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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 7 mars 2006, n° ECOC0600130X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ineo (SA), Marc (SA), Quille (SA), TPC (SNC), GTM Construction (SAS), EGC Ouest (SAS), Sogea Nord Ouest (SNC), Vinci Construction (SAS), Vinci (SA), Lepine TP (SAS), Entreprise de travaux publics de l'Ouest (SA), Razel (SA), Spie Batignolles Ouest (SA), Spie Batignolles TPCI (SAS), Demathieu & Bard (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

Mmes Horbette, Mouillard

Avocats :

Mes Cheviller, Belfayol-Broquet, Meyoung-Marchand, Foirien, Duteil, Fisselier, Lapp, Hindre-Gueguen, Mousseron, Dolivet, Salaün, Huyghe, Peytavi, Sabathie, Charpentier

CA Paris n° ECOC0600130X

7 mars 2006

Les services du ministère de l'Equipement ont passé au cours des années 1995 et 1996 quinze marchés publics concernant la construction des ouvrages d'art (ponts et ouvrages hydrauliques sur la Sienne) de la portion d'autoroute A84, dite "Route des Estuaires", située dans le département de la Manche. Ces ouvrages au nombre de 51 ont été découpés en trois sections (section A : Ille-et-Vilaine Avranches; section D : Déviation de Villedieu-les-Poëles ; section G : Pont-Farcy-Guilberville), chaque section comprenant plusieurs marchés regroupant plusieurs ouvrages.

La procédure de l'appel d'offres restreint a été retenue pour les 15 marchés, répartis en deux groupes (1er groupe : A1, A2, A6, D1, D2, D3 - 2e groupe : A3, A4, A5, A7, D4, D5, G1, G2 et G3). Pour le 1er groupe, la date limite de présentation des candidatures était fixée au 1er février 1995 et la date limite de remises des offres au 1er juin 1995. Pour le 2e groupe, la date limite de présentation des candidatures était fixée au 23 mars 1995, celle des remises des offres au 10 juillet 1995 pour les marchés G1 et G2 et au 14 septembre 2005 pour le reste.

Vingt entreprises au total ont été sélectionnées comme candidates aux marchés du 1er groupe, dont les sociétés requérantes hormis la société Lépine TP (ci-après Lépine). Vingt et une l'ont été pour les marchés du 2e groupe, dont toutes les sociétés requérantes. Pour chaque marché de chaque groupe, 8 entreprises étaient admises à concourir avec la possibilité de former des groupements et de proposer des rabais en cas d'attribution de plusieurs marchés.

Les entreprises suivantes ont été retenues pour certains marchés de chacun des deux groupes :

- en ce qui concerne les marchés du 1er groupe, Quille pour A1, Démathieu & Bard (ci-après Démathieu) pour A6, groupement Razel/société Générale des Entreprises Quillery et Cie ci-après Quillery [devenue Eiffage TP] pour D1, groupement Marc/Dodin Ouest [devenue SNC Dodin Nord] pour D2, groupement ETPO/ Spie Citra Midi Atlantique [devenue Spie Batignolles Ouest] et Spie Citra Ile-de-France [devenue Spie Batignolles TPCI] pour D3,

- en ce qui concerne les marchés du 2e groupe, Campenon Bernard [devenue CBO] pour A5, groupement ETPO/ Spie Citra Midi Atlantique [devenue Spie Batignolles Ouest] pour D4, L'Entreprise industrielle [devenue Ineo] pour G1, Entreprise Marc SA (ci-après Marc) pour G3.

Par rapport aux estimations administratives, les offres retenues sont de 3,7 % supérieures pour A1, légèrement inférieures aux estimations pour A6, 11,6 % supérieures pour D2, 5,8 % supérieures pour D3, légèrement inférieures pour D1, 8,8 % supérieures pour G1, 3,5 % inférieures pour D4, 2,4 % inférieures pour A5 et 5,2 % inférieures pour G3.

D'autres marchés (A2, A3, A4, A7, G2 et D5) ont été déclarés infructueux par la direction départementale de l'équipement (DDE) de la Manche, les soumissions ayant été jugées anormalement élevées et des incohérences dans les prix ayant été relevées A2 avec une offre la plus basse du groupement Le Calvez [devenue Leluan Frères]/Entreprise Jean Lefebvre [devenue Vinci] 30 % supérieure aux estimations, G2 avec une offre initiale la plus basse de Sogea Nord Ouest 13,5 % supérieure aux estimations, A3 avec une offre la plus basse du groupement GTM [devenue Vinci Construction]/Travaux Publics du Cotentin TPC 8 % supérieure aux estimations, A4 avec une offre la plus basse de Quille 7,3 % supérieure aux estimations, A7 avec une offre la plus basse du groupement Génie Civil de l'Ouest SGCO [devenue EGC Ouest]/ Entreprise Boeuf et Legrand [devenue GTM Constructions] 2 % supérieure aux estimations, D5 avec une offre la plus basse de Quillery 17,3 % supérieure aux estimations.

Les procédures ont été reprises sous la forme de marchés négociés à l'exception des marchés G2 et D5, qui ont fait l'objet d'appels d'offres ouverts.

A l'issue de cette relance, les entreprises suivantes ont été retenues : groupement Le Calvez [Leluan Frères]/Entreprise Jean Lefebvre [Vinci] pour A2 bis, groupement GTM [Vinci Construction]/Travaux Publics du Cotentin TPC pour A3 bis, Quille pour A4 bis, groupement Entreprise Boeuf et Legrand [GTM Construction]/SGCO [EGC Ouest] pour A7 bis, groupement ETPO/Spie Citra pour D5bis, groupement Zanello/Giffard pour G2bis.

Le montant total des quinze marchés initialement estimé par l'administration à 211 532 653 F TTC puis porté à 218 894 898 F TTC après réévaluation, s'est établi, en définitive, à 211 280 000 F (32 209 400 euro) TTC soit 175 190 000 F (26 707 500 euro) HT.

La Direction Générale de la Concurrence et de la Consommation ayant diligenté une enquête en application des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, le ministre de l'Economie et des Finances a saisi le Conseil de la concurrence, par lettre enregistrée le 1er avril 1998, de pratiques anticoncurrentielles concernant les marchés en cause, mises en œuvre par les entreprises retenues au stade de l'agrément des candidatures. Le 12 mai 2005, le Conseil a adopté la décision suivante enregistrée sous le n° 05-D-19 :

Article 1er : Il n'est pas établi que la société Baudin-Chateauneuf ait enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce,

Article 2 : il est établi que les sociétés Eiffage Construction [aux droits de Borie SAE], SNC CBO [anciennement dénommée Campenon Bernard], Chantiers Modernes, Démathieu & Bard, DG Finance [anciennement dénommée DG Construction], Dodin Nord [aux droits de la société Dodin Ouest], GTM Construction [aux droits de la société Entreprise Boeuf et Legrand], Ineo [aux droits de la société l'Entreprise Industrielle], Vinci [aux droits de la société Entreprise Jean Lefebvre], Entreprise Marc SA, Entreprise Rend Le Calvez, ETPO, Vinci Construction [aux droits de GTM]. Lépine TP, NFTP, Quille, Razel, SND, Eiffage TP [aux droits de la société Générale des Entreprises Quillexy et Cie], EGC Ouest [aux droits de la société Génie Civil de l'Ouest SGCO], Sogea Nord-Ouest, Spie Batignolles TPCI [aux droits de Spie Citra Ile-de-France], Spie Batignolles Ouest [aux droits de Spie Citra Midi Atlantique], Travaux Publics du Cotentin TPC, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce,

Article 3 : il n'y a pas lieu d'infliger de sanction pécuniaire à la société NFTP, placée en liquidation judiciaire, à la société Leluan Frères cessionnaire désigné de la société Entreprise René Le Calvez par le jugement du 11 juillet 2003 du Tribunal de commerce de Bagneux et à la société DG Finances, qui n'a pas réalisé de chiffre d'affaires au titre du dernier exercice clos,

