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Décisions

CA Rennes, 8e ch. A, 29 juin 1995, n° 94-8759

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Douet (Epoux), Leray

Défendeur :

Picoty (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Burdeau

Conseillers :

Mmes Boivin, L'Henoret

Avocats :

Mes Briand, Bonnet

Cons. prud'h. Nantes, du 9 mars 1994

9 mars 1994

Suivant acte sous-seing privé en date du 3 avril 1986 la société Picoty, société de distribution de produits pétroliers, a confié à la SARL AMCP la gestion de son fonds de commerce de la station-service exploitée à Ancenis dans le cadre d'un mandat pour la vente au détail des produits énergétiques, et d'un contrat de location-gérance pour la vente des produits énergétiques, pneus et accessoires de véhicules, prestations de lavage, graissages, réparations courantes avec autorisation d'effectuer des réparations mécaniques, l'achat, la vente de véhicules neufs ou d'occasion.

Marie-Claire Douet, gérante de la société, Pierrick Leray et Patrick Douet ont signé à la même date un engagement à cautionner la société AMCP à concurrence de 250 000 F au bénéfice de la société Picoty.

Par jugement du 28 septembre 1989 le Tribunal de commerce de Nantes a mis la société AMCP en redressement judiciaire, redressement judiciaire qui a été converti en liquidation judiciaire le 3 janvier 1991.

Le 9 mars 1994 les consorts Leray et Douet ont saisi le Conseil de prud'hommes de Nantes pour voir requalifié le contrat de société en contrat de travail, à compter du 1er mars 1988 au 31 janvier 1991 et obtenir paiement de salaires, congés payés et indemnités de rupture, la rupture du contrat étant imputable à la société Picoty.

Par jugement du 4 octobre 1994 le Conseil de prud'hommes de Nantes les a déboutés de leurs demandes, faisant valoir que les consorts Leray avaient entendu se placer dans la position de commerçants libres par l'entremise de la société AMCP, l'acte de cautionnement confirmant qu'ils ne se considéraient pas employés de la société Picoty, que Monsieur Douet était employé de la société AMCP, que les consorts Leray et Douet étaient gérants libres, avec toute latitude pour commercialiser d'autres produits que les énergétiques, que la société AMCP, locataire-gérante, faisait obstacle à l'application de la loi du 21 mars 1941.

Considérant que les consorts Leray et Douet, qui ont régulièrement interjeté appel de ce jugement sollicitent l'infirmation du jugement, la condamnation de la SA Picoty à verser respectivement à chacun d'eux :

- 199 473 F à titre de rappel de salaires,

- 19 947,30 F à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 1 709,98 F à titre d'indemnité de licenciement,

- 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

- 6 035,25 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis (brut),

- 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

en outre la remise de l'attestation ASSEDIC et d'un certificat de travail sous astreinte définitive de 300 F par jour de retard;

Qu'ils sollicitent l'application des dispositions de l'article L. 781-1 du Code du travail, font valoir que le contrat imposé par la société Picoty les plaçait dans les conditions d'exploitation de la loi du 21 mars 1941, avec l'obligation de s'approvisionner exclusivement auprès de la société Picoty, le local d'exploitation étant fourni par la même société, avec obligation de respecter les conditions de vente et obligation de se conformer aux prix indiqués par la société, le non-respect de cette obligation pouvant entraîner la résiliation du contrat; qu'en conséquence ils sollicitent la requalification du contrat en contrat de travail, revendiquent le bénéfice du coefficient 150 - niveau 2 de la convention collective des produits pétroliers, ayant des responsabilités accrues, et Patrick Douet, par disparition de la société Picoty qui n'était qu'une société écran devient également salarié de la société Picoty; que par la fermeture de l'établissement local d'Ancenis, ils se sont retrouvés sans emploi, la société Picoty n'ayant pas procédé à leur reclassement dans un autre établissement;

Considérant qu'ils sollicitent l'annulation de l'acte de cautionnement en application des articles L. 126-1 et suivants du Code du travail;

