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Décisions

Cass. com., 14 mars 2006, n° 05-13.048

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Privileg (SAS)

Défendeur :

Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Conseil de la concurrence, Procureur près la Cour d'appel de Paris, Société technique d'abattage de Laval (Sté), Mayenne viande (SA), Les Fermiers de l'Erve (Sté), Ernee viandes (SARL), Syndicat national du commerce du porc, Fédération nationale des exploitants d'abattoirs prestataires de services, Fédération nationale de l'industrie et des commerces en gros de viandes, Pichot, Bonet, Thomas

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Rapporteur :

Mme Beaudonnet

Avocat général :

M. Feuillard

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, Mes Ricard, Spinosi, SCP Bachellier, Potier de La Varde

Cass. com. n° 05-13.048

14 mars 2006

LA COUR : - Joint les pourvois n° 05-13.048 formé par la société Privileg et n° 05-13-118 formé par les sociétés Mayenne Viande et Les fermiers de l'Erve, qui attaquent le même arrêt ; - Donne acte à la société Privileg de ses désistements partiels à l'encontre de la société Mayenne Viande et de MM. Pichot, Bonet et Thomas et aux sociétés Mayenne Viande et Les fermiers de l'Erve de leurs désistements partiels à l'encontre de la Société technique d'abattage de Laval (STAL), de la société Privileg, du Syndicat national du commerce de porc (SNCP), de la Fédération nationale des exploitants d'abattoir prestataires de services (FNEAP), de la Fédération nationale de l'industrie et des commerces en gros des viandes (FNICGV) et de MM. Pichot, Bonet et Thomas ; - Attendu,

Selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 22 février 2005), que, saisi le 7 février 2002 par la société Ernée Viandes (Ernée) de pratiques d'ententes mises en œuvre dans les secteurs de l'abattage d'animaux de boucherie et de la commercialisation, au stade grossiste et semi-grossiste, des viandes issues de l'abattage, le Conseil de la concurrence (le Conseil), statuant selon la procédure simplifiée de l'article L. 463-3 du Code de commerce, a, par décision n° 04-D-39 du 3 août 2004, infligé aux sociétés Privileg, Mayenne Viande, Les fermiers de l'Erve, qui exercent en vue de la vente une activité de découpe et de préparation de la viande après abattage des animaux, et à la société technique d'abattage de Laval (STAL), qui exploite l'abattoir public de Laval dans le cadre d'un contrat d'affermage conclu avec la Communauté d'Agglomération de Laval (CAL), et dont les sociétés Privileg, Mayenne Viande et Les fermiers de l'Erve, usagers de l'abattoir, sont actionnaires, des sanctions pécuniaires allant de 15 000 à 542 500 euro, a ordonné des mesures de publication et la transmission du dossier au Procureur de la République ; que les griefs d'ententes retenus par le Conseil concernent d'une part une concertation entre ces quatre sociétés pour répartir entre les trois premières les tonnages libres d'abattage de porcs de l'abattoir de Laval et ceux correspondant à des engagements passés avec d'autres usagers et refuser à la société Ernée l'accès aux services de cet abattoir et d'autre part une concertation entre les sociétés Privileg, Mayenne Viande et Les fermiers de l'Erve pour maintenir les tarifs de la STAL à des niveaux artificiellement bas au regard de ses déficits d'exploitation ; que ces sociétés ont formé un recours en annulation, et subsidiairement en réformation, à l'encontre de la décision du Conseil et le ministre de l'Economie un recours incident ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 05-13.118 : - Attendu que ces sociétés font grief à l'arrêt d'avoir dit qu'il était établi qu'elles avaient enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, de leur avoir infligé des sanctions pécuniaires, et d'avoir ordonné la publication de la décision du Conseil et la transmission du dossier au parquet alors, selon le moyen, que le Conseil de la concurrence n'est pas compétent pour apprécier la régularité des actes de gestion d'un service public qui mettent en œuvre des prérogatives de puissance publique ; qu'ainsi la cour d'appel, qui, tout en admettant que le Conseil de la concurrence n'était pas compétent pour apprécier la validité des conventions d'engagements conclues par la CAL qui constituaient des contrats administratifs, a considéré que cette compétence devait être admise pour se prononcer sur la régularité des pratiques reprochées à des personnes privées dans le cadre de l'exécution de ces contrats, mettant en cause l'interprétation de ceux-ci, a violé l'article L. 410-1 du Code de commerce ;

