Livv
Décisions

CA Paris, 25e ch. A, 13 janvier 1995, n° 93-26523

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Squeli

Défendeur :

Poulain et Le Fur (SCP), Goddeeris, Beudin, Piette

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mme Renard-Payen, M. Faucher

Avoués :

Mes Huygue, Lecharny, SCP Gaultier-Kistner

Avocats :

Mes Cornut-Gentille, Gaultier, Gustin, Jamart, Debonnet

TGI Paris, 5e ch., du 14 oct. 1993

14 octobre 1993

Le 30 novembre 1990, Michel Beudin et Christian Piette, professionnels belges de l'automobile, ont confié à Maîtres Hervé Poulain et Rémy Le Fur, commissaires-priseurs associés qui organisaient une vente aux enchères publiques au Palais des congrès de Paris le lundi 10 décembre 1990, un véhicule appartenant à Wolf Goddeeris, de marque Jaguar, type XK 150, cabriolet 3,4 L, année 1960 qu'ils décrivaient ainsi "Voiture en très, très bon état général aussi bien mécanique (n'ayant parcouru que 61 000 km) qu'au niveau carrosserie (avec cependant une peinture plus récente) et n'ayant connu que deux propriétaires". Le véhicule a été reproduit au n° 38 du catalogue de la vente, lequel mentionnait "Ce cabriolet est en très bon état général aussi bien mécanique (n'ayant parcouru que 61 000 km) que carrosserie. Cette voiture a été vendue neuve en Belgique et n'a eu que deux propriétaires".

Il a été adjugé à Pierre Squeli dit Scali pour la somme de 350 000 F soit 369 284 F, frais inclus.

L'acquéreur ayant ultérieurement constaté que le compteur était libellé en miles et non en kilomètres, l'a confié pour examen à l'expert Jacques Belmont qui a constaté le 21 janvier 1991 que le véhicule, en bon état général extérieur, présentait cependant à certains endroits une oxydation importante, n'avait été restauré que partiellement et avait été utilisé sur plus de 60 000 km "contrairement à ce qui (était) indiqué sur le catalogue de vente".

Pierre Scali s'étant alors opposé au payement du chèque par lui remis, la SCP Poulain-Le Fur l'a assigné le 30 avril 1991 ainsi que Wolf Goddeeris, Christian Piette et Michel Beudin en référé aux fins d'expertise et de versement à titre de provision de la somme de 369 284 F.

Constatant qu'il appartenait à la SCP Poulain-Le Fur de présenter le chèque à l'encaissement, une ordonnance du 30 mai 1991 a rejeté la demande en payement mais a commis en qualité d'expert Claude Strahleim, lequel a déposé le 31 décembre 1991 un rapport complété, en exécution d'une ordonnance du 1er décembre 1992, par un second rapport du 10 mars 1993.

Les 22 avril, 11 et 18 mai 1992, Pierre Scali a assigné devant le Tribunal de grande instance de Paris Wolf Goddeeris, Christian Piette, Michel Beudin et la SCP Poulain-Le Fur aux fins de voir avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

- prononcer la résolution de la vente et, en conséquence, condamner solidairement Wolf Goddeeris et la SCP Poulain-Le Fur à lui payer les sommes de :

* 369 284 F avec intérêts de droit à compter du déboursé (9 juillet 1991) en restitution du prix d'achat,

* 50 000 F en réparation d'une résistance qualifiée d'abusive,

* 20 000 F en vertu de l'article 700 du NCPC.

- très subsidiairement, prononcer la condamnation solidaire de Wolf Goddeeris et de la SCP Poulain-Le Fur à lui payer la somme de 280 000 F en indemnisation du préjudice résultant de l'état du véhicule outre les sommes susvisées au titre du préjudice complémentaire et de l'article 700 du NCPC.

Les défendeurs ont conclu au rejet de la demande, la SCP Poulain-Le Fur invoquant de surcroît, à titre extrêmement subsidiaire, la garantie de Christian Piette et Michel Beudin.

Par jugement du 14 octobre 1993, le tribunal observant que les demandes de Pierre Scali s'analysaient en une action rédhibitoire et, subsidiairement, estimatoire, régie par les articles 1641 et suivants du Code civil, a relevé que :

- le vice caché de corrosion, retenu par l'expertise judiciaire, n'était pas de nature à rendre le cabriolet Jaguar impropre à un usage mais seulement à entraîner "une réduction de prix tenant compte de l'incidence des vices découverts sur la valeur réelle de la voiture" ;

- au vu des éléments fournis par l'expert qui avait rappelé le bon état général du véhicule, la valeur réelle était celle qui avait été payée par Pierre Scali déduction faite du montant des travaux de remise en état qui pouvaient être évalués à la somme de 60 000 F, laquelle était due à l'acquéreur par le vendeur ;

- Pierre Scali n'établissant pas de préjudice imputable à une faute du commissaire-priseur, autre que celui qui résultait de la différence de prix, ne pouvait engager la responsabilité de la SCP Poulain-Le Fur, étant de surcroît observé que faire garantir le vendeur d'une réduction de prix reviendrait pour celui-ci à un enrichissement sans cause.

