CA Paris, 4e ch. A, 15 février 2006, n° 05-02031
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Tracing Server (SA)
Défendeur :
Conex (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carre-Pierrat
Conseillers :
Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland
Avoués :
Mes Olivier, Teytaud
Avocats :
Mes Rondeau, Diez
Vu l'appel interjeté, le 6 décembre 2004, par la société Tracing Server d'un jugement rendu le 15 octobre 2004 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :
* dit que la société Tracing Server s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale et parasitaire au détriment de la société Conex,
* fait interdiction à la société Tracing Server de distribuer, offrir et/ou commercialiser sous quelque forme que ce soit et notamment par téléchargement ou par simple consultation sur le site Internet www.tarifdouanier.com le logiciel Le Tarif Douanier constituant la contrefaçon du logiciel Selectarif et ce sous astreinte provisoire de 2 500 euro par jour à compter de la signification du jugement, pendant un mois, passé lequel délai il sera à nouveau fait droit,
* condamné la société Tracing Server à payer à la société Conex la somme de 40 000 euro toutes causes de préjudices confondus,
* ordonné, d'une part, la publication du dispositif du jugement, à compter du délai de quinzaine après sa signification, sur la première page du site www,tracingserver.com pendant une période de 3 mois, sous astreinte de 2 500 euro par jour de retard et, d'autre part, sous la même astreinte et sous les mêmes délais, que le serveur précité présente un lien hypertexte extérieur pointant sur le site de la société Conex à l'adresse www.conex.fr, et ce pendant un délai d'un mois après quoi il sera à nouveau fait droit,
* ordonné l'exécution provisoire du jugement, sauf en ce qui concerne les mesures de publication,
* condamné la société Tracing Server à verser à la société Conex la somme de 4 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;
Vu les dernières conclusions, signifiées le 2 mars 2005, aux termes desquels, la société Tracing Server, demande, aux termes d'un dispositif comportant une énumération de considérations ou de constatations qui ne sauraient constituer des prétentions au sens de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile, à la cour de :
* à titre principal, renvoyer la connaissance de la présente procédure au Tribunal de commerce de Lyon,
* à titre subsidiaire,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Conex de sa demande de condamnation à son encontre au paiement de dommages et intérêts pour l'utilisation du nom de domaine www.tarifdouanier.com,
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a déclarée coupable d'actes de contrefaçon, et, en l'état des pièces versées aux débats, que la société Conex ne peut éventuellement se prévaloir d'actes de parasitisme à son encontre, actes de parasitisme qu'elle avait, elle-même, commis à l'égard de la société EED,
* débouter la société Conex de l'ensemble de ses demandes,
* condamner la société Conex à lui payer la somme de 3 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les uniques conclusions, en date du 6 mai à 2005, par lesquelles la société Conex, poursuivant la confirmation jugement déféré, sauf en ce qui concerne le quantum des dommages et intérêts, demande à la cour de :
* condamner la société Tracing Server à lui verser les sommes suivantes :
- 100 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation des actes de contrefaçon,
- 100 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale,
- 100 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de l'avilissement et de la perte d'image de la société Conex à lui verser la somme de 100 000 euro,
* d'ordonner le transfert du nom de domaine www.tarifdouanier.com à son profit,
* condamner la société Tracing Server à lui payer la somme de 25 000 euro au titre de l'appel abusif,
* condamner la société Tracing Server lui payer la somme de 7 500 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel ;
Sur ce, LA COUR,
* sur la compétence :
Considérant que la société Tracing Server conteste la compétence du Tribunal de commerce de Paris au profit de celui de Lyon, au motif que les dispositions de l'article 46 du nouveau Code de procédure civile ne sauraient trouver application lorsque les faits reprochés ont été diffusés sur le réseau internet; que, dans un tel cas, seules celles de l'article 42 du même Code doivent être retenues, de sorte que le tribunal territorialement compétent est celui du lieu où demeure le défendeur;
Mais considérant que, en droit, lorsqu'une infraction aux droits de la propriété intellectuelle ou un acte de concurrence déloyale a été commis par une diffusion sur le réseau internet, le fait dommageable se réalise en tous lieux où les sites sont accessibles et où les informations sont mises à la disposition des utilisateurs éventuels du site;
Considérant que, en l'espèce, la société Conex n'a fait qu'user de son droit d'option offert par l'article 46 précité en engageant son instance devant le Tribunal de commerce de Paris, lieu, non contesté, où elle a subi le dommage dont elle demande réparation, ainsi qu'en atteste le constat dressé par l'APP;
Qu'il s'ensuit que, ce moyen n'étant pas sérieux, le jugement déféré mérite confirmation en ce que le tribunal a, à bon droit, retenu sa compétence;
* sur le fond :
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que :
* la société Conex, créée en 1985, a pour activité le développement et la commercialisation de logiciels destinés au traitement automatisé des formalités douanières,
* elle a, depuis 1996, développé une version informatisée du tarif douanier sous la dénomination Selectarif, dont les abonnés bénéficient périodiquement d'une mise à jour de la base de données par téléchargement on-line sur son site www.tarifdouanier.com,
* la société Conex indique que, ayant constaté que la société Tracing Server proposait sur un site www.tarifdouanier.com un logiciel offert gracieusement par téléchargement en ligne sous la dénomination Le Tarif Douanier qui, selon elle, reprenait les principales caractéristiques télévisuelles, d'interface, opérationnelles et fonctionnelles de son logiciel Selectarif, elle a fait dresser, les 14 et 15 octobre 2002, un procès-verbal de constat par l'agence de protection des programmes (APP),
* c'est dans ces circonstances que la société Conex a engagé la présente instance à l'encontre de la société Tracing Server tant en contrefaçon qu'en concurrence déloyale ;
