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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 4 mars 2004, n° 02-5063

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Senator Lines Gmbh (Sté)

Défendeur :

Maritime Union Sud Ouest (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lebreuil

Conseillers :

MM. Vergne, Grimaud, Baby, Boyer-Campourcy

Avoués :

SP Rives Podesta, SCP Nidecker Prieu

Avocats :

Mes Simon, Olhagaray

T. com. Bordeaux, du 14 mars 1997

14 mars 1997

Le 16 juin 1990, la société Somarco International a confié à la société Union Maritime du Sud-Ouest dite MUSO, en qualité de sous-agent, la représentation à Bordeaux de l'armement Senator Lines. Le 29 juin 1995, la société Somarco International a mis fin au contrat motif pris d'un accord conclu entre l'armement Senator Lines et l'armement Hanjin, celui-ci étant déjà représenté par la société MUSO. Celle-ci, arguant que le vrai motif de la rupture était l'installation d'un représentant de la société Somarco International à Bordeaux, a saisi le tribunal de commerce de cette ville pour obtenir une indemnité de résiliation. Par jugement du 14 mars 1997, la société Somarco International a été condamnée à payer à la société MUSO la somme de 133 810,89 euro (876 430 F) à titre d'indemnité de résiliation et de dommages et intérêts outre 1 524,49 euro (10 000 F) pour frais irrépétibles. L'exécution provisoire a été prononcée à charge pour la société MUSO de constituer caution.

Sur appel de la société Somarco International, la Cour de Bordeaux a rendu un premier arrêt le 4 mai 1998. Elle a confirmé l'imputabilité de la rupture à la société Somarco International, elle a déclaré recevable la demande reconventionnelle de la société Somarco International en paiement de sommes provenant de produits annexes et, avant dire droit sur les mérites des demandes présentées, elle a renvoyé les parties à mieux s'expliquer.

Par un arrêt du 4 octobre 1999, la Cour de Bordeaux a réformé le jugement du 14 mars 1997 sur le quantum de l'indemnité de résiliation. Elle a condamné la société Somarco International devenue DSR-Senator Agency à payer à la société MUSO deux indemnités de 57 386,38 euro (376 430 F) avec intérêts au taux légal à compter du jugement.

Cet arrêt a été déféré à la Cour de cassation par la société DSR Senator Lines. Un arrêt de cassation a été rendu le 25 juin 2002 au visa de l'article 12 de la loi du 25 juin 1991 devenu article L. 134-12 du Code de commerce pris en application de l'article 17 de la directive n° 86-653 du Conseil des Communautés européennes du 18 décembre 1986. Il rappelle que l'article 17 susvisé laisse le choix aux Etats membres d'allouer à l'agent commercial, après cessation du contrat, soit une indemnité calculée au regard de la clientèle qu'il a apportée ou développée, soit une indemnité réparant le préjudice que lui cause la cessation de ses relations avec le commettant de sorte qu'il ne peut être alloué deux indemnités. Par ailleurs l'arrêt rappelle que l'article L. 134-12 du Code de commerce a transposé la directive en droit interne en optant pour la réparation du préjudice causé par la cessation des relations contractuelles ce qui exclut l'indemnisation de la perte de clientèle. L'arrêt du 4 octobre 1999 a été cassé en toutes ses dispositions et l'affaire a été renvoyée à la Cour d'appel de Toulouse.