Mais attendu qu'en confirmant la compétence du Conseil pour connaître des faits reprochés aux sociétés STAL, Privileg, Mayenne Viande et Les fermiers de l'Erve et consistant notamment en une entente pour se répartir entre usagers de l'abattoir de la ville de Laval les tonnages libres et ceux correspondant à des engagements passés avec d'autres usagers défaillants et refuser à la société Ernée l'accès à cet abattoir, la cour d'appel, qui a retenu, par motifs propres et adoptés, que ces agissements sont le fait de personnes privées et sont détachables de la conclusion des conventions administratives d'engagements d'apports passées par la CAL avec des usagers de l'abattoir afin de leur imposer des obligations destinées à garantir les investissements publics, a fait l'exacte application de la loi ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi n° 05-13.118 et le premier moyen du pourvoi n° 05-13.048, réunis : - Attendu que ces sociétés font grief à l'arrêt d'avoir dit qu'il était établi qu'elles avaient enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, de leur avoir infligé des sanctions pécuniaires, et d'avoir ordonné la publication de la décision du Conseil et la transmission du dossier au parquet, alors, selon le moyen : 1°) que le marché pertinent à l'intérieur duquel s'apprécient les comportements susceptibles d'être incriminés au titre de l'article L. 420-1 du Code de commerce est le marché sur lequel les entreprises en cause sont susceptibles de se faire concurrence à raison du caractère substituable des produits ou services ; qu'ainsi, en l'espèce où étaient en cause le prétendu refus d'accès de la société Ernée viandes à l'abattoir de Laval, le marché pertinent était le marché de l'abattage dans la région de Laval sur lequel les usagers de l'abattoir n'étaient pas en position de concurrence, de sorte que la cour d'appel, en considérant que ledit marché était celui de la commercialisation de la viande de boucherie en gros, a violé le texte précité ; 2°) qu'il appartient aux juridictions saisies de vérifier si l'effet potentiel ou avéré des pratiques incriminées est de nature à restreindre de manière sensible le jeu de la concurrence sur le marché pertinent ; que cette appréciation ne peut être menée sans égard pour la dimension géographique du marché pertinent ; qu'en se bornant, pour éluder les critiques dirigées contre la décision du Conseil de la concurrence d'attribuer une dimension régionale au marché pertinent, à relever que la dimension du marché affecté par les pratiques était sans incidence sur la qualification des ententes en cause, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 420-1, L. 464-2 et L. 464-5 du Code de commerce ; 3°) qu'en déduisant de la circonstance que les abattoirs achetaient 90 % des porcs vivants dans un rayon de 120 kilomètres autour de leurs installations, que le marché pertinent revêtait nécessairement une dimension régionale, cependant qu'elle affirmait par ailleurs que l'entente avait été motivée par la circonstance que "les entreprises de découpe et de commercialisation de viande associées dans la STAL et usagers de l'abattoir municipal craignaient la concurrence nouvelle d'éleveurs qui se lançaient dans l'activité de découpe en intégrant directement la filière aval de la commercialisation, supprimant ainsi l'échelon intermédiaire où elles-mêmes intervenaient et générant des économies de coût qui auraient pu se répercuter sur la clientèle", ce dont il s'évinçait que la concurrence entre les requérantes et la société Ernée viandes n'aurait pu s'exercer sur le marché "amont" d'approvisionnement en animaux vivants des entreprises de découpe, mais sur le seul marché "aval", sur lequel ces entreprises revendaient les viandes préparées par leurs soins, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, au mépris de l'article L. 420-1 du Code de commerce ; 4°) que la charge de la preuve de l'atteinte portée par les pratiques incriminées à la concurrence sur le marché pertinent repose sur l'autorité de poursuite des infractions aux règles de la concurrence ; qu'en se bornant à relever que les sociétés requérantes ne rapportaient pas la preuve que le marché "aval" sur lequel elles commercialisaient leurs viandes auprès des professionnels de la restauration et de la distribution revêtait une dimension nationale, quand il appartenait au ministre de l'Economie de justifier des éléments qui auraient dû conduire à retenir une segmentation régionale de ce marché, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

