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Décisions

Ministre de l’Économie, 10 février 2005, n° ECOC0500230Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseils de la société Groupe Canal +

Ministre de l’Économie n° ECOC0500230Y

10 février 2005

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maîtres,

Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 6 janvier 2004, vous avez notifié l'acquisition, par la société Groupe Canal + (ci-après " Groupe Canal + "), auprès de la société Lagardère Active Broadcast SA, de 30,3 % du capital de la société Multithématiques. La participation de Groupe Canal + dans le capital de cette dernière passe ainsi de 69,7 % à 100 %.

I. LES ENTREPRISES CONCERNÉES ET L'OPÉRATION

Cette acquisition a été formalisée par une série d'accords signés le 3 janvier 2005. Elle s'inscrit dans un cadre plus large que celui de l'opération notifiée. En effet, aux termes des accords du 3 janvier, Groupe Canal + et Lagardère mettent fin à leur coopération au sein de la société Multithématiques mais également à celle qui existait au sein de Lagardère Thématiques (1).

Groupe Canal + est principalement active dans l'édition et la commercialisation de chaînes thématiques, la distribution et la commercialisation de bouquets de services et de programmes de télévision par câble et par satellite et la coproduction et distribution de films. Elle est contrôlée par Vivendi Universal, société-mère du groupe du même nom, actif dans le secteur des médias et des télécommunications. Vivendi Universal a réalisé, en 2003, un chiffre d'affaires total consolidé de 25 milliards d'euro dont 11 milliards réalisés en France.

Multithématiques est une société active dans l'édition des chaînes thématiques suivantes : Planète, Planète Choc, Planète Thalassa, Ma Planète, Seasons, Jimmy, Cinécinéma Premier, Cinécinéma Frisson, Cinécinéma Emotions, Cinécinéma Famiz, Cinécinéma Auteur, Cinécinéma Classics, Cinécinéma Info, Comédie et Cuisine TV. Elle a réalisé, en 2003, un chiffre d'affaires total de [...] millions d'euro dont [> 50] millions réalisés en France.

En ce qu'elle confère à Groupe Canal + le contrôle exclusif de Multithématiques, en lieu et place du contrôle conjoint existant antérieurement, l'opération notifiée constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Compte tenu des chiffres d'affaires des entreprises concernées, elle ne revêt pas une dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. LES MARCHÉS CONCERNÉS

Les marchés concernés par la présente opération ont déjà été définis par plusieurs décisions rendues par les autorités nationales et communautaires de concurrence (2). Groupe Canal + et Multithématiques sont simultanément présents sur le marché français de l'édition et de la commercialisation de chaînes thématiques. Sur ce marché, la question de la segmentation du marché par thématique peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse demeurant inchangées.

En amont de ce marché, les chaînes thématiques s'approvisionnent en droits de diffusion, marché qui peut lui-même être segmenté en trois ensembles (3) : marché de l'achat de droits de diffusion d'œuvres cinématographiques, marché de l'achat de droits de diffusion d'œuvres audiovisuelles et marché de l'achat de droits de diffusion d'événements sportifs. En outre, aux termes de la lettre d'autorisation de l'opération Canal Plus/UGC DA (4), le ministre distingue les programmes de stocks (films, téléfilms...) de ceux de flux (programmes d'information, magazines, jeux...). La Cour d'appel de Paris, aux termes d'un arrêt en date du 15 juin 1999 a défini un marché spécifique des droits de diffusion des films d'expression française récents sur les chaînes de télévision à péage. En tout état de cause, il n'apparaît pas nécessaire d'approfondir l'analyse de la segmentation du marché des droits de diffusion, les conclusions de l'analyse demeurant inchangées.

En aval de ce marché, les chaînes thématiques (5) sont commercialisées à des abonnés sur le marché de la télévision à péage (6). La question d'une segmentation plus fine selon le mode d'acheminement réalisé par les distributeurs, exploitants de réseaux câblés ou opérateurs de bouquets distribués par satellite ou par ADSL ou, prochainement, par la Télévision Numérique Terrestre (ci-après " TNT "), peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse demeurant inchangées.

Aux termes de la jurisprudence communautaire et nationale (7), la dimension géographique des marchés précédemment identifiés est nationale.