La société DSR Senator Lines a saisi cette cour le 28 novembre 2002. Elle fait valoir que le litige est en l'état de l'arrêt rendu par la Cour de Bordeaux le 4 mai 1998, qu'il est acquis que la société MUSO a droit à une indemnité mais qu'il appartient à cette société de démontrer son préjudice. Elle soutient à ce propos que la société MUSO a bénéficié d'une clientèle captive qui lui a été apportée, qu'il n'y a pas eu perte de clientèle ensuite de la rupture du contrat, que la société MUSO n'a pas été désorganisée et que le salarié de cette société qui traitait les dossiers DSR Senator a été réembauché par la société DSR Senator Lines de sorte que des frais de licenciement ont été évités. Elle estime qu'il n'y a donc pas de préjudice. La société DSR Senator Lines se plaint par ailleurs que la société MUSO ait perçu des produits annexes qu'elle entendrait faire entrer dans l'évaluation de son préjudice. Selon la société DSR Senator Lines, ces produits annexes constitués de marges perçues sur des contrats distincts du contrat de transport maritime et annexes à celui-ci seraient constitutifs de détournements de fonds. Elle soutient que ces sommes sont à tout le moins étrangères au contrat de sous-agent conclu avec la société MUSO et qu'elle ne saurait être tenue d'indemniser la société MUSO de leur perte. En tout état de cause, elle argue d'une compensation entre l'indemnité qu'elle pourrait devoir et sa créance de 1 369 941 F pour détournement de fonds. La société DSR Senator Lines conclut à l'absence de préjudice de la société MUSO, subsidiairement à la compensation entre créances et dettes et au paiement de 193 731,53 euro, encore plus subsidiairement à ce que la créance de la société MUSO soit fixée à 14 572,06 euro ou, en dernière limite, à la somme de 57 386,38 euro. La société DSR Senator Lines Conclut à la restitution de ce qui aurait été payé en excédent en vertu de l'arrêt cassé avec intérêts à compter de la date du paiement. Elle sollicite 10 000 euro pour frais irrépétibles et la distraction des dépens au profit de la SCP Rives Podesta.

La société MUSO considère que la cour est saisie du litige tel qu'il se présentait avant l'arrêt du 4 octobre 1999, que ce litige ne portait que sur la fixation de l'indemnité qui lui était due, que la prétention de la société DSR Senator Lines au remboursement d'un détournement de fonds est irrecevable car la Cour de Bordeaux a omis de statuer sur ce point par son arrêt du 4 octobre 1999, il n'a pas été déposé de requête en omission de statuer, la Cour de cassation n'a pas été saisie de ce chef et elle n'a donc pas remis en question la prétention sur laquelle la Cour de Bordeaux avait omis de statuer. La société MUSO en déduit que l'omission de statuer n'a pas été dévolue à la cour de renvoi. Sur le montant de l'indemnité qui lui est due, elle invoque tant la perte de ses commissions que la perte des produits annexes. Elle expose que dans le cadre des contrats de fret maritime, elle est amenée à assurer pour les clients d'autres prestations telles que du transport terrestre, des opérations de débarquement, des opérations douanières, toutes prestations négociées directement avec le client et sur lesquelles elle prélevait une marge. Elle soutient que ces produits annexes sont habituels et qu'ils compensaient une marge de commission particulièrement faible voire inexistante comme c'était le cas pour le Canada. Elle conteste en toute hypothèse qu'il puisse s'agir de sommes détournées. Elle dénie que la société DSR Senator Lines lui ait apporté de la clientèle et elle argue d'une baisse très importante de son chiffre d'affaires dont elle subit encore les effets. Elle estime faire reste de droit à la société DSR Senator Lines en évaluant l'indemnité à une année et demi de perte de recettes soit la somme de 228 674 euro. La société MUSO conclut à l'irrecevabilité de la demande pour détournement de fonds, en tout état de cause au débouté, au paiement de 228 674 euro à titre d'indemnité de rupture du contrat avec intérêts au taux légal à compter du jugement outre 10 000 euro pour frais irrépétibles et distraction des dépens au profit de la SCP Nidecker et Prieu Philippot.