Article 4 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

- à la société Eiffage Construction, une sanction de 100 000 euro,

- à la société SNC CBO, une sanction de 700 euro,

- à la société Chantiers Modernes, une sanction de 9 500 euro,

- à la société Démathieu et Bard, une sanction de 1 800 000 euro,

- à la société Dodin Nord, une sanction de 750 euro,

- à la société GTM Construction, une sanction de 450 000 euro,

- à la société Ineo, une sanction de 250 000 euro,

- à la société Vinci, une sanction de 242 000 euro

- à la société Entreprise Marc SA, une sanction de 522 000 euro,

- à la société ETPO, une sanction de 770 000 euro,

- à la société Vinci Construction, une sanction de 47 000 euro,

- à la société Lépine TP, une sanction de 75 000 euro,

- à la société Quille, une sanction de 4 300 000 euro,

- à la société Razel, une sanction de 2 000 000 euro,

- à la société SND, une sanction de 40 000 euro,

- à la société Eiffage TP, une sanction de 2 500 000 euro,

- à la société EGC Ouest, une sanction de 343 000 euro

- à la société Sogea Nord-Ouest, une sanction de 1 400 000 euro,

- à la société Spie Batignolles TPCI, une sanction de 1 350 000 euro,

- à la société Spie Batignolles Ouest, une sanction de 910 000 euro,

- à la société TPC, une sanction de 200 000 euro.

LA COUR,

Vu les recours déposés au greffe de la Cour d'appel de Paris, respectivement :

- le 13 juin 2005 par les sociétés Spie Batignolles Ouest, Spie Batignolles TPCI, Démathieu & Bard, Lépine TP, ETPO, aux fins d'annulation et subsidiairement de réformation de la décision, enregistrés sous les numéros 05-12604, 05-12609, 05-12610,

- le 15 juin 2005 par la société Razel, aux mêmes fins, enregistré sous le numéro 05-12632,

- le 16 juin 2005 par les sociétés TPC, EGC Ouest, GTM Construction, Vinci Construction, Vinci, Sogea Nord Ouest, en annulation de la décision, enregistrés sous le n° 05-12814,

- le 16 juin 2005 par les sociétés Marc et Ineo, en annulation et subsidiairement en réformation de la décision, enregistrés sous les numéros 05-12815 et 05-12821,

- le 17 juin 2005 par la société Quille, en annulation subsidiairement en réformation de la décision, enregistré sous le numéro 05-12912,

Vu l'ordonnance du 28 juin 2005 du conseiller délégué par le Premier Président de cette cour pour exercer les attributions résultant de l'article 8 du décret du 19 octobre 1987, ordonnant la jonction des procédures et disant qu'elle se poursuivra sous le numéro 05-12604,

Vu l'ordonnance du 13 septembre 2005 du conseiller délégué par le Premier Président de cette cour pour exercer les attributions résultant de l'article 8 du décret du 19 octobre 1987, rejetant la demande de la société Démathieu & Bard tendant au sursis à exécution de la décision de sanction attaquée,

Vu les mémoires déposés au soutien des recours, soutenus par des mémoires en réplique et le cas échéant des mémoires récapitulatifs, déposés respectivement :

- les 11 juillet, 14 décembre et 27 décembre 2005 par la société Lépine TP,

- les 11 juillet, 14 décembre et 27 décembre 2005 par La société ETPO,

- les 13 juillet et 14 décembre 2005 par la société Spie Batignolles TPCI

- les 13 juillet et 14 décembre 2005 par la société Spie Batignolles Ouest,

- les 13 juillet et 14 décembre 2005 par la société Razel,

- les 13 juillet et 15 décembre 2005 par la société Démathieu & Bard,

- les 13 juillet et 15 décembre 2005 par la société Marc,

- les 18 juillet et 15 décembre 2005 par la société Sogea Nord Ouest,

- les 18 juillet et 15 décembre 2005 par la société TPC,

- les 18 juillet et 15 décembre 2005 par la société GTM Construction,

- les 18 juillet et 15 décembre 2005 par la société EGC Ouest,

- les 18 juillet et 15 décembre 2005 par la société Vinci,

- les 18 juillet et 15 décembre 2005 par la sociétés Vinci Construction,

- les 18 juillet et 15 décembre 2005 par la société Ineo,

- le 14 décembre 2005 par la société Quille,

par lesquels les requérantes demandent à la cour de :

Sur la procédure,

- déclarer l'action prescrite en application de l'article L. 462-7 du Code de commerce et, en conséquence, prononcer la nullité de la procédure et de la décision (les sociétés Lépine, Razel, Spie Batignolles TPCI, Spie Batignolles Ouest, Marc, Démathieu & Bard, Sogea Nord Ouest, TPC, GTM Construction, EGC Ouest, Vinci, Vinci Construction et Ineo à titre principal, les sociétés ETPO et Quille à titre subsidiaire),

- annuler la procédure en application de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme (CESDH) en raison de sa durée anormalement longue (sociétés Lépine TP, ETPO, Razel, Marc, Spie Batignolles TPCI et Spie Batignolles Ouest, Démathieu & Bard, et Quille, cette dernière ajoutant qu'elle n'a pas été en mesure de produire les études de prix qui auraient démontré le sérieux et la précision des offres qu'elle avait remises),

- constater le défaut d'authentification de la notification de griefs, faute d'avoir été datée et signée, en prononcer la nullité ainsi que celle de tous les actes subséquents, y compris la décision attaquée (sociétés Lépine, ETPO, Marc, Quille),

Sur le fond,

- annuler ou réformer la décision faute de preuve de leur participation à une entente illicite (les sociétés ETPO, Marc, Razel, Spie Batignolles TPCI, Spie Batignolles Ouest, Démathieu & Bard et Ineo formant une demande d'annulation de ce chef à titre subsidiaire, la société Quille demandant pour ce motif et à titre principal, l'annulation de la décision, la société Lépine TP demandant sa réformation pour ce motif, à titre subsidiaire),

- très subsidiairement, réformer la décision en diminuant le montant de la sanction pécuniaire (sociétés ETPO, Razel, Marc, Démathieu & Bard, Spie Batignolles Ouest, Spie Batignolles TPCI),

- dire que le Trésor public sera tenu à restitution à leur profit, avec intérêts au taux légal à compter de la date des règlements qu'elles ont effectués, capitalisés s'ils sont dus pour une année entière dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil (sociétés Lépine TP, ETPQ, Marc, Spie Batignolles TPCI et Spie Batignolles Ouest, Démathieu & Bard, Quille),

Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence du 10 novembre 2005,

Vu les observations écrites du ministre chargé de l'Economie, en date du 10 novembre 2005, tendant au rejet des recours,

Vu les observations écrites du Ministère public, mises à la disposition des parties à l'audience,

Ouï à l'audience publique du 17 janvier 2005, en leurs observations orales, les conseils des requérantes ainsi que le représentant du ministre chargé de l'Economie et le Ministère public, les requérantes ayant été en mesure de répliquer et ayant eu la parole en dernier.