III. L'ANALYSE CONCURRENTIELLE

Sur le marché de l'édition et de la commercialisation de chaînes thématiques, l'opération notifiée a pour effet de donner au Groupe Canal + un contrôle exclusif sur quinze chaînes, représentant [10- 20] % de parts de marché en valeur (8). Ces chaînes s'ajoutent aux chaînes thématiques déjà détenues par Groupe Canal + (Sport+, i>TELE, ainsi que Kiosque, service de payement à la séance), qui représentent [10-20] % de parts de marché.

Dans le cadre des accords passés avec Lagardère, le Groupe Canal + perd toutefois simultanément tout contrôle sur les huit chaînes thématiques appartenant à Lagardère thématiques, soit une part de marché de [0-10] % ([0-10] % en nombre d'abonnés). Groupe Canal +, qui détenait un contrôle conjoint ou exclusif sur des chaînes thématiques représentant au total [30-40] % de parts de marché en valeur ([20-30] % en nombre d'abonnés), détiendra, à l'issue de l'opération, une part de marché plus faible, [20-30] % en valeur ([10-20] % en nombre d'abonnés), mais dans le cadre d'un contrôle exclusif. On constate donc une évolution en sens contraire de la nature et du périmètre du contrôle exercé par Groupe Canal +.

Sur ce marché, Groupe Canal + sera, à l'issue de l'opération le premier opérateur. Toutefois, il ne se trouvera pas dans une situation plus favorable par rapport à celle qu'il occupait avant les deux opérations de décroisement entre Groupe Canal + et Lagardère, dans la mesure où il perdra le co-contrôle qu'il exerçait antérieurement sur les neuf chaînes éditées et commercialisées par Lagardère thématiques. En outre, il restera confronté à la concurrence d'acteurs significatifs tels que TPS, TF1 et AB. Les parties soulignent en outre que les opérations de décroisement auront pour effet de " rendre leur autonomie " à Groupe Canal + et Lagardère sur le marché de l'édition et de la commercialisation de chaînes thématiques. La convention d'acquisition signée entre les parties le 3 janvier 2005 prévoit en particulier à son article 7.2 que " le protocole d'accord relatif à un partenariat dans l'édition de chaînes thématiques ", conclu le 2 mai 2000, prendra fin lors de la réalisation de l'opération notifiée.

Sur le marché amont de l'acquisition de droits de diffusion audiovisuelle, les deux opérations de décroisement auront pour seul effet, selon les parties, de rendre son autonomie à Lagardère. En outre, le montant des achats réalisés pour l'ensemble des chaînes de Multithématiques est limité à moins de [...] millions d'euro par an.

Sur le marché aval de la télévision à péage, l'opération notifiée n'a pas d'impact, les chaînes de Multithématiques restant, comme avant l'opération, diffusées en exclusivité par Canalsatellite. Il en est de même pour les chaînes de Lagardère thématiques. L'intégration verticale entre Groupe Canal + et Canalsatellite n'est pas sensiblement modifiée par l'opération dans la mesure où, avant comme après celle-ci, Canalsatellite fait l'objet d'un contrôle conjoint de Groupe Canal + et de Lagardère. Dans ces conditions, la prise de contrôle exclusive des chaînes de Multithématiques par Groupe Canal + n'est pas susceptible d'avoir un impact sur le marché aval de la télévision à péage, et plus particulier concernant le mode de distribution par satellite.

Selon les parties, le seul objet de l'opération consiste finalement, pour Groupe Canal +, à modifier la nature du contrôle exercé sur les chaînes pour lesquelles il sollicite une autorisation de diffuser en mode numérique hertzien. En effet, dans une décision société TF1 du 20 octobre 2004, le Conseil d'État a annulé six décisions d'autorisation de diffusion en numérique hertzien accordées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, en raison des liens structurels existants entre Groupe Canal + et Lagardère.

Aux termes de l'article 41 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004, " une même personne peut être titulaire, directement ou indirectement, d'un nombre maximal de sept autorisations relatives chacune à un service ou programme national de télévision diffusé par voie hertzienne terrestre en mode numérique ".

