Cass. crim., 30 mars 1994, n° 92-85.839
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
Mme Ferrari
Avocat général :
M. Monestié
Avocats :
SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin
LA COUR : - Rejet du pourvoi formé par X Gérard, contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Agen, chambre correctionnelle, du 8 octobre 1992, qui, pour tromperie, l'a condamné à 10 000 francs d'amende et a prononcé une mesure de publication. Vu le mémoire produit ; Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 1er de la loi du 1er août 1905, de la décision n° 83 du CTCPA du 31 octobre 1986 relative aux préparations à base de foie gras, des articles 4 du Code pénal, 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen, 6.3 et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ainsi que de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré un producteur de blocs de foie gras (X, le demandeur) coupable de tromperie sur les qualités substantielles de ses produits ;
" aux motifs que l'article 1er de la décision n° 83 disposait que les préparations à base de foie gras devaient être conformes à un certain nombre de critères et établies à partir de foies gras d'oie ou de canard, éventuellement assaisonnées, épicées, aromatisées ou truffées, sans addition d'autres éléments que ceux spécifiés ; que l'article 2 ajoutait que les dénominations de préparations à base de foie gras devaient, d'après leur structure et compte tenu des divers éléments entrant dans leur composition, être conformes aux indications d'un tableau récapitulant les différents types de préparation ; que le bloc de foie gras était défini au tableau I ; qu'il s'agissait d'un foie reconstitué par des moyens mécaniques pouvant éventuellement contenir des morceaux de foie gras, d'assaisonnements, éventuellement de truffes ou d'additifs autorisés ; que tout ce qui n'était pas prévu par cette réglementation adoptée par les professionnels eux-mêmes était interdit ; qu'ainsi, l'interprétation du premier juge retenant un pouvoir d'appréciation pour la composition de ces blocs de foie gras était erronée ; que, toutefois, le CTCPA tolérait l'adjonction d'eau non prévue par la décision n° 83 dans la limite de 5 % ; que si des projets de réforme étaient en cours, il n'était pas utile de les examiner, seule la réglementation en vigueur au moment des faits était applicable (v. arrêt p. 3, attendus numéros 2 à dernier, p. 4, attendus numéros 5 et 6) ;
" alors que, pour être punissable, la tromperie sur les qualités de la chose vendue doit porter sur des qualités substantielles du produit ; que, même en présence d'une réglementation en fixant la composition, tous ses attributs ne sont pas nécessairement substantiels ; qu'en refusant d'exercer son pouvoir d'appréciation sur l'importance des attributs considérés au regard du produit litigieux, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" alors, également, que le délit de tromperie n'est constitué qu'autant que la composition diffère soit de celle énoncée, soit de celle définie par une réglementation précise et complète ; que le juge ne pouvait, pour retenir le demandeur dans les liens de la prévention, déclarer que tout ce qui n'était pas expressément prévu par la réglementation en vigueur comme entrant dans la composition des blocs de foie gras était "nécessairement" interdit, tout en constatant par ailleurs l'existence de "tolérances" résultant des usages de la profession à l'égard de certains composants non prévus ainsi que de projets de réforme en cours sur ce point, ce qui démontrait l'insuffisance et l'imprécision de la réglementation applicable à l'époque des faits ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" et alors, enfin, qu'en s'abstenant de préciser quel était le procédé de fabrication du bloc de foie gras (reconstitution par la technique de l'émulsion à chaud nécessitant l'addition d'une certaine quantité d'eau avant une cuisson entraînant nécessairement un phénomène d'exsudation des graisses) et de rechercher si, compte tenu de sa structure et des éléments entrant dans sa composition, le produit fini pouvait ne contenir que les éléments mentionnés dans l'arrêté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés " ;
Et sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article 1er de la loi du 1er août 1905, de la décision n° 83 du CTCPA en date du 31 octobre 1986 relative aux préparations à base de foie gras, de l'article 4 du Code pénal ainsi que de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré un producteur de blocs de foie gras (X, le demandeur) coupable de tromperie sur les qualités substantielles de ses produits ;
" 1° aux motifs propres et adoptés que, dans la boîte de bloc de foie gras prélevée le 25 mai 1990, le laboratoire d'analyse avait constaté la présence de graisse (10,66 %) ; que "l'apport" de graisse pouvait résulter soit d'un apport volontaire en cours de préparation, soit d'une mauvaise maîtrise de la technique de fabrication ; que le défaut de surveillance et de maîtrise caractérisait le délit de tromperie ; "qu'en l'espèce, la décision n° 83 du CTCPA ne prévo(yait) pas la présence de graisse exsudée ; qu'ainsi, celle-ci (était) interdite sans qu'il (fût) nécessaire que sa présence (eût résulté) d'un acte volontaire, l'omission relevée étant suffisante" (v. jugement, p. 3, paragraphe 8 ; arrêt attaqué, p. 4, attendus numéros 2 à 4) ;