Sur ce,

Sur les moyens de procédure

* sur la prescription

Considérant qu'aux termes de l'article L. 462-7 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2004-1173 du 4 novembre 2004, applicable lors des faits, " le conseil ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction ";

Qu'il s'en déduit que l'acquisition de la prescription doit être vérifiée à la date où le Conseil se prononce sur les faits dont il a été saisi, l'article L. 462-7 ne s'appliquant qu'à la procédure suivie devant lui ; que le régime de prescription institué par cet article a un caractère autonome et doit être interprété strictement;

Considérant qu'il résulte de la procédure que les services de la DGCCRF, autorisés à y procéder par ordonnances du 14 novembre 1996 du Président du Tribunal de grande instance de Rouen, ont effectué des opérations de visite et de saisie le 3 décembre 1996 dans les locaux de onze des entreprises ayant soumissionné, notamment dans ceux de la société Générale des Entreprises Quillery & Cie au Petit Quevilly (76) ; que par ordonnances du 7 avril 1997, le Président du Tribunal de grande instance de Rouen a rejeté les requêtes en annulation de ces visites domiciliaires formées par certaines de ces entreprises; que par arrêts des 9 mars et 6 avril 1999, la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés contre ces ordonnances ; que par courrier du 20 juillet 1999, la DGCCRF a transmis ces arrêts au Conseil de la concurrence entre-temps saisi par lettre du ministre de l'Economie, enregistrée le 1er avril 1998, des pratiques en cause ; que le 19 mars 2002, le rapporteur du Conseil de la concurrence a adressé une demande de renseignements à la société Eiffage TP venant aux droits de la société Générale des Entreprises Quillery & Cie;

Considérant que les requérantes font valoir que la procédure suivie à leur encontre est atteinte par la prescription, un délai de plus de trois ans s'étant écoulé entre la saisine du Conseil intervenue le 1er avril 1998, et cette demande de renseignements, et soutiennent que seuls ces actes étaient susceptibles de l'interrompre au sens de l'article précité;

Mais considérant que les actes d'enquête, y compris les voies de recours, interrompent par eux-mêmes la prescription des faits dont le Conseil est saisi;

Qu'il suit que les arrêts rendus par la Cour de cassation les 9 mars et 6 avril 1999 ont interrompu la prescription, ainsi que l'a relevé à bon droit le Conseil;

Que cette interruption de la prescription pour les faits dont le Conseil est saisi vaut à l'égard de toutes les entreprises mises en cause, y compris à l'égard de celles qui n'ont pas été entendues dans le délai visé par l'article précité, ou qui n'ont pas fait l'objet d'un acte d'instruction dans ce délai;

Que les requérantes [Ineo, Sogea, TPC, GTM Construction] ne sont pas fondées à invoquer à cet égard les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme (CESDH) pour soutenir que l'effet interruptif de prescription des voies de recours serait contraire aux garanties prévues par cet article voire instituerait une " imprescriptibilité " des pratiques anticoncurrentielles, alors qu'elles disposent, lors de ces recours comme dans le déroulement de la procédure, de toutes les garanties prévues par la convention, et que le délai de prescription recommence à courir après chaque interruption;

Que le moyen tiré de la prescription ne peut qu'être rejeté;

Sur la nullité de la procédure pour violation des dispositions de la CESDH

Considérant que les sociétés Spie Batignolles Ouest, Spie Batignolles TPCI, Démathieu, ETPO, Lépine, Razel, Quille et Marc soulèvent, au visa de l'article 6 de la CESDH, un moyen de nullité tiré d'une durée excessive de la procédure, qui les aurait privées d'un exercice normal des droits de la défense;

Considérant que le délai raisonnable prescrit par la convention doit s'apprécier au regard de l'ampleur et de la complexité de la procédure ; que la sanction qui s'attache à la violation de l'obligation de se prononcer dans un délai raisonnable n'est pas l'annulation de la procédure mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi, sous réserve toutefois que la conduite de la procédure n'ait pas irrémédiablement privé les entreprises mises en cause des moyens de se défendre, de telles circonstances devant être appréciées in concreto;

Considérant que la présente procédure concerne l'attribution de marchés publics ayant fait l'objet de quinze appels d'offre regroupant 51 ouvrages, et a mis en cause vingt-cinq entreprises, l'ampleur des pratiques mises en œuvre et la complexité de la procédure apparaissant à l'évidence ; que l'attente du rapporteur était en l'espèce justifiée par la nécessité de ne pas notifier de griefs sur la base de documents alors contestés, et ce d'autant plus que certaines de ces pièces, saisies dans les locaux de la société Quillery, constituaient - et constituent encore ainsi qu'il sera vu ci-après - l'essentiel des preuves de l'entente suspectée par les enquêteurs ; que le délai intervenu entre le prononcé des arrêts de la Cour de cassation précités et la reprise de l'instruction n'est pas excessif compte tenu des caractéristiques propres à l'affaire ci-avant rappelées ; que les requérantes, qui ont disposé à chaque étape de la procédure des délais prévus par l'article L. 463-2 du Code de commerce pour consulter le dossier et présenter leurs observations, invoquent à tort une impossibilité de se défendre au prétexte de la destruction ou de la disparition de leurs archives en raison du temps écoulé ou des restructurations intervenues pour certaines d'entre elles, alors qu'à l'exception de la société Lépine toutes avaient été entendues en 1996 et 1997 et savaient que la procédure était toujours en cours;

Que la demande d'annulation de la procédure formée par les sociétés Spie Batignolles Ouest, Spie Batignolles TPCI, Démathieu, ETPO, Razel, Quille et Marc ne peut qu'être rejetée;

Considérant que la société Quille et la société ETPO font également valoir que les enquêteurs ont délibérément omis de saisir les documents qui leur étaient favorables et instruit uniquement à charge, la société Quille ajoutant que la destruction de ces documents intervenue depuis lors l'a mise dans l'incapacité de présenter utilement sa défense ; mais que les requérantes, qui avaient été informées préalablement de l'objet de l'enquête, avaient toute latitude pour émettre des réserves sur les procès-verbaux établis par les enquêteurs et compléter le dossier par l'envoi de documents complémentaires, et pouvaient à tout le moins assurer la conservation de ceux éventuellement restés en leur possession;

Que ces moyens ne peuvent qu'être écartés;

Considérant, en revanche, que la société Lépine a été entendue pour la première fois le 7 mars 2003, huit ans après les faits, sans avoir fait l'objet jusque là d'aucune mesure d'enquête ni d'aucune audition ; qu'elle n'était pas tenue de conserver les documents relatifs aux offres qu'elle avait présentées pour les marchés A3, A3bis et A5, aucun de ces marchés ne lui ayant été attribué, la destruction de ces documents, qu'elle allègue, ne pouvant lui être reprochée ; que le Conseil n'a pas contesté pour sa part ne pas détenir les études de prix de cette société; qu'il ne peut être exclu, dans ces conditions, que la société Lépine ait été irrémédiablement privée de moyens utiles à sa défense ainsi qu'elle le fait valoir;

Qu'il y a lieu de faire droit aux demandes de la société Lépine et d'annuler les articles 2 et 4 de la décision attaquée, mais seulement en leurs dispositions concernant la requérante;

Que les sommes éventuellement versées par la société Lépine en exécution de la décision du Conseil lui seront remboursées, assorties d'intérêts au taux légal mais seulement à compter de la notification, valant mise en demeure, de la présente décision;

*sur la nullité de la notification de griefs

Considérant que les sociétés ETPO, Lépine, Marc et Quille font valoir, au visa de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration, que la notification de griefs qui leur a été notifiée est entachée de nullité dès lors qu'elle n'est ni datée ni signée, et que cette irrégularité substantielle ne peut être régularisée a posteriori ; que la société Marc ajoute qu'il résulte du droit à un procès équitable inscrit à l'article 14 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques, et du principe de sécurité juridique consacré par la Cour de justice des Communautés européennes, que tout acte de l'administration produisant des effets juridiques doit être certain, notamment quant à son auteur et son contenu et ce même si l'absence d'authentification n'a causé aucun préjudice à la partie qui s'en prévaut;