Sur quoi

Attendu qu'il a été définitivement jugé par l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux du 4 mai 1998 que la rupture du contrat d'agent commercial entre la société DSR Senator Lines et la société MUSO est imputable à faute à la société DSR Senator Lines ; que la société MUSO a donc droit à une indemnité de résiliation ;

Attendu par ailleurs que cette indemnité doit être calculée par application de l'article L. 134-12 du Code de commerce en fonction du préjudice résultant de la cessation du contrat; qu'il appartient à la société MUSO de justifier de ce préjudice ;

Attendu que la société MUSO invoque en premier lieu la perte des commissions qu'elle percevait; que l'indemnisation à ce titre n'est pas contestable ;

Attendu que la société MUSO invoque en second lieu la perte des produits annexes, c'est-à-dire la marge perçue sur les prestations accessoires au transport maritime (transports terrestres, débarquement, opérations de douane) ;

Attendu que ces produits annexes proviennent de contrats autres que le contrat de transport maritime proprement dit qui constitue le seul objet du mandat confié en 1990 par la société Somarco International à la société MUSO ; qu'il convient de savoir si ces produits annexes peuvent entrer dans le préjudice indemnisable par la société DSR Senator Lines alors qu'ils sont précisément hors mandat ; qu'il doit être recherché s'ils sont entrés dans les prévisions des parties lors de la conclusion du contrat; qu'à ce propos la société MUSO fait valoir le faible taux de ses commissions qui serait justifié par l'existence habituelle des prestations accessoires au transport maritime, prestations qui génèrent un profit complémentaire ;

Attendu que le taux des commissions perçues par la société MUSO n'était que de 1 % du fret à l'import et 1,5 % du fret à l'export, et même de 0 % pour le Canada; que la société MUSO explique ce faible taux par la pratique des produits annexes ; qu'elle verse aux débats une attestation du représentant du syndicat des armateurs et consignataires de navires, une attestation du président de la fédération maritime du port de Bordeaux, une attestation d'un agent maritime bordelais, une attestation du directeur de la SAGA Terminaux Portuaires ; que selon ces attestations, le pourcentage habituel de rémunération des agents est de 5 à 8 % et ce pourcentage est moindre s'il s'y ajoute la perception d'autres produits;

Attendu cependant que la société MUSO n'était pas un agent mais un sous-agent de l'armement Senator Lines et qu'à ce titre elle partageait les commissions avec la société Somarco International ; que la société DSR Senator Lines fait valoir, attestations à l'appui, que l'activité principale de l'agent, et en tout cas celle qui justifie sa rémunération, est le recrutement du fret maritime ; que surtout, selon les attestations du représentant du syndicat des armateurs et consignataires de navires et du président de la fédération maritime du port de Bordeaux, produites aux débats par la société MUSO, le pourcentage moins important se justifie lorsque des prestations annexes sont effectuées par l'agent pour le compte de l'armateur ou de ses commettants;

Attendu qu'en l'espèce les produits annexes invoqués par la société MUSO résultent de contrats distincts du contrat de fret maritime et ils ont été conclus par la société MUSO pour son propre compte et nullement pour le compte de l'armateur; que ces produits n'ont pas donné lieu à des commissions avec la société Somarco International laquelle est demeurée totalement étrangère à ces contrats et aux profits qu'ils ont généré; que la société DSR Senator Lines n'a pas vocation à indemniser la société MUSO pour la perte de prestations extérieures au contrat de fret et dont il n'est pas démontré qu'elles soient entrées dans les prévisions des parties;

Attendu qu'il résulte d'une attestation du commissaire aux comptes de la société MUSO que les commissions perçues par cette société se sont élevées à 78 085,61 euro (512 208 F) pour les 6 derniers mois de 1990 et les années 1991 à 1994 incluses ; que la moyenne des deux dernières années s'établit à 14 982 euro (98 275,50 F) ; qu'en raison de l'ancienneté des relations contractuelles, et de la brusquerie de la rupture, l'indemnité pour perte de commissions sera fixée à 35 000 euro;

Attendu qu'il n'est pas justifié d'un autre préjudice de la société MUSO résultant de la cessation des relations contractuelles tels que des frais d'investissement ou des frais de personnel ; que la désorganisation dont il est argué est indemnisée dans le poste de préjudice pour perte de commissions, le préjudice pour perte de produits annexes étant exclu ; qu'en conséquence l'indemnité de résiliation de la société MUSO sera arrêtée à la somme de 35 000 euro; que les intérêts sont dus à compter du jugement du 14 mars 1997;