Mais attendu que, pour définir le marché pertinent comme étant le marché régional de la commercialisation des viandes et sous-produits d'animaux de boucherie au stade de gros et demi-gros, l'arrêt retient, par motifs adoptés, d'une part, que c'est sur ce marché que les sociétés Ernée, Privileg, Mayenne Viande et Les Fermiers de l'Erve, qui exercent, en vue de la vente, la même activité de découpe et de préparation des viandes après abattage des animaux, sont en situation de se faire concurrence, et d'autre part, qu'il s'agit d'un marché régional dès lors que les abattoirs achetant 90 % des porcs vivants dans un rayon de cent vingt kilomètres autour de leurs installations, l'accès au marché suppose l'accès aux services des abattoirs situés dans la zone de chalandise commune aux entreprises en cause ; que les conditions faites en amont quant à l'accès aux abattoirs sont susceptibles d'affecter les modalités de la concurrence sur le marché aval où se confrontent ces entreprises ; qu'en l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen du pourvoi n° 05-13.048, pris en sa première branche et sur le troisième moyen du pourvoi n° 05-13.118, pris en sa deuxième branche, réunis : - Attendu que ces sociétés font le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen : 1°) qu'en affirmant que les usagers de la STAL s'étaient concertés pour maintenir les tarifs de l'abattoir à un niveau artificiellement bas et pour faire financer ses déficits d'exploitation par la collectivité territoriale propriétaire de l'abattoir, sans se prononcer, ainsi qu'elle y était invitée, sur les documents comptables établis par la Communauté d'Agglomération de Laval qui faisaient ressortir qu'entre 1997 et 2001, les recettes de taxe d'usage collectées sur les usagers de l'abattoir avaient toujours permis de couvrir amplement les dépenses engagées par la collectivité territoriale pour cet abattoir, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 2°) qu'une différence de tarif de 13,65 % entre un abattoir privé qui recherche le profit et un abattoir public qui n'a pas un tel objectif, ne peut être considérée comme une pratique de nature à fausser le jeu de la concurrence au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé ledit texte ;

Mais attendu qu'en retenant, par motifs propres et adoptés, que, malgré une dégradation continue du résultat d'exploitation de la STAL depuis 1996, les associés de cette société, également usagers de l'abattoir, se sont refusés à trois reprises en 2000 à toute revalorisation des tarifs de la STAL et à la rémunération des services de boyauderie qui ne leur étaient pas facturés, mais ont, au moyen d'une présentation tronquée des causes des difficultés financières de la STAL, obtenu de la CAL une exonération de taxe foncière de 98 602 francs pour l'année 2000 et une subvention exceptionnelle de 230 000 francs, et en relevant que l'origine comptable des fonds ainsi attribués par la CAL est sans incidence sur la caractérisation des pratiques consistant pour les sociétés Privileg, Mayenne Viande et Les fermiers de l'Erve à s'entendre afin de maintenir les tarifs de la STAL à un niveau artificiellement bas au regard des conditions d'exploitation déficitaires de l'abattoir, créant ainsi à leur avantage une distorsion de concurrence injustifiée, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait et a légalement justifié sa décision ;