Mais considérant que les actes incriminés ne sont pas soumis aux dispositions de la loi susvisée, dès lors qu'ils constituent des actes d'instruction d'une procédure définie par les textes spécifiques applicables au droit de la concurrence ; qu'il n'existe au demeurant aucune ambiguïté sur l'identité de l'auteur de cette notification dont le nom est expressément indiqué en page de couverture, ni sur la date de cette notification résultant de la lettre d'envoi elle-même datée du 8 juillet 2003, ni sur le contenu de l'acte contesté, les critiques formées par les requérantes n'étant pas fondées;

Que ce moyen sera également rejeté par la cour;

Sur le fond

Considérant que les sociétés ETPO, Spie Batignolles TPCI, Spie Batignolles Ouest, Ineo, Razel, Marc, Quille et Démathieu contestent également sur le fond la décision du Conseil et soutiennent que l'entente illicite qui leur est reprochée n'est pas établie; Que les sociétés ETPO, Démathieu, Razel, Marc ainsi que les sociétés Spie Batignolles Ouest et Spie Batignolles TPCI les deux dernières pour la première fois dans un mémoire récapitulatif déposé le 15 décembre 2005 visant la durée anormale de la procédure, demandent, subsidiairement, la réduction de la sanction prononcée à leur encontre;

Sur les pratiques

Considérant qu'il convient de rappeler que les quinze marchés relatifs à la construction des 51 ouvrages d'art de la portion d'autoroute A84, dite " Route des Estuaires " ont été répartis par la DDE de la Manche en deux séries de six et neuf marchés distribués en deux groupes (1er groupe : A1, A2, A6, D1, D2, D3 - 2e groupe : A3, A4, A5, A7, D4, D5, G1, G2 et G3) ; que cette numérotation tient compte des modifications décidées par le maître d'ouvrage en cours de procédure, les marchés A3, A4, A5, A6 et A7 étant devenus A6, A3, A4, A7 et A5, si bien que le marché A6 a fait partie du 1er groupe et le marché A3 du second;

Que pour le 1er groupe, la date limite de présentation des candidatures était fixée au 1er février 1995 et la date limite de remises des offres au 1er juin 1995, et que pour le 2ème groupe, la date limite de présentation des candidatures était fixée au 23 mars 1995, celle des remises des offres au 10 juillet 1995 pour les marchés G1 et G2 et au 14 septembre 2005 pour le reste ; qu'après déclaration d'infructuosité, les marchés A2, A3, A4, A7, G2 et D5 ont été relancés sous forme de marchés négociés à l'exception des marchés G2 et D5, qui ont fait l'objet d'appels d'offres ouverts ; que la date de remise des offres concernant ces marchés a été fixée :

- pour A2bis au 25 juillet 1995,

- pour G2bis au 18 septembre 1995,

- pour A3bis, A4bis, A7bis au 22 novembre 1995,

- pour D5bis, au 26 février 1996;

Considérant qu'il est reproché aux requérantes d'avoir participé à une concertation générale mise en œuvre au stade de l'agrément des candidatures, ayant donné lieu à des échanges d'informations préalables au dépôt des offres, ainsi qu'au dépôt d'offres de couverture et à des abstentions de soumissionner, et de s'être ainsi partagé les marchés,

- la société ETPO agréée pour les marchés A1, A2bis, A6 et D3 du 1er groupe, A4, A4bis, A7, A7bis, D4, D5bis et G1 du second groupe, ayant ainsi obtenu en groupement avec les entreprises Spie Citra Midi Atlantique et Spie Citra Ile-de-France l'attribution du marché D3 pour 17 273 183 F TTC, et celle de D4 pour 20 406 675 F TTC en groupement avec Spie Citra Ile-de-France, et déposé des offres de couverture au profit d'autres candidats à l'occasion des consultations A2bis, A6, A4bis en groupement avec les sociétés Spie Citra Ile-de-France et Spie Citra Midi Atlantique, A7 et A7bis en groupement avec la société Spie Citra Ile-de-France, AI, A4 et G1 à titre individuel,

- la société Spie Batignolles Ouest (aux droits de Spie Cura Midi Atlantique) agréée en groupement avec Spie Citra Ile-de-France pour les marchés A2bis, A6, D1 et D3 du 1er groupe, A3, A4bis, A7, A7bis, D4, G5bis, G2 du second groupe, ayant ainsi obtenu l'attribution de D3 pour 17 273 183 F TTC en groupement avec Spie Citra Ile-de-France et ETPO, et déposé des offres de couverture en groupement avec ETPO et Spie Citra Ile-de-France à l'occasion des appels d'offres A2bis, A6, et eu groupement avec Spie Citra Ile-de-France pour D1,

- la société Spie Batignolles TPCI (aux droits de Spie Citra Ile-de-France) agréée en groupement avec Spie Citra Midi Atlantique pour les marchés A2bis, A6, D1 et D3 du 1er groupe, A3, A4bis, A7, A7bis, D4, D5bis, G2 du second groupe, ayant ainsi obtenu en groupement avec ETPO et Spie Citra Midi Atlantique l'attribution de D3 pour 17 273 183 F TTC et en groupement avec ETPO celle de D4 pour 20 406 675 F TTC, et déposé des offres de couverture seule ou en groupement avec Spie Citra Midi Atlantique et ETPO à l'occasion des appels d'offres A2bis, A6, A4bis, A7 et A7bis, D1, A3 et G2,

- la société Démathieu & Bard agréée pour les marchés A1 et A6 du 1er groupe et A3, A3bis, A4bis, A5, D5bis, G2bis et G3 du second groupe, ayant ainsi obtenu l'attribution de A6 pour 10 600 605 F TTC, et déposé des offres de couverture à l'occasion des appels d'offre A1, A3, A4bis, A5, G2bis etG3,

- la société Razel agréée pour les marchés A2, A2bis et D1 du 1er groupe, A3, A3bis, A7, A7bis, D5bis et G1 du second groupe, ayant ainsi obtenu en groupement avec l'entreprise Quillery l'attribution de D1 pour 16 578 156 F TTC, et déposé des offres de couverture en groupement avec l'entreprise Quillery à l'occasion des consultations A2 et A2bis, et à titre individuel pour les consultations A3, A3bis, A7, A7bis et G1,

- la société Ineo (aux droits de l'Entreprise industrielle) agréée pour les marchés A1, A2bis et G3 du 1er groupe, A3, D4, G1 et G2bis du second groupe, ayant ainsi obtenu l'attribution de G1 pour 7 227 909 F TTC, et déposé des offres de couverture lors des consultations A1, A2bis, D3 et G2bis,

- la société Entreprise Marc SA, agréée pour les marchés A1, A2bis, A6, D2 du 1er groupe, A3bis, A4, A4bis, A5, A7bis, D5bis, G2, G2bis et G3 du second groupe, ayant ainsi obtenu l'attribution du marché D2 pour 17 615 367 F TTC en groupement avec la société Dodin Ouest et du marché G3 à titre individuel pour 11 544 766 F TTC soit au total 29 160 133 F TTC, et déposé des offres de couverture en groupement avec la société Dodin Ouest à l'occasion des appels d'offre A1, A2bis, A4, A4bis, et G2bis, et à titre individuel pour les consultations A6, A3bis, A5, A7bis et G2,

- la société Quille, agréée pour les marchés A1, A2, A2bis, D2 et D3 du 1er groupe, A3bis, A4, A4bis, A5, A7bis, D4, D5bis, G1 et G3 du second groupe, ayant ainsi obtenu l'attribution des marchés A1 et A4bis d'un montant total de 27 156 218 F TTC, et déposé des offres de couverture lors des consultations A2, A2bis, D2, D3, A3bis, A5, A7bis, D4, G1 et G3;

Considérant que les moyens développés par les requérantes au soutien de leur recours visent, ensemble ou séparément :