L'opération aura pour effet de permettre à Groupe Canal + de déposer, au maximum, sept demandes d'autorisation d'accès à la TNT pour sept chaînes thématiques dont il détiendra un contrôle exclusif, en lieu et place des sept demandes d'autorisation qu'il aurait pu demander pour sept chaînes thématiques dont il détenait un contrôle conjoint ou exclusif. En soi, ce changement, qui ne concerne pas le nombre d'autorisations susceptibles d'être délivrées à Groupe Canal + mais seulement la nature du contrôle exercé par celui-ci sur les chaînes pour lesquelles il aura demandé une autorisation, ne place pas Groupe Canal + dans une situation plus favorable que ses concurrents. Ceux-ci peuvent en effet également solliciter au maximum sept demandes d'autorisation d'accès à la TNT pour des chaînes dont ils détiennent un contrôle conjoint ou exclusif. L'opération notifiée ne prive pas non plus un concurrent ou un nouvel entrant d'un accès à une ressource rare, la TNT, dans la mesure où Groupe Canal + est, avant comme après l'opération, limité à sept autorisations.

En outre, ces demandes, qu'il appartient à Groupe Canal + d'effectuer ou non, sont sans préjudice de la réponse que le Conseil supérieur de l'audiovisuel est amené à apporter au titre de ses compétences.

Dans ces conditions, l'opération notifiée, dont le seul effet est de modifier la nature du contrôle exercé par Groupe Canal + sur les chaînes thématiques pour lesquelles il demandera une autorisation au titre de la TNT, n'est pas de nature à modifier significativement les conditions de concurrence sur le marché de la télévision à péage.

La Commission européenne, lors de son examen en 2000 de l'acquisition de contrôles conjoints sur Canalsatellite, Multithématiques et Lagardère thématiques au profit de Groupe Canal + et Lagardère (9), avait considéré que ces accords n'avaient pas pour objet ou pour effet une coordination du comportement concurrentiel des parties notifiantes (10). Les deux opérations de décroisement notifiées par Groupe Canal +, d'une part, et par Lagardère, d'autre part, diminuent les liens structurels existants entre ces groupes sans les supprimer. Elles ne sauraient par conséquent avoir, en elles-mêmes, pour effet de favoriser la coordination du comportement concurrentiel des deux groupes concernés.

En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.

Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de ma considération distinguée.

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale. Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.

(1) Le retrait de Groupe Canal + du capital de Lagardère Thématiques, qui se traduit par l'acquisition du contrôle exclusif de cette dernière société par Lagardère Active Broadcast, est une opération de concentration distincte de celle-ci. Elle a fait donc l'objet d'une notification séparée.

(2) Voir notamment décision du ministre de l'Economie et des Finances C2004-127 TF1-AB/TMC.

(3) Voir les décisions de la Commission européenne M.2876 Newscorp/Telepiu du 2 avril 2003, JV 57 TF1-M6/TPS du 30 avril 2002 et M.2050 Vivendi/Canal +/Seagram du 13 octobre 2000.

(4) Lettre d'autorisation de l'opération Canal Plus/UGC DA, en date du 7 octobre 1996 et publiée au BOCCRF du 5 décembre 1996

(5) Les chaînes thématiques qui, au 12 février 2004, sont au nombre de quatre-vingt-dix-sept, représentent aujourd'hui 13 % de l'ensemble du secteur de la télévision payante (source : CSA).

(6) Sur la distinction télévision gratuite/payante, voir notamment les décisions du Conseil de la concurrence n° 03-D-59 du 9 décembre 2003 et n° 98-D-70 du 24 novembre 1998, la lettre précitée d'autorisation de l'opération M6/TPS en date du 12 septembre 2002 et les décisions de la Commission européenne IV/36.237 TPS du 3 mars 1999 et IV/36.539 British Interactive Broadcasting du 15 septembre 1999.

(7) Décision de la Commission européenne n° IV/36.237 TPS en date du 3 mars 1999. Décision précitée de la Commission européenne IV/M.553 RTL/Veronica/Endemol en date du 20 septembre 1995.

(8) Source citée par les parties : lettre du CSA n° 177 - octobre 2004.

(9) JV40 Lagardère/Canal +, JV47 Lagardère/Canal +/Liberty Media (dans Multithématiques, Liberty media était également en contrôle conjoint jusqu'en 2002).

(10) Voir aussi M.2766 Vivendi/Lagardère/Multithématiques.