Sur le troisième moyen du pourvoi n° 05-13.118, pris en sa première branche et le troisième moyen du pourvoi n° 05-13.048, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches, réunis : - Attendu que ces sociétés font le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen : 1°) qu'en relevant que constituent des pratiques illicites les partages des tonnages non utilisés entre actionnaires sans qu'un cautionnement soit exigé, quand dans le même temps un tel cautionnement était demandé à Ernée viandes et quand notamment Mayenne viande n'a obtenu que le 8 janvier 2002 la caution bancaire correspondant au tonnage validé par une réunion de bureau du 24 juin 2000, sans répondre au mémoire d'appel de Mayenne viande (p. 27) qui faisait valoir que la CAL a bénéficié sans discontinuité des cautions bancaires requises et ce n'est que lorsque les cautions de remplacement ont été constituées par la société Mayenne viande que les anciennes cautions ont été retournées aux anciens usagers, ainsi que l'établissait une lettre de la CAL du 11 février 2002, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 2°) que la partie qui renonce à un droit s'interdit d'en invoquer ultérieurement le bénéfice ; qu'en jugeant que les refus opposés par les organes de la STAL aux demandes d'abattage de la société Ernée Viandes étaient constitutifs d'une entente illicite, en ce qu'ils tendaient à faire échec à la cession des droits d'abattage de l'EURL Lepont au profit de cette société, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la lettre du 3 août 1999, par laquelle la société Ernée Viandes avait déclaré à la STAL ne pas être intéressée par la reprise du volume d'abattage des porcs de l'EURL Lepont n'était pas constitutive d'une renonciation de sa part à toute reprise des droits et engagements de l'EURL Lepont et ne rendait pas légitime la décision de la STAL de répartir entre ses associés le volume d'abattage devenu disponible, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce, ensemble l'article 1134 du Code civil ; 3°) que la discrimination dans l'accès à un service public n'est constituée qu'autant que des usagers placés dans des situations identiques se sont vus appliquer des conditions d'accès distinctes ; qu'en qualifiant de discriminatoire la fourniture d'une caution bancaire à laquelle avait été subordonné l'accès de la société Ernée Viandes aux services de l'abattoir de Laval, au seul motif que d'autres usagers auraient été admis à régulariser leurs situations en complétant leurs cautions bancaires a posteriori, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la situation personnelle de la société Ernée Viandes, caractérisée par des déficits d'exploitation préoccupants enregistrés dès ses premiers mois d'existence, ne justifiait pas l' exigence de cette caution bancaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce ; 4°) que la société Privileg indiquait dans ses conclusions que les disponibilités de l'abattoir de Laval ne concernaient que l'abattage des boeufs, qui exigeait des infrastructures frigorifiques distinctes de celles utilisées pour les porcs, ce qui expliquait que les demandes d'abattage de porcs de la société Ernée Viandes aient été refusées en un temps où l'abattoir ne fonctionnait pas au maximum de ses capacités ; qu'en affirmant que les demandes de la société Ernée Viandes avaient été repoussées sous le prétexte fallacieux d'une saturation des capacités de l'abattoir sans s'expliquer sur ce moyen péremptoire, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 5°) qu'en jugeant que la société Privileg n'avait pu se faire rétrocéder les tonnages Lepont qu'au terme d'une "interprétation grossièrement erronée", et par là-même fautive, de la stipulation de solidarité contenue dans les conventions d'apport, cependant qu'elle relevait par motifs adoptés (122) que cette stipulation prévoyait que le contrôle des apports des usagers solidaires serait effectué en comparant la somme globale de leurs engagements et la somme de leurs apports, ce dont il résultait qu'existait une difficulté sérieuse d'interprétation sur le point de savoir si la solidarité ainsi convenue n'exposait pas la société Privileg à devoir supporter les conséquences de la défaillance de l'entreprise Lepont dans ses rapports avec la CAL, la cour d'appel a violé l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que la société Ernée avait demandé à neuf reprises entre le mois d'août 1999 et le mois d'octobre 2001 l'accès aux services de l'abattoir de Laval, par reprise des tonnages de l'EURL Lepont ou pour abattage sans référence à ces tonnages, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la STAL a justifié ses refus successifs en invoquant des motifs dilatoires, discriminatoires ou fallacieux ; qu'en particulier, d'une part, a été exigé de la société Ernée le versement immédiat d'une caution bancaire sans même qu'ait été signée une convention d'engagement d'apports cependant que les usagers associés de la STAL s'étaient, dès le mois de juin 2000, réparti certains tonnages disponibles sans que le cautionnement légalement dû ne soit obtenu des sociétés Mayenne Viandes et les Fermiers de l'Erve avant le 8 janvier 2002, ni même exigé de la société Privileg et alors que les conventions d'engagements stipulées avec solidarité entre associés n'impliquent pas qu'en cas de disparition d'une des sociétés engagées, l'intégralité de ses engagements soit automatiquement récupérée par les usagers