- le contenu des réunions dont elles ne contestent pas qu'une au moins d'entre elles ait eu lieu mais qu'elles situent " dans le courant de l'été 1995 " et leur donnent d'autres objets tous licites, la formulation de " souhaits " globaux lors de ces réunions leur paraissant légitime compte tenu de l'importance des marchés en cause et de l'accord donné par le maître d'ouvrage à des offres présentées en groupement (ETPO, Spie Batignolles TPCI, Spie Batignolles Ouest, Quille, Razel, Ineo),

- l'absence de preuve d'une antériorité de l'entente au dépôt des offres concernant les marchés du 1er groupe, dont la date ultime était fixée au 1er juin 1995 (ETPO, Razel, Quille, Démathieu), les informations que les requérantes ont pu détenir provenant de " fuites" incombant à la seule DDE de la Manche, les sociétés Démathieu et Razel faisant observer que les seuls marchés dont elles ont été respectivement attributaires (A6 et D1) appartiennent au 1er groupe,

- l'impossibilité de fonder les griefs sur les seules pièces saisies dans les locaux de la société Quillery, entreprise tierce (Démathieu, ETPO), ces documents établis de manière unilatérale comportant au surplus des incohérences (Marc) et des inexactitudes multiples qui prouvent l'absence de tout contact effectif de la société en cause avec la société Quillery (Ineo), les nombreux écarts relevés entre les " souhaits " mentionnés sur ces documents et les montant portés sur les offres présentées à la DDE leur ôtant toute force démonstrative (ETPO, Quille),

- la réalité et la compétitivité des offres, attestées par le fait que l'administration a reconnu avoir sous estimé ses propres évaluations (Quille, Marc), que les offres présentées induisaient pour l'entreprise soumissionnaire une marge négative (Ineo), et que l'existence d'offres de couverture n'est pas établie (Ineo, Spie Batignolles TPCI, Spie Batignolles Ouest), le seul fait que l'attribution d'un marché (D5bis attribué au groupement Spie Citra/ETPO) ne soit pas critiquée par le Conseil suffisant à vicier l'ensemble de sa démonstration fondée sur l'affirmation d'une entente générale portant sur un marché global (ETPO),

- les erreurs contenues dans la notification des griefs (Marc);

Considérant que les moyens nouveaux développés par la société Démathieu dans son mémoire en réplique déposé le 15 décembre 2005 auprès du greffe de la cour, concernant les offres qu'elle a déposées pour les marchés du 2e groupe ainsi que pour les marchés relancés après déclaration d'infructuosité (A3, A4bis, A, G2bis et G3), sont tardifs et irrecevables, le délai fixé par l'article 2 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987 n'ayant pas été respecté; qu'au demeurant le seul fait que cette entreprise ait été déclarée adjudicataire de divers autres marchés au cours de l'été 1995 dans la région Ile-de-France, comme elle le fait valoir, n'est pas en lui-même pertinent pour faire échec aux présomptions d'entente réunies à son encontre ainsi qu'il sera vu ci-après;

Considérant que la décision attaquée se fonde, essentiellement, sur les documents saisis le 3 décembre 1996 dans le bureau du directeur de l'agence rouennaise de la société Quillery (scellé n° 5, points 27 à 63 de la décision), dont le directeur lors des faits M. Brouard et son successeur M. Thomas ont reconnu être les auteurs, l'ensemble de ces documents ayant été découverts dans une chemise portant l'inscription " route des Estuaires A84 " ; que parmi ces documents, les pièces cotées 41, 68 et 83 ne tiennent pas compte des modifications de numérotation décidées par le maître d'ouvrage en cours de procédure concernant notamment les lots A3 et A6, alors que les pièces cotées 42-45, 43 et 53 en tiennent compte ;

Qu'il s'y trouvait également des documents internes à la DDE de la Manche (scellé 64, annexe 536 au rapport) soit une copie d'un extrait du rapport de la maîtrise d'œuvre du 16 mai 1995, comprenant la liste des candidats admis à concourir pour les marchés du second groupe, l'audition du directeur de l'équipement de la Manche ayant confirmé que " ce document n'avait pu parvenir aux candidats dans des conditions régulières";

Que la connaissance qu'avait la société Quillery de la liste des entreprises admises à concourir est encore attestée par d'autres documents saisis dans la même chemise (cotes 17, 11, 13, annexes 523, 524, 525 au rapport), le premier (cote 17, annexe 525) étant constitué d'une liste de 40 entreprises, dont Quillery, toutes suivies d'un numéro de téléphone à l'exception de la société Razel, les deux autres étant constitués de photocopies dû premier document sur lesquelles ont été ajoutées d'autres mentions, notamment le numéro de téléphone de la société Razel, une croix entourée d'un cercle en face de la plupart des sociétés admises à concourir par la DDE de la Manche ainsi que le nom de la personne chargée du suivi du dossier de ce marché au sein de l'entreprise;

Que la tenue de réunions successives ayant pour objet une pré-répartition concertée des marchés entre les entreprises retenues par la DDE au stade de l'agrément des candidatures est établie par de nombreux documents découverts dans le même dossier, dont les plus significatifs sont analysés ci-après;

Que le premier de ces documents, constitué par un feuillet manuscrit (cote 83, page 15 du rapport), comporte dans sa partie droite, autour du dessin d'un carré central évoquant une table, les noms de 22 personnes associées au nom ou au sigle de 19 des 20 entreprises sélectionnées pour soumissionner aux marchés des ouvrages d'art de la route des Estuaires et notamment de chacune des requérantes, cette partie du feuillet portant les mentions " Baudin non invité" et " NF absent", ainsi que les mentions " retard Benjamin Chantiers Modernes " et " retard Campenon David " ; que ces mentions démontrent qu'il ne peut s'agir de simples études internes à l'entreprise, établies de manière unilatérale;

Que l'objet de cette réunion s'infère des annotations portées sur la partie gauche du même document (cote 83), sur lequel apparaissent, récapitulés dans une colonne intitulée " souhaits ", et en regard de chacun des noms des entreprises à l'exception notable des sociétés Borie, Nord France et Lépine admises à concourir seulement pour les marchés du second groupe, un chiffre s'échelonnant entre 4 pour Baudin, 5/6 pour EI (Entreprise Industrielle devenue Ineo), 8 pour Démathieu, 10 pour Marc, 10/12 pour Razel, 15 pour Spie, 15 pour ETPO et 30 pour Quille ; que le montant total de ces chiffres est compris entre 175 et 183 compte tenu des fourchettes mentionnées par plusieurs entreprises, que l'on ne peut que rapprocher des estimations initiales hors taxes de l'administration (175 000 000 F) ; qu'au-dessous de cette colonne est mentionné au bas du feuillet " D1/A2 seront attribués ensemble. Remettre A2 en course pour 15 + 1 (Moniteur du vendredi). Il faut nous téléphoner, Infructueux A2 ", ainsi que " Niveaux de prix tiré sont la règle " et enfin " Les prix sont hauts et ont tous dépassé les enveloppes";

Que la recherche d'une répartition concertée pour la totalité des quinze marchés en cause est attestée par les mentions concernant également le second groupe portées sur ce même document (cote 83), dans une rubrique située à droite de la colonne " souhaits", les références G1, G2, G3, D3, D4, D5, A4, A6 (pour laquelle il convient de lire A3], A7, A5 [pour lesquels il convient de lire A5, A4] étant accompagnées d'annotations manuscrites au-dessus desquelles est indiqué " en cours G1/G2 " et 7 autres arrivent (4 sem. p. répondre) "G3 D4 D5 A4 A5 A6 A7 "pas de groupement!";