Attendu, sur la demande reconventionnelle de la société DSR Senator Lines en remboursement des produits annexes perçus par la société MUSO, que les parties sont replacées en l'état antérieur à l'arrêt du 4 octobre 1999 ; que la demande reconventionnelle présentée en cause d'appel devant la Cour de Bordeaux a été définitivement jugée recevable par l'arrêt du 4 mai 1998; que la cour a omis de statuer sur le bien fondé de cette demande à son arrêt du 4 octobre 1999 ; que si la société DSR Senator Lines n'a pas usé de l'article 463 du nouveau Code de procédure civile pour demander à la Cour de Bordeaux de réparer l'omission de statuer de l'arrêt du 4 octobre 1999, elle est recevable à présenter sa demande par la procédure de droit commun;

Attendu qu'en l'espèce la procédure de droit commun autorise précisément la société DSR Senator Lines à présenter à la cour de renvoi la demande omise par l'arrêt cassé ; qu'en effet, comme il a été jugé par l'arrêt du 4 mai 1998, l'article 564 du nouveau Code de procédure civile permet à la société DSR Senator Lines de présenter à la cour une prétention nouvelle qui a pour objet la compensation ou de faire écarter les prétentions adverses ; que tel est bien le cas de la demande en paiement présentée par la société DSR Senator Lines ; que cette demande est donc recevable;

Attendu, au fond, que la société DSR Senator Lines ne pourrait arguer d'un détournement que si la société MUSO avait conclu au nom et pour le compte de son mandant les prestations annexes dont elle a conserve le fruit; qu'en l'espèce le mandat ne portait que sur le transport maritime et les produits annexes sont résultés de prestations distinctes négociées entre la société MUSO et le client en-dehors du mandat de fret maritime ; que les fonds perçus par la société MUSO n'avaient donc pas vocation à revenir à la société DSR Senator Lines et la demande en paiement de ce chef n'est pas fondée;

Attendu, sur la demande de la société DSR Senator Lines en restitution par la société MUSO des sommes trop payées en exécution de l'arrêt cassé du 4 octobre 1999, que ces sommes sont dues à raison de l'arrêt de cassation du 25 juin 2002 ; que les intérêts sur ces sommes ne sont pas exigibles à compter du paiement mais à compter de la première mise en demeure qui aura suivi l'arrêt du 25 juin 2002;

Attendu, sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile qu'il convient d'allouer 5 000 euro à la société MUSO pour les frais irrépétibles postérieurs au jugement du 14 mars 1997;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, après cassation ; Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux du 4 mai 1998, Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux du 14 mars 1997 en ce qu'il a alloué une indemnité de résiliation à la société Union Maritime du Sud-Ouest, Réformant sur le montant de ladite indemnité, Condamne la société DSR Senator Lines à payer à la société Union Maritime du Sud-Ouest trente cinq mille euro (35 000 euro) avec intérêts au taux légal à compter du 14 mars 1997, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a alloué à la société Union Maritime du Sud-Ouest mille cinq cent vingt quatre euro quarante neuf centimes (1 524,49 euro) pour frais irrépétibles, Y ajoutant, Déclare recevable la demande reconventionnelle de la société DSR Senator Lines en paiement de fonds provenant des produits annexes, L'en déboute, Condamne la société Union Maritime du Sud-Ouest à restituer à la société DSR Senator Lines les sommes perçues en exécution de l'arrêt cassé au-delà de sa créance telle qu'elle résulte du présent arrêt, Dit que les intérêts au taux légal sur ces sommes sont dus à compter de la première mise en demeure suivant l'arrêt de cassation du 25 juin 2002, Condamne la société DSR Senator Lines à payer à la société Union Maritime du Sud-Ouest cinq mille euro (5 000 euro) pour frais irrépétibles postérieurs au 14 mars 1997, Condamne la société DSR Senator Lines aux dépens, Autorise la SCP Nidecker et Prieu-Philippot à faire application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.