise un enrichissement injuste puisqu'il conserve le prix d'adjudication représentant la valeur d'une œuvre authentique alors qu'il ne possédait qu'un meuble de moindre valeur ;

Qu'il y a donc lieu sur ce point de réformer le jugement et de condamner Monsieur Vallet à restituer l'indu, soit la somme de 148 000 F, représentant la différence entre le prix d'adjudication et la valeur résiduelle du meuble ;

Attendu que les appelants qui succombent à l'égard de Monsieur Maze Sencier doivent payer à ce dernier la somme de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de Maître Donzeau et de Monsieur Maze Sencier et par défaut à l'égard de Monsieur Vallet, en matière civile, Accueille partiellement l'appel ; Réforme le jugement en ce qu'il a débouté Maître Donzeau de sa demande en restitution de l'indu ; Condamne Monsieur Vallet à payer à Maître Donzeau la somme de 148 000 F (cent quarante huit mille francs) ; Confirme pour le surplus le jugement attaqué ; Condamne en outre in solidum Maître Donzeau et la Préservatrice Foncière à payer à Monsieur Maze Sencier la somme de 5 000 F (cinq mille francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute Monsieur Maze Sencier du surplus de ses demandes ; Condamne Maître Donzeau et la Préservatrice Foncière aux dépens ; Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, Maître Michel Vergez, avoué, à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.