dont elle était solidaire, d'autre part, a été invoquée la saturation des capacités de l'abattoir alors que, dans le même temps le 24 mai 2000, le conseil d'administration de la STAL mettait l'accent sur la baisse sensible des tonnages et envisageait d'augmenter les ressources en retrouvant des volumes complémentaires de porcs notamment ; que la cour d'appel a pu déduire de ces constatations que les sociétés STAL, Privileg, Mayenne Viandes et les Fermiers de l'Erve s'étaient entendues pour refuser à la société Ernée l'accès aux services de l'abattoir de Laval et a légalement justifié sa décision ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi n° 05-13.048 : - Attendu que la société Privileg fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°) qu'il appartient aux juridictions saisies de pratiques anticoncurrentielles d'apprécier les distorsions de concurrence alléguées à la lumière de l'ensemble des infrastructures opérant dans la zone géographique retenue comme marché pertinent ; qu'en l'espèce la société Privileg soulignait dans ses conclusions qu'il n'existait pas moins de 11 abattoirs dans un rayon de 105 kilomètres autour de la société Ernée Viandes inclus dans le marché pertinent ; qu'en affirmant cependant que l'abattoir ABERA était "le seul établissement susceptible de se substituer à la STAL comme étant le plus proche des locaux de la société Ernée Viandes", la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations d'après lesquelles le marché pertinent s'étendait sur une zone géographique délimitée par un rayon de 120 kilomètres, distance à l'intérieur de laquelle les éleveurs faisaient couramment abattre leurs porcs ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 420-1 du Code de commerce ; 2°) qu'en déduisant, par voie de conséquence, une distorsion de concurrence de la seule comparaison entre les tarifs de l'abattoir de Laval et de l'abattoir Abera, quand il appartenait à l'autorité de poursuite des infractions aux règles de la concurrence d'établir qu'une même différence de tarifs existait vis-à-vis des neuf autres abattoirs établis dans la zone géographique de 120 kilomètres de rayon retenue comme marché pertinent, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce ; 3°) que tout juge est tenu de motiver sa décision ; qu'au paragraphe 133 de sa décision, le Conseil de la concurrence avait accueilli la prétention de la société Privileg de faire rectifier l'écart tarifaire retenu dans la notification des griefs, pour ajouter au tarif de base de la STAL (42,09 F) un complément de facturation de 3,54 F ; qu'en faisant disparaître cette concession de son arrêt, ainsi qu'il ressort de ses propres calculs, sans donner le moindre motif de nature à justifier cette suppression, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 4°) que les sociétés Privileg et STAL soulignaient dans leurs conclusions que le Conseil de la concurrence avait à tort déduit des tarifs de la STAL, non seulement les taxes d'usage, nationale et locale, mais également la redevance sanitaire d'abattage et la redevance sanitaire de contrôle des résidus ; qu'elles indiquaient qu'il en résultait une erreur de 18 F par porc, qui suffisait à combler l'écart prétendu de 16,85 F relevé par le Conseil de la concurrence (133) ; qu'en se bornant à admettre que le Conseil de la concurrence avait déduit à tort des tarifs de la STAL les taxes d'usage sans se prononcer sur le moyen péremptoire relatif à la déduction des redevances sanitaires, la cour d'appel a encore méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 5°) que la société Privileg versait aux débats une attestation du commissaire aux comptes de la STAL qui certifiait que le coût de revient de l'abattage d'un porc de 85 kilogrammes à la STAL était de 65,15 F et une étude de la société d'expertise comptable Acorex Conseil qui, confirmant ce chiffre, concluait que les tarifs de la STAL étaient plus élevés que ceux de l'abattoir Abera ; qu'en omettant de s'expliquer sur ces pièces essentielles, la cour d'appel a derechef méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 6°) qu'il appartient aux juridictions saisies de vérifier, à la lumière de l'ensemble des données pertinentes versées aux débats, si l'effet potentiel ou avéré des pratiques incriminées est de nature à restreindre de manière sensible le jeu de la concurrence sur le marché pertinent ; qu'en déduisant mécaniquement l'existence d'une distorsion de concurrence au préjudice de la société Ernée Viandes de la constatation d'une différence de tarifs de 13,60 % entre l'abattoir de la STAL et l'abattoir privé Abera, sans rechercher si l'abattoir privé Abera avait exigé de ses clients des engagements de fidélité similaires aux engagements d'apports souscrits pour 7 ans par les usagers de la STAL, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce ; 7°) qu'il appartient aux juridictions saisies de vérifier, à la lumière de l'ensemble des données pertinentes versées aux débats, si l'effet potentiel ou avéré des pratiques incriminées est de nature à restreindre de manière sensible le jeu de la concurrence sur le marché pertinent ; qu'en prétendant exercer ce contrôle, sans s'expliquer, comme elle y était invitée, sur la circonstance relevée par le Conseil de la concurrence (143) que le coût de l'abattage ne représentait pas plus de 5 % du coût total de commercialisation d'un grossiste transformateur, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