Il a en conséquence condamné Wolf Goddeeris à payer à Pierre Scali la somme de 60 000 F à titre de réduction du prix du véhicule avec exécution provisoire et celle de 6 000 F en application de l'article 700 du NCPC et rejeté toutes autres demandes.

Pierre Scali a interjeté appel de ce jugement le 5 novembre 1993, à l'encontre de tous les défendeurs puis s'est désisté le 7 avril 1994 de ce recours à l'égard de Christian Piette et Michel Beudin, désistement constaté par ordonnance du conseiller de la mise en état du 29 avril 1994.

A l'appui de son recours, il expose que son action en résolution de la vente "n'est pas seulement fondée sur l'existence d'un vice caché constitué par la corrosion avancée du châssis et de la carrosserie mais également sur le fait qu'il a été gravement trompé tant par la présentation extérieure du véhicule que par les indications mensongères figurant dans le catalogue édité par l'étude Poulain-Le Fur sous sa responsabilité", cette circonstance constituant un dol qui s'ajoute aux indications mensongères relatives au kilométrage indiqué, au nombre de propriétaires antérieurs et au "prétendu très bon état général" du véhicule.

Il en déduit qu'il est bien fondé en sa demande tendant à voir prononcer la résolution de la vente et la restitution du prix de 369 284 F par le vendeur, augmenté des intérêts au taux légal à compter du 9 juillet 1991, date de la mise à l'encaissement du chèque par Maître Poulain, cette dernière demande étant justifiée par la mauvaise foi du vendeur, au sens de l'article 1378 du Code civil.

Alléguant en outre "qu'il est de jurisprudence constante que les indications figurant au catalogue engagent la responsabilité du commissaire-priseur", il fait valoir que la SCP Poulain-Le Fur doit être condamnée solidairement avec Wolf Goddeeris à lui rembourser la somme susvisée.

Invoquant les difficultés qu'il a rencontrées pour faire reconnaître ses droits, il sollicite en outre la condamnation solidaire de ces intimés à lui verser une somme de 50 000 F en réparation d'une résistance qualifiée d'abusive ainsi qu'une somme de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Très subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour ne prononcerait pas la résolution de la vente, il soutient que le dédommagement de 60 000 F retenu par l'expert ne correspond manifestement pas au préjudice certain qu'il a subi et sollicite de ce chef la condamnation solidaire de Wolf Goddeeris et de la SCP Poulain-Le Fur à lui verser une somme de 280 000 F outre les sommes de 50 000 F et de 30 000 F susvisées.

Wolf Goddeeris réplique que le dol qui ne se présume pas ne peut être retenu sur la seule indication erronée et non pas mensongère d'une utilisation du véhicule exprimée en miles et non en kilomètres ou du nombre de propriétaires antérieurs.

Il ajoute que le tribunal, à juste titre, a relevé que l'oxydation et la corrosion de parties cachées du véhicule ne constituaient pas un vice rédhibitoire, nuisible à l'utilité de la chose, la rendant impropre à l'usage ou diminuant celui-ci.

Il conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qui concerne la somme mise à sa charge au titre de l'article 700 du NCPC dont, aux termes de son appel incident du 26 octobre 1994, il demande à être déchargé.

Subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour prononcerait la résolution de la vente, il sollicite la condamnation de la SCP Poulain-Le Fur à le garantir de toute condamnation prononcée contre lui tant en principal qu'en intérêts et frais.

La SCP Poulain-Le Fur fait valoir que les griefs relevés par l'expert ne sont pas de nature à justifier une résolution de la vente mais que, dans le cas où la cour la prononcerait cependant, elle entraînerait la restitution in integrum.

Elle soutient que n'ayant commis aucune faute en se fiant à l'avis de deux professionnels de l'automobile, sa responsabilité régie par le droit commun ne peut être engagée.

Elle conclut à la confirmation du jugement ou subsidiairement à la condamnation de Michel Piette et Christian Beudin à la garantir de toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre.

