CA Douai, 2e ch. sect. 1, 15 janvier 2004, n° 03-04369
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Parfums Christian Dior (SA), LVMH Perfumes y Cosmeticos Iberica (SA)
Défendeur :
More Lynes SL (Sté), JTG Trading BV (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Vice-président :
Mme Wittrant
Président de chambre :
Mme Geerssen
Conseiller :
M. Rossi
Avoué :
SCP Masurel-Thery-Laurent
Avocats :
Mes de Monjour, Deubel, Baud
Vu le jugement prononcé le 11 décembre 2002 par le Tribunal de commerce de Lille qui a notamment dit la SA LVMH Perfumes y Cosmeticos Iberica recevable en son intervention volontaire, reçu les sociétés More Lynes, Disperfum SL, Monsieur Fernando San Jaime Fernandez et la SARL JTG Trading BV en leur exception d'incompétence, s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de Madrid, et a condamné au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
- la SA Parfums Christian Dior et la SA LVMH Perfumes y Cosmeticos Iberica à payer à la société More Lynes la somme de 3 000 euro,
- la SA L'Oréal, la SNC Lancôme Parfums et Beauté & Cie, et la SA société Jean Cacharel, in solidum, à payer à la société Disperfum SL et à M. San Jaime Fernandez la somme de 3 000 euro,
- la SA Parfums Christian Dior, la SA L'Oréal, la SNC Lancôme Parfums et Beauté & Cie, et la SA société Jean Cacharel à payer à la SARL JTG Trading BV la somme de 3 000 euro;
Vu le contredit motivé formé le 24 décembre 2002 par les sociétés Parfums Christian Dior et LVMH Perfumes y Cosmeticos Iberica;
Vu l'ordonnance du 13 janvier 2003;
Vu l'arrêt de retrait du rôle du 15 mai 2003
Vu les conclusions déposées le 21 juillet 2003 pour la société Parfums Christian Dior et celle de droit espagnol LVMH Perfumes y Cosmeticos Iberica;
Vu les conclusions déposées le 25 mars 2003 pour la société de droit espagnol More Lynes;
Vu les conclusions déposées le 26 mars 2003 pour la société de droit néerlandais JTG Trading BV;
Attendu que les demanderesses au contredit demandent à la cour d'infirmer le jugement, de dire que le Tribunal de commerce de Lille est compétent, et de condamner la société More Lynes au paiement de la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Attendu que cette dernière conclut à la confirmation et à la condamnation in solidum des sociétés demanderesses au contredit au paiement de la somme de 5 000 euro au titre de ses frais irrépétibles ;
Attendu que la société JTG Trading BV sollicite la cour de confirmer la décision déférée, de dire que le tribunal de commerce, par son jugement du 11 décembre 2002, s'est prononcé sur la solution de l'instance au fond introduite sous le numéro de rôle A1-0038 et y a mis fin, ou de dire que les juridictions consulaires sont incompétentes et retenir la compétence du Tribunal de grande instance de Lille, ainsi que de condamner les sociétés auteurs du contredit à lui payer la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Attendu que la société Parfums Christian Dior a mis en place un réseau de distribution sélective et distribue ses produits en Espagne par l'intermédiaire d'une société filiale, la société LVMH Perfumes y Cosmeticos Iberica ; que celle-ci a vendu des marchandises à la société More Lynes dans le cadre d'une convention portant interdiction à cette dernière de revendre à d'autres personnes que les consommateurs directs ou que celles appartenant au réseau;
Que des marchandises ainsi distribuées ont fait l'objet d'une mesure de retenue douanière en avril 2000 sur le territoire français, et que, par ordonnance du 31 octobre 2000, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Lille a constaté la nullité de la saisie-contrefaçon ordonnée le 6 avril 2000 et de la mesure de séquestre subséquente ordonnée le 11 avril 2000, ordonné la remise à la société JTG Trading BV ou à toute autre personne désignée par elle des produits déposés chez la société Parayre, sise à Nieppe, et alloué à la société de droit néerlandais des dommages et intérêts à titre provisionnel ;
Que, par ordonnance du 26 septembre 2000, le Président du Tribunal de commerce de Lille a, faisant droit à la requête de la société Parfums Dior, ordonné le séquestre des produits portant les marques lui appartenant et entreposés dans les locaux de la société Transports Parayre et ce jusqu'à ce qu'une décision au fond définitive tranche le sort de ces produits, en désignant la société Transports Parayre comme séquestre jusqu'au prononcé de la décision précitée;