Considérant que la société Conex revendique la protection instituée au Livre I du Code de la propriété intellectuelle au titre du droit d'auteur;
* sur la contrefaçon du logiciel Selectarif :
Considérant que, à bon droit, les premiers juges ont, aux termes d'une motivation précise et pertinente que la cour adopte expressément, retenu comme étant caractérisés les actes de contrefaçon imputés par la société Conex à la société Tracing Server;
Considérant que, force est de constater que la société appelante ne critique pas sérieusement les pièces versées aux débats par la société Tracing Server et qu'elle se borne, en réalité, à solliciter une mesure d'expertise ;
Or considérant que, outre les éléments justement retenus par le tribunal, il suffit de se référer aux constatations dressées, les 10, 14 et 15 octobre 2002, par l'APP, pour établir la réalité des actes de contrefaçon imputés à la société Tracing Server;
Qu'il s'ensuit que, sur ce point, le jugement déféré sera confirmé ;
* sur la concurrence déloyale et le parasitisme :
Considérant que, s'agissant de la concurrence déloyale, la société Conex reproche à la société Tracing Server d'avoir usurpé son nom de domaine dans le but de générer une confusion dans l'esprit du public ; qu'à cet effet, elle fait valoir qu'elle a, le 13 septembre 2000, retenu son nom de domaine www.tarif-douanier.com, alors que la société Tracing Server n'a procédé à la réservation de son propre nom de domaine www.tarifdouanier.com que le 17 juillet 2002;
Considérant que, contrairement à l'appréciation du tribunal, la société Conex justifie avoir effectivement déposé son nom de domaine le 13 septembre 2000, ainsi qu'en atteste la production d'un document émanant de NIC.NET (pièce n° 27);
Considérant que la reproduction et la réservation du nom de domaine www.tarifdouanier.com destiné à l'hébergement d'un site offrant un produit similaire, constitue manifestement un risque de confusion dans l'esprit d'un consommateur d'attention moyenne qui, compte tenu du fait que la seule différence résidant dans l'absence du trait d'union entre les mots Tarif et Douanier, circonstance n'étant pas de nature à modifier l'impression d'ensemble, peut attribuer aux deux sites une origine commune;
Qu'il s'ensuit que ce comportement fautif de la société Tracing Server caractérise un acte de concurrence déloyale, distinct de ceux retenus au titre de la contrefaçon, de sorte que le jugement déféré sera, par substitution de motifs, confirmé de ce chef;
Considérant que, s'agissant des actes de parasitisme imputés à la société Tracing Server, la société Conex invoque une extraction frauduleuse de sa base de données pour laquelle elle bénéficie d'une licence;
Mais considérant, en droit, qu'aux termes de l'article L. 341-1 du Code de la propriété intellectuelle, "le producteur d'une base de données, entendu comme la personne qui prend l'initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d'une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d'un investissement financier, matériel et humains substantiels" ;
Que, en l'espèce, force est de constater que la société Conex ne produit aux débats aucun document attestant de la nature et de l'importance des investissements engagés pour la réalisation de la base de données dont elle revendique la protection spécifique instaurée au profit du producteur d'une telle base;
Qu'il s'ensuit que la demande formulée à ce titre par la société intimée sera rejetée;
* sur les actes de publicité trompeuse :
Considérant, en droit, que, selon les dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation sont notamment interdites "les publicités comportant des présentations fausses ou de nature à induire en erreur... sur l'existence des produits" ;
Considérant, en l'espèce, que la société Conex soutient que la position qui consiste à laisser croire au public que les NESH sont disponibles sur le logiciel Le Tarif Douanier, alors qu'il n'en est rien, constitue manifestement un acte de publicité mensongère;
Mais considérant que la cour relève que la société Conex ne verse aux débats aucun document de nature à établir les actes de publicité, au sens du texte précité, qu'elle impute à la société Tracing Server;
Qu'il convient en conséquence de rejeter sa demande;
* sur les mesures réparatrices :
Considérant que la société Conex critique le jugement en ce que les premiers juges lui ont accordé une somme de 40 000 euro en réparation de l'intégralité de ses préjudices ;
Mais considérant que, au vu des éléments produits, le tribunal a, par une motivation pertinente que la cour adopte, fait une juste appréciation de l'ensemble des préjudices subis par la société Conex qui, en cause d'appel, ne verse aux débats aucun document complémentaire de nature à établir la réalité des préjudices qu'elle allègue;
Qu'il s'ensuit que le jugement déféré sera confirmé en ce qui concerne les dommages et intérêts ;
Que la mesure de publication, nécessaire pour mettre fin aux actes illégaux imputables à la société Tracing Server sera également confirmée, sauf à faire mention du présent arrêt ;
Qu'il y a lieu enfin d'ordonner le transfert du nom de domaine www.tarifdouanier.com, réservé par la société Tracing Server, au profit de la société Conex;
* sur les autres demandes :
Considérant que la société Tracing Server ayant pu se méprendre sur l'étendue de ses droits, la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la société Conex sera rejetée ;
Considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que la société Tracing Server sera déboutée de ses demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive et d'indemnité au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que, en revanche, l'équité commande de la condamner, sur ce dernier fondement, à verser à la société Conex une indemnité complémentaire de 5 000 euro ;
Par ces motifs, Confirme, par substitution de motifs, le jugement déféré en toutes ses dispositions, Et, y ajoutant, Ordonne le transfert du nom de domaine www.tarifdouanier.com, réservé par la société Tracing Server, au profit de la société Conex, Dit que la mesure de publication fera mention du présent arrêt, Condamne la société Tracing Server à verser à la société Conex une indemnité complémentaire de 5 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Tracing Server aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.