Elle demande enfin la condamnation de tous succombant à lui verser la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Michel Beudin et Christian Piette qui n'interviennent qu'en tant que mis en cause par la SCP Poulain-Le Fur, font notamment observer que celle-ci a été assistée dans le cadre de la vente par trois experts qui avaient en charge l'examen de quelques 77 véhicules et qu'il n'est pas raisonnable d'admettre que les sommes de 19 284 F et 51 000 F par elle perçues respectivement de l'acquéreur et du vendeur à titre de payement de frais et d'honoraires "viendraient simplement à honorer un travail qui consisterait à procéder au montage d'un catalogue, à la réception des véhicules à vendre et à leur vente lors d'une séance d'enchères" mais exige de ladite SCP "une connaissance minutieuse des produits qu'elle entend mettre en vente et dont le nombre est d'ailleurs restreint".

Ils sollicitent la condamnation de la SCP Poulain-Le Fur à verser à chacun d'eux une somme de 5 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Sur ce,

Considérant que dans le souci d'une bonne administration de la justice il convient de prononcer la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 93-26 523 et 94-11 470 du répertoire général de la cour.

Sur la demande principale

Considérant que si Pierre Scali fonde sa demande en résolution de la vente non seulement sur l'existence d'un vice caché constitué par la corrosion avancée du châssis et de la carrosserie mais aussi sur le dol qui résulterait de la tromperie dont il aurait été victime tant par la présentation extérieure du véhicule que par les indications mensongères portées au catalogue, il convient de rappeler qu'en tout état de cause, le dol constitue un vice du consentement dont la sanction n'est pas la résolution mais l'annulation de la convention ;

Considérant que le rapport d'expertise fait apparaître qu' " il existe une oxydation importante du châssis et des longerons sur leur face externe mais également sur leur face interne ... (que) les tubulures sont encombrées de débris métalliques palpables (et que) les points de fixation de la suspension arrière, la traverse, les disques de freins avant et arrière, la canalisation d'échappement, en fait l'ensemble du soubassement est fortement oxydé " ;

Considérant que le tribunal a justement déduit de ces indications que si ce défaut était caché lors de la vente, il n'était cependant pas de nature à rendre le véhicule impropre à un usage au demeurant différent pour un véhicule de collection de celui d'un véhicule de série ;

Considérant que l'expert note que le catalogue indique sous le n° 38 et après une description technique conforme "kilométrage au compteur 61 000 km" alors que l'indication est faite en miles et non en kilomètres ;

Qu'il ajoute que cette erreur est facilement décelable et que la différence (61 000 miles = 98 000 km) ne paraît pas de nature à influencer la décision de l'acheteur dans le cas d'un véhicule de collection ;

Que ce vice apparent parce que prévisible pour une voiture de fabrication anglo-saxonne et par un collectionneur averti comme Pierre Scali (qui a reconnu devant l'expert avoir antérieurement fait plusieurs acquisitions de ce genre) ne saurait être retenu en l'espèce ;

Considérant que si l'assertion du catalogue selon laquelle la voiture avait été vendue neuve en Belgique et n'avait eu que deux propriétaires est qualifiée d'erronée et trompeuse par l'expert qui relève que le véhicule avait probablement été importé des USA et qu'il était impossible de connaître le nombre de ses propriétaires entre 1960 et 1976, les premiers juges ont observé à bon droit que cet élément ne pouvait avoir été déterminant dans l'acquisition du cabriolet "si agissant de plus d'un véhicule de collection dont l'expert a confirmé le très bon état extérieur" ;

Que le jugement déféré qui, se fondant sur le seul vice de corrosion, a procédé à une réduction du prix tenant compte de l'incidence de celui-ci sur la valeur réelle de la voiture et l'a fixée à la somme de 60 000 F, sera confirmé ;

Considérant que le payement de cette somme doit être mis à la seule charge de Wolf Goddeeris en sa qualité de vendeur de la chose litigieuse et non pas à la charge solidaire de celui-ci et de la SCP Poulain-Le Fur dont le tribunal a relevé à juste titre qu'elle n'avait qu'une responsabilité subsidiaire ;

Que la demande de la SCP Poulain-Le Fur à l'encontre de Christian Piette et Michel Beudin est en conséquence sans objet ;

Sur les autres demandes

Considérant que Pierre Scali qui n'établit pas le caractère abusif ou dilatoire de la procédure et succombe partiellement en celle-ci, sera débouté de sa demande en dommages-intérêts ;

Sur les frais irrépétibles

Considérant qu'il est équitable de laisser à la charge des parties les sommes par elles exposées en cause d'appel non comprises dans les dépens ;

Que la somme allouée en première instance à Pierre Scali sera en revanche confirmée ;

Par ces motifs, Prononce la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 93-26 523 et 94-11 470 du répertoire général de la cour ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne Pierre Scali aux dépens d'appel ; Admet Me Lecharny et la SCP Gaultier-Kistner, avoués, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.