Mais attendu qu'en relevant que les sociétés Privileg, Mayenne Viande et Les Fermiers de l'Erve, usagers de l'abattoir de Laval pour exercer leur activité de découpe et de commercialisation de la viande, craignaient la concurrence nouvelle d'un éleveur, telle la société Ernée, qui se lançait dans l'activité de découpe et intégrait la filière aval de la commercialisation, supprimant ainsi l'échelon intermédiaire où elles-mêmes intervenaient et générant des économies de coûts susceptibles d'être répercutées sur la clientèle, et en retenant que la concertation entre ces trois sociétés et la STAL, dont elles sont actionnaires, pour refuser à la société Ernée l'accès aux services de l'abattoir public de Laval a eu pour objet d'empêcher cette dernière d'accéder au marché de la commercialisation des viandes et sous-produits d'animaux de boucherie au stade de gros ou de demi-gros, la cour d'appel a caractérisé des faits d'entente imputables à ces sociétés ; que le moyen, qui critique des motifs surabondants de l'arrêt, doit être écarté ;

Et sur le quatrième moyen du pourvoi n° 05-13.048 et sur le quatrième moyen du pourvoi n° 05-13.118, réunis : - Attendu que les sociétés font enfin le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°) qu'une entente restrictive de concurrence revêt le caractère d'une infraction instantanée soumise à la loi en vigueur au jour où la concertation est caractérisée ; qu'en affirmant, à la faveur d'une confusion entre les éléments constitutifs de l'entente et ses conséquences préjudiciables, que le refus d'accès aux services de l'abattoir était constitutif d'une infraction continue, la cour d'appel a violé les articles L. 420-1 et L. 464-5 du Code de commerce ; 2°) qu'en déclarant par voie de conséquence que les sanctions aggravées prévues par la loi du 15 mai 2001 étaient applicables, cependant qu'elle constatait par ailleurs que les usagers de la STAL s'étaient, dès le mois de juin 2000, réparti les tonnages disponibles au détriment de la société Ernée Viandes, ce dont il résultait que l'entente était consommée au plus tard à cette date, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, en violation des textes susvisés ; 3°) qu'une infraction unique ne peut être sanctionnée qu'une seule fois ; qu'en infligeant à la société Privileg deux sanctions pécuniaires, l'une pour sa participation à "la répartition concertée des capacités de l'abattoir entre ses usagers-actionnaires" (340 500 euro), l'autre, pour le "maintien des tarifs de la STAL à des niveaux ne permettant pas de couvrir ses déficits" (76 000 euro), cependant qu'elle relevait, par motifs adoptés (136), qu'en elle-même, la pratique de tarifs moins élevés au profit des usagers de la STAL n'aurait pas revêtu de caractère anticoncurrentiel si l'accès à cet abattoir n'avait pas été limité à une catégorie particulière d'usagers, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses constatations, desquelles il résultait que la fixation des tarifs de la STAL n'était pas une infraction autonome, distincte de la répartition concertée des capacités de l'abattoir ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé les articles L. 420-1 et L. 464-5 du Code de commerce ; 4°) que les pratiques anticoncurrentielles ne peuvent être punies que des sanctions en vigueur à la date des faits et la sanction doit être proportionnée à la gravité des faits reprochés ; qu'en l'espèce où 8 des 9 refus d'accès de la société Ernée Viandes aux abattoirs de Laval reprochés aux personnes poursuivies étaient antérieurs à la loi du 15 mai 2001 qui a élevé de 76 224 à 750 000 euro le plafond des sanctions, la cour d'appel en infligeant à la société Mayenne Viande une sanction supérieure au plafond fixé par la loi ancienne du seul fait qu'un des refus était postérieur au 15 mai 2001, a ainsi sanctionné sur le fondement de cette loi des faits antérieurs à son entrée en vigueur et violé les articles L. 464-2 du Code de commerce, 2 du Code civil, 111-3 du Code pénal et 7-1 de la Convention européenne des Droits de l'homme et des libertés fondamentales ; 5°) que, selon l'article L. 464-2 du Code de commerce en cas de pratiques anticoncurrentielles les sanctions prononcées doivent être proportionnées à la situation de l'entreprise concernée ; que la cour d'appel en retenant que c'est par une juste appréciation de la situation personnelle des entreprises en cause, qui n'invoquent à cet égard aucun fait de nature à modifier une telle appréciation, que le Conseil a fixé les sanctions pécuniaires qui devaient leur être infligées, sans prendre en considération les éléments invoqués par Mayenne Viande dans son mémoire (page 35) tel que les crises sanitaires (vache folle, listeria) survenues pendant la période litigieuse et les difficultés inhérentes aux travaux effectués aux abattoirs, n'a pas donné de base à sa décision au regard du texte précité ;