Que les références de chaque marché du 2e groupe sont reprises en colonne au dessous de ces annotations, et sont accompagnées d'un premier projet de répartition; qu'en regard de G1 en particulier, marché pour lequel la remise des plis était fixée au 10 juillet 1995, est portée la mention " Boeuf /SGCO et EI [Entreprise Industrielle devenue Ineo] " ; qu'il y a lieu de relever que la société Entreprise Industrielle, moins disante sur ce marché, en a été déclarée attributaire le 7 août 1995, pour 7,2 MF TTC soit 6 MF HT; que d'autres attributions en revanche ne correspondent pas ou seulement partiellement aux entreprises ayant déposé les offres moins disantes - par exemple " DG et Quille " en face de G3, " GTM et EQ [Quillery]" en face de D5, alors que G3 a été finalement attribué à Marc dont l'offre a été la moins disante, et que D5 a fait l'objet d'une offre par la seule société Quillery, supérieure de 17,3 % à l'estimation administrative ce qui a motivé la déclaration d'infructuosité de ce marché et sa relance sous forme d'un appel d'offres ouvert;

Considérant que M. Thomas, successeur de M. Brouard à la direction de l'agence rouennaise de la société Quillery, a reconnu être l'auteur de ce document et précisé que " sa partie droite " concernait une réunion qui s'est tenue " en mai-juin 1995 " au siège de la Fédération régionale des travaux publics ; que si M. Brouard a situé pour sa part cette réunion à laquelle il assistait également, " début juin 1995 ", il y a lieu de relever que ne figurent pas sur ce document les sociétés Lépine, Nord France et Borie SAE, qui ne furent candidates que pour le 2e groupe de marchés ; que si M. Thomas a pris officiellement ses fonctions en juillet 1995, il est constant que la transmission de fonctions entre les deux hommes s'est étalée sur un an environ et que l'intéressé était chargé de ce dossier; qu'il se déduit de ces divers éléments auxquels s'ajoutent le contenu même du document, la numérotation des marchés dans sa forme initiale et surtout les mentions " D1/A2 seront attribués ensemble " et " remettre A2 en course ", que cette pièce se réfère à une réunion tenue avant le 1er juin 1995, date ultime fixée pour le dépôt des offres relatives au 1er groupe de marchés dont faisaient partie les marchés A2 et D1 ; que les déclarations des représentants des sociétés en cause faisant état d'une seule réunion " en juin-juillet ", déclarations démenties par les documents saisis, ne peuvent être retenues;

Considérant, en effet, qu'un second document manuscrit (cote 68, page 28 du rapport), daté du 21 juillet, reprend sur dix colonnes et dans leur numérotation initiale les marchés G1, G2, A2, A4, A5, A6, A7 [il convient de lire G1, G2, A3, A4, A7 et A5], D4, D5 et G3, avec pour chacune la mention d'un prix et le sigle d'une ou de plusieurs entreprises, ainsi que des ratures; que la partie inférieure du document comporte une récapitulation en trois colonnes, l'une reprenant les sociétés admises à concourir, la seconde intitulée " R " et la troisième intitulée " R ", la mention " Borie/Nord France/Lépine ... sur nos parts " étant portée au bas du document ; que M. Brouard également rédacteur de ce document a indiqué qu'il fallait entendre par ces lettres " Désirs " et " Résultats " ; qu'il est notable de constater que les chiffres de la colonne "D" correspondent à quelques variations près à ceux figurant sur le document coté 83, que les chiffres portés dans la colonne " R " sont très proches des montants HT des marchés du 1er groupe déjà attribués aux entreprises concernées - en ce compris l'Entreprise Industrielle mieux disante le 10 juillet 1995 pour le marché G1 qui allait lui être attribué le 7 août 1995 pour 7 MF TTC, chiffre repris dans la colonne " R " -, et que les sociétés pour lesquelles la colonne " R " mentionne le chiffre zéro (DG, Bœuf et Legrand, SGCO, GTM) n'ont précisément obtenu aucun des marchés attribués avant les appels d'offres de septembre 1995 concernant les marchés du second groupe;

Que la répartition des quinze marchés entre les candidats agréés par la DDE de la Manche apparaît encore sur un troisième document constitué par un feuillet double coté 42-45 (annexe au rapport 527-529) comportant un tableau avec en abscisse les références des quinze marchés dans leur numérotation modifiée, en ordonnée 23 lignes portant des noms ou des sigles relatifs aux 23 entreprises agréées par la DDE pour soumissionner aux appels d'offre - y compris Borie, Nord France et Lépine candidates pour les seuls marchés du 2e groupe -, des points noirs tracés à l'intersection de ces colonnes correspondant aux marchés pour lesquels les entreprises étaient admises à concourir, et le chiffre 8 au bas de chaque colonne correspondant au nombre d'entreprises admises à soumissionner pour chaque marché; que ce tableau apparaît avoir été complété après la décision d'attribution des marchés du 1er groupe intervenue début juillet 1995, plusieurs de ces points noirs étant surchargés de rouge dans les colonnes correspondant aux marchés du 1er groupe attribués par la DDE après ouverture des plis;

Qu'un quatrième document manuscrit (cote 47, annexe 531 au rapport), daté du 4 septembre 1995, reprend dans sa partie gauche la liste de 17 des entreprises admises à concourir, et notamment les requérantes ; que si M. Thomas qui a reconnu en être l'auteur, et M. Brouard qui a admis avoir inscrit la date, déclarent qu'il s'agissait d'un document de travail pour apprécier le niveau de concurrence sur l'A84, le fait que ce document mentionne en regard de " Campenon " auquel est accolé le nom "Labrie ", la mention " absent ", et les légères variations concernant la composition de l'assemblée (un seul représentant au lieu de deux pour la société Razel ainsi que pour les sociétés Spie Citra) établissent que ce document concerne une autre réunion tenue entre les mêmes entreprises, préalablement à la date ultime de remise des plis des marchés du second groupe, fixée au 14 septembre 1995;

Qu'un cinquième document manuscrit également daté du 4 septembre 1995 (et non du 5 comme l'indique inexactement la décision attaquée), dont l'écriture émane manifestement des mêmes auteurs (cote 43, annexe 24 au rapport), et qui porte en bas de page la mention " jeudi 14 à 16 h ", est constitué de sept lignes commençant par la référence de chacun des marchés A3, A4, A5, A7, D4, D5 et G3 pour lesquels la remise des plis devait précisément intervenir le 14 septembre 1995 ; qu'il mentionne pour chaque ligne un chiffrage en millions de francs puis les noms de huit à dix entreprises, dont un ou deux sont entourés, une inscription portée en fin de ligne étant expliquée par une légende au bas du document ("o : réponse OK " - " I : Infructueux " - "? : On ne sait pas ") ; que l'examen des procès-verbaux de la commission d'ouverture des plis a confirmé que les noms entourés correspondent, pour chacun de ces marchés, à l'entreprise ayant déposé l'offre la moins- disante;

Qu'il y a lieu de relever que chacune des requérantes est mentionnée sur ce document, soit comme soumissionnaire (notamment Démathieu pour A3, A5 et G3, ETPO pour A7, Razel pour A3 et pour A7, Spie pour A3, A7, Quille pour D4), soit comme candidat désigné seul ou en groupement (ETPO et Spie pour D4 avec une répartition de 7,5 MF chacun, Quille pour A4, Marc pour G3); qu'il est notable que sur la ligne concernant le marché G3 ainsi pré-attribué à Marc et pour lequel est portée en début de ligne la mention " 10 MF ", le nom de l'entreprise Le Calvez, également soumissionnaire, est entouré de pointillés et mentionne, comme pour l'entreprise Marc, le chiffre 5, ces mentions étant à rapprocher du contrat de sous-traitance ultérieurement conclu entre les deux sociétés pour 4,83 MF ainsi qu'il sera vu ci-après; qu'à l'exception de la référence concernant le marché D5 complétée en fin de ligne par la mention " I ", toutes les autres références de marché comportent en fin de ligne l'inscription " OK " assortie ou non d'un point noir o ; qu'enfin le chiffrage indiqué pour chaque référence de marché apparaît très proche du montant des offres moins disantes correspondantes;