" alors que la décision n° 83 fixait uniquement un taux maximal de graisse exsudée par rapport au poids net du produit pour les "foies gras entiers" ou les "foies gras" et n'en définissait aucun pour les "blocs de foie gras" ou les autres préparations de qualité inférieure ; qu'en retenant le demandeur dans les liens de la prévention sans avoir constaté que le prévenu avait ajouté de la graisse lors de la préparation des blocs de foie gras qu'il produisait, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" 2° aux motifs propres et adoptés que, "après analyse, il a(vait) été trouvé un taux d'humidité du produit délipidé (HPD) de 83,3 % d'environ 12 % alors que 5 % seulement étaient tolérés" ; que l'adjonction d'eau était "tolérée dans la norme CTCPA dans la limite de 5 % ; que ce taux, qui résult(ait) des usages de la profession, s'imposait au prévenu qui (devait) maîtriser sa production sans qu'il (fût) utile d'examiner plus avant les projets de réforme en cours, la réglementation en vigueur au jour des faits étant seule applicable" (v. jugement, p. 4, paragraphe 5 ; arrêt attaqué, p. 4, attendus numéros 5 et 6) ;
" alors qu'en tenant pour exactes les analyses données par l'Administration poursuivante quant à la quantité d'eau utilisée sans s'expliquer sur le fait que, selon l'avis technique d'un professeur de l'école vétérinaire (laboratoire d'hygiène alimentaire) produit par le demandeur, le taux d'HDP ne dépendait pas exclusivement de la quantité d'eau ajoutée, mais aussi de la richesse en graisse des foies utilisés, et pour illicite un ajout d'eau sans s'expliquer sur le fait que la quantité d'eau ajoutée tolérée par le CTCPA et invoquée par l'Administration poursuivante était de moitié inférieure à celle envisagée dans le cadre des discussions pour la mise en place de la nouvelle réglementation, ce dont résultait l'imprécision, donc l'absence de la réglementation à cet égard, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
" 3° aux motifs propres et adoptés que l'analyse du prélèvement du 31 août 1989 avait révélé un taux de saccharose de 0,3 % (3 grammes pour un kilogramme de foie gras) et celui du mois de mai 1990 un taux de 0,25 % (2,5 grammes pour un kilo) ; que l'apport de sucre n'était toléré dans la norme n° 83 qu'à raison de 2 grammes par kilogramme ; que cette limite était fixée pour éviter au produit d'être dénaturé artificiellement ou amélioré en masquant une amertume trop importante par exemple ; que cette adjonction ne pouvait résulter que d'un acte positif ; qu'à cet effet, l'utilisation des alcools reconnue par le prévenu aurait dû être maîtrisée pour respecter le pourcentage de sucre dans le produit (v. jugement, p. 3, paragraphe 3 ; arrêt attaqué, p. 4, paragraphes 7 à 10) ;
" alors que la décision n° 83 autorisait l'emploi, pour l'assaisonnement des blocs de foie gras, de sel (chlorure de sodium), de sucres (exclusivement saccharose et dextrose à la dose maximale de 2 grammes par kilogramme), d'épices et éventuellement de cognac, armagnac ou vins de liqueurs ainsi que tous autres aromates consacrés par l'usage ; que cette réglementation n'imposait pas au producteur de "maîtriser" l'utilisation des alcools afin de respecter un "pourcentage (total) de sucre dans le produit" (taux rapporté au poids net du produit fini), mais l'obligeait seulement à respecter, au stade de la fabrication du produit, un dosage maximal pour l'ajout de sucres (saccharose ou dextrose) ; qu'en décidant le contraire et en déclarant le demandeur coupable de tromperie sans constater qu'il avait effectivement ajouté plus de 2 grammes de saccharose par kilogramme de foie, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué que Gérard X est poursuivi du chef de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue pour avoir fabriqué et commercialisé des blocs de foie gras de canard dont les ingrédients et additifs ne sont pas conformes à ceux permis par la réglementation des préparations à base de foie gras, approuvée par décision ministérielle du 14 avril 1987 ;
Attendu que, pour le déclarer coupable de ce délit, la cour d'appel relève que les analyses ont décelé un taux d'humidité de produit dégraissé de 83,3 %, la présence de graisse à raison de 10,66 % et une teneur en saccharose de 2,5 à 3 grammes par kilogramme ; que les juges énoncent que la réglementation alors en vigueur fixe la dose maximale de sucres à 2 grammes par kilogramme, et qu'elle n'autorise, dans le bloc de foie gras, ni la graisse d'exsudation, ni la présence d'humidité, quoique les usages de la profession admettent une adjonction d'eau dans la limite de 5 %, seuil en l'espèce dépassé ; qu'ils ajoutent que le défaut de surveillance du prévenu et la mauvaise maîtrise de la technique de fabrication suffisent à caractériser l'élément moral du délit ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision tant au regard de la réglementation applicable à la date des faits qu'au regard du décret du 9 août 1993 relatif aux préparations à base de foies gras, entré en vigueur le 1er janvier 1994 ; qu'en effet constitue l'élément matériel du délit de tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise vendue, la mise sur le marché d'un produit non conforme à la réglementation qui en fixe la composition ; d'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.