Qu'entre-temps les distributeurs agréés espagnols ont été assignés devant le Tribunal de commerce de Lille devant lequel a également été attraite la société acheteuse, la société JTG Trading BV ; que les demandes tendaient à obtenir la destruction des produits faisant l'objet de la mesure de séquestre;
Sur ce,
Attendu, selon les dispositions de l'article 2 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 modifiée, applicable en l'espèce, que les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat contractant sont attraites devant les juridictions de cet Etat;
Que selon les dispositions de l'article 5 1° et 3° le défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant peut être attrait dans un autre Etat contractant en matière contractuelle devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée, et en matière délictuelle ou quasi-délictuelle devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit;
Attendu que les sociétés demanderesses au contredit exposent que s'il existe une clause attributive de compétence dans les conventions conclues entre les distributeurs agréés et les filiales, celles-ci ne sont pas opposables à la société titulaire des droits de propriété industrielle qui a intérêt à assurer leur respect nécessaire à la cohérence du réseau de distribution sélective mis en place;
Attendu que ces sociétés invoquent un manquement des distributeurs agréés à leurs obligations contractuelles et une faute de la société acheteuse qui, selon elles, a participé à la violation de l'interdiction de revente hors réseau et soutiennent que le dommage est survenu dans le ressort du Tribunal de commerce de Lille;
Mais attendu que le lieu où la faute a été révélée ne peut déterminer celui où le dommage a été subi ; qu'il n'est pas contesté que les marchandises n'étaient pas contrefaites ; que la société acheteuse produit des factures non contestées de son fournisseur, une société de droit espagnol dénommée Reyxe qui n'apparaît pas appartenir au réseau de distribution sélective ; qu'aucun élément ne permet d'avancer que les produits litigieux étaient destinés au marché français ; que l'interception des marchandises résulte de la mise en œuvre d'une procédure de droit douanier, l'Administration suspectant à tort une contrefaçon de marque, de sorte que la présence des marchandises en France, pays de transit, n'est liée ni au lieu d'achat ni au lieu de distribution ou de mise sur le marché mais à un événement non susceptible de justifier la compétence territoriale de la juridiction saisie au fond d'une action à l'encontre du distributeur de droit espagnol agréé et de l'acheteur de droit néerlandais, puisqu'il n'est pas susceptible de se rattacher au fautes invoquées ni au dommage allégué ; que les modalités requises de réparation de ce dommage, en l'espèce sous forme de destruction des marchandises, sont indifférentes puisqu'elles concernent l'exécution de la décision sollicitée et non des éléments objectifs qui constituent les conditions du bien-fondé de l'action en responsabilité;
Attendu que les sociétés demanderesses, qui ne font valoir aucun autre moyen permettant de retenir la compétence d'une juridiction française, ont saisi à tort le Tribunal de commerce de Lille;
Attendu cependant qu'il ne convient pas de faire application d'une clause de prorogation de compétence stipulée dans un contrat ne liant pas la société titulaire des droits de propriété intellectuelle et le distributeur agréé en cause ; que selon les dispositions de l'article 96 du nouveau Code de procédure civile lorsque le juge estime que l'affaire relève de la compétence d'une autre juridiction étrangère, comme en l'espèce, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir;
Qu'il convient dès lors d'émender en ce sens le jugement entrepris;
Attendu que, saisie d'un contredit, la cour ne peut se prononcer que sur les chefs de compétence dès lors qu'elle n'évoque pas ; qu'il ne lui appartient pas d'interpréter sa propre décision ;
Attendu qu'il convient de condamner in solidum les sociétés demanderesses au contredit à payer aux défendeurs les sommes énoncées au présent dispositif au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, Reçoit le recours, Confirme le jugement sauf en ce qu'il a désigné la juridiction qu'il estimait compétente; Le réforme sur ce seul point, Renvoie les parties à mieux se pourvoir; Condamne in solidum au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile les sociétés Parfums Christian Dior et LVMH Perfumes y Cosmeticos Iberica à payer à la société JTG Trading BV la somme de 2 500 euro et à la société More Lynes celle de 1 000 euro; Condamne in solidum les sociétés Parfums Christian Dior et LVMH Perfumes y Cosmeticos Iberica aux dépens.