Que ces pièces, que corroborent les déclarations des deux salariés de la société Quillery et les offres effectivement présentées à la DDE de la Manche par les entreprises retenues au stade des candidatures, et dont le Conseil a fait une exacte analyse (points 27 à 62) par des motifs que la cour adopte, établissent la participation des requérantes à la concertation générale qui leur est reprochée;

Considérant que les moyens soutenus par les requérantes ne sont pas de nature à contredire l'analyse du Conseil;

Considérant, en effet, que ces documents saisis dans les locaux de l'agence rouennaise de la société Quillery sont opposables non seulement à l'entreprise dont ils émanent, mais également à celles qui les ont reçus et à celles qui y sont mentionnées ; que leur valeur probante ne peut être mise en doute, dès lors que leurs auteurs, l'un et l'autre chefs d'agence de la société Quillery, ont reconnu les avoir établis et que leur contenu est largement confirmé par celui des offres présentées à la DDE de la Manche, à des dates qui coïncident avec celles qui sont portées sur ces documents;

Que les affirmations selon lesquelles les réunions ainsi tenues auraient eu pour objet de s'entretenir de la crise générale du secteur du bâtiment et des travaux publics, ou d'échanger des informations " générales " sur les activités des entreprises en cause, voire sur le marché de l'A84, ne sont pas crédibles ; qu'il résulte des mentions portées sur le document coté 83 ci-avant analysé que la première réunion organisée entre les entreprises admises à concourir a été tenue avant le 1er juin 1995, date fixée pour la remise des plis relatifs aux marchés du 1er groupe ; que le fait que les requérantes, ou certaines d'entre elles, aient pu bénéficier de fuites, voire d'une collusion ayant permis la transmission d'informations détenues par la DDE de la Manche, ne saurait constituer pour les participants à l'entente une cause d'exonération quelconque, notamment au sens de l'article L. 420-4 du Code de commerce;

Que les écarts constatés entre les montants attribués à chacun des participants à l'entente, comme les variations touchant à la désignation même des candidats moins disants (le groupement Boeuf et Legrand/SGCO/Entreprise Industrielle [Ineo] ayant laissé place à la seule candidature de cette dernière, par exemple), loin de contredire l'existence d'une concertation, en reflètent la mise au point progressive et l'évolution inévitable, ne serait-ce qu'en raison de la durée de la procédure de désignation puis de consultation des candidats, commencée début 1995 et poursuivie jusqu'en février 1996, et de l'intervention de nouveaux candidats, l'analyse qu'en a fait le Conseil dans la décision attaquée (points 95 à 114) devant être approuvée ; que cette action concertée générale ne peut être confondue avec les échanges nécessaires à la constitution des groupements autorisés par le maître d'ouvrage, contrairement aux affirmations des requérantes;

Qu'il résulte de ce qui précède que les entreprises ayant participé aux appels d'offres des quinze marchés concernés ont déposé des offres de couverture afin de permettre aux entreprises pré-désignées d'être les moins disantes et de remporter les marchés, ces pré-répartitions de marchés ressortant particulièrement des pièces cotées 47 et 43 du 4 septembre 1995 ci-avant analysées;

Que s'agissant des marchés A2, A3, A4 et A7 déclarés infructueux et relancés sous forme de marchés négociés A2bis, A3bis, A4bis et A7bis, il est relevé par le Conseil, et non contesté, que malgré l'exclusion des auteurs des trois offres les plus élevées et l'ouverture de la procédure à de nouvelles entreprises ou groupements (Zanello-Giffard et Lang TP pour A7bis, Lang TP pour A3bis), les entreprises ou groupements moins disants à l'issue du premier appel d'offre restreint l'ont été également à l'issue de la procédure de marché négocié malgré ces nouveaux participants ; qu'il en est ainsi, notamment, pour le marché A4 pour lequel l'offre de la société Quille supérieure de 7,3 % à l'estimation administrative avait été la plus basse, la même société ayant remporté le marché A4bis avec une offre inférieure cette fois de 2 % à l'estimation de la DDE ; qu'ainsi que l'a justement relevé le Conseil, ces pratiques se sont également traduites par de nouvelles offres de couverture, déposées par les entreprises dont la candidature avait été maintenue ou admise (Démathieu pour A4bis, ETPO pour A2bis, A4 bis et A7bis, Spie Batignolles Ouest pour A2bis, Spie Batignolles TPCI pour A2bis, A4bis, A7bis, Razel pour A2bis, A3bis, A7bis, Marc pour A2bis, A4bis, A3bis, A7bis, Ineo pour A2bis, Quille pour A2bis, A3bis et A7bis) ; qu'il apparaît enfin en ce qui concerne le marché G2bis déclaré infructueux et relancé sous la forme d'un appel d'offre ouvert, la société Sogea mieux disante lors du premier appel d'offres (G2) avec une offre supérieure de 13,5 % à l'estimation administrative, ayant été écartée, que les sociétés Démathieu, Marc et Ineo ont coordonné leurs offres avec celle de la société Chantiers Modernes pour lui permettre d'être la moins disante sur ce marché, qui a cependant été finalement attribué au groupement Zanello-Giffard appelé par la DDE à participer à la compétition dans le cadre de la procédure d'appel d'offres ouvert;

Que la décision du Conseil en ce qu'elle retient une entente généralisée ne peut être critiquée, s'agissant du marché D5bis relancé par appel d'offres ouvert et attribué au groupement ETPO/Spie Citra, au seul motif qu'aucune preuve de concertation n'a été relevée avant le 26 février 1995, date du dépôt des offres des entreprises ETPO, Démathieu et Quille agréées par la DDE pour ce dernier marché ; que le seul document saisi se référant à cette consultation soit une note d'analyse établie par M. Brouard le 29 février 1996 postérieurement à la remise des plis, apparaît en effet insuffisant pour établir une concertation sur ce marché particulier et à ce stade ultime de la procédure d'attribution des marchés, comme l'a justement relevé le Conseil ; que ces circonstances, qui laissent penser qu'aucun accord n'a pu être trouvé entre les parties à l'entente pour ce marché particulier, ne sauraient toutefois remettre en cause la validité des constatations du Conseil concernant l'entente générale ayant affecté le marché de construction des ouvrages d'art de la portion d'autoroute A84 dite " route des Estuaires " située dans le département de la Manche ;

Que la société Marc n'est pas fondée à soutenir que les conditions dans lesquelles a été conclu entre elle et la société Le Calvez un contrat de sous-traitance portant sur une partie du lot G3, seraient licites, alors qu'ainsi qu'il a été vu ci-avant (document daté du 4 septembre 1995, coté 43, annexe 24 au rapport), ce partage était convenu dès avant la remise des offres concernant le marché G3, étant encore observé qu'il permettait d'équilibrer les montants pré-attribués à l'une et l'autre en regard des souhaits exprimés par chacune d'un chiffre d'affaires de 10 MF (document 83), la société Marc également moins disante pour D2 partagé avec Dodin obtenant de ce fait un chiffre d'affaires global hors taxes chiffré à 12,04 MF dans la décision attaquée, la société Le Calvez également moins disante pour A2bis parvenant grâce à cette sous-traitance à un chiffre d'affaires global hors taxes de 11,96 MF;

Qu'en admettant même que la société Marc se soit vu notifier le marché D2 le 6 novembre 1995, postérieurement à la remise des plis concernant les marchés du 2e groupe et notamment G3 le 14 septembre 1995 et qu'elle ait réalisé en réalité, sur ces deux marchés, un chiffre d'affaires HT de 13,9 MF compte tenu du partage du premier et de la sous-traitance partielle consentie sur le second comme elle le fait valoir dans ses écritures, ces moyens ne sont pas de nature à remettre en cause les constatations qui précèdent;