Mais attendu, en premier lieu, que c'est à bon droit que la cour d'appel, qui a relevé que les sociétés Privileg, Mayenne Viande, Les Fermiers de l'Erve et STAL s'étaient concertées pour refuser à la société Ernée l'accès aux services de l'abattoir public de Laval et que le dernier refus opposé à cette société était postérieur à l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001, a fait application des dispositions de cette loi ;

Attendu, en deuxième lieu, que la cour d'appel, qui a sanctionné des faits d'entente auxquels a participé la société Privileg et consistant d'une part en une concertation pour refuser à la société Ernée l'accès aux services de l'abattoir public de Laval, concertation ayant pour objet d'empêcher cette société d'accéder au marché, d'autre part en une concertation entre actionnaires-usagers pour maintenir les tarifs de l'abattoir de Laval à un niveau artificiellement bas au regard de ses coûts d'exploitation, plaçant ainsi les usagers dans des conditions économiques avantageuses injustifiées, n'a pas retenu que de tels tarifs seraient justifiés si l'accès à l'abattoir n'était pas limité à une catégorie particulière d'usagers ; qu'il en résulte que le grief manque par le fait qui lui sert de base ;

Attendu, en dernier lieu, que la cour d'appel, qui a apprécié la sanction de la société Mayenne Viande au regard de la gravité des faits qui lui sont imputés, du dommage causé à l'économie par les pratiques auxquelles elle a participé et de la situation de cette entreprise, a légalement justifié sa décision ;

Par ces motifs : Rejette les pourvois.