Considérant que la société Picoty conclut à la confirmation du jugement, au débouté des demandes des consorts Leray et Douet, et à leur condamnation conjointe et solidaire au paiement de la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; qu'elle soulève l'irrecevabilité de la demande de Patrick Douet, signataire seulement de l'engagement de caution du 3 avril 1986, pour défaut de qualité à agir devant la juridiction prud'homale, faisant valoir que salarié de la société AMCP, ce qui n'est même pas établi, il ne peut prétendre à la qualité de gérant libre de la station-service, ni bénéficiaire du mandat de vente ni du contrat de location-gérance; qu'elle s'oppose à l'application de l'article L. 781-1 du Code du travail aux personnes morales, le bénéficiaire de cette disposition ne pouvant être qu'une personne physique, la société AMCP, bénéficiaire du contrat de location-gérance était une société de droit commercial; qu'en tout état de cause elle fait valoir que les conditions générales d'application de l'article L. 781-1 du Code du travail ne sont pas réunies, la société AMCP ayant à côté des produits énergétiques la possibilité de vendre différents matériels, de procéder à différentes prestations avec liberté du choix de ses fournisseurs, des prix, de sa politique commerciale;

Discussion

Considérant que Marie-Claire Leray épouse Douet, et Pierrick Leray ont constitué une SARL dénommée AMCP au capital de 50 000 F inscrite au registre du commerce le 9 juillet 1986 avec pour objet d'exploiter sous forme de location-gérance la station-service Avia, propriété de la société Picoty; que Marie-Claire Douet et Pierre Leray étaient tous les deux co-gérants de la dite société;

Considérant que la société AMCP, représentée par Madame Douet a signé le 3 avril 1986 avec la société Picoty un contrat de mandat pour la vente des produits énergétiques, et un contrat de location-gérance libre, avec début d'exploitation au 1er mai 1986;

Considérant que le Code du travail édicte des dispositions relatives à certaines catégories particulières de travailleurs; qu'ainsi l'article L. 781-1 étend le bénéfice des dispositions du Code du travail et notamment le statut de salarié aux gérants libres de station-service et ce dans des conditions strictement définies et cumulatives; que ce texte ayant un caractère subsidiaire est donc d'interprétation stricte;

Considérant que ces dispositions visent " les personnes qui, les personnes dont la profession... ", c'est-à-dire des gérants personnes physiques ayant contracté en leur nom et pour leur compte avec l'entreprise ; qu'en effet le régime du louage de service ne peut s'appliquer à une société, le statut de salarié ne peut être accordé qu'à une personne physique qui doit donner son consentement individuel à l'exécution personnelle d'une prestation demandée sous l'autorité de l'employeur; qu'en conséquence le bénéfice des dispositions de l'article 781-1 du Code du travail ne saurait s'appliquer à une personne morale ni aux gérants de la dite personne morale; que c'est donc à tort que Madame Douet et Monsieur Leray revendiquent le statut social de salariés de la société Picoty; qu'ils ne démontrent nullement que la société AMGP qu'ils ont constituée n'était qu'une société factice, moyens qu'ils n 'ont jamais soulevé devant le tribunal de commerce dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire, puis de liquidation judiciaire;

Considérant que Patrick Douet n'est pas signataire de l'acte du 3 avril 1986, n'a jamais eu de relation contractuelle avec la société Picoty, à l'exception de la signature de l'engagement de caution, et en aucun cas il n'a eu la qualité de gérant libre de la station-service ; que tout au plus il n'a pu être que salarié de la société AMCP, mais la cour constate que sur ce point aucun document ne permet de vérifier sa position de salarié de cette dernière; que son action sur le fondement de l'article L. 781-1 du Code du travail est irrecevable pour défaut de qualité;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Picoty les frais irrépétibles engagés en cause d'appel, d'autant qu'elle a un caractère quelque peu dilatoire, une instance principale en exécution des engagements de caution étant pendante devant le Tribunal de grande instance de Nantes; qu'il y a lieu d'allouer de ce chef à la société Picoty la somme de 3 000 F;

Par ces motifs, Prononce la jonction des dossiers inscrits sous les n° RG 94-8759, 94-8760 et 94-8761; Reçoit les consorts Leray et Douet en leur appel; Au fond, Constate le défaut de qualité à agir de Patrick Douet et le déclare irrecevable; Déboute Marie-Claire Leray épouse Douet et Pierrick Leray de toutes leurs demandes; Condamne in solidum Marie-Claire Leray épouse Douet, Pierrick Leray et Patrick Douet à payer à la SA Picoty une indemnité de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Les condamne in solidum aux dépens.