Que les circonstances que certaines des estimations du maître d'ouvrage aient été revues à la baisse, que l'offre d'un candidat mieux disant ait induit une marge " dérisoire " (Razel pour D1) ou globalement insuffisante pour couvrir ses frais fixes (ETPO pour D3 et D4) ou négative de 2 % (Ineo pour G1) ou que cette offre soit inférieure à celle de l'administration (Marc pour G3) ou réduite de 8,67 % lors de la relance du marché (Marc pour G2bis), que les enquêteurs n'aient rien trouvé d'anormal dans les études de prix des sociétés concernées (ETPO et Quille), et qu'enfin les quinze marchés aient été finalement attribués pour un montant total légèrement inférieur à l'estimation administrative initiale sont sans portée sur la caractérisation de l'entente, dès lors qu'il est établi que cette action concertée a eu pour objet et pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré relatif à la construction des ouvrages d'art se rapportant à la réalisation de la route des Estuaires dite A84, pour la portion de route passant dans le département de la Manche soumise à appel d'offres en 1995 et 1996;

* Sur les sanctions

Considérant que les sociétés Spie Batignolles TPCI et Spie Batignolles Ouest ont déposé le 14 décembre 2005 deux mémoires en réplique dans lesquels est demandée, à titre subsidiaire, la réduction de la sanction prononcée à leur encontre pour tenir compte de la durée excessive de la procédure; que ces demandes ne peuvent qu'être rejetées, dès lors que le moyen pris d'une durée anormale de la procédure a été écarté par la cour et que la durée de cette procédure n'est pas en elle-même de nature à justifier la réduction de la sanction;

Considérant que les sociétés Marc, et à titre subsidiaire Razel, Démathieu et ETPO contestent le montant des sanctions pécuniaires prononcées à leur encontre, et font valoir que les principes d'individualisation de la peine, de motivation de la sanction et de proportionnalité inscrits à l'article L. 464-2 du Code de commerce, comme les règles de détermination de l'assiette des sanctions, n'ont pas été respectés, ajoutant qu'il n'a été tenu compte ni de l'absence de dommage à l'économie dès lors que le montant des marchés attribués est globalement inférieur à l'estimation initiale de l'administration, ni de la situation personnelle des entreprises, ni de la crise de la filière du bâtiment et des travaux publics lors des faits; qu'elles demandent à titre infiniment subsidiaire la réduction de ces sanctions;

Considérant que la sanction prononcée en application de l'article L. 464-2 du Code de commerce, dans sa rédaction alors applicable s'agissant de faits commis avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, doit prendre en compte, au titre de sa motivation, la gravité des faits reprochés, l'importance du dommage causé à l'économie et la situation individuelle de l'entreprise sanctionnée;

Considérant que la gravité des pratiques reprochées aux requérantes a été à juste titre soulignée par le Conseil ; que ce caractère de gravité résulte en effet non seulement de la nature même de ces pratiques, constitutives d'une entente horizontale en vue d'une répartition des marchés, mais aussi, en l'espèce, de l'ampleur de la concertation, qui résulte de l'importance des sommes en cause, le montant global du marché dépassant 26 000 000 euro, du grand nombre de ses participants, et de la persistance de cette action concertée, poursuivie par ses auteurs en dépit de la vigilance du maître d'ouvrage, du rejet des offres les plus manifestement excessives, de la relance des marchés et de l'intervention de nouveaux candidats;

Que le dommage causé à l'économie, qui est indépendant du dommage souffert par le maître d'ouvrage, est établi, ne serait-ce qu'en raison de l'entrave portée au jeu normal de la concurrence entre les compétiteurs sélectionnés par la DDE de la Manche, de la tromperie qui en est résultée sur la réalité de cette concurrence, de la durée des pratiques relevées par le Conseil, qui se sont poursuivies pendant plus d'un an, une telle action concertée étant répréhensible du seul fait de son existence;

Considérant enfin qu'il ne peut être reproché au Conseil d'avoir méconnu les principes de proportionnalité de la peine et d'individualisation de la sanction; qu'il résulte de ses constatations que chacune des requérantes a pris une part active à l'entente et en a personnellement bénéficié, ayant été déclarée respectivement attributaire la société ETPO de D3 et D4, Démathieu de A6, Razel de D1, Marc de D2 et G3, chacune d'elle ayant déposé des offres de couverture pour les marchés de chacun des deux groupes, et à nouveau après relance des marchés déclarés infructueux par le maître d'ouvrage;

Que le Conseil a fait une exacte application des textes en vigueur lors des faits en calculant les sanctions infligées aux requérantes par référence au chiffre d'affaires global hors taxes qu'elles ont réalisé en France lors du dernier exercice clos, chiffre mentionné sur le compte de résultat de l'entreprise considérée;

Que les moyens soutenus à cet égard par la société ETPO qui fait valoir que les liasses fiscales -pourtant établies par ses soins - ne seraient pas représentatives de son activité, par la société Démathieu et par la société Razel qui demandent que soient prise en compte la seule activité d'une agence locale alors non filialisée sans justifier ni même alléguer que ces agences auraient constitué des entités économiques pourvues d'éléments matériels et humains et dotées d'une autonomie suffisante de décision pour la détermination de leur comportement sur le marché, ne peuvent qu'être rejetés;

Que la société Marc fait valoir à tort qu'elle a été injustement sanctionnée " au double " de la société Dodin soit pour un montant correspondant à 1 % de son chiffre d'affaires alors que la sanction prononcée contre la société Dodin s'élève à 0,5 % de son chiffre d'affaires et que les griefs retenus contre l'une et l'autre seraient presque identiques, puisque la requérante a obtenu deux marchés et non un seul ainsi qu'il a été vu ci-avant, le premier en groupement avec Dodin, le second partagé avec Le Calvez au moyen d'un contrat de sous-traitance;

Considérant enfin que l'ancienneté des faits et la durée de la procédure ne constituent pas un moyen de réduction de la sanction; qu'au demeurant il y a lieu de relever la modération des sanctions prononcées par le Conseil, qui ont représenté pour chacune des requérantes 1 % de leur chiffre d'affaires réalisé au titre du dernier exercice (2003 ou 2004) clos avant le prononcé de la décision attaquée;

Considérant qu'il convient de rejeter les recours, à l'exception du recours formé par la société Lépine TP;

Par ces motifs, Annule partiellement les articles 2 et 4 du dispositif de la décision n° 05-D-19 du Conseil de la concurrence, dans leurs dispositions disant que la société Lépine TP a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et lui infligeant une sanction pécuniaire de 75 000 euro, Et statuant à nouveau de ces seuls chefs, Met la société Lépine TP hors de cause, Dit que les sommes éventuellement versées par la société Lépine TP en exécution de la décision du Conseil lui seront remboursées, Dit que ces sommes seront assorties d'intérêts au taux légal mais seulement à compter de la notification valant mise en demeure, de la présente décision, Dit qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 1154 du Code civil, Déclare irrecevables comme tardifs les moyens nouveaux développés par la société Démathieu & Bard dans son mémoire en réplique déposé le 15 décembre 2005 auprès du greffe de la cour, concernant les offres déposées pour les marchés du 2e groupe ainsi que pour les marchés relancés après déclaration d'infructuosité (A3, A4bis, A5, G2bis et G3), Rejette les recours formés par les sociétés ETPO, Démathieu et Bard SA, BGC Ouest, GTM Construction, Ineo, Marc, Quille, Razel, Sogéa Nord Ouest, Spie Batignolles TPCI, Spie Batignolles Ouest, TPC, Vinci, Vinci Construction, Condamne les sociétés ETPO, Démathieu et Bard SA, EGC Ouest, GTM Construction, Ineo, Marc, Quille, Razel, Sogéa Nord Ouest, Spie Batignolles TPCI, Spie Batignolles Ouest, TPC, Vinci, Vinci